Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XIV

LA VOCATION FÉMININE

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Je vais dire un lieu commun, mais un lieu commun qu'on ne saurait trop répéter : les femmes ont reçu de Dieu une mission de charité dans l'accomplissement de laquelle nul ne les égalera.
Voici des pauvres, des malades, des tristes; voici des âmes corrompues et des familles que le vice entame; voici des enfants abandonnés, d'autres élevés indignement; quel royaume pour la charité féminine!
Certes elles méconnaissent leur véritable grandeur, les femmes qui cherchent ailleurs le progrès à réaliser.
Elles veulent faire un pas décisif! eh bien, la charité le met devant elles; cette émancipation ne coûtera rien à leur caractère, rien à leur devoir; la femme charitable est plus femme, plus épouse, plus mère que jamais; l'humilité l'accompagne, le respect l'environne, son influence devient, dans le sens le meilleur du mot, de l'autorité; toutefois, ce n'est pas ce qui la séduit, Dieu a mis en elle quelque chose de plus excellent : l'abnégation, le besoin de se dévouer, de se donner par pitié et par générosité.

L'exercice d'un tel privilège se passe, parfaitement du droit de vote. Sur ce terrain, la femme est supérieure à l'homme; non que l'homme n'y rencontre aussi le devoir malheur à lui s'il désertait son poste, - mais la femme seule peut dire certains mots, témoigner certaines sympathies, provoquer certaines confidences. Riche ou pauvre, peu importe, elle a le secret des consolations; les mains affaiblies se tendent vers elle. Quand la femme est bien femme, elle éprouve pour les malheureux des attendrissements que nos âmes plus dures ne connaissent pas, elle soulage en réalité ceux qui souffrent parce qu'elle pleure véritablement avec ceux qui pleurent; c'est ainsi que l'on touche les coeurs, que Fan gagne la confiance, que l'on prie de manière à être exaucé.
Dans ce domaine de la charité, au reste, il y a, Dieu merci, de la place pour deux; l'union y rayonne, chacun y travaille joyeusement, égalité, supériorité, autorité, tout s'y oublie et tout s'y fond, dans un même désir de bien faire, dans un même désir de donner de bonheur et de, servir Jésus !
Je ne sais que les femmes pour résoudre les difficultés de la charité pratique, pour vaincre ces dégoûts qui sans elles menaceraient de nous arrêter dès le début. Nous autres hommes, le découragement nous prend vite. Faciliter la paresse, supprimer chez l'indigent les efforts énergiques et le débarrasser de la prévoyance, créer des habitudes quêteuses, accroître le nombre des dépendances au lieu de le diminuer, établir en quelque sorte le paupérisme, transformer les nécessiteux en mendiants attitrés, tels sont les dangers très-réels qui se présentent sur notre chemin.

Les femmes, avec leur pénétration, avec leur délicatesse, avec leur patience, démêlent les situations embrouillées, distinguent le vrai du faux, nouent des relations directes, voient ce qui est, savent ce qu'elles font. Par elles nous arrivons à concentrer les secours sur des misères positives, connues, soudées; par elles, nous tendons nos mains de manière à relever au lieu, d'abaisser; par elles nous fondons des patronages sérieux, des protections de voisin à voisin; nous mettons fin à ces aumônes aveugles, à ces aumônes de la porte, de la rue, de la poste aux lettres, véritables primes accordées à qui sait le mieux mentir le plus effrontément importuner.
La mission des femmes ne s'arrête pas là.

Grâce à Dieu, la femme n'est ni prédicateur ni docteur en théologie, son action dans l'Église reste voilée comme sa tête; cette action cependant s'exerce avec une incontestable puissance. Il y a une évangélisation qui appartient essentiellement aux femmes, c'est l'évangélisation modeste, obscure, celle de la miséricorde, celle de la foi auprès des malades et des affligés. Avec les meilleures intentions du monde, nous brutalisons parfois les âmes endolories; au lieu d'apporter le simple Évangile nous formulons un code, nous philosophons, nous systématisons, nous lions sans nous en apercevoir d'insupportables fardeaux sur la tête des accablés. Nos femmes comprennent et le droit des malheureux et la pitié de Jésus; elles font entendre le son doux et subtil, on sent autour d'elles comme un rayonnement des compassions divines.

S'agit-il de courages à ranimer, d'existences à disputer au vice? nos femmes trouveront des énergies, et des convictions, et des mots d'espoir qui mettent du vent sous les ailes. S'agit-il du mal à prévenir, du progrès à préparer, des enfants, des générations qui nous suivent, de leur moralisation, de leur développement, de cet avenir dont nous avons la charge et dont nous portons la responsabilité? nos femmes sont là, toujours là, maternelles, persévérantes, les principales instigatrices, les plus actives ouvrières de cette oeuvre immense qui s'appelle l'école du dimanche.

L'école du dimanche peut devenir notre sauvegarde. Le mal que fait l'école de tous les jours tombée en de mauvaises mains, l'école du dimanche le répare. Par elle l'Évangile circule dans les masses qui sans elle l'auraient absolument ignoré. Non-seulement l'école du dimanche agit directement sur les jeunes qu'elle enveloppe d'un réseau de lumière et d'affection, mais par les jeunes elle ressaisit parfois les vieux, et de loin les éclaire et les réchauffe.
Il faut voir ce que sont en Amérique ces bataillons de monitrices et de moniteurs voués à l'instruction des multitudes enfantines, véritables pépinières de l'avenir que ne dédaignent pas de diriger les principaux citoyens, les magistrats, et le président lui-même.
La femme, je le répète, évangélise et ne prêche pas.

Elle va porter la bonne nouvelle de l'Évangile dans les quartiers les plus malfamés des grandes villes (1), elle la répand dans son village; soldats, ouvriers, écoutent avec respect la voix douce et ferme qui console encore plus qu'elle n'enseigne. Gardez-lui bien cette mission; si vous la lui ôtiez, nul ne l'y remplacerait.
Tout cela reste discret, retiré. La charité des comités et des rapports n'est la bonne ni pour les femmes, ni pour personne. Telle vie soi-disant charitable peut se dissiper en séances officielles, devenir en quelque sorte une vie publique, arracher la femme aux devoirs intérieurs sans profit pour qui que ce soit. Cette charité pompeuse, avec sa mise en scène et son fracas, demeure stérile, vide, malsaine pour ceux qui l'exercent, aussi humiliante qu'impuissante pour ceux qu'elle prétend soulager. L'autre, la charité secrète, directe, individuelle, non-seulement relève l'homme, mais relève les masses.
Nous sommes en présence d'un problème dont on s'inquiète à juste titre. Ce problème, la question sociale qui angoisse notre temps et pèse sur notre avenir, ne se résoudra pas sans l'intervention des femmes. Il est gros d'antagonismes. on ne peut avancer sur ce sol miné en dessous, tant que les passions y grondent seules; mettez-y les hommes en face, des hommes, avec leurs rudesses, la guerre éclatera. Il y faut les femmes, la femme riche, la femme pauvre; il y faut ente douceur, cette compréhension; il faut que les mains se touchent et que les coeurs s'émeuvent; les délicatesses et les bontés féminines auront seules raison des préventions, des défiances et des haines. Si la charité ne vient en aide à la liberté, celle-ci pourra bien changer quelques faits, réparer quelques brèches, elle laissera l'homme tel quel, mécontent et irrité. La difficulté sera écartée, elle ne sera pas vaincue.
Les femmes en savent plus que nous là-dessus. Elles ont, en matière sociale, une divination qui nous manque et qu'elles tiennent de leur conscience et de leur sympathie. Les inégalités extrêmes les blessent et les inquiètent, elles éprouvent le besoin de combler ces grands vides, elles y jettent leurs miséricordes avec leurs effusions, le niveau se rétablit par là.

Croyez-moi, laissons-les faire; la rencontre pacifique et amicale du riche et du pauvre, cette rencontre qui s'opère journellement sur le terrain de la charité ces relations fraternelles, essentiellement nouées par les femmes, auront plus d'influence que les discours les plus sensés et que les meilleurs projets de lois.

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1. À Londres, et partout.
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