C'est sur elles et sur nous que je compte pour
revendiquer et conquérir le droit à
l'instruction.
Je ne saurais trop le redire, nous qui combattons le
suffrage et le rôle politique des femmes, nous ne
prenons nullement notre parti du système
d'éducation qu'on leur applique traditionnellement.
Ce qu'il a de superficiel et de factice nous révolte.
NOUS ne sommes pas du tout d'avis qu'on élève
les femmes dans la pensée unique de plaire et de
réussir en demeurant étrangères aux
intérêts sérieux. Nous ne croyons pas le
moins du monde que la femme la plus ignorante soit la plus
femme; nous pensons, au contraire, qu'en se
développant elle deviendra meilleure épouse,
meilleure mère, meilleure ménagère
par-dessus le marché, l'instruction et le devoir ne
faisant nulle difficulté d'aller ensemble.
Surtout échappons à cette vieille
comédie des femmes adorées qu'on tient de
court, des idoles encensées qu'on réduit
à un minimum de lumière. Renonçons pour
nos femmes aux vapeurs et aux nerfs : les vapeurs et les
nerfs ne forment pas, tant s'en faut, le vrai
caractère féminin; la femme la plus femme
n'est ni la moins forte, ni la plus prompte aux
défaillances, ni la moins douée de courage. La
saine énergie s'allie merveilleusement avec la
grâce et la réserve.
Les femmes ont donc raison quand elles cherchent
à répudier le rôle médiocre et
passif qu'on, leur a imposé de tout temps; elles ont
raison de croire qu'indépendamment du soin des
enfants et de l'intérieur, un domaine leur reste
ouvert, celui de l'association dans une certaine mesure aux
travaux et aux préoccupations du sexe fort; elles ont
raison lorsqu'elles pensent qu'exercer leur intelligence,
que nourrir leur esprit, que prendre à coeur les
grandes causes, que tout cela, loin de compromettre les
intérêts commis à leur garde, enrichit
au contraire et réchauffe le bonheur.
Qu'on ouvre des écoles, qu'on crée des
cours au profit des jeunes filles, nous y applaudirons.
Le mouvement a commencé. En Russie, -une
pétition signée par cent cinquante dames
réclamait naguère là fondation d'une
université féminine; l'empereur,
sollicité par le comte Tolstoy, ministre de
l'instruction publique, a permis que des cottes pour les
femmes fussent établis à l'Université
de Saint-Pétersbourg. Les pays protestants ont
devancé les autres, comme c'est leur devoir et leur
droit. Ils préparent l'esprit des femmes aux fortes
études, ils donnent à l'âme des
habitudes de vaillance, «indépendance
personnelle et d'intégrité
(1).
Aux États-Unis - il faut toujours y revenir
lorsqu'il s'agit de progrès - on ne s'avise pas de
soutenir que la femme étant inférieure
à l'homme, elle doit se contenter d'un moindre
développement. Les jeunes filles participent à
l'instruction que reçoivent les jeunes garçons
dans les écoles et marchent du même pas; ces
écoles pour la plupart - soixante et dix sur cent -
sont dirigées par des femmes; les garçons
comme les jeunes filles s'en trouvent bien.
Outre l'instruction qu'elles reçoivent de la
sorte, les jeunes filles des États-Unis voient
s'ouvrir devant elles des établissements
d'enseignement supérieur. L'égalité sur
le terrain des connaissances est non-seulement un droit
reconnu, c'est encore un fait acquis. Les jeunes
Américaines apprennent le grec, le latin, les langues
modernes, l'histoire générale, la
géométrie, l'algèbre, l'astronomie,
tout ce que savent ou ne savent pas les jeunes gens de chez
nous. Les femmes - c'est un résultat dont il faut
tenir grand compte - devenues épouses et
mères, peuvent ainsi prendre part aux travaux de
leurs maris, elles peuvent intervenir dans
l'éducation de leurs fils. Qu'égales aux
hommes par l'instruction elles rêvent de
carrières masculines, je ne le nie point;
l'inconvénient, est grave, il y a là une
mesure à garder. De même que dans
l'éducation des hommes on ne doit pas perdre de vue
la vocation virile, on ne doit pas, dans l'éducation
des femmes, perdre de vue la vocation féminine.
Pousser les femmes vers les spécialités
réservées à l'autre sexe, ce serait
manquer le but. Ceci posé, nul n'a le droit de
refuser à l'esprit féminin ce fonds solide et
général d'études, cette instruction
humaine, en dehors, au-dessus de toute profession, de tout
apprentissage particulier, qui constitue le patrimoine
commun. On l'a dit, les femmes et les hommes mangent des
aliments identiques à la table de famille, ce qui
n'empêche ni le développement de
s'opérer chez les uns et chez les autres d'une
façon distincte, ni les différences de
s'affirmer. Il en va de même pour l'aliment
intellectuel, pourvu que le régime particulier de
quelques individus ne devienne: pas la règle
imposée à tous.
Un Arnolphe se réjouira d'avoir des ignorantes
auprès de lui - avouons que les savantes qui
l'entourent lui donnent raison, - mais quel homme
sensé ne désirera trouver dans sa femme un
coeur qui batte aux nobles émotions, des
facultés qui répondent à ses
facultés, une âme qui comprenne, un esprit qui
s'intéresse ! Intimité, cela veut dire fusion
des sentiments, des convictions, des idées. Et que
deviendraient les entretiens du foyer, je vous le demande,
sans cette flamme vibrante et claire, sans ce trésor
sur lequel vit la famille : littérature, art,
politique, charité, religion, science, de quoi causer
en un mot et monter d'un même élan vers les
régions d'en-haut?
Le problème de la réunion des deux
sexes au sein des écoles et des collèges,
cette question qui ne se pose pas même en France, est
résolue aux États-Unis. L'école, mixte
y forme la règle, l'école distincte y forme
l'exception. Les collèges réunissent des
élèves de l'un et de l'autre sexe,
âgés de quinze à dix-huit ans; on
étudie, on prend ses repas, on se promène
ensemble. Il n'en résulte aucun incident
fâcheux.
Placés que nous sommes sous l'influence de
notre vieille galanterie et de nos vieilles corruptions,
l'éducation des filles pour nous, c'est toujours un
peu le couvent. Les nations qu'à fortifiées la
Bible ont d'autres vues, plus simples et plus vraies.
L'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne, ne connaissent point
nos scrupules malsains. L'indépendance, dans ces
pays-là, précède le mariage; chez nous
elle le suit; lequel vaut le mieux? Aux États-Unis
l'instruction, même supérieure, ne,
sépare pas les soeurs et les frères; ils la
poursuivent en commun; la vie de famille continue,
l'émulation à bien faire s'établit
entre filles et garçons. Loin de compromettre les
moeurs, le système américain en assure
l'honnêteté. C'est lorsque la séparation
suppose le danger que de mauvaises préoccupations
naissent dans l'esprit. On cite un collège où
les jeunes gens et les jeunes filles étaient
parqués derrière des murailles; les
inconvénients passaient par-dessus; on abattit les
murs, les inconvénients se dissipèrent.
Vous dites que c'est possible, mais qu'à tout
le moins les bonnes manières s'en vont, et
qu'à ce contact des deux sexes, chacun doit perdre
ses qualités essentielles avec son charme
distinctif!
C'est le contraire qui arrive et l'expérience
a prononcé. Les jeunes gens deviennent polis et
courtois; les jeunes filles deviennent plus féminines
encore, s'il est possible. Vous faut-il un exemple? Dans les
collèges mixtes on n'a pas eu besoin d'interdire le
tabac; les jeunes hommes ne voulant. pas oublier le respect
dû aux jeunes filles se sont abstenus de fumer !
Toute condition exceptionnelle d'existence fausse
notre nature, on ne saurait trop s'en souvenir; plus
l'existence pendant l'éducation est naturelle,
complète et simple, telle que Dieu l'a voulue, plus
les développements s'opèrent d'une
façon normale, mieux se dessine noire
individualité.
Nos éducations cloîtrées,
où rien ne rappelle ni la famille ni la
société, nous paraîtront un jour, je
l'espère, de tristes inventions. Nous comprendrons
alors que la liberté des jeunes filles, quand elle
n'est pas excessive, tient de bien près à la
loyauté, à l'énergie à la
pureté. En somme, c'est la vie entière, au
soleil, sans mutilation, comme elle convient à des
peuples indépendants.
Or cette liberté-là, vous pouvez m'en
croire, la liberté fondée sur
l'Évangile, garde mieux le coeur que nos grilles et
nos verrous (2.
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