Le droit au travail n'est pas moins sacré que le
droit à l'instruction.
Si le travail des femmes présente en certains
cas de graves dangers pour elles-mêmes et pour la
famille, s'il y a lieu de le délimiter avec soin,
nous retrouvons sur ce terrain l'inégalité et
l'injustice; l'homme, s'y est fait comme ailleurs la part du
lion.
Les hommes excluent les femmes de beaucoup de
carrières où elles pourraient entrer sans
compromettre leur caractère spécial. Les
hommes ont accaparé bien des vocations exclusivement.
féminines. Que font, je vous le demande,
derrière les vitrines de nos magasins, ces grands
gaillards occupés à disposer les plis du satin
ou de la moire? Que font-ils derrière les piles
d'étoffes qui encombrent les comptoirs? Est-ce
à ces fortes mains de mesurer les rubans? Est-ce
à ces lèvres qu'ombragent des moustaches de
parler modes, nuances et chiffons?
Tout ce qui, dans le commerce, touche au goût
et à l'élégance, devrait par cela seul
appartenir à la direction des femmes; toute
occupation qui sans exiger l'emploi de la force physique
veut de la dextérité, de là
promptitude, du coup d'oeil, devrait rester leur
apanage.
La loi ne peut intervenir, je le sais; mais où
la loi se tait l'opinion parle. Si l'opinion, dans le cas
dont il s'agit, gardait le silence, en vérité,
c'est que la conscience publique, et je le dirai, notre
honneur à nous autres hommes, seraient bien
malades.
Pourquoi ne confierait-on pas aux femmes la
direction
des télégraphes, celle des bureaux de poste
(1)?
Les ouvriers
imprimeurs s'opposaient naguère à
l'administration des femmes dans leurs ateliers, pourquoi
cela? Je n'examine pas les avantages ou les
inconvénients de la profession pour elles, je dis
qu'ici la liberté et le droit ont été
indignement violés. Pourquoi n'ouvre-t-on pas
largement la carrière de l'enseignement aux femmes?
Pourquoi, lorsqu'il s'agit d'écoles, le traitement
des institutrices demeure-t-il inférieur à
celui des instituteurs? Pourquoi le travail des femmes quel
qu'il soit, à égalité de valeur, est-il
moins payé toujours que celui des hommes? Pourquoi ne
pas établir pour tout le monde le travail à la
tâche, le seul qui mette en rapport vrai le labeur et
le profit? Pourquoi, grâce aux nombreux
intermédiaires qui séparent l'ouvrière
de l'acheteur, le salaire de celle-ci s'évanouit-il
aux trois quarts? Pourquoi ne pas organiser partout, comme
on l'a essayé à Paris, des associations
coopératives munies d'ateliers et de bazars, qui
placent le travail de l'ouvrière en relation directe
avec la bourse du public?
L'équité ne demande rien moins; la
moralité, fortement intéressée au
triomphe de la justice, exige tout autant, car
l'insuffisance des salaires, l'impossibilité de vivre
au moyen d'un gain honnête accumulent devant la jeune
fille et la femme des occasions de chute dont nous portons
la responsabilité.
Notre responsabilité pas plus que notre devoir
ne s'arrête là. Il y a des centres
manufacturiers qui sont des centres de corruption; la vie de
famille s'y dissout, l'épouse et la mère y
disparaissent dans l'abrutissement d'une vie collective
où le travail mécanique absorbe tout; les
intelligences et les âmes s'en vont, les corps aussi
périssent; c'est là un crime social; il faut
donc que la société intervienne, il faut
qu'elle limite le travail des faibles, qu'elle
protège les femmes et les enfants, qu'elle sache
vouloir, qu'elle fasse exécuter ce qu'elle veut.
On parle de ligue! Liguons-nous pour flétrir
toutes les institutions, toutes les coutumes qui souillent
et qui perdent. Chacun sait ce que je veux dire, je n'ai pas
à entrer dans le détail. Il est des
tolérances infâmes, il est des provocations
dont les agents devraient rencontrer un châtiment
sévère. L'opinion publique reste lâche
en présence de tels attentats, l'indifférence.
des honnêtes femmes les encourage; c'est la faute des
honnêtes femmes s'ils n'ont pas disparu; elles
créent les courants, un courant pur balayerait ces
turpitudes, qu'on le sente circuler. Voilà un beau
droit à conquérir : le droit de sauver!
Voilà un beau droit à exercer : le droit de
mettre le ciel à la place de l'enfer!
Cela vaut peut-être bien le droit de jeter un
bulletin dans une urne électorale.
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