Je ne reviens ni sur les fonctions publiques : maire,
conseiller, député; ni sur les emplois
juridiques - avocat, procureur, juré; ni même
sur les charges militaires, en dépit des amazones du
roi Guézo. Les avoir nommées, c'est les avoir
jugées.
Toutefois, ne nous y trompons point. Il n'est pas
nécessaire que l'émancipation politique des
femmes soit appliquée dans toute son étendue
pour produire beaucoup de mal. L'idée seule suffit
à ébranler la famille; le faux idéal
fausse les positions, fausse les relations, fausse les
affections. La vérité de l'état normal
fait que tout le monde y est à l'aise; altérez
cette vérité, le malaise surviendra. Dans nos
temps agités, il importe plus qu'on ne croit de ne
pas ajouter un grand désordre à tant de
désordres, une révolution immense à
tant de révolutions. Quand vous aurez démoli
la famille, vous aurez démoli la
société.
Les femmes qui réclament
l'égalité politique, déclarent bien
haut, et déclarent sans doute avec bonne foi,
qu'elles n'abandonneront ni leurs devoirs d'épouses
ni leurs devoirs de mères; elles font remarquer qu'en
acquérant plus d'instruction et de sérieux,
elles ne seront que plus capables d'accomplir leurs
obligations! Nous ne contestons nullement ce
point-là. Le développement intellectuel et
moral ne saurait être qu'un avantage et nous y
applaudissons, Mais il n'est pas question de
développement, il est question des droits et des
devoirs d'un sexe revendiqués par l'autre, il est
question d'un changement absolu de vocation, de
pensées, de travaux, d'individualité, et l'on
nous persuadera difficilement que lorsque les hommes ont
tant de peine à être hommes, les femmes
puissent, tout en restant femmes, devenir hommes aussi,
mettant ainsi la main sur les deux rôles,
exerçant la double mission, résumant le double
caractère de l'humanité ! Nous perdrons la
femme et nous n'aurons pas l'homme, voilà ce qui nous
arrivera.
On nous donnera ce quelque chose de monstrueux, cet
être répugnant, qui déjà
paraît à notre horizon.
L'avènement de la femme-homme est plus qu'une
menace, c'est presque un fait accompli. La femme bon
garçon lui sert de précurseur; modes
masculine, costumes masculins, grosse voix, point de
timidité, nulle gêne imposée ou
acceptée, nulle exigence; pas même de simple
politesse, on la reconnaît à cela; elle faine,
secoue vigoureusement la main, et s'occupe de chevaux. La
femme-homme, avec moins de laisser aller, ira plus loin.
Elle rédigera des journaux, elle préparera des
discours, elle chauffera des élections :
pérorant, discutant, dissertant, pédante
à la fois et politique! De rudes contacts lui auront
fait perdre cette réserve craintive qui est la
poésie de son, sexe et qui en est aussi la
protection. Avec le charme féminin notre respect aura
disparu; ne trouvant plus que des hommes devant nous, nous
deviendrons brutaux et rustres. Qui nous enseignerait la
courtoisie? envers qui conserverions-nous des égards?
pour qui s'imposer le moindre sacrifice. de bien-être?
Les moeurs se seront dépouillées de, leur
velouté, les relations se feront cassantes et
brusques; les vraies élégances, la
véritable distinction, l'urbanité, toutes ces
choses exquises dont les femmes étaient les
protectrices disparaîtront dès qu'il n'y aura
plus de femmes. L'ange gardien a laissé tomber ses
ailes, la maison est dévastée, ouverte
à tout vent, un objet sans nom, qu'on fait avec des
frissons d'épouvante.
Si jamais les femmes penchaient du côté
de la prose grossière, tout serait
définitivement perdu.
Ne désespérons pas. Les femmes
sentiront que la poésie, que les instincts
chevaleresques, que le côté relevé et en
quelque mesure raffiné de la civilisation est
placé sous leur égide; elles conserveront ce
trésor. Voilà une vocation qui leur promet
plus d'influence que tous les droits de suffrage, et cette
vocation est tellement en accord avec l'ensemble de leur
mission terrestre, que plus elles seront femmes, mieux elles
s'en acquitteront; que mieux elles s'en acquitteront, plus
elles seront femmes, dans le sens excellent et idéal
du mot.
Revenons à la question spéciale.
Avez-vous prévu le cas où la femme
électrice usera de son suffrage dans un sens
opposé à celui du mari; le cas où
chacun des époux servira sa politique à lui,
qui ne sera pas celle de l'autre? Mesurez la portée,
examinez les conséquences de cet antagonisme
domestique appuyé sur l'exercice public et journalier
d'un droit? C'est la famille transformée en parlement
au petit pied, c'est la table devenue tribune, c'est la
discorde à domicile !
Vous aurez beau faire, le mariage entre deux
co-électeurs sera toujours impossible;
l'intimité est fondée, sur les
différences: en créant des identités on
la tue; vous aurez détruit autant qu'il est en vous
cette admirable union établie par l'Éternel
entre la force et la faiblesse, entre l'autorité et
l'influence, entre la vie extérieure et la vie
intérieure, entre l'homme et la femme, entre les deux
moitiés d'un même tout
(1).
Encore une fois, ne nous effrayons pas trop. La
réprobation qui a frappé les
blooméristes, de l'autre côté de
l'Atlantique, est un indice de cet instinct vivace et
sûr aux simples clartés duquel bien des
fantômes s'évanouissent pour ne plus revenir.
La question, des habits a son importance. L'habit
féminin exprime en quelque sorte la vocation
féminine; commode pour une vie d'intérieur, il
se trouverait mal de l'action extérieure et
prolongée, du contact immédiat et violent de
la foule, de ses procédés brutaux. C'est bien
pour cela qu'aux yeux des blooméristes, la robe
constitue un signe de servitude, et que voulant
émanciper la femme, elles ont essayé de la
déguiser en homme. Le bon sens a protesté. En
présence de tentatives plus sérieuse portant
sur des points d'une bien autre valeur, le même bon
sens trouvera de plus véhémentes
indignations.
C'est sur les femmes que je compte pour repousser le
droit des femmes.
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