Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

INJUSTICES À RÉPARER

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Avouons-le, une dure injustice a pesé, pèse encore sur les femmes.
Les lois ont été faites par les hommes, et les femmes ont eu lieu de s'en apercevoir.
À bas la tyrannie! tel est le cri qu'on entend de partout.
La tyrannie a existé, une ignoble oppression a, durant des siècles, écrasé le sexe le plus faible. Cette oppression subsiste encore sur une grande partie du globe, elle n'a pas entièrement disparu dans nos pays christianisés et civilisés; ce qui reste est peu de chose, comparé à ce qui s'est évanoui au contact de l'Évangile; il n'importe, l'oeuvre doit s'achever, l'égalité sincère doit s'établir, nous devons provoquer le changement des lois civiles et pénales qui consacrent cette chose odieuse qu'on appelle le droit du plus fort. Sur ce point, les émancipatrices trouveront en nous de fidèles alliés.

Pour combattre les mauvaises prétentions que met en avant une réaction légitime et généreuse dans. son principe, nous avons besoin d'ailleurs d'obéir à l'équité Partout où elle se montre.
Or, nos codes ne sont pas équitables. Ils ont trop maintenu la tradition antique, la tendance latine, le pater familias, sous le despotisme duquel la femme est aussi courbée, que les enfants.
Nous déclarons sans cesse, et nous avons raison je crois, que les femmes valent mieux. que nous ! Comment concilier cette assertion parfois complimenteuse, le plus souvent sincère, avec le système qui subordonne d'une manière constante ces êtres à l'être inférieur?

Le pouvoir absolu ne convient pas à l'homme, il le rend fou et cruel : voyez les Césars ! dans la famille il en va comme dans la politique. Ne donnons pas un pouvoir absolu au mari. Si l'arme terrible tombe aux mains d'un de ces hommes en grand nombre que leur conscience ne gouverne pas et dont les étages successifs vont descendant jusqu'aux perversités achevées, Jugez de ce qui arrivera lorsqu'un être pareil se sentira libre de faire chez lui tout ce qu'il lui plaît sans avoir de compte à rendre à personne! Bien des tragédies domestiques, tantôt éclatantes, tantôt ignorées, se sont abritées sous cette égide du pouvoir absolu. On dit: - Si l'homme est parfois tyran au logis, la femme le lui rend bien !
Je l'accorde. Chacun en connaît de ces ménages où la femme, vrai despote, gouverne tout et tous, donnant carrière à son humeur et rendant la vie insupportable à chacun. Mais de telles exceptions n'ont rien à voir avec la question légale, avec l'établissement d'un pouvoir illimité qui s'exerce obscurément, dans le huis clos de chaque demeure, sans responsabilité publique par conséquent.
Prenons quelques-uns de nos codes.

S'agit-il des enfants? L'inégalité du père et de la mère est rendue énorme par la loi française. Chez nous, pour le fait capital du mariage des enfants, et ceci dit tout, l'autorisation seule du père suffit; que la mère désapprouve, que la mère approuve, les enfants dont légalement pas à s'en embarrasser!
L'Angleterre va peut-être plus loin encore; non-seulement le mari seul décide la question du mariage, mais il tranche souverainement celle de l'éducation; il peut faire enlever ses enfants à la mère, celle-ci n'a pas à réclamer.

S'agit-il des biens? notre loi qui remet entre les mains du mari seul l'administration des fortunes réunies par la communauté, lui confère en outre le droit de disposer des effets mobiliers; autant dire de vendre tout, au gré de Son inconduite ou de sa brutalité. En Angleterre, la femme disparaît tellement dans le mari qu'elle ne possède plus rien. Je comprends cette fiction de la loi anglaise qui considère le mari et la femme comme ne faisant qu'une seule personne. Ce serait là une grande vérité si la loi recevait cette maxime dans ses deux applications réciproques. Mais il n'en va pas de la sorte. Entre les époux, tout ce qui est à elle est à lui;. n'allez pas croire que tout ce qui est à lui soit à elle; le droit l'exigerait pourtant, dès que les biens appartiennent an personnage légal nommé le couple; dans ce cas, après avoir été administrés sous l'autorité du mari, les biens devraient se partager également entre le mari et la femme, chacun pouvant disposer de sa part selon les règles de l'héritage et du testament. Rien de semblable n'a lieu; le mari, selon la loi anglaise, absorbe tout, dispose de tout ses héritiers reçoivent tout, son testament transmet tout; à moins que ses désordres n'aient pris soin d'avance de dissiper tout.
Ce n'est qu'au moyen de dispositions compliquées et coûteuses, dont l'aristocratie seule peut faire usage, qu'un père anglais prévient l'absorption de la fortune de sa fille. Encore cette fortune ne saurait-elle rester entre les mains de celle-ci; confiée à des tiers, administrée par eux, le revenu, non le capital, passe à la fille, et c'est sous cette forme détournée que la femme anglaise parvient à conserver tout ou partie de ses biens. Dans les classes qui ne peuvent faire usage de ressources pareilles, la femme en se mariant est dépouillée jusqu'au dernier farthing, plus dépouillée que ne le furent jamais les esclaves, auxquels leurs maîtres ont toujours laissé un pécule.

Aux États-Unis il en était de même naguère; les exceptions tenaient à des conventions particulières, à des settlements conclus au profit des jeunes filles riches qui se mariaient. Un mouvement s'est fait dans le sens de la justice et de l'égalité. Plusieurs États ont introduit depuis quelques années, non-seulement dans leurs lois, mais dans leurs constitutions, des dispositions en vertu desquelles l'ancienne coutume anglaise est abolie. Désormais, les femmes, en se mariant, conserveront la propriété de leurs biens et demeureront maîtresses de ce qu'elles pourraient acquérir dans la suite par l'héritage ou par leur industrie particulière.
La législation anglaise tend à se modifier dans le même sens; toutefois elle subsiste encore, et, sous le rapport de la propriété, les femmes des harems sont mieux partagées que celles de la libre Angleterre.
M. Dixon l'a fait, remarquer : s'il y a dans les législations musulmanes plus de respect des droits civils de la femme, plus de précautions contre les brutalités de l'époux, cela tient en partie à ce que, chez les musulmans, là, loi religieuse est en même temps la loi civile; or cette loi religieuse, ne l'oublions pas, doit beaucoup à la Bible. Chez les nations chrétiennes, au contraire, la loi civile doit fort peu à l'Écriture; nous avons suivi la tradition païenne et puisé nos principes dans les Pandectes de Justinien; de là l'inégalité entre époux maintenue par nos codes,

En fait d'inégalité, le Code vaudois renferme l'expression du plus absolu mépris du droit commun. Les femmes du canton de Vaud sont condamnées à une dépendance éternelle, disons mieux, à une éternelle enfance. Quel que soit leur âge, quelle que soit leur position, veuves ou célibataires, ayant reçu leur fortune par héritage ou l'ayant gagnée par le travail, elles ne peuvent ni vendre, ni acheter, ni échanger une parcelle de terrain, ni prêter, ni emprunter, ni disposer en un mot de ce qui leur appartient, sans l'autorisation d'un conseiller et l'assistance de deux hommes de leur famille. Dans un pays où les femmes sont particulièrement cultivée et distinguées, cet article absurde prend un caractère odieux.

Voulez-vous un autre genre d'injustice? D'après notre loi française, la femme qui, à la suite de mauvais traitements, a quitté le domicile conjugal, peut être forcée de le réintégrer; les agents de l'autorité viennent la saisir, et sur la réquisition du mari, elle est remise entre ses mains exaspérées et brutales.
On a beau dire, le droit légal de faire ramener, par force, la femme au domicile conjugal, constitue un trait saisissant de l'esclavage; impossible de ne pas songer aux esclaves fugitifs. Elle aussi, comme eux, rencontre à son retour un maître irrité, tout-puissant, qui fait chez lui ce qu'il veut et qui peut infliger beaucoup de souffrance sans s'exposer à aucun châtiment.

Figurez-vous d'ailleurs ce que sera ce mariage rétabli par la gendarmerie, ce que seront ces relations, ce qu'est cette union de par la loi! On ose à peine y penser : toute délicatesse et toute justice en demeurent révoltées.
Je me permets de rappeler ici le principe, constamment méconnu, de la réciprocité. Le mari aussi' a promis en se mariant de ne pas abandonner sa femme; il faudrait, pour être juste, qu'elle pût, comme lui, s'adresser à la force publique pour le ramener au logis. Mais le ridicule de la mesure en démontre l'inutilité. On accorderait la réciprocité aux femmes qu'elles ne s'en serviraient pas, étant les plus faibles et sachant ce qui les attend.

La femme n'a pour se protéger d'autre ressource qu'une séparation prononcée par les tribunaux, séparation qui exige un procès coûteux et la démonstration publique de détails qu'on répugne à divulguer. À moins d'en venir à ce terrible moyen, la cohabitation reste imposée comme un devoir légal. C'est donc, tout simplement un article à rayer du Code.

Autre injustice. En cas d'adultère, la loi française autorise le mari à tuer sa femme et le complice de celle-ci.
Or la femme est si peu. considérée comme l'égale du mari, qu'usât-elle du même droit dans des conditions pareilles, le Code la traiterait d'assassin. Impossible de nier plus nettement la réciprocité.

L'inégalité qui existe dans nos lois civiles et pénales a pu justifier plus d'une fois cette parole : le Code organise l'asservissement des femmes; l'homme absorbe tous les droits, comme il gouverne tous les intérêts et dispose de toutes les ressources!
Sans égalité, point d'unité; l'unité n'existe qu'entre égaux. Toutefois, des limites devront nécessairement s'imposer. Dans cette question même de l'égalité civile, il. faudra s'arrêter au point précis où le caractère féminin et la mission féminine seraient compromis tous deux. Nous avons du chemin à faire pour arriver à ce point-là.
Le Code, qui ne peut ni imposer, ni supposer l'amour, doit des garanties à la femme. Tous les vices, toutes les duretés, toutes les tyrannies du monde ne sauraient altérer la pleine validité du contrat civil; la femme reste donc livrée à un despotisme occulte, très-positif et très-puissant, si le Code n'y pourvoit en rétablissant l'équilibre et le droit.
J'indique, je n'examine pas; il appartient aux hommes compétents de fournir une solution.

Quant à la question des biens, je ne pense pas que la séparation légale des fortunes constitue l'idéal entre époux; la communauté me paraît plus naturelle et plus conforme à ce type d'intime union que nous devons poursuivre. Mais si l'on ne veut fondre en une seule masse ni les biens déjà possédés, ni ceux qui seront, acquis pendant la durée du mariage, une moitié appartenant à chaque époux, quelles que soient les provenances, il faudrait au moins que le revenu des deux fortunes et le fruit du travail des deux époux fussent indistinctement consacrés aux besoins communs du ménage.

Àfaut de la communauté des biens on de la communauté des revenus et produits, écartons absolument les systèmes, en vertu desquels ce qui appartient à la femme est mis à la disposition du mari, sans que la réciprocité existe. Ne dépouillez pas la femme de ce qu'elle a gagné ou de ce qu'elle possède; la séparation des biens, dans sa rigueur et dans son équité, vaudrait mieux : ce serait un régime tendu, mais juste.
Je suis disposé, pour ma part, à croire que la loi devrait réserver le droit des femmes dans l'administration de leurs propres biens.

Le droit de la mère sur ses enfants me paraît encore plus sacré, l'inégalité plus choquante, l'équilibre plus important à rétablir par un article exigeant pour le mariage des enfants l'autorisation de l'un comme de l'autre des époux.
En tout état de cause, nous avons à protéger la femme contre l'autorité excessive du mari. Au point de vue de l'Évangile, l'autorité peut être proclamée en termes très-forts; elle ne dégénérera jamais en tyrannie, car elle rencontre devant elle l'amour chrétien l'unité, réelle, le respect des âmes pareillement rachetées et immortelles, le partage des devoirs de la famille et des responsabilités de l'éducation. Mais au point de vue de la loi, il n'en va plus ainsi; la loi n'exclut personne du mariage; les êtres les plus grossiers, les plus vicieux, ceux qui sont en marche vers le bagne ou vers l'échafaud se marient, et la pensée recule devant les cruautés et les hontes qui fondront alors sur les malheureuses que de tels hommes considèrent comme leur chose.

Si les chrétiens ont dans l'Évangile une loi supérieure dont les exigences et l'élévation ne leur permet pas de recourir à de certaines mesures, la loi civile est tenue d'assurer à l'ensemble, des hommes ces garanties que la conscience chrétienne reste libre de ne pas mettre à profit : je citerai la prescription, d'un usage utile en général, mais qu'une âme délicate n'acceptera point. Le législateur, qui fait la loi pour tout le monde, n'est nullement appelé à mettre tout l'Évangile dans le Code.
L'Évangile nous dit que celui qui hait est un meurtrier, que celui qui regarde, une, femme avec convoitise est un adultère; le Code pénal n'appliquera pas ici la peine de l'adultère et du meurtre. L'Évangile pose, pour l'administration des biens et pour les devoirs à l'égard des pauvres, des règles qu'aucune loi humaine ne saurait transformer en devoir légal. J'ajoute que si elle l'essayait, elle commettrait une faute grave : les règles de l'Évangile sans l'esprit de l'Évangile, la loi extérieure au lieu de la loi intérieure, ce serait le pire, des socialismes et des despotismes.
Voilà pourquoi, lorsqu'il s'agit du mariage, la loi civile établit et doit établir ses règlements à elle; ceux qui conviennent le mieux à l'ensemble des hommes, laissant les chrétiens maîtres de suivre à leurs risques et "dépens les inspirations d'une morale plus haute; voilà pourquoi nous réclamons l'introduction dans cette loi de l'égalité et. de la réciprocité, la suppression de tout ce qui ressemble à l'autorité absolue du mari, le châtiment exemplaire en cas de sévices, là séparation de plein droit pour le corps et pour les biens résultant de toute condamnation motivée par l'abus du pouvoir, l'énergique répression de certains crimes : la séduction et l'adultère (1).
J'ai dit la séparation, je n'ai pas dit le divorce, entendons-nous (2).

Le nombre des ménages où s'exercent des violences impunies, où le mari pris de vin se permet tout, où. même sans ivresse il agit avec un arbitraire illimité, ce nombre est considérable, chacun le sait; pour protéger les malheureuses livrées en proie à des maris brutaux, pervertis et cruels, la condamnation motivée par des sévices doit entraîner de plein droit, la séparation; sans la séparation de plein droit, vous remettez la victime aux mains d'un maître exaspéré. L'ivrognerie, loin d'être une excuse en cas de mauvais traitements, me paraît au contraire une circonstance des plus aggravantes. Je crois même que le fait d'ivrognerie habituelle et grossière forme, indépendamment, des sévices, une cause, suffisante de séparation. La séparation est le seul refuge ouvert à la femme contre les abus d'autorité ou les violences du mari. La. séparation a ceci de bon qu'elle disparaît légalement dès que, par un libre mouvement de leur volonté, les époux se réunissent de nouveau. Sans doute une femme. chrétienne acceptera difficilement la séparation; certains passages des Épîtres défendront sa conscience contre la tentation d'abandonner son mari, fût-ce en cas de vie douloureuse et d'amères déceptions; dans les occasions très-rares où une femme chrétienne aura cru pouvoir recourir à cette ressource, elle regardera comme un devoir d'y renoncer dès qu'un changement favorable apparaîtra; au moindre symptôme d'amélioration elle se replacera d'elle-même auprès. de son mari, s'exposant à des nouvelles souffrances pour accomplir les promesses qu'elle a faites en se mariant : telle sera, telle devra être la conduite d'une femme chrétienne; mais, répétons-le les lois ne sont pas écrites pour les chrétiens, elles sont écrites pour tout le monde.

Les mesures qui ont pour but de provoquer les châtiments et par suite la séparation en cas de violence ou d'ivrognerie habituelles resteront inefficaces, à moins que ces délits ne soient poursuivis d'office.
Attendre une plainte, c'est abandonner la femme sans défense à la merci d'a mari; plus le mari se montre redoutable, moins la femme se risque à l'irriter par une réclamation légale. Les poursuites d'office, qui seules protègent réellement la femme, ne la compromettent pas; quelles que soient leurs conséquences, elles ne laissent qu'un adversaire, le magistrat, en face, du mari; point de vengeance à exercer contre le magistrat; le mari, placé sous une surveillance à laquelle il ne peut se dérober et qu'il ne peut intimider, est bien forcé de refréner ses passions.
Qu'une pénalité sévère, suivie de la suspension des droits du père de famille, punisse les violences, réprime la tyrannie du fort sur le faible, et nous aurons fait un pas considérable vers la justice.

Aussi longtemps qu'une inégalité choquante subsistera dans nos codes, tant qu'ils maintiendront la soumission servile des femmes, deux faits se produiront : la ruse et la revanche.
Vous aurez des femmes qui dissimuleront plus ou moins, qui tourneront les, volontés du mari - j'allais dire les positions de l'ennemi, - qui seront gracieuses, doucereuses, mais qui ne seront pas sincères et dont l'âme ne marchera pas droit. La tactique féminine, d'un usage très-général, ne manque guère son but; ainsi se fonde en face de l'autorité brutale du mari la réalité du gouvernement de la femme : la femme gouverne, et même elle domine. On en sourit, pas moi. Ces détours sont la marque de l'esclavage, j'y vois le plus triste fruit d'un régime dégradant. Le sens moral a disparu, le mensonge règne; il réussit, ce qui est plus grave; on respire un air malsain; le caractère de la femme, en s'abaissant, a tout abaissé; la famille entière est descendue: époux, enfants, nul n'échappe aux exhalaisons empoisonnées. Il n'y a qu'un moyen de purifier l'atmosphère, c'est d'y ramener le vif courant. du droit et de l'équité.
Voici l'autre fait.
Dans un état de choses où la tyrannie légale des maris se trouve plus ou moins organisée, la tyrannie morale des femmes se produit fréquemment. C'est la revanche que prennent les femmes acariâtres aux dépens des maris débonnaires. Les hommes les moins despotes sont justement ceux qui expient le despotisme de leur sexe; c'est la règle, il n'en saurait aller. autrement; les bons payent pour les mauvais, et par une suite naturelle, les femmes méchantes se chargent de venger les bonnes qui ont le coeur trop haut placé pour jouer un tel rôle.
Croyez-moi, quand le sexe féminin n'aura plus à lutter dans son ensemble contre l'ensemble de la tyrannie masculine, quand l'égalité et l'unité auront été conciliées par la loi avec le maintien d'une autorité nécessaire, alors le despotisme bruyant des femmes acariâtres et le despotisme occulte des femmes rusées cesseront d'être une revanche pour ne plus être qu'un vice; alors l'opinion de tous, à commencer par les femmes, s'élèvera, contre les mégères et les câlines; nous entrerons alors, autant que le permet la corruption humaine, dans les voies de l'harmonie et de la loyauté.
Nous parviendrons d'autant mieux à réformer nos lois, que nos murs ont pris les devants.
Ne méconnaissons pas les progrès accomplis sous l'influence de l'Évangile et de la liberté. Sans remonter jusqu'au temps et s'en aller jusqu'au pays où le, mariage n'est qu'une vente, où le père livre sa fille contre un prix convenu, nous ne sommes pas bien éloignés de l'époque où le mariage s'opérait par ordre, où le consentement était forcé.
L'ancienne loi anglaise déclarait le mari maître et seigneur de sa femme. N'a-t-on pas cité de nos jours, et plus dune fois, des cas de vente au marché? quelque grossier manant tirant derrière lui sa femme, la corde au cou, et la cédant à vil prix! Le meurtre d'un homme par sa femme entraînait le supplice du feu; ai-je besoin de dire que la réciprocité n'existait pas?

Au siècle dernier, chez nous, un père réglait en souverain la destinée de ses enfants. Il décidait que sa fille ne se marierait point, afin de réserver toute la fortune à monsieur son frère: il envoyait la fille au couvent; bon gré mal gré, avec ou sans vocation, en dépit d'une inclination passionnée, il fallait se cloîtrer. Tel autre arrêtait pour sa fille un mariage quelconque; il lui choisissait pour maître et seigneur peut-être un vieillard, peut-être un homme perdu de vices ; quel que fût l'état du coeur de la malheureuse, elle devait prononcer le oui fatal; le mot obéissance avait, pour les filles surtout, une portée que nous concevons à peine aujourd'hui; l'esclavage de l'enfant, vis-à-vis du père préparait l'esclavage plus avilissant de l'épouse vis-à-vis de l'époux.
Nous n'en sommes plus là. Sur le chemin au bout duquel on aperçoit les habitudes américaines, nous avons déjà fait de grandes enjambées.

En fait, l'autorité illimitée reçoit des limites. Au sein des familles honnêtes, l'égalité pratique, le partage équitable des fonctions, l'intervention des deux époux dans les résolutions graves, l'association digne des deux êtres libres se produit de plus en plus, malgré le texte des codes. J'en conclus qu'on doit modifier les lois. D'autres en concluent que cette modification est inutile. Il n'existe pas de plus dangereuse erreur. Creusez au-dessous de la région où règne l'équité, au-dessous de la région où, à défaut de justice, règne le respect mondain de l'opinion, tout au moins une certaine tradition de convenance, vous trouverez les couches sociales où l'on ne se gêne pas, où quiconque a le pouvoir en abuse. C'est surtout pour ces couches-là, pour ces natures-là, pour ces sauvageries-là souvenons-nous-en, que les lois sont faites.

1. Indépendamment de l'égalité à établir dans le dernier cas, on ne tient pas assez compte, pour le premier, de l'effroyable tort causé A la fille séduite, de sa chute morale, de son avenir ruiné, des tentations successives et de la dégradation finale auxquelles on l'expose. L'homme s'en lave les mains, et une pénalité légère termine tout. Je ne sais pas si la recherche de la paternité est bonne, mais, de toutes façons, il faut, sous peine d'injustice criante, sévir contre l'attentat.
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2. Le divorce qui brise les liens, le divorce qui permet de contracter une seconde union, le divorce tel que l'a maintes fois prononcé l'autorité papale au moyen âge, le divorce, cette honte des pays protestants, ce divorce-là que Jésus a formellement condamné lorsqu'il a toléré la simple séparation en cas d'adultère, le divorce constitue à lui seul la négation du mariage; avec le divorce, la femme n'est ni l'épouse définitive, ni la mère définitive, ni la maîtresse de maison définitive. Le fait du divorce, même lorsqu'il reste à l'état latent, inflige aux femmes la plus cruelle injure. Vous criez à l'abaissement de votre sexe, alors n'admettez pas le divorce, ne réclamez pas le divorce, formez partout où il règne encore une sainte ligue contre le divorce, car le divorce vous dépossède, il vous flétrit ; le divorce une fois admis, vous n'avez plus de sanctuaire, plus de royauté, vous n'avez plus de famille : c'est pis qu'une abdication, c'est une déchéance.
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