Les facultés sont égales, dit-on, et les
parts ne le sont pas!
Entre les deux vocations, entre les deux fonctions
si
vous voulez, la fonction intérieure et la fonction
extérieure, laquelle est la moindre? je n'en sais
rien. Entre l'autorité et l'influence, entre le droit
de décider et la possession des mille moyens de
diriger, lequel est le plus important ? Je l'ignore. Ne
parlez donc ni d'inégalité ni d'injustice,
mais de fonctions diverses dans l'unité de
l'être humain.
Les capacités sont ici hors de cause. Nul
assurément n'aura l'impertinence de supposer une
infériorité intellectuelle des femmes. Quand
elles ont écrit, elles n'ont été
inférieures à qui que ce soit: voyez madame de
Sévigné, tant d'autres; quand elles ont
gouverné, elles n'ont été
inférieures à qui que ce soit : voyez nos
régentes à partir de Blanche de Castille,
voyez la reine Élisabeth d'Angleterre, voyez les
soeurs et les tantes de Charles-Quint qui s'y entendait, et
qui leur confiait les missions les plus délicates;
quand elles dirigent les affaires pratiques, elles s'en
tirent mieux que nous : voyez les femmes du commerce
parisien; quand elles étudient, elles
réussissent comme nous : voyez les jeunes filles de
nos écoles, voyez les jeunes filles qui tiennent
tête aux jeunes garçons des collèges et
des universités d'Amérique, rappelez-vous les
femmes qui professaient lors de la Renaissance,
rappelez-vous les femmes du XVIe siècle, aussi
cultivées que les hommes, sans rien perdre de leur
charme! Si vous relisez l'histoire des martyrs; vous
trouverez un type de chrétiennes dont la vigueur est
admirable; celles-là n'ont pas besoin d'un
remaniement dès lois pour marcher les égales
des plus grands hommes. Et celles de la Réforme !
austères, vaillantes, pleines de grâce et
d'humilité, épouses et mères
incomparables. Et celles des Dragonnades! ces protestantes
qu'on torturait dans les prisons du Dauphiné, qui
vieillissaient dans la tour de Constance, qu'on
persécutait à coups d'épingle dans les
couvents, qui fuyaient à travers les montagnes,
sacrifiant tout, famille, fortune, acceptant les
amères douleurs de l'exil plutôt que de
trahir.
S'il y a chez les femmes une grande mobilité
d'impressions, il y a souvent aussi chez elles une
invincible persévérance; ce qu'elles ont
commencé, elles l'achèvent. Le
tempérament nerveux, capable à un moment
donné d'opérer une énergique
concentration de force, celui qui fait les héros et
les martyrs, celui qui fait les grands orateurs et les
hommes de puissante impulsion, est précisément
le tempérament féminin. Sa
prépondérance ne serait pas sans danger dans
la vie publique, mais il aurait ses côtés
brillants que nous ne pouvons certes dédaigner.
Loin de nier les qualités de gouvernement chez
les femmes, je pense qu'elles ont plus que, nous le sens
pratique. Les abstractions, les règles absolues sont
rarement leur fait; elles s'en tiennent, on le
prétend - bien que des exceptions
très-marquées démentent, dans les pays
de la Bible surtout, l'observation - elles s'en tiennent
à la réalité, à l'effet
prochain. Si tout cela présente des
inconvénients au point de vue des principes, la
politique, s'en arrangerait assez bien, trop bien
peut-être. Chacun le remarque encore; telle femme sans
cesse dérangée dont l'existence est
coupée par petits morceaux, trouve une vive attention
pour chaque détail, une décision nette pour
chaque question, une solution claire pour chaque
problème. C'est quelque chose, en matière de
discussion ou de gouvernement, que cette promptitude, tout
intuitive, qui fait rencontrer sur-le-champ le parti
à prendre ou la réplique à
fournir.
Ceci dit, et sans appuyer sur le caractère
variable, facilement ému, volontiers imprudent,
parfois pusillanime que pourrait revêtir une politique
soumise à l'action directe des femmes; leurs
capacités très-réelles,
très-féminines et
très-différentes des nôtres, ne
sauraient justifier la communauté des
carrières. La diversité des natures subsiste.
Ceux qui la nient, ceux' qui attribuent cette
diversité au fait d'une éducation
spéciale dont qu'à comparer le petit
garçon et la petite fille en nourrice; ni l'un ni
l'autre n'ont reçu l'empreinte d'une éducation
particulière, cependant les goûts, les
instincts, les manières, tout se dessine et tout se
sépare.
Ce n'est pas l'incapacité des femmes qui est
proclamée de la sorte, c'est leur
individualité, qui n'est pas la nôtre, pas plus
que leur nature, pas plus que leur mission.
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