L'asservissement de la femme, que sanctionnent les,
codes, tient à d'autres causes. Avant tout à
l'éducation.
Mirabeau disait : - Il s'y connaissait, hélas!
- « La petite morale tue la grande! »
On a mis beaucoup trop de petite morale et pas assez
de grande dans l'éducation ordinaire des femmes. Si
j'excepte les pays de la Bible, que gouvernent des
idées plus vraies, plus élevées et plus
saines, il est impossible de ne pas voir que la femme
étouffe, emprisonnée dans les mailles
étroites d'un réseau de petite morale. Petits
devoirs : plaire, bien tenir un salon! Petite instruction :
un peu de musique, la danse, des notions superficielles en
toute chose! Petite dévotion : des pratiques, des
habitudes, de la bigoterie; c'est tout. Le grand souffle
manque.
La frivolité de beaucoup de vies de femmes
leur nuit bien plus que les plus dures législations.
Quand les préoccupations de la toilette, les visites,
les futilités tiennent la première place, il
est impossible que les femmes ne diminuent pas leur
rôle et ne s'abaissent pas dans l'opinion. On les
prend pour ce qu'elles veulent être; on les classe
d'après la figure et la parure, et Dieu sait à
quel point l'âme se dégrade par cette
vanité des habitudes
(1).
Ce qui se passe dans les classes
élégantes de la société se
produit sous d'autres formes dans celles qui le sont moins.
La bourgeoisie a ses existences mondaines et
très-mondaines. Si l'on rencontrait autrefois plus de
sérieux dans les familles de robe, ce sérieux
a presque entièrement disparu; les Benoitons ne sont
que l'exagération d'un genre trop réel. Dans
les ateliers, le même principe amène des
conséquences peu différentes;
l'ouvrière, mise à part des idées et
des intérêts d'un ordre supérieur,
frivole, légère, l'esprit vide,
reléguée dans la sphère mesquine qu'on
lui attribue, cherche rarement à en sortir
(2).
L'association des pensées et des vies, au sens
noble et chrétien du mot, est une révolution
qui reste à accomplir partout, chez les laboureurs,
chez les artisans, chez les bourgeois comme dans le grand
monde.
Le mariage d'argent, plaie ignoble et profonde,
contribue pour sa large part à l'amoindrissement dont
se plaignent les femmes. Avouons-le toutefois, les calculs
de position sont aussi familiers aux jeunes filles qu'aux
jeunes gens. Elles-mêmes se réduisent à
n'être qu'un objet de luxe; elles récoltent ce
qu'elles ont semé. Élégance,
mondanité, luxe rien ne leur manque, excepté
le respect, l'amour et le véritable bonheur. Sans
compter qu'à force de besoins factices, on
éloigne du mariage pour les livrer à la
corruption une foule de jeunes hommes et que l'on condamne
au célibat un nombre égal de jeunes filles les
mieux douées de beauté, de vertus aimables, de
distinction, dont le seul tort, tort irrémissible,
est de ne pas avoir assez d'écu!
Il appartient aux femmes de changer cela.
Mères, qu'elles inspirent des sentiments plus
élevés, qu'elles donnent des habitudes plus
simples à leurs enfants. Jeunes filles, qu'elles ne
consentent pas à descendre au niveau d'une
marchandise taxée chez les notaires et cotée
à la Bourse; qu'elles deviennent exigeantes,
romanesques, oui, romanesques, je répète le
mot; qu'elle deviennent chrétiennes, tout est
là; elles viseront haut, et l'une des grandes formes
de l'émancipation féminine aura trouvé
sa réalisation.
Ajoutons que la femme se mariant très jeune et
l'homme très-tard, il en résulte une
différence exagérée entre les
époux. Un seul est expérimenté. L'autre
est un aimable enfant dont l'éducation ne
s'achève jamais. De là
l'infériorité, de là
l'illégalité, de là cette vocation de
jouet dont on ne se relève point.
Que personne ne sourie si je dis, pour achever, que
la doctrine romaine du célibat a fortement maintenu
notre tradition latine sur l'infériorité des
femmes.
Les modernes réformatrices seraient bien
étonnées. d'apprendre qu'en
déconsidérant le mariage, qu'en le regardant
comme une servitude, elles continuent Grégoire VII
!
Quoi qu'il en soit, voici le célibat
déclaré un état saint; voici toute la
classe des prêtres et des moines qui
s'élève moralement au-dessus du commun des
hommes, par cela seul qu'elle n'a point de commerce avec les
femmes; il en résulte évidemment que celles-ci
impriment une souillure!
Si les nonnes, qui gardent le célibat,
appartiennent également à la classe des saints
de premier ordre, c'est que le mariage lui-même est
flétri, et que la famille constitue un ordre
inférieur. Qui dit la famille dit le royaume de la
femme ! En abaissant la famille, le catholicisme romain a
fait descendre la femme. Dans cette situation vulgaire,
indigne des grands saints, qu'on nomme la famille, il est
naturellement entendu qu'aucun développement
transcendant ne peut se produire; les fonctions que la femme
y remplit ne sauraient avoir de valeur; les êtres
voués au ménage, au soin du mari, à
l'éducation des. enfants; peuvent se contenter
à bon marché. Les femmes, ces créatures
dont tout saint d'élite doit se garer sous peine de
déchoir, restent à jamais la race infime.
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