C'est une vieille tradition que le mépris des
femmes : elle remonte à l'antiquité la plus
reculée et descend jusqu'à nous. Railleries
des poètes de la Grèce et de Rome,
bouffonneries du moyen âge, sermons et prêches,
tout le courant de la Renaissance qui va de Rabelais
à Voltaire et à Béranger, rien ne
manque à cette interminable ironie qui n'a
cessé d'exercer sa verve aux dépens d'une
moitié du genre humain.
L'Orient, sous ce rapport, ne le cède point
à l'Occident la satire contre les femmes occupe une
grande place dans la littérature orientale;
aujourd'hui comme autrefois les défauts des femmes
défrayent, dans les cafés de Constantinople et
du Caire, les récits du conteur, et celui qu'il y a
peu d'années nous entendions à Brousse, en
plein air, près d'une eau vive, arrachait plus d'un
éclat de rire à son auditoire composé
de graves Osmanlis, par la reproduction de scènes de
harem où la ruse et les tromperies féminines
jouaient le grand rôle.
Ce que Napoléon exprimait grossièrement
dans sa colère contre madame de Staël et contre
le flot d'idées libérales qui circulait autour
d'elle, bien d'autres l'ont dit et
répété sur tous les tons : La femme est
bonne pour faire des enfants! - Tel est l'axiome dans sa
brutalité.
Quelques-uns ajouteront des paroles galantes, mais
la
conclusion demeure la même; la femme est exclue de
cette sphère élevée, apanage de
l'homme, où il entre seul, agit seul et se maintient
seul. Que la femme fasse des enfants, comme le veut
Napoléon; qu'elle veille sur le pot-au-feu, comme le
veut Arnolphe; qu'elle serve de jouet à nos
fantaisies, comme le veulent tant de romanciers et de
poètes, le domaine de la vie supérieure ne lui
en reste ni plus ni moins fermé, Depuis qu'il y a des
hommes sur la terre, ils se sont entendus, on le dirait,
pour exprimer leurs défiances et leur dédain,
tantôt par l'organisation de la famille, tantôt
par les inégalités légales,
tantôt par les moqueries, tantôt par des
éloges non moins humiliants, car ils s'adressent
à l'être frivole, à la créature
aussi insignifiante que séduisante, ils ne mettent en
relief que les charmes extérieurs, la beauté,
l'élégance ils ne supposent ni l'âme, ni
l'individualité. L'amour seul, et quel amour! semble
exprimer la mission tout entière de la femme, disons
mieux, de la poupée.
On se rappelle ce mot du fabuliste :
« Si nos confrères savaient peindre!
»
Les femmes savent peindre, elles nous l'ont
prouvé plus d'une fois; même elles savent
réclamer; elles éprouvent aujourd'hui le
besoin de réagir contre cette longue calomnie qui les
a rabaissées; elles veulent échapper au
rôle médiocre que l'orgueil masculin leur a de
tout temps imposé; elles revendiquent une large
émancipation.
L'égalité absolue sur tous les
terrains, il ne s'agit de rien moins que cela !
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