Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IX

LA FEMME-HOMME

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Je ne reviens ni sur les fonctions publiques : maire, conseiller, député; ni sur les emplois juridiques - avocat, procureur, juré; ni même sur les charges militaires, en dépit des amazones du roi Guézo. Les avoir nommées, c'est les avoir jugées.
Toutefois, ne nous y trompons point. Il n'est pas nécessaire que l'émancipation politique des femmes soit appliquée dans toute son étendue pour produire beaucoup de mal. L'idée seule suffit à ébranler la famille; le faux idéal fausse les positions, fausse les relations, fausse les affections. La vérité de l'état normal fait que tout le monde y est à l'aise; altérez cette vérité, le malaise surviendra. Dans nos temps agités, il importe plus qu'on ne croit de ne pas ajouter un grand désordre à tant de désordres, une révolution immense à tant de révolutions. Quand vous aurez démoli la famille, vous aurez démoli la société.
Les femmes qui réclament l'égalité politique, déclarent bien haut, et déclarent sans doute avec bonne foi, qu'elles n'abandonneront ni leurs devoirs d'épouses ni leurs devoirs de mères; elles font remarquer qu'en acquérant plus d'instruction et de sérieux, elles ne seront que plus capables d'accomplir leurs obligations! Nous ne contestons nullement ce point-là. Le développement intellectuel et moral ne saurait être qu'un avantage et nous y applaudissons, Mais il n'est pas question de développement, il est question des droits et des devoirs d'un sexe revendiqués par l'autre, il est question d'un changement absolu de vocation, de pensées, de travaux, d'individualité, et l'on nous persuadera difficilement que lorsque les hommes ont tant de peine à être hommes, les femmes puissent, tout en restant femmes, devenir hommes aussi, mettant ainsi la main sur les deux rôles, exerçant la double mission, résumant le double caractère de l'humanité ! Nous perdrons la femme et nous n'aurons pas l'homme, voilà ce qui nous arrivera.
On nous donnera ce quelque chose de monstrueux, cet être répugnant, qui déjà paraît à notre horizon.
L'avènement de la femme-homme est plus qu'une menace, c'est presque un fait accompli. La femme bon garçon lui sert de précurseur; modes masculine, costumes masculins, grosse voix, point de timidité, nulle gêne imposée ou acceptée, nulle exigence; pas même de simple politesse, on la reconnaît à cela; elle faine, secoue vigoureusement la main, et s'occupe de chevaux. La femme-homme, avec moins de laisser aller, ira plus loin. Elle rédigera des journaux, elle préparera des discours, elle chauffera des élections : pérorant, discutant, dissertant, pédante à la fois et politique! De rudes contacts lui auront fait perdre cette réserve craintive qui est la poésie de son, sexe et qui en est aussi la protection. Avec le charme féminin notre respect aura disparu; ne trouvant plus que des hommes devant nous, nous deviendrons brutaux et rustres. Qui nous enseignerait la courtoisie? envers qui conserverions-nous des égards? pour qui s'imposer le moindre sacrifice. de bien-être? Les moeurs se seront dépouillées de, leur velouté, les relations se feront cassantes et brusques; les vraies élégances, la véritable distinction, l'urbanité, toutes ces choses exquises dont les femmes étaient les protectrices disparaîtront dès qu'il n'y aura plus de femmes. L'ange gardien a laissé tomber ses ailes, la maison est dévastée, ouverte à tout vent, un objet sans nom, qu'on fait avec des frissons d'épouvante.

Si jamais les femmes penchaient du côté de la prose grossière, tout serait définitivement perdu.
Ne désespérons pas. Les femmes sentiront que la poésie, que les instincts chevaleresques, que le côté relevé et en quelque mesure raffiné de la civilisation est placé sous leur égide; elles conserveront ce trésor. Voilà une vocation qui leur promet plus d'influence que tous les droits de suffrage, et cette vocation est tellement en accord avec l'ensemble de leur mission terrestre, que plus elles seront femmes, mieux elles s'en acquitteront; que mieux elles s'en acquitteront, plus elles seront femmes, dans le sens excellent et idéal du mot.
Revenons à la question spéciale.

Avez-vous prévu le cas où la femme électrice usera de son suffrage dans un sens opposé à celui du mari; le cas où chacun des époux servira sa politique à lui, qui ne sera pas celle de l'autre? Mesurez la portée, examinez les conséquences de cet antagonisme domestique appuyé sur l'exercice public et journalier d'un droit? C'est la famille transformée en parlement au petit pied, c'est la table devenue tribune, c'est la discorde à domicile !
Vous aurez beau faire, le mariage entre deux co-électeurs sera toujours impossible; l'intimité est fondée, sur les différences: en créant des identités on la tue; vous aurez détruit autant qu'il est en vous cette admirable union établie par l'Éternel entre la force et la faiblesse, entre l'autorité et l'influence, entre la vie extérieure et la vie intérieure, entre l'homme et la femme, entre les deux moitiés d'un même tout (1).
Encore une fois, ne nous effrayons pas trop. La réprobation qui a frappé les blooméristes, de l'autre côté de l'Atlantique, est un indice de cet instinct vivace et sûr aux simples clartés duquel bien des fantômes s'évanouissent pour ne plus revenir. La question, des habits a son importance. L'habit féminin exprime en quelque sorte la vocation féminine; commode pour une vie d'intérieur, il se trouverait mal de l'action extérieure et prolongée, du contact immédiat et violent de la foule, de ses procédés brutaux. C'est bien pour cela qu'aux yeux des blooméristes, la robe constitue un signe de servitude, et que voulant émanciper la femme, elles ont essayé de la déguiser en homme. Le bon sens a protesté. En présence de tentatives plus sérieuse portant sur des points d'une bien autre valeur, le même bon sens trouvera de plus véhémentes indignations.
C'est sur les femmes que je compte pour repousser le droit des femmes.

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1. Nos arguments ne concernent, on le prétend, que les femmes mariées. Et pourquoi? Par où la femme célibataire est-elle en dehors de son sexe, comment son noble rôle ici-bas ne se trouverait-il pas altéré si le rôle général de la femme changeait de nature? La femme célibataire lancée dans la vie publique en souffrirait-elle moins qu'une autre? Ayant plus de réserve à garder, possédant une garantie de moins, n'y pas davantage?
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