Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XV

L'IDÉAL

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Je ne puis terminer cette courte étude sans revenir au mariage chrétien, à l'idéal.
Ici l'égalité reparaît, on dirait presque l'identité, tant la vie de la foi y est semblable, tant elle absorbe les diversités secondaires.

L'état qui a précédé la chute : Dieu, seul mettre! renaît en quelque sorte pour rétablir l'équilibre moral. L'Évangile met l'amour à côté de l'autorité, il la transfigure. Au sein de l'unité, qui est l'égalité par l'autorité revêt un caractère, tel, qu'il exclut toute idée de soumission servile. Le couple redevient un. Ce n'est pas le mari et la femme pris séparément, c'est le couple pris collectivement qui appartient à l'Évangile. Dès lors le commandement, cette expression brutale du pouvoir absolu -

Le maître donne des ordres, s'évanouit pour faire place à la manifestation d'une pensée commune. Y a-t-il divergence? on cherche à deux la vérité, on délibère à deux, on s'efforce de décider à deux; ce n'est pas difficile, on examine d'un même esprit, on croit d'une même âme, on sent d'un même coeur; si l'on n'arrive pas à l'entente absolue, le dernier mot appartient nécessairement à quelqu'un, et ce quelqu'un est le mari; mais alors même l'harmonie. subsiste, car le chef de famille, qui doit maintenir l'autorité, comprend trop bien qu'il a devant lui une égale, la mission de sa femme lui apparaît trop grande, il en saisit trop les caractères touchants et saints pour que le respect, pour que les ménagements de la tendresse ne viennent pas tempérer l'exercice du droit et du devoir.
Il y a d'ailleurs des portions de l'autorité qui se délèguent naturellement à la femme; le département de l'intérieur et des enfants lui appartient, tout comme le département extérieur et la direction générale de la famille appartient à l'homme. Ce partage raisonnable s'opère de lui-même dans toute union chrétienne. Un sentiment instinctif, auquel les natures grossières échappent seules, nous apprend que l'homme, en s'ingérant dans les détails du ménage, commet une véritable et maladroite usurpation. Lorsqu'il s'en mêle, tout va de travers, il y gêne et il y est gêné, il y apporte des inexpériences qui dégénèrent en préoccupations fâcheuses; comprenant peu, il s'inquiète hors de propos; la ténuité même des fils qu'il saisit de ses fortes mains fait qu'il les embrouille ou qu'il les casse. Règle générale, à chacun son métier !

L'autorité de la mère sur les enfants, autorité qui n'altère en quoi que ce soit l'autorité du père, est encore plus indispensable et plus évidente que les droits de maîtresse de maison. L'éducation recevrait une mortelle atteinte le jour où l'on mettrait en doute l'autorité maternelle dans ce qu'elle a de précis et de sacré. Saura-t-on jamais ce que renferme de bénédiction l'obéissance, le respect des enfants pour celle qui a ouvert leur coeur à la foi, qui a joint les petites mains dans la prière, qui a fait éclore leurs premières idées, qui a réveillé leurs premières émotions?
Allez, n'ôtez pas un fleuron à cette couronne des reines de l'intérieur, épouses et mères, si vaillantes et si gracieuses dans l'accomplissement de leur devoir, si ferme et si douces dans le gouvernement de leur modeste empire, qui là si bien chez elles et qui servent si puissamment le bonheur de tous!

Encore une fois, le charme, la saine élégance, la tenue de la maison, celle des enfants sont entièrement indépendantes de la situation de fortune. Dans tel intérieur modeste il y aura de certains jours nappes blanches, petites fêtes, ensemble harmonieux, et les enfants se sentiront heureux, et le mari se plaira chez lui, et l'âme, de la femme rayonnera sur ce monde intime, vivifié par son amour.
Ce n'est pas pour cette femme-là que le mariage ouvre la porte aux futilités de la vie. Renvoyer les maîtres, cesser les leçons, laisser de côté les livres, se consacrer à ce qu'on appelle les devoirs du monde! Tel est le mot d'ordre ordinaire. En y obéissant, les femmes se discréditent et se subordonnent plus qu'aucune législation ne les y a jamais condamnées. Une femme chrétienne vise plus haut. Je ne voie rien de touchant, pour ma part, comme le plan de vie de deux jeunes époux qui se proposent d'accomplir ensemble le bien, de se développer ensemble, de continuer ensemble leur éducation, d'aspirer aux bonheurs qui sont inséparables du travail et du devoir! Donner à l'âme et au coeur des enfants, donner au gouvernement consciencieux de la maison, aux lectures de famille, au service de Dieu dans la personne des souffrants et des pauvres, donner au progrès intellectuel et moral de tous, le temps que réclamaient les exigences féroces de l'existence mondaine, voilà quel programme, nettement posé, courageusement suivi, les femmes de l'Évangile opposent aux entraînements frivoles et à la folie des réclamations sociales.

Le partage des idées, la fréquente communauté du travail réaliseront des égalités meilleures, plus pratiques et plus profondes que l'égalité par droit de suffrage.

C'est un grand sujet que celui de l'association intellectuelle et laborieuse du mari et de la femme; il importe plus qu'on ne croit à l'étroite union des âmes. L'intimité peut régner, Dieu merci, entre un membre de, l'Institut et sa femme, sans que celle-ci ait étudié la paléontologie ou les mathématiques transcendantes; l'intimité peut régner entre un ingénieur et sa femme, sans que celle-ci sache faire l'épure d'un canal ou le devis d'un chemin de fer; dans l'un et l'autre cas, cependant, l'intimité gagnera beaucoup à l'intelligence des notions générales, à cet échange de pensées qui résulte de, la culture fondamentale de l'esprit, à cette sympathie enfin pour les études spéciales, qui se passe très-bien d'une étude approfondie, mais qui ne se passe ni d'aperçus justes, ni d'activité.

Sans cette sympathie-là, les deux vies se côtoient, mais ne se fondent pas. Dès qu'elle existe, sitôt qu'il y a partage des idées et des travaux, la femme peut, la femme doit exercer sur la vie intellectuelle, sur l'action même politique, de son mari une influence toujours importante et souvent décisive. Entre eux, au. reste, l'influence est réciproque; et c'est la beauté du mariage.
En tous cas, il n'est pas bon que la femme ne s'intéresse point à la chose publique, qui intéresse son mari et ses fils. Le bonheur, le progrès moral s'y trouvent engagés. Quel chef-d'oeuvre, d'y rendre les femmes indifférentes !
Elles ne le sont que trop. C'est un des résultats de l'existence faussée, étroitement mondaine qu'on leur a faite, de les maintenir étrangères aux grandes idées qui parcourent leur patrie. Citoyennes, elles n'en protégeront que mieux, le sanctuaire domestique, puisqu'il y aura un contact de plus entre elles, leur mari et leurs fils. Les nations libres, l'Angleterre, l'Amérique, la Suisse, nous montrent de ces femmes-là, sérieusement, ardemment occupées des progrès du pays, de l'avenir du pays, et modestes et recueillies au coin du foyer, attrayantes plus que pas une!

La vie de famille n'est pas du tout, comme on l'a quelquefois pensé, l'ennemi de la vie publique. Les bonnes affections poussent à l'accomplissement de tous les devoirs. Elles n'énervent ni n'affaiblissent personne. L'égoïsme à deux, ou à trois, ou à quatre est toujours de l'égoïsme et ne mérite aucune espèce de respect. Mais la famille chrétienne le désavoue. Loin qu'elle détourne ses membres des devoirs civiques, il y a en elle un centre de chaleur qui rayonne au dehors. On s'encourage dans son sein à agir, à combattre pour les nobles causes, à servir la justice et la liberté. Soyez-en certains, si l'indolence égoïste, si la sotte indifférence existent quelque part, c'est là justement où manque la vraie famille, c'est là où la vraie famille n'a pas remué les consciences, n'a pas fait battre les coeurs.

L'Évangile - toujours il faut commencer et finir par lui - créé seul ces faisceaux saintement unis et vigoureux.
La piété de la femme est la source la plus ordinaire de la piété, de l'énergie du mari et des fils. elle entretient la flamme divine, le culte de famille où le mari occupe la première place ne se passe point d'elle. Mêmes espérances, mêmes prières, action vaillante et commune, voilà l'éternelle égalité.
Ce qui semble le plus paradoxal au monde, c'est le mariage et la famille selon l'Évangile. Il y a là tant de grandeur, tant de poésie, il y a là des ambitions et des aspirations si élevées, les vulgarités d'en bas y sont si hardiment contredites, les axiomes au rabais si résolument démentis, que le mot paradoxe vient naturellement aux lèvres. Eh bien ce paradoxe est le bon sens par excellence. Oui, le vrai bons sens a paru sur la terre avec l'Évangile. la vie chrétienne n'est pas seulement sublime, elles est sensée. C'est si sublime, le bon sens! c'est si sensé, la recherche de l'idéal, quand on sait que Dieu a préparé pour nous toutes les beautés de l'immortel bonheur!

Relevez la femme par l'Évangile, vous relèverez la famille; relevez la famille, vous relevez la société; les réformes vraiment justes s'accompliront d'elles-mêmes, les réformes absurdes tomberont d'elles-mêmes; l'édifice montera, solidement appuyé sur sa pierre angulaire : l'unité du couple.

L'unité ! vous la trouvez à la base de la création « Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair (1) ! »

L'unité! les saintes Écritures vous la montrent aux pieds de Jésus : « Ni l'homme n'est sans la femme, ni la femme n'est sans l'homme en Notre-Seigneur (2) ! »

Et chaque couple chrétien qui s'avance dans la vie, chaque couple chrétien qui marche vers l'éternité, le coeur brûlant d'un même amour, le front illuminé d'une même foi, vous redit la magnifique parole:
« L'Éternel n'en a fait qu'un (3) ! »

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1. Genèse II, 23.
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2. 1 Corinthiens, XI, 11.
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3. Malachie, II, 15.
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