Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

LA PETITE MORALE

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L'asservissement de la femme, que sanctionnent les, codes, tient à d'autres causes. Avant tout à l'éducation.
Mirabeau disait : - Il s'y connaissait, hélas! - « La petite morale tue la grande! »

On a mis beaucoup trop de petite morale et pas assez de grande dans l'éducation ordinaire des femmes. Si j'excepte les pays de la Bible, que gouvernent des idées plus vraies, plus élevées et plus saines, il est impossible de ne pas voir que la femme étouffe, emprisonnée dans les mailles étroites d'un réseau de petite morale. Petits devoirs : plaire, bien tenir un salon! Petite instruction : un peu de musique, la danse, des notions superficielles en toute chose! Petite dévotion : des pratiques, des habitudes, de la bigoterie; c'est tout. Le grand souffle manque.

La frivolité de beaucoup de vies de femmes leur nuit bien plus que les plus dures législations. Quand les préoccupations de la toilette, les visites, les futilités tiennent la première place, il est impossible que les femmes ne diminuent pas leur rôle et ne s'abaissent pas dans l'opinion. On les prend pour ce qu'elles veulent être; on les classe d'après la figure et la parure, et Dieu sait à quel point l'âme se dégrade par cette vanité des habitudes (1).

Ce qui se passe dans les classes élégantes de la société se produit sous d'autres formes dans celles qui le sont moins. La bourgeoisie a ses existences mondaines et très-mondaines. Si l'on rencontrait autrefois plus de sérieux dans les familles de robe, ce sérieux a presque entièrement disparu; les Benoitons ne sont que l'exagération d'un genre trop réel. Dans les ateliers, le même principe amène des conséquences peu différentes; l'ouvrière, mise à part des idées et des intérêts d'un ordre supérieur, frivole, légère, l'esprit vide, reléguée dans la sphère mesquine qu'on lui attribue, cherche rarement à en sortir (2).
L'association des pensées et des vies, au sens noble et chrétien du mot, est une révolution qui reste à accomplir partout, chez les laboureurs, chez les artisans, chez les bourgeois comme dans le grand monde.

Le mariage d'argent, plaie ignoble et profonde, contribue pour sa large part à l'amoindrissement dont se plaignent les femmes. Avouons-le toutefois, les calculs de position sont aussi familiers aux jeunes filles qu'aux jeunes gens. Elles-mêmes se réduisent à n'être qu'un objet de luxe; elles récoltent ce qu'elles ont semé. Élégance, mondanité, luxe rien ne leur manque, excepté le respect, l'amour et le véritable bonheur. Sans compter qu'à force de besoins factices, on éloigne du mariage pour les livrer à la corruption une foule de jeunes hommes et que l'on condamne au célibat un nombre égal de jeunes filles les mieux douées de beauté, de vertus aimables, de distinction, dont le seul tort, tort irrémissible, est de ne pas avoir assez d'écu!

Il appartient aux femmes de changer cela. Mères, qu'elles inspirent des sentiments plus élevés, qu'elles donnent des habitudes plus simples à leurs enfants. Jeunes filles, qu'elles ne consentent pas à descendre au niveau d'une marchandise taxée chez les notaires et cotée à la Bourse; qu'elles deviennent exigeantes, romanesques, oui, romanesques, je répète le mot; qu'elle deviennent chrétiennes, tout est là; elles viseront haut, et l'une des grandes formes de l'émancipation féminine aura trouvé sa réalisation.
Ajoutons que la femme se mariant très jeune et l'homme très-tard, il en résulte une différence exagérée entre les époux. Un seul est expérimenté. L'autre est un aimable enfant dont l'éducation ne s'achève jamais. De là l'infériorité, de là l'illégalité, de là cette vocation de jouet dont on ne se relève point.
Que personne ne sourie si je dis, pour achever, que la doctrine romaine du célibat a fortement maintenu notre tradition latine sur l'infériorité des femmes.
Les modernes réformatrices seraient bien étonnées. d'apprendre qu'en déconsidérant le mariage, qu'en le regardant comme une servitude, elles continuent Grégoire VII !
Quoi qu'il en soit, voici le célibat déclaré un état saint; voici toute la classe des prêtres et des moines qui s'élève moralement au-dessus du commun des hommes, par cela seul qu'elle n'a point de commerce avec les femmes; il en résulte évidemment que celles-ci impriment une souillure!

Si les nonnes, qui gardent le célibat, appartiennent également à la classe des saints de premier ordre, c'est que le mariage lui-même est flétri, et que la famille constitue un ordre inférieur. Qui dit la famille dit le royaume de la femme ! En abaissant la famille, le catholicisme romain a fait descendre la femme. Dans cette situation vulgaire, indigne des grands saints, qu'on nomme la famille, il est naturellement entendu qu'aucun développement transcendant ne peut se produire; les fonctions que la femme y remplit ne sauraient avoir de valeur; les êtres voués au ménage, au soin du mari, à l'éducation des. enfants; peuvent se contenter à bon marché. Les femmes, ces créatures dont tout saint d'élite doit se garer sous peine de déchoir, restent à jamais la race infime.

1. La frivolité n'est ni la beauté, ni la grâce, ni la charme. Loin de méconnaître ces dons, je pense au contraire qu'ils viennent de Dieu, comme l'amour, ce sentiment idéal que nous avons réussi à gâter, ainsi que tant d'autres choses excellentes.
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2. Disons, pour être juste, que, s'il 'y a de la frivolité chez les femmes, il y en a tout autant chez beaucoup d'hommes. On les compte par milliers, ces existences inutiles et corrompues, ces habitudes de fainéantise absolue qui de la ville au village vont remplissant les clubs, les cafés et les cabarets!
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