Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV

LE MOUVEMENT FÉMININ

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Et maintenant, passons aux réclamations du sexe opprimé.
Le mouvement féminin a ses journaux dans tous les pays et tient partout ses conférences. À Paris, il publie le Droit des femmes, la Ragione en Italie, la Révolution à New-York. En Suisse, l'Association internationale, des femmes, fondée sous la présidence de madame Goegg, relie les sociétés analogues des divers pays. Quand la ligue de la paix s'est assemblée à Berne en 1868, madame Goegg a pris la parole, les droits de la femme y ont été acclamés, et tous les représentants du socialisme européen se sont empressés de nommer madame Goegg membre du comité central. En France, en Angleterre, en Amérique, ces dames donnent des séances publiques où se produit leur éloquence; elles n'éprouvent pas la moindre embarras, leur timidité ne les arrête pas un instant : interruptions, interpellations, elles font face à tout. Des hommes de talent et de savoir les appuient: on cite en Angleterre M. Stuart Mill et M. Bright; MM. Jules Favre, Louis Blanc, M. de Girardin en France.
La Révolution ! Ce nom du journal américain indique clairement la grandeur des changements qu'on réclame; et la devise qu'il a adoptée : Les hommes, leurs droits, rien de moins! Les femmes, leurs droits, rien de moins! ne laisse aucun doute à cet égard. Égalité politique, suppression non-seulement de toute infériorité, mais de toute distinction entre les deux sexes du point de vue de leurs vocations extérieures, c'est bien là ce que revendique le parti. En Europe comme aux États-Unis; les maris de ces dames ont pour consigne de refuser leur vote à quiconque ne se prononce pas nettement en faveur des prétentions féminines.

Le mouvement allemand présente -un caractère spécial que je tiens à signaler.
Il ne réclame aucun droit politique, il poursuit le développement intellectuel et l'élargissement du rôle moral. En cela l'Allemagne, qui de tous a le mieux compris la vie de famille, demeure fidèle à ses tendances et à ses traditions. Si des idées fausses se glissent parfois dans les Journaux créés pour soutenir le mouvement, si quelques écrivains cherchent à le faire dévier dans un sens politique, l'Allemagne, considérée comme ensemble, a résisté jusqu'ici, se bornant à ouvrir aux femmes et aux jeunes filles des écoles professionnelles, des établissements et des cours du soir.
Le même fait s'est produit en Suède, où Frédérika Bremer avait donné une certaine impulsion à l'émancipation des femmes, à la bonne, à cette émancipation intellectuelle et morale que nous voulons tous.

Sur le terrain religieux, l'alliance chrétienne des femmes, dont on parle depuis quelque temps, cherche à réaliser ce que d'autres poursuivent sur le terrain politique : l'organisation à part de l'action féminine et de l'intérêt féminin. On veut qu'il y ait en religion aussi, un parti des femmes. On cherche à diviser ce que l'Évangile unit étroitement : l'humanité dans ses deux expressions.
Si l'on parvenait, sous prétexte de les tirer de leur isolement et d'établir des relations suivies entre elles; si l'on parvenait à grouper, lès femmes pour la défense de leurs intérêts et la revendication de leurs droits, ce serait un fait très-grave et, je ne crains pas de le dire, un immense malheur. À l'union entre les deux sexes, loi providentielle, on substituerait l'antagonisme; une lutte constante tiendrait les armées en présence, chacune son drapeau déployé. Se représente-t-on la famille? Se représente-t-on les défiances réciproques? Se représente-t-on l'esprit le coeur, les idées les plus simples, les notions les plus fondamentales faussées, et ces mères et ces épouses se mettant en garde, allant en conquête!
Ne supposez pas que je refuse mon respect à des élans généreux, même lorsqu'ils aboutissent à des idées erronées; il y a dans le désir d'échapper au cercle étroit que nous avons tracé autour des femmes un sentiment dont il ne faut pas méconnaître la grandeur. Les âmes aspirent à quelque chose de meilleur; de là ce jet vers d'autres carrières, vers d'autres horizons, vers d'autres droits. Le tort est de mettre de bonnes intentions au service de chimères funestes.

Toutes les réglementations anciennes, disent les partisans de l'émancipation féminine, tombent l'une après l'autre devant le principe moderne de la liberté et de la responsabilité de l'individu; la situation seule des femmes reste soumise aux vieilles traditions; elle doit donc, elle aussi, participer au progrès général!
Les barrières vermoulues sont brisées, cela est très-vrai; il n'y a plus ni vilains, ni plébéiens, ni serfs, il y a des hommes; les ouvriers ne sont plus condamnés à rester parqués dans leurs corporations, les industries ne sont plus tenues de conserver leurs procédés antiques : eh toutes choses l'intervention de la loi se retire pour faire place à la liberté qui mettra chacun où il doit être. Cette même liberté, je n'en doute pas, exercera son influence sur la fixation légale du sort des femmes; cependant, quoi qu'on fasse, le principe de la distinction des rôles n'en saurait être plus atteint que le fait de la différence des sexes.
On insiste: - L'incompatibilité des femmes en matière de fonctions publiques est la seule qui subsiste aujourd'hui; toutes les autres, celles qui tiennent à la religion, à l'aristocratie, à la richesse, ont successivement disparu. Il ne reste plus que les femmes qui soient légalement incapables; et l'exception contient la moitié du genre humain!
Cet argument historique ne prouve rien. Encore un coup il s'agit ici, non de notre histoire, mais de notre nature; la question unique est de savoir si les femmes sont des hommes, et si, par conséquent, toute distinction doit être supprimée entre les fonctions des deux sexes.

Chaque progrès du genre humain, dit-on encore, a été signalé par une élévation de la position des femmes. Les progrès du XIXe siècle sont tenus d'amener une élévation nouvelle qui ne peut être que l'égalité!
D'accord; mais l'égalité n'est pas l'identité; la femme; égale de l'homme, peut avoir une mission différente. Ceux qui oublient ce point, ceux qui prétendent qu'en attribuant aux femmes un rôle politique on achèverait de le mettre à notre niveau, ceux-là ont à prouver que la femme gagnerait quelque chose à devenir un homme, et, ne nous le dissimulons pas, un homme très incomplet.

La vieille tradition qui pèse encore sur les femmes et qui rétrécit plus ou moins leur rôle dans toutes les classes comme dans tous les pays, n'est au fait qu'un principe vrai, faussé par l'esprit mondain. Rien n'est plus vrai que, la distinction profonde établie en vertu de Dieu même entre la carrière féminine et la carrière masculine. Lorsque, l'esprit mondain, oppose en tout à l'Évangile, s'est appliqué à cette vérité-là il l'a faussée, faisant d'elle un mur de séparation, non-seulement entre la mission des deux sexes, mais, entre le sérieux réservé à l'un, et la frivolité ou les occupations mesquines assignées à l'autre.

La femme ne devant pas être un homme, ce qui est vrai, on s'est hâté d'en conclure qu'elle ne devait s'associer ni à l'instruction, ni aux travaux, ni aux, intérêts de l'homme, ce qui est faux. Le principe n'en reste pas moins debout, essentiel, fondamental, et toute réclamation qui y porte atteinte, peu ou beaucoup, introduit un élément de désordre dans l'âme et de désorganisation dans la société.
Nul ne désire plus que nous l'élévation de tous les niveaux. Nous sympathisons avec le mouvement féminin lorsqu'il proteste contre l'abaissement et la dépendance systématique des femmes; seulement il importe d'établir une distinction entre les questions fort diverses que l'on confond dans le même programme. Nous tenons à ne pas rejeter le bien, nous tenons à ne pas accepter le mal. Droit à l'instruction, droit au travail, droit au vote : de ces trois articles nous pouvons adopter les deux premiers, à la condition de les maintenir en deçà de, la limite où commence l'altération du caractère féminin et de la vie féminine; quant au troisième, il contient si clairement cette double atteinte que nous le rejetons net.
Les précédents, en, tout cas, ne sont pas pour nos adversaires; quiconque se rappelle les clubs de femmes de la première Révolution, ceux de la seconde, qu'on fut obligé de dissoudre en 1848, les violentes féminines par lesquelles ont été marqués tous les mouvements anarchiques, les discours prononcés et les prétentions émises dans les divers congrès émancipateurs, ne se sentira pas pressé d'enlever la barrière. qui jusqu'à ce jour sépare les femmes de la vie publique.

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