Je ne puis terminer cette courte étude sans
revenir au mariage chrétien, à
l'idéal.
Ici l'égalité reparaît, on dirait
presque l'identité, tant la vie de la foi y est
semblable, tant elle absorbe les diversités
secondaires.
L'état qui a précédé la
chute : Dieu, seul mettre! renaît en quelque sorte
pour rétablir l'équilibre moral.
L'Évangile met l'amour à côté de
l'autorité, il la transfigure. Au sein de
l'unité, qui est l'égalité par
l'autorité revêt un caractère, tel,
qu'il exclut toute idée de soumission servile. Le
couple redevient un. Ce n'est pas le mari et la femme pris
séparément, c'est le couple pris
collectivement qui appartient à l'Évangile.
Dès lors le commandement, cette expression brutale du
pouvoir absolu -
Le maître donne des ordres, s'évanouit
pour faire place à la manifestation d'une
pensée commune. Y a-t-il divergence? on cherche
à deux la vérité, on
délibère à deux, on s'efforce de
décider à deux; ce n'est pas difficile, on
examine d'un même esprit, on croit d'une même
âme, on sent d'un même coeur; si l'on n'arrive
pas à l'entente absolue, le dernier mot appartient
nécessairement à quelqu'un, et ce quelqu'un
est le mari; mais alors même l'harmonie. subsiste, car
le chef de famille, qui doit maintenir l'autorité,
comprend trop bien qu'il a devant lui une égale, la
mission de sa femme lui apparaît trop grande, il en
saisit trop les caractères touchants et saints pour
que le respect, pour que les ménagements de la
tendresse ne viennent pas tempérer l'exercice du
droit et du devoir.
Il y a d'ailleurs des portions de l'autorité
qui se délèguent naturellement à la
femme; le département de l'intérieur et des
enfants lui appartient, tout comme le département
extérieur et la direction générale de
la famille appartient à l'homme. Ce partage
raisonnable s'opère de lui-même dans toute
union chrétienne. Un sentiment instinctif, auquel les
natures grossières échappent seules, nous
apprend que l'homme, en s'ingérant dans les
détails du ménage, commet une véritable
et maladroite usurpation. Lorsqu'il s'en mêle, tout va
de travers, il y gêne et il y est gêné,
il y apporte des inexpériences qui
dégénèrent en préoccupations
fâcheuses; comprenant peu, il s'inquiète hors
de propos; la ténuité même des fils
qu'il saisit de ses fortes mains fait qu'il les embrouille
ou qu'il les casse. Règle générale,
à chacun son métier !
L'autorité de la mère sur les enfants,
autorité qui n'altère en quoi que ce soit
l'autorité du père, est encore plus
indispensable et plus évidente que les droits de
maîtresse de maison. L'éducation recevrait une
mortelle atteinte le jour où l'on mettrait en doute
l'autorité maternelle dans ce qu'elle a de
précis et de sacré. Saura-t-on jamais ce que
renferme de bénédiction l'obéissance,
le respect des enfants pour celle qui a ouvert leur coeur
à la foi, qui a joint les petites mains dans la
prière, qui a fait éclore leurs
premières idées, qui a réveillé
leurs premières émotions?
Allez, n'ôtez pas un fleuron à cette
couronne des reines de l'intérieur, épouses et
mères, si vaillantes et si gracieuses dans
l'accomplissement de leur devoir, si ferme et si douces dans
le gouvernement de leur modeste empire, qui là si
bien chez elles et qui servent si puissamment le bonheur de
tous!
Encore une fois, le charme, la saine
élégance, la tenue de la maison, celle des
enfants sont entièrement indépendantes de la
situation de fortune. Dans tel intérieur modeste il y
aura de certains jours nappes blanches, petites fêtes,
ensemble harmonieux, et les enfants se sentiront heureux, et
le mari se plaira chez lui, et l'âme, de la femme
rayonnera sur ce monde intime, vivifié par son
amour.
Ce n'est pas pour cette femme-là que le
mariage ouvre la porte aux futilités de la vie.
Renvoyer les maîtres, cesser les leçons,
laisser de côté les livres, se consacrer
à ce qu'on appelle les devoirs du monde! Tel est le
mot d'ordre ordinaire. En y obéissant, les femmes se
discréditent et se subordonnent plus qu'aucune
législation ne les y a jamais condamnées. Une
femme chrétienne vise plus haut. Je ne voie rien de
touchant, pour ma part, comme le plan de vie de deux jeunes
époux qui se proposent d'accomplir ensemble le bien,
de se développer ensemble, de continuer ensemble leur
éducation, d'aspirer aux bonheurs qui sont
inséparables du travail et du devoir! Donner à
l'âme et au coeur des enfants, donner au gouvernement
consciencieux de la maison, aux lectures de famille, au
service de Dieu dans la personne des souffrants et des
pauvres, donner au progrès intellectuel et moral de
tous, le temps que réclamaient les exigences
féroces de l'existence mondaine, voilà quel
programme, nettement posé, courageusement suivi, les
femmes de l'Évangile opposent aux entraînements
frivoles et à la folie des réclamations
sociales.
Le partage des idées, la fréquente
communauté du travail réaliseront des
égalités meilleures, plus pratiques et plus
profondes que l'égalité par droit de
suffrage.
C'est un grand sujet que celui de l'association
intellectuelle et laborieuse du mari et de la femme; il
importe plus qu'on ne croit à l'étroite union
des âmes. L'intimité peut régner, Dieu
merci, entre un membre de, l'Institut et sa femme, sans que
celle-ci ait étudié la paléontologie ou
les mathématiques transcendantes; l'intimité
peut régner entre un ingénieur et sa femme,
sans que celle-ci sache faire l'épure d'un canal ou
le devis d'un chemin de fer; dans l'un et l'autre cas,
cependant, l'intimité gagnera beaucoup à
l'intelligence des notions générales, à
cet échange de pensées qui résulte de,
la culture fondamentale de l'esprit, à cette
sympathie enfin pour les études spéciales, qui
se passe très-bien d'une étude approfondie,
mais qui ne se passe ni d'aperçus justes, ni
d'activité.
Sans cette sympathie-là, les deux vies se
côtoient, mais ne se fondent pas. Dès qu'elle
existe, sitôt qu'il y a partage des idées et
des travaux, la femme peut, la femme doit exercer sur la vie
intellectuelle, sur l'action même politique, de son
mari une influence toujours importante et souvent
décisive. Entre eux, au. reste, l'influence est
réciproque; et c'est la beauté du
mariage.
En tous cas, il n'est pas bon que la femme ne
s'intéresse point à la chose publique, qui
intéresse son mari et ses fils. Le bonheur, le
progrès moral s'y trouvent engagés. Quel
chef-d'oeuvre, d'y rendre les femmes indifférentes
!
Elles ne le sont que trop. C'est un des
résultats de l'existence faussée,
étroitement mondaine qu'on leur a faite, de les
maintenir étrangères aux grandes idées
qui parcourent leur patrie. Citoyennes, elles n'en
protégeront que mieux, le sanctuaire domestique,
puisqu'il y aura un contact de plus entre elles, leur mari
et leurs fils. Les nations libres, l'Angleterre,
l'Amérique, la Suisse, nous montrent de ces
femmes-là, sérieusement, ardemment
occupées des progrès du pays, de l'avenir du
pays, et modestes et recueillies au coin du foyer,
attrayantes plus que pas une!
La vie de famille n'est pas du tout, comme on l'a
quelquefois pensé, l'ennemi de la vie publique. Les
bonnes affections poussent à l'accomplissement de
tous les devoirs. Elles n'énervent ni n'affaiblissent
personne. L'égoïsme à deux, ou à
trois, ou à quatre est toujours de
l'égoïsme et ne mérite aucune
espèce de respect. Mais la famille chrétienne
le désavoue. Loin qu'elle détourne ses membres
des devoirs civiques, il y a en elle un centre de chaleur
qui rayonne au dehors. On s'encourage dans son sein à
agir, à combattre pour les nobles causes, à
servir la justice et la liberté. Soyez-en certains,
si l'indolence égoïste, si la sotte
indifférence existent quelque part, c'est là
justement où manque la vraie famille, c'est là
où la vraie famille n'a pas remué les
consciences, n'a pas fait battre les coeurs.
L'Évangile - toujours il faut commencer et
finir par lui - créé seul ces faisceaux
saintement unis et vigoureux.
La piété de la femme est la source la
plus ordinaire de la piété, de
l'énergie du mari et des fils. elle entretient la
flamme divine, le culte de famille où le mari occupe
la première place ne se passe point d'elle.
Mêmes espérances, mêmes prières,
action vaillante et commune, voilà l'éternelle
égalité.
Ce qui semble le plus paradoxal au monde, c'est le
mariage et la famille selon l'Évangile. Il y a
là tant de grandeur, tant de poésie, il y a
là des ambitions et des aspirations si
élevées, les vulgarités d'en bas y sont
si hardiment contredites, les axiomes au rabais si
résolument démentis, que le mot paradoxe vient
naturellement aux lèvres. Eh bien ce paradoxe est le
bon sens par excellence. Oui, le vrai bons sens a paru sur
la terre avec l'Évangile. la vie chrétienne
n'est pas seulement sublime, elles est sensée. C'est
si sublime, le bon sens! c'est si sensé, la recherche
de l'idéal, quand on sait que Dieu a
préparé pour nous toutes les beautés de
l'immortel bonheur!
Relevez la femme par l'Évangile, vous
relèverez la famille; relevez la famille, vous
relevez la société; les réformes
vraiment justes s'accompliront d'elles-mêmes, les
réformes absurdes tomberont d'elles-mêmes;
l'édifice montera, solidement appuyé sur sa
pierre angulaire : l'unité du couple.
L'unité ! vous la trouvez à la base de
la création « Celle-ci est os de mes os et chair
de ma chair (1)
!
»
L'unité! les saintes Écritures vous la
montrent aux pieds de Jésus : « Ni l'homme n'est
sans la femme, ni la femme n'est sans l'homme en
Notre-Seigneur (2)
!
»
Et chaque couple chrétien qui s'avance dans la
vie, chaque couple chrétien qui marche vers
l'éternité, le coeur brûlant d'un
même amour, le front illuminé d'une même
foi, vous redit la magnifique
parole:
« L'Éternel n'en a fait qu'un
(3) ! »
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