Avouons-le, une dure injustice a pesé, pèse
encore sur les femmes.
Les lois ont été faites par les hommes,
et les femmes ont eu lieu de s'en apercevoir.
À bas la tyrannie! tel est le cri qu'on entend
de partout.
La tyrannie a existé, une ignoble oppression
a, durant des siècles, écrasé le sexe
le plus faible. Cette oppression subsiste encore sur une
grande partie du globe, elle n'a pas entièrement
disparu dans nos pays christianisés et
civilisés; ce qui reste est peu de chose,
comparé à ce qui s'est évanoui au
contact de l'Évangile; il n'importe, l'oeuvre doit
s'achever, l'égalité sincère doit
s'établir, nous devons provoquer le changement des
lois civiles et pénales qui consacrent cette chose
odieuse qu'on appelle le droit du plus fort. Sur ce point,
les émancipatrices trouveront en nous de
fidèles alliés.
Pour combattre les mauvaises prétentions que
met en avant une réaction légitime et
généreuse dans. son principe, nous avons
besoin d'ailleurs d'obéir à
l'équité Partout où elle se
montre.
Or, nos codes ne sont pas équitables. Ils ont
trop maintenu la tradition antique, la tendance latine, le
pater familias, sous le despotisme duquel la femme est aussi
courbée, que les enfants.
Nous déclarons sans cesse, et nous avons
raison je crois, que les femmes valent mieux. que nous !
Comment concilier cette assertion parfois complimenteuse, le
plus souvent sincère, avec le système qui
subordonne d'une manière constante ces êtres
à l'être inférieur?
Le pouvoir absolu ne convient pas à l'homme,
il le rend fou et cruel : voyez les Césars ! dans la
famille il en va comme dans la politique. Ne donnons pas un
pouvoir absolu au mari. Si l'arme terrible tombe aux mains
d'un de ces hommes en grand nombre que leur conscience ne
gouverne pas et dont les étages successifs vont
descendant jusqu'aux perversités achevées,
Jugez de ce qui arrivera lorsqu'un être pareil se
sentira libre de faire chez lui tout ce qu'il lui
plaît sans avoir de compte à rendre à
personne! Bien des tragédies domestiques,
tantôt éclatantes, tantôt
ignorées, se sont abritées sous cette
égide du pouvoir absolu. On dit: - Si l'homme est
parfois tyran au logis, la femme le lui rend bien !
Je l'accorde. Chacun en connaît de ces
ménages où la femme, vrai despote, gouverne
tout et tous, donnant carrière à son humeur et
rendant la vie insupportable à chacun. Mais de telles
exceptions n'ont rien à voir avec la question
légale, avec l'établissement d'un pouvoir
illimité qui s'exerce obscurément, dans le
huis clos de chaque demeure, sans responsabilité
publique par conséquent.
Prenons quelques-uns de nos codes.
S'agit-il des enfants? L'inégalité du
père et de la mère est rendue énorme
par la loi française. Chez nous, pour le fait capital
du mariage des enfants, et ceci dit tout, l'autorisation
seule du père suffit; que la mère
désapprouve, que la mère approuve, les enfants
dont légalement pas à s'en embarrasser!
L'Angleterre va peut-être plus loin encore;
non-seulement le mari seul décide la question du
mariage, mais il tranche souverainement celle de
l'éducation; il peut faire enlever ses enfants
à la mère, celle-ci n'a pas à
réclamer.
S'agit-il des biens? notre loi qui remet entre les
mains du mari seul l'administration des fortunes
réunies par la communauté, lui confère
en outre le droit de disposer des effets mobiliers; autant
dire de vendre tout, au gré de Son inconduite ou de
sa brutalité. En Angleterre, la femme disparaît
tellement dans le mari qu'elle ne possède plus rien.
Je comprends cette fiction de la loi anglaise qui
considère le mari et la femme comme ne faisant qu'une
seule personne. Ce serait là une grande
vérité si la loi recevait cette maxime dans
ses deux applications réciproques. Mais il n'en va
pas de la sorte. Entre les époux, tout ce qui est
à elle est à lui;. n'allez pas croire que tout
ce qui est à lui soit à elle; le droit
l'exigerait pourtant, dès que les biens appartiennent
an personnage légal nommé le couple; dans ce
cas, après avoir été administrés
sous l'autorité du mari, les biens devraient se
partager également entre le mari et la femme, chacun
pouvant disposer de sa part selon les règles de
l'héritage et du testament. Rien de semblable n'a
lieu; le mari, selon la loi anglaise, absorbe tout, dispose
de tout ses héritiers reçoivent tout, son
testament transmet tout; à moins que ses
désordres n'aient pris soin d'avance de dissiper
tout.
Ce n'est qu'au moyen de dispositions
compliquées et coûteuses, dont l'aristocratie
seule peut faire usage, qu'un père anglais
prévient l'absorption de la fortune de sa fille.
Encore cette fortune ne saurait-elle rester entre les mains
de celle-ci; confiée à des tiers,
administrée par eux, le revenu, non le capital, passe
à la fille, et c'est sous cette forme
détournée que la femme anglaise parvient
à conserver tout ou partie de ses biens. Dans les
classes qui ne peuvent faire usage de ressources pareilles,
la femme en se mariant est dépouillée jusqu'au
dernier farthing, plus dépouillée que ne le
furent jamais les esclaves, auxquels leurs maîtres ont
toujours laissé un pécule.
Aux États-Unis il en était de
même naguère; les exceptions tenaient à
des conventions particulières, à des
settlements conclus au profit des jeunes filles riches qui
se mariaient. Un mouvement s'est fait dans le sens de la
justice et de l'égalité. Plusieurs
États ont introduit depuis quelques années,
non-seulement dans leurs lois, mais dans leurs
constitutions, des dispositions en vertu desquelles
l'ancienne coutume anglaise est abolie. Désormais,
les femmes, en se mariant, conserveront la
propriété de leurs biens et demeureront
maîtresses de ce qu'elles pourraient acquérir
dans la suite par l'héritage ou par leur industrie
particulière.
La législation anglaise tend à se
modifier dans le même sens; toutefois elle subsiste
encore, et, sous le rapport de la propriété,
les femmes des harems sont mieux partagées que celles
de la libre Angleterre.
M. Dixon l'a fait, remarquer : s'il y a dans les
législations musulmanes plus de respect des droits
civils de la femme, plus de précautions contre les
brutalités de l'époux, cela tient en partie
à ce que, chez les musulmans, là, loi
religieuse est en même temps la loi civile; or cette
loi religieuse, ne l'oublions pas, doit beaucoup à la
Bible. Chez les nations chrétiennes, au contraire, la
loi civile doit fort peu à l'Écriture; nous
avons suivi la tradition païenne et puisé nos
principes dans les Pandectes de Justinien; de là
l'inégalité entre époux maintenue par
nos codes,
En fait d'inégalité, le Code vaudois
renferme l'expression du plus absolu mépris du droit
commun. Les femmes du canton de Vaud sont condamnées
à une dépendance éternelle, disons
mieux, à une éternelle enfance. Quel que soit
leur âge, quelle que soit leur position, veuves ou
célibataires, ayant reçu leur fortune par
héritage ou l'ayant gagnée par le travail,
elles ne peuvent ni vendre, ni acheter, ni échanger
une parcelle de terrain, ni prêter, ni emprunter, ni
disposer en un mot de ce qui leur appartient, sans
l'autorisation d'un conseiller et l'assistance de deux
hommes de leur famille. Dans un pays où les femmes
sont particulièrement cultivée et
distinguées, cet article absurde prend un
caractère odieux.
Voulez-vous un autre genre d'injustice?
D'après notre loi française, la femme qui,
à la suite de mauvais traitements, a quitté le
domicile conjugal, peut être forcée de le
réintégrer; les agents de l'autorité
viennent la saisir, et sur la réquisition du mari,
elle est remise entre ses mains exaspérées et
brutales.
On a beau dire, le droit légal de faire
ramener, par force, la femme au domicile conjugal, constitue
un trait saisissant de l'esclavage; impossible de ne pas
songer aux esclaves fugitifs. Elle aussi, comme eux,
rencontre à son retour un maître irrité,
tout-puissant, qui fait chez lui ce qu'il veut et qui peut
infliger beaucoup de souffrance sans s'exposer à
aucun châtiment.
Figurez-vous d'ailleurs ce que sera ce mariage
rétabli par la gendarmerie, ce que seront ces
relations, ce qu'est cette union de par la loi! On ose
à peine y penser : toute délicatesse et toute
justice en demeurent révoltées.
Je me permets de rappeler ici le principe,
constamment méconnu, de la réciprocité.
Le mari aussi' a promis en se mariant de ne pas abandonner
sa femme; il faudrait, pour être juste, qu'elle
pût, comme lui, s'adresser à la force publique
pour le ramener au logis. Mais le ridicule de la mesure en
démontre l'inutilité. On accorderait la
réciprocité aux femmes qu'elles ne s'en
serviraient pas, étant les plus faibles et sachant ce
qui les attend.
La femme n'a pour se protéger d'autre
ressource qu'une séparation prononcée par les
tribunaux, séparation qui exige un procès
coûteux et la démonstration publique de
détails qu'on répugne à divulguer.
À moins d'en venir à ce terrible moyen, la
cohabitation reste imposée comme un devoir
légal. C'est donc, tout simplement un article
à rayer du Code.
Autre injustice. En cas d'adultère, la loi
française autorise le mari à tuer sa femme et
le complice de celle-ci.
Or la femme est si peu. considérée
comme l'égale du mari, qu'usât-elle du
même droit dans des conditions pareilles, le Code la
traiterait d'assassin. Impossible de nier plus nettement la
réciprocité.
L'inégalité qui existe dans nos lois
civiles et pénales a pu justifier plus d'une fois
cette parole : le Code organise l'asservissement des femmes;
l'homme absorbe tous les droits, comme il gouverne tous les
intérêts et dispose de toutes les
ressources!
Sans égalité, point d'unité;
l'unité n'existe qu'entre égaux. Toutefois,
des limites devront nécessairement s'imposer. Dans
cette question même de l'égalité civile,
il. faudra s'arrêter au point précis où
le caractère féminin et la mission
féminine seraient compromis tous deux. Nous avons du
chemin à faire pour arriver à ce
point-là.
Le Code, qui ne peut ni imposer, ni supposer
l'amour,
doit des garanties à la femme. Tous les vices, toutes
les duretés, toutes les tyrannies du monde ne
sauraient altérer la pleine validité du
contrat civil; la femme reste donc livrée à un
despotisme occulte, très-positif et
très-puissant, si le Code n'y pourvoit en
rétablissant l'équilibre et le droit.
J'indique, je n'examine pas; il appartient aux
hommes
compétents de fournir une solution.
Quant à la question des biens, je ne pense pas
que la séparation légale des fortunes
constitue l'idéal entre époux; la
communauté me paraît plus naturelle et plus
conforme à ce type d'intime union que nous devons
poursuivre. Mais si l'on ne veut fondre en une seule masse
ni les biens déjà possédés, ni
ceux qui seront, acquis pendant la durée du mariage,
une moitié appartenant à chaque époux,
quelles que soient les provenances, il faudrait au moins que
le revenu des deux fortunes et le fruit du travail des deux
époux fussent indistinctement consacrés aux
besoins communs du ménage.
À
défaut de la communauté des biens on de
la communauté des revenus et produits,
écartons absolument les systèmes, en vertu
desquels ce qui appartient à la femme est mis
à la disposition du mari, sans que la
réciprocité existe. Ne dépouillez pas
la femme de ce qu'elle a gagné ou de ce qu'elle
possède; la séparation des biens, dans sa
rigueur et dans son équité, vaudrait mieux :
ce serait un régime tendu, mais juste.
Je suis disposé, pour ma part, à croire
que la loi devrait réserver le droit des femmes dans
l'administration de leurs propres biens.
Le droit de la mère sur ses enfants me
paraît encore plus sacré,
l'inégalité plus choquante, l'équilibre
plus important à rétablir par un article
exigeant pour le mariage des enfants l'autorisation de l'un
comme de l'autre des époux.
En tout état de cause, nous avons à
protéger la femme contre l'autorité excessive
du mari. Au point de vue de l'Évangile,
l'autorité peut être proclamée en termes
très-forts; elle ne dégénérera
jamais en tyrannie, car elle rencontre devant elle l'amour
chrétien l'unité, réelle, le respect
des âmes pareillement rachetées et immortelles,
le partage des devoirs de la famille et des
responsabilités de l'éducation. Mais au point
de vue de la loi, il n'en va plus ainsi; la loi n'exclut
personne du mariage; les êtres les plus grossiers, les
plus vicieux, ceux qui sont en marche vers le bagne ou vers
l'échafaud se marient, et la pensée recule
devant les cruautés et les hontes qui fondront alors
sur les malheureuses que de tels hommes considèrent
comme leur chose.
Si les chrétiens ont dans l'Évangile
une loi supérieure dont les exigences et
l'élévation ne leur permet pas de recourir
à de certaines mesures, la loi civile est tenue
d'assurer à l'ensemble, des hommes ces garanties que
la conscience chrétienne reste libre de ne pas mettre
à profit : je citerai la prescription, d'un usage
utile en général, mais qu'une âme
délicate n'acceptera point. Le législateur,
qui fait la loi pour tout le monde, n'est nullement
appelé à mettre tout l'Évangile dans le
Code.
L'Évangile nous dit que celui qui hait est un
meurtrier, que celui qui regarde, une, femme avec convoitise
est un adultère; le Code pénal n'appliquera
pas ici la peine de l'adultère et du meurtre.
L'Évangile pose, pour l'administration des biens et
pour les devoirs à l'égard des pauvres, des
règles qu'aucune loi humaine ne saurait transformer
en devoir légal. J'ajoute que si elle l'essayait,
elle commettrait une faute grave : les règles de
l'Évangile sans l'esprit de l'Évangile, la loi
extérieure au lieu de la loi intérieure, ce
serait le pire, des socialismes et des despotismes.
Voilà pourquoi, lorsqu'il s'agit du mariage,
la loi civile établit et doit établir ses
règlements à elle; ceux qui conviennent le
mieux à l'ensemble des hommes, laissant les
chrétiens maîtres de suivre à leurs
risques et "dépens les inspirations d'une morale plus
haute; voilà pourquoi nous réclamons
l'introduction dans cette loi de l'égalité et.
de la réciprocité, la suppression de tout ce
qui ressemble à l'autorité absolue du mari, le
châtiment exemplaire en cas de sévices,
là séparation de plein droit pour le corps et
pour les biens résultant de toute condamnation
motivée par l'abus du pouvoir, l'énergique
répression de certains crimes : la séduction
et l'adultère (1).
J'ai dit la séparation, je n'ai pas dit le
divorce, entendons-nous
(2).
Le nombre des ménages où s'exercent des
violences impunies, où le mari pris de vin se permet
tout, où. même sans ivresse il agit avec un
arbitraire illimité, ce nombre est
considérable, chacun le sait; pour protéger
les malheureuses livrées en proie à des maris
brutaux, pervertis et cruels, la condamnation motivée
par des sévices doit entraîner de plein droit,
la séparation; sans la séparation de plein
droit, vous remettez la victime aux mains d'un maître
exaspéré. L'ivrognerie, loin d'être une
excuse en cas de mauvais traitements, me paraît au
contraire une circonstance des plus aggravantes. Je crois
même que le fait d'ivrognerie habituelle et
grossière forme, indépendamment, des
sévices, une cause, suffisante de séparation.
La séparation est le seul refuge ouvert à la
femme contre les abus d'autorité ou les violences du
mari. La. séparation a ceci de bon qu'elle
disparaît légalement dès que, par un
libre mouvement de leur volonté, les époux se
réunissent de nouveau. Sans doute une femme.
chrétienne acceptera difficilement la
séparation; certains passages des
Épîtres défendront sa conscience contre
la tentation d'abandonner son mari, fût-ce en cas de
vie douloureuse et d'amères déceptions; dans
les occasions très-rares où une femme
chrétienne aura cru pouvoir recourir à cette
ressource, elle regardera comme un devoir d'y renoncer
dès qu'un changement favorable apparaîtra; au
moindre symptôme d'amélioration elle se
replacera d'elle-même auprès. de son mari,
s'exposant à des nouvelles souffrances pour accomplir
les promesses qu'elle a faites en se mariant : telle sera,
telle devra être la conduite d'une femme
chrétienne; mais, répétons-le les lois
ne sont pas écrites pour les chrétiens, elles
sont écrites pour tout le monde.
Les mesures qui ont pour but de provoquer les
châtiments et par suite la séparation en cas de
violence ou d'ivrognerie habituelles resteront inefficaces,
à moins que ces délits ne soient poursuivis
d'office.
Attendre une plainte, c'est abandonner la femme sans
défense à la merci d'a mari; plus le mari se
montre redoutable, moins la femme se risque à
l'irriter par une réclamation légale. Les
poursuites d'office, qui seules protègent
réellement la femme, ne la compromettent pas; quelles
que soient leurs conséquences, elles ne laissent
qu'un adversaire, le magistrat, en face, du mari; point de
vengeance à exercer contre le magistrat; le mari,
placé sous une surveillance à laquelle il ne
peut se dérober et qu'il ne peut intimider, est bien
forcé de refréner ses passions.
Qu'une pénalité sévère,
suivie de la suspension des droits du père de
famille, punisse les violences, réprime la tyrannie
du fort sur le faible, et nous aurons fait un pas
considérable vers la justice.
Aussi longtemps qu'une inégalité
choquante subsistera dans nos codes, tant qu'ils
maintiendront la soumission servile des femmes, deux faits
se produiront : la ruse et la revanche.
Vous aurez des femmes qui dissimuleront plus ou
moins, qui tourneront les, volontés du mari -
j'allais dire les positions de l'ennemi, - qui seront
gracieuses, doucereuses, mais qui ne seront pas
sincères et dont l'âme ne marchera pas droit.
La tactique féminine, d'un usage
très-général, ne manque guère
son but; ainsi se fonde en face de l'autorité brutale
du mari la réalité du gouvernement de la femme
: la femme gouverne, et même elle domine. On en
sourit, pas moi. Ces détours sont la marque de
l'esclavage, j'y vois le plus triste fruit d'un
régime dégradant. Le sens moral a disparu, le
mensonge règne; il réussit, ce qui est plus
grave; on respire un air malsain; le caractère de la
femme, en s'abaissant, a tout abaissé; la famille
entière est descendue: époux, enfants, nul
n'échappe aux exhalaisons empoisonnées. Il n'y
a qu'un moyen de purifier l'atmosphère, c'est d'y
ramener le vif courant. du droit et de
l'équité.
Voici l'autre fait.
Dans un état de choses où la tyrannie
légale des maris se trouve plus ou moins
organisée, la tyrannie morale des femmes se produit
fréquemment. C'est la revanche que prennent les
femmes acariâtres aux dépens des maris
débonnaires. Les hommes les moins despotes sont
justement ceux qui expient le despotisme de leur sexe; c'est
la règle, il n'en saurait aller. autrement; les bons
payent pour les mauvais, et par une suite naturelle, les
femmes méchantes se chargent de venger les bonnes qui
ont le coeur trop haut placé pour jouer un tel
rôle.
Croyez-moi, quand le sexe féminin n'aura plus
à lutter dans son ensemble contre l'ensemble de la
tyrannie masculine, quand l'égalité et
l'unité auront été conciliées
par la loi avec le maintien d'une autorité
nécessaire, alors le despotisme bruyant des femmes
acariâtres et le despotisme occulte des femmes
rusées cesseront d'être une revanche pour ne
plus être qu'un vice; alors l'opinion de tous,
à commencer par les femmes, s'élèvera,
contre les mégères et les câlines; nous
entrerons alors, autant que le permet la corruption humaine,
dans les voies de l'harmonie et de la loyauté.
Nous parviendrons d'autant mieux à
réformer nos lois, que nos murs ont pris les
devants.
Ne méconnaissons pas les progrès
accomplis sous l'influence de l'Évangile et de la
liberté. Sans remonter jusqu'au temps et s'en aller
jusqu'au pays où le, mariage n'est qu'une vente,
où le père livre sa fille contre un prix
convenu, nous ne sommes pas bien éloignés de
l'époque où le mariage s'opérait par
ordre, où le consentement était
forcé.
L'ancienne loi anglaise déclarait le mari
maître et seigneur de sa femme. N'a-t-on pas
cité de nos jours, et plus dune fois, des cas de
vente au marché? quelque grossier manant tirant
derrière lui sa femme, la corde au cou, et la
cédant à vil prix! Le meurtre d'un homme par
sa femme entraînait le supplice du feu; ai-je besoin
de dire que la réciprocité n'existait
pas?
Au siècle dernier, chez nous, un père
réglait en souverain la destinée de ses
enfants. Il décidait que sa fille ne se marierait
point, afin de réserver toute la fortune à
monsieur son frère: il envoyait la fille au couvent;
bon gré mal gré, avec ou sans vocation, en
dépit d'une inclination passionnée, il fallait
se cloîtrer. Tel autre arrêtait pour sa fille un
mariage quelconque; il lui choisissait pour maître et
seigneur peut-être un vieillard, peut-être un
homme perdu de vices ; quel que fût l'état du
coeur de la malheureuse, elle devait prononcer le oui fatal;
le mot obéissance avait, pour les filles surtout, une
portée que nous concevons à peine aujourd'hui;
l'esclavage de l'enfant, vis-à-vis du père
préparait l'esclavage plus avilissant de
l'épouse vis-à-vis de l'époux.
Nous n'en sommes plus là. Sur le chemin au
bout duquel on aperçoit les habitudes
américaines, nous avons déjà fait de
grandes enjambées.
En fait, l'autorité illimitée
reçoit des limites. Au sein des familles
honnêtes, l'égalité pratique, le partage
équitable des fonctions, l'intervention des deux
époux dans les résolutions graves,
l'association digne des deux êtres libres se produit
de plus en plus, malgré le texte des codes. J'en
conclus qu'on doit modifier les lois. D'autres en concluent
que cette modification est inutile. Il n'existe pas de plus
dangereuse erreur. Creusez au-dessous de la région
où règne l'équité, au-dessous de
la région où, à défaut de
justice, règne le respect mondain de l'opinion, tout
au moins une certaine tradition de convenance, vous
trouverez les couches sociales où l'on ne se
gêne pas, où quiconque a le pouvoir en abuse.
C'est surtout pour ces couches-là, pour ces
natures-là, pour ces sauvageries-là
souvenons-nous-en, que les lois sont faites.
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