Je vais dire un lieu commun, mais un lieu commun qu'on
ne
saurait trop répéter : les femmes ont
reçu de Dieu une mission de charité dans
l'accomplissement de laquelle nul ne les
égalera.
Voici des pauvres, des malades, des tristes; voici
des âmes corrompues et des familles que le vice
entame; voici des enfants abandonnés, d'autres
élevés indignement; quel royaume pour la
charité féminine!
Certes elles méconnaissent leur
véritable grandeur, les femmes qui cherchent ailleurs
le progrès à réaliser.
Elles veulent faire un pas décisif! eh bien,
la charité le met devant elles; cette
émancipation ne coûtera rien à leur
caractère, rien à leur devoir; la femme
charitable est plus femme, plus épouse, plus
mère que jamais; l'humilité l'accompagne, le
respect l'environne, son influence devient, dans le sens le
meilleur du mot, de l'autorité; toutefois, ce n'est
pas ce qui la séduit, Dieu a mis en elle quelque
chose de plus excellent : l'abnégation, le besoin de
se dévouer, de se donner par pitié et par
générosité.
L'exercice d'un tel privilège se passe,
parfaitement du droit de vote. Sur ce terrain, la femme est
supérieure à l'homme; non que l'homme n'y
rencontre aussi le devoir malheur à lui s'il
désertait son poste, - mais la femme seule peut dire
certains mots, témoigner certaines sympathies,
provoquer certaines confidences. Riche ou pauvre, peu
importe, elle a le secret des consolations; les mains
affaiblies se tendent vers elle. Quand la femme est bien
femme, elle éprouve pour les malheureux des
attendrissements que nos âmes plus dures ne
connaissent pas, elle soulage en réalité ceux
qui souffrent parce qu'elle pleure véritablement avec
ceux qui pleurent; c'est ainsi que l'on touche les coeurs,
que Fan gagne la confiance, que l'on prie de manière
à être exaucé.
Dans ce domaine de la charité, au reste, il y
a, Dieu merci, de la place pour deux; l'union y rayonne,
chacun y travaille joyeusement, égalité,
supériorité, autorité, tout s'y oublie
et tout s'y fond, dans un même désir de bien
faire, dans un même désir de donner de bonheur
et de, servir Jésus !
Je ne sais que les femmes pour résoudre les
difficultés de la charité pratique, pour
vaincre ces dégoûts qui sans elles menaceraient
de nous arrêter dès le début. Nous
autres hommes, le découragement nous prend vite.
Faciliter la paresse, supprimer chez l'indigent les efforts
énergiques et le débarrasser de la
prévoyance, créer des habitudes
quêteuses, accroître le nombre des
dépendances au lieu de le diminuer, établir en
quelque sorte le paupérisme, transformer les
nécessiteux en mendiants attitrés, tels sont
les dangers très-réels qui se
présentent sur notre chemin.
Les femmes, avec leur pénétration, avec
leur délicatesse, avec leur patience,
démêlent les situations embrouillées,
distinguent le vrai du faux, nouent des relations directes,
voient ce qui est, savent ce qu'elles font. Par elles nous
arrivons à concentrer les secours sur des
misères positives, connues, soudées; par
elles, nous tendons nos mains de manière à
relever au lieu, d'abaisser; par elles nous fondons des
patronages sérieux, des protections de voisin
à voisin; nous mettons fin à ces aumônes
aveugles, à ces aumônes de la porte, de la rue,
de la poste aux lettres, véritables primes
accordées à qui sait le mieux mentir le plus
effrontément importuner.
La mission des femmes ne s'arrête pas
là.
Grâce à Dieu, la femme n'est ni
prédicateur ni docteur en théologie, son
action dans l'Église reste voilée comme sa
tête; cette action cependant s'exerce avec une
incontestable puissance. Il y a une
évangélisation qui appartient essentiellement
aux femmes, c'est l'évangélisation modeste,
obscure, celle de la miséricorde, celle de la foi
auprès des malades et des affligés. Avec les
meilleures intentions du monde, nous brutalisons parfois les
âmes endolories; au lieu d'apporter le simple
Évangile nous formulons un code, nous philosophons,
nous systématisons, nous lions sans nous en
apercevoir d'insupportables fardeaux sur la tête des
accablés. Nos femmes comprennent et le droit des
malheureux et la pitié de Jésus; elles font
entendre le son doux et subtil, on sent autour d'elles comme
un rayonnement des compassions divines.
S'agit-il de courages à ranimer, d'existences
à disputer au vice? nos femmes trouveront des
énergies, et des convictions, et des mots d'espoir
qui mettent du vent sous les ailes. S'agit-il du mal
à prévenir, du progrès à
préparer, des enfants, des générations
qui nous suivent, de leur moralisation, de leur
développement, de cet avenir dont nous avons la
charge et dont nous portons la responsabilité? nos
femmes sont là, toujours là, maternelles,
persévérantes, les principales instigatrices,
les plus actives ouvrières de cette oeuvre immense
qui s'appelle l'école du dimanche.
L'école du dimanche peut devenir notre
sauvegarde. Le mal que fait l'école de tous les jours
tombée en de mauvaises mains, l'école du
dimanche le répare. Par elle l'Évangile
circule dans les masses qui sans elle l'auraient absolument
ignoré. Non-seulement l'école du dimanche agit
directement sur les jeunes qu'elle enveloppe d'un
réseau de lumière et d'affection, mais par les
jeunes elle ressaisit parfois les vieux, et de loin les
éclaire et les réchauffe.
Il faut voir ce que sont en Amérique ces
bataillons de monitrices et de moniteurs voués
à l'instruction des multitudes enfantines,
véritables pépinières de l'avenir que
ne dédaignent pas de diriger les principaux citoyens,
les magistrats, et le président lui-même.
La femme, je le répète,
évangélise et ne prêche pas.
Elle va porter la bonne nouvelle de l'Évangile
dans les quartiers les plus malfamés des grandes
villes (1),
elle la
répand dans son village; soldats, ouvriers,
écoutent avec respect la voix douce et ferme qui
console encore plus qu'elle n'enseigne. Gardez-lui bien
cette mission; si vous la lui ôtiez, nul ne l'y
remplacerait.
Tout cela reste discret, retiré. La
charité des comités et des rapports n'est la
bonne ni pour les femmes, ni pour personne. Telle vie
soi-disant charitable peut se dissiper en séances
officielles, devenir en quelque sorte une vie publique,
arracher la femme aux devoirs intérieurs sans profit
pour qui que ce soit. Cette charité pompeuse, avec sa
mise en scène et son fracas, demeure stérile,
vide, malsaine pour ceux qui l'exercent, aussi humiliante
qu'impuissante pour ceux qu'elle prétend soulager.
L'autre, la charité secrète, directe,
individuelle, non-seulement relève l'homme, mais
relève les masses.
Nous sommes en présence d'un problème
dont on s'inquiète à juste titre. Ce
problème, la question sociale qui angoisse notre
temps et pèse sur notre avenir, ne se résoudra
pas sans l'intervention des femmes. Il est gros
d'antagonismes. on ne peut avancer sur ce sol miné en
dessous, tant que les passions y grondent seules; mettez-y
les hommes en face, des hommes, avec leurs rudesses, la
guerre éclatera. Il y faut les femmes, la femme
riche, la femme pauvre; il y faut ente douceur, cette
compréhension; il faut que les mains se touchent et
que les coeurs s'émeuvent; les délicatesses et
les bontés féminines auront seules raison des
préventions, des défiances et des haines. Si
la charité ne vient en aide à la
liberté, celle-ci pourra bien changer quelques faits,
réparer quelques brèches, elle laissera
l'homme tel quel, mécontent et irrité. La
difficulté sera écartée, elle ne sera
pas vaincue.
Les femmes en savent plus que nous là-dessus.
Elles ont, en matière sociale, une divination qui
nous manque et qu'elles tiennent de leur conscience et de
leur sympathie. Les inégalités extrêmes
les blessent et les inquiètent, elles
éprouvent le besoin de combler ces grands vides,
elles y jettent leurs miséricordes avec leurs
effusions, le niveau se rétablit par là.
Croyez-moi, laissons-les faire; la rencontre
pacifique et amicale du riche et du pauvre, cette rencontre
qui s'opère journellement sur le terrain de la
charité ces relations fraternelles, essentiellement
nouées par les femmes, auront plus d'influence que
les discours les plus sensés et que les meilleurs
projets de lois.
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