Voici la seconde attaque, plus générale,
plus subtile, et qui trouve désarmés beaucoup
de coeurs pieux.
Elle appelle une vigoureuse résistance, car
c'est le rentre, c'est le Fort même de la famille qui
se trouve ici menacé.
Si l'Évangile proclame à un
degré quelconque la supériorité du
célibat sur le mariage, la famille a reçu un
coup mortel.
La famille pose, tout entière sur le mariage.
Diminuez le mariage, réduisez le mariage à ne
plus représenter qu'un minimum de sainteté,
à ne plus être qu'une concession
accordée aux faiblesses humaines; Tous le ruinez, et
la famille avec lui.
Moine vient d'un mot grec qui veut dire seul.
Contradiction flagrante opposée à la
déclaration de Dieu : « Il n'est pas bon que
l'homme soit seul. »
N'importe &emdash; l'histoire est là pour
nous
le montrer, dès que le paganisme antique, se faisant
chrétien, réussît à
établir la supériorité morale du
célibat; cette déclaration de Dieu, base de la
famille, va s'effaçant peu à peu. Il devient
impossible d'empêcher que les âmes
délicates, altérées de perfection, ne
tournent le dos aux vulgarités de la vie ordinaire
pour se consacrer aux raffinements de la vie dévote.
La vraie famille une fois supprimée, on a la famille
spirituelle, qui en tient lieu; pour mesurer le ravage, il
faut voir ce qu'elle fait de l'autre, il faut voir ce que
deviennent les liens du sang aux yeux des grands saints
monastiques; il faut voir de quelle façon les traite
le communisme des Franciscains, des Fraticelli, des
Beggards!
Mais sans aller jusqu'aux ordres mendiants, ouvrez
les yeux. Partout où l'homme a donné sa
démission, abdiqué son individualité,
renié sa responsabilité, aliéné
son trésor; partout où il s'est fait moine
à un degré quelconque, il a rompu avec les
tendresses de la famille; il en a méconnu les
bienfaits; il en a trahi les devoirs. la sainte
indifférence a paralysé son coeur. Sortir du
monde, c'est-à-dire de la vie comme Dieu l'a
créée, renoncer aux obligations qu'elle nous
impose, éviter les luttes qu'elle met devant nous,
briser les terrestres attaches : telles sont les formules de
soi-disant perfection, que l'égoïsme signera
toujours. Des religieux qui ne connaissent plus ni
mères ni frères; des religieuses qui marchent
sur le corps d'un père pour entrer au couvent,
l'égoïsme nous donnera cela; il ne nous donnera
ni les époux dans leur émouvant échange
de consécration, d'amour et de sacrifices; ni le
père et la mère dans leur dévouement;
ni les vrais frères et les vraies soeurs dans leur
amitié qui sait souffrir au besoin; ni pas un de ces
renoncements continuels, habituels, pas une de ces bonnes
batailles, pas un de ces triomphes bénis que la
famille nous fait rencontrer à chacun des tournants
du chemin.
Si l'on veut le type le plus achevé, si l'on
veut la théorie la plus effrayante du saint
égoïsme, on n'a qu'à prendre
l'Invitation. Point de créatures! Tant qu'il reste
des créatures, nous ne monterons pas d'un libre,
élan vers Dieu! Impossible d'anéantir plus
audacieusement l'humanité pour ne garder que le moi.
Ce livre prétend nous enseigner nos devoirs, et nous
n'y trouvons pas un mot sur la famille, sur ses droits, sur
nos obligations envers elle ! Je ne connais guère de
scandales pareils à cette lacune. L'anathème
vaudrait mieux, il ne marquerait pas tant de
mépris.
Un moine célèbre, le moine par
excellence du monde moderne, Rancé, revient sans
cesse dans ses écrits avec l'approbation de Bossuet,
remarquez-le, et à la grande admiration du
siècle - sur les ennuis qui accompagnent les
affections, sur le suprême bonheur qu'on trouve
à s'en délivrer, sur ce que le parfait
religieux ne doit conserver ni la moindre parcelle d'une
tendresse humaine, ni l'ombre d'un terrestre lien. Quant au
mariage, cette pénitence, Rancé n'imagine pas
de Trappe comparable à celle-là! - Jamais
l'égoïsme claustral ne s'est, passez-moi le
terme, plus cyniquement affirmé. Il faut retourner
à Lycurgue pour trouver l'équivalent.
Les moines, au fond, sont des Spartiates.
Jetés dans le moule du socialisme antique, toujours
le même à travers les apparentes
transformations, ils témoignent à la fois et
de sa vitalité tenace et de son absolue
stérilité.
Mettez en face le peuple dont Dieu Lui-même a
réglé les lois : le peuple juif. - Où
prendrez-vous le célibat sacré? où sont
les anachorètes? montrez-moi un religieux!
Je vois un sacerdoce puissamment organisé, je
vois le mariage assis dans sa pureté, dans son
excellence, sur tous les degrés de la
hiérarchie sacerdotale.
Les lévites sont mariés, les
sacrificateurs sont mariés, leur chef souverain est
marié, les prophètes sont mariés. Le
paganisme, au même moment, il faut s'en souvenir, a
bien soin de vouer au célibat une partie de son
clergé. Seul entre tous, le peuple de Dieu ne
connaît pas, n'admet pas cette sainteté
factice, étrangère à l'état
intérieur de l'âme, négation audacieuse
de la divine création.
Et tout Comme le peuple de la Bible est le seul qui
par les lois que Dieu lui a données, par son esprit,
par ses moeurs, proteste contre la fausse doctrine du
célibat saint; l'Evangile est la seule religion qui
ne contienne ni un prétexte pour l'appuyer, ni une
charge
Au temps de Moïse, les paganismes antiques
avaient leurs prêtres et leurs prêtresses
saintement célibataires en présence de ce
fait, établit le mariage au coeur même du
Sacerdoce, sur tous les degrés
Au temps de Jésus-Christ, la Palestine et
l'Egypte avaient leurs thérapeutes et leurs
esséniens, qui vivaient en communauté et ne Se
mariaient pas. Si le célibat, si la communauté
des biens, si l'existence conventuelle que menaient ces
moines avant les monastères eussent
présenté le moindre atome de perfection,
Jésus aurait dit : Allez, et faites comme eux! - Non
seulement Jésus ne l'a pas dit, mais ces
spécimens de vie religieuse passent totalement
inaperçus, restent absolument négligés
de Celui qui nous veut parfaits, comme notre Père qui
est aux cieux, est parfait.
Jésus, quand il parle de l'homme,
déclare que Dieu l'a créé mâle et
femelle, que l'homme quittera son père et sa
mère pour se joindre à sa femme, que rien ni
personne ne peut les séparer, car l'Éternel
n'en a fait qu'un (1).
Le
Saint-Esprit, quand il donne ses directions aux
Églises, proclame le mariage honorable entre tous
(2).
Il veut que les
femmes âgées forment les jeunes à aimer
leur mari, à être soumises à leur mari
(3).
Saint Paul, quand il
réclame ses droits méconnus, insiste avec
énergie sur celui qu'il a, bien que n'en usant pas,
de mener avec lui une soeur femme, comme les autres
apôtres et comme les frères du Seigneur
(4).
Tels sont les enseignements.
Maintenant, voici les faits :
En présence des paganismes antiques - surtout
du paganisme. oriental, - qui présentaient,
répétons-le, de solennelles
consécrations au célibat; en présence
des essais Monastiques tentés sous leurs yeux par les
esséniens et les thérapeutes, les
apôtres, tous, sauf saint Paul, sont mariés.
L'Esprit-Saint procède partout à la fondation,
partout au règlement des Eglises, et ces
règlements, dune simplicité divine, cette
organisation que les hommes, occupés dans tous les
temps à gâter l'oeuvre de Dieu, ont
faussée depuis ,en la compliquant; cette organisation
et ces règlements n'établissent que deux
charges : celle d'ancien ou évêque, celle de
diacre; toutes deux avec le mariage, base
inébranlable, solidement planté au centre
même de la vocation. « Que l'ancien soit mari
d'une seule femme, présidant bien sa propre maison,
tenant ses enfants dans la soumission avec une
entière gravité. - Que les diacres de
même soient maris d'une seule, femme, gouvernant bien
leurs enfants et leur propre maison
(5)
». - Il me semble
que c'est clair (6).
Le célibat prend si peu le pas sur le mariage,
il constitue si peu un état de sainteté
supérieure, que l'Écriture n'en fait pas
même mention. Le Mariage, en revanche, fermement
posé, complète le caractère grave,
éprouvé, des conducteurs de l'Église et
de ses serviteurs.
Mais, dit-on, il y a des diaconesses! Vous les
oubliez!
Des diaconesses! oui, sans doute, il y en a, Je
connais peu de plus bel office, de plus oublié
peut-être, que celui d'une diaconesse d'église,
mariée, célibataire ou veuve, qui va faisant
du bien, soignant, consolant, exerçant sa noble
mission de servante des pauvres, des malades et des
affligés. Partout où la véritable
Eglise, conforme au modèle apostolique se
relève et se constitue, elle établit des
diacres, elle trouve et nomme des diaconesses, qu'elle
choisit et qu'elle laisse dans toutes les situations
où Dieu les a placées.
Vous parlez de leur célibat. Où
l'avez-vous pris ? A coup sûr ce n'est pas dans les
Écritures.
L'Ecriture parle une seule fois d'une diaconesse,
d'une servante de l'assemblée, restituons le mot. Or
voici ce qu'elle en dit par la bouche de Paul, s'adressant
aux chrétiens de Rome : « Je vous recommande
Phoebé notre soeur, laquelle est servante de
l'assemblée qui est à Cenchrée, afin
que vous la receviez en Notre-Seigneur d'une manière
digne des saints et que vous l'assistiez en toute affaire
où elle aurait besoin de vous, car elle a
été en secours à beaucoup de personnes,
et à moi-même
(7)
». C'est tout.
Vous ne trouverez pas, dans toute l'Écriture, un mot
de plus sur l'office des diaconesses; à moins que
vous ne voyiez en elles les femmes des diacres, dont il est
dit : « Que les femmes de même soient graves;
qu'elles ne soient point calomniatrices, qu'elles soient
vigilantes, fidèles en toutes choses
(8)
». Verset
intercalé de telle sorte dans les prescriptions
destinées aux serviteurs de l'Église, qu'il
semble indiquer entre le mari et la femme un partage de
devoirs et de consécration.
Quant à Phoebé, la diaconesse de
Cenchrée, était-elle mariée, veuve, ou
célibataire, l'Écriture ne le disant pas, nul
n'en sait rien. Elle avait secouru Paul, d'autres
fidèles, ainsi que le faisaient Priscille et Aquilas,
dont le nom revient constamment et qu'on retrouve en tous
lieux tandis que Phoebé parait une seule fois,
traversant d'un pas rapide le sentier que parcourent les
envoyés du Seigneur. Rattacher à sa personne
une idée de célibat, c'est imaginer purement
et simplement une fable que rien ne justifie et qui pose en
l'air.
Mais les veuves?
Les veuves, dont on a voulu faire, une phalange
sacrée, séparée de la famille, vivant
d'une existence quasi monastique, auraient été
bien étonnées du cadre tout de fantaisie
où les place l'esprit socialiste, sous
prétexte de sainteté. On s'est efforcé
de découvrir en elles un corps constitué pour
le service de l'Église. Il suffit d'ouvrir la
Première Épître à
Timothée, - seul endroit de la Parole, de Dieu, avec
un mot des Actes où les veuves soient
mentionnées - pour voir que si elle figurent dans
l'organisation de l'Église, c'est à titre
d'assistées, rien de plus, rien de moins.
Les Grecs, raconte saint Luc, ayant murmuré de
ce qu'on négligeait leurs veuves, l'assemblée
nomma sept diacres, sept hommes pleins d'esprit et de
sagesse, qu'elle chargea spécialement du service des
indigents (9).
- Le livre
des Actes ne contient pas un mot de plus.
Voici ce que disent les Epîtres de Paul. Paul
veut que les enfants et petits enfants des veuves
âgées restent, chargés d'elles,
apprenant premièrement à exercer leur
piété « envers leur propre maison, et
à rendre à leurs parents ce qu'ils en ont
reçu (10);
il
veut que si quelque fidèle a des veuves, il les
assiste et que l'Eglise n'en soit point chargée, afin
qu'elle assiste celles qui sont réellement veuves
(11)
». La veuve,
pour être enregistrée, c'est-à-dire
admise au secours, ne doit pas compter moins de soixante
ans; elle, doit-se trouver, nous Tenons de la voir, sans
secours et sans appui, ayant acquis un bon témoignage
quant à sa vie passée: « mais refuse,
poursuit saint Paul, les veuves. plus jeunes, car lorsque
par goût pour les voluptés elles se sont
élevées contre le Christ, elles veulent sa
marier, étant sous un jugement parce qu'elles ont
annulé leur première foi, et en même
temps étant oisives, elles vont de maison. en maison,
et non-seulement oisives, mais encore causeuses et
curieuses, elles apprennent à parler de choses
malséantes, etc.
(12)
»
Entre la veuve réellement veuve, solitaire,
dénuée, âgée de soixante ans, et
la jeune veuve dissipée qui court de maison en
maison, trouvez une place, si vous pouvez, pour la vocation
que vous avez inventée! Y mettrez-vous les jeunes
veuves paresseuses et curieuses, celles à qui saint
Paul ordonne de se remarier, faisant ainsi du mariage,
prenez-y garde, le seul remède à leur
dérèglement? Y mettrez-vous les veuves qui ont
achevé leur carrière, celles qu'on n'assiste
qu'âgées, hors de combat? L'hypothèse
tombe de soi-même. Ou renoncez à les assimiler
aux diaconesses, ou déclarez que pour devenir
diaconesse il faut, d'après saint Paul, avoir perdu
son. mari; compter soixante ans, pas moins; ne plus
posséder un parent; se trouver dans un
dénuement absolu!
Le bon sens avec les faits, s'unissant pour
démolir le rêve d'une institution qui n'a
jamais existé, on se rabat sur l'utilité!
L'utilité du célibat!
Sans le célibat, que seraient devenues
certaines oeuvres? Sans le célibat, qui aurait
entrepris les missions du VIe siècle? Sans saint Gall
et saint Colomban, sans l'armée de moines qui les
suivait, nous demeurions païens.
Pourquoi? Les missions apostoliques, bien plus
difficiles, qui avaient à renverser toute une
civilisation idolâtre, qui avaient à
réfuter toute une philosophie païenne, qui
avaient à transformer les sociétés,
à renouveler le monde, rien que cela, ces missions,
qui ne savaient pas ce que c'est qu'un moine, ont assez bien
accompli leur oeuvre, convenons-en. Nos missions modernes,
à nous les peuples de la Bible; nos missionnaires qui
ont annoncé l'Évangile aux habitants de
Taïti, des îles Fidgis, et qui de ces cannibales
ont fait des hommes, qui de ces bêtes féroces
ont fait des nations éclairées et
chrétiennes; nos missionnaires, que n'empêchent
d'avancer ni la mort violente, ni les climats
empestés des côtes africaines, ni les miasmes
délétères des jungles indoues, ni les
glaces du Labrador, ni l'exil, ni les privations;
ceux-là, qui ne sont pas moines, donnent aux
idolâtres la grande leçon pratique de la vie
selon l'Evangile dans son amplitude, dans ses affections,
dans ses devoirs; ceux-là gagnent les grandes
batailles du Christ!
Parlez-vous de charité, de consécration
aux membres souffrants de, la famille humaine, d'un service
actif et persévérant? Il me semble qu'Aquilas
et Priscille, placés en tête des ouvriers de
Jésus, prouvent dès le début qu'au
point de vue utilitaire, le mariage chrétien vaut
peut-être le célibat organisé.
Embrigadez tant qu'il vous plaira des
célibataires; ils n'auront pas cette
expérience des joies, ils n'auront pas cette
connaissance des douleurs, ils n'auront pas cette puissance
de sympathie et de virilité que donne la vie normale,
avec son développement absolu, telle que Dieu l'a
créée et telle qu'il la veut. A ceux qui nous
montrent les soeurs sous leur coiffe blanche, nous
montrerons nos simples diaconesses d'Eglise, vêtues
comme tout le monde; nous montrerons nos garde-malades sans
guimpe ni voile; nous montrerons nos femmes de la Bible,
leur vaste panier au bras; épouses et mères,
indépendantes et fortes, dans la modestie d'un
dévouement que ne signale à l'admiration
publique ni costume, ni dénomination, ni direction,
ni genre de vie particulier, et qui accomplissent au sein
des villes les plus corrompues ces
régénérations du coeur et des
habitudes, ces relèvements par l'exemple, ces
réformes des existences perdues, ces reconstructions
de la famille écroulée, dont jamais la
célibat systématique, quelque saint que vous
le fassiez, ne serait venu à bout, car il n'en
possède pas le secret.
Le mariage, grand et solennel principe de la
création divine, solidement établi,
vigoureusement maintenu par les apôtres, a de plus une
portée qu'on ne mesure pas du premier coup - il tue
la spécialité religieuse, cet appauvrissement
et cette mort. La famille féconde, la
spécialité stérilise. Grâce
à la famille, les saintes spécialités
reculent pour faire place à la sainteté
générale. Grâce à la famille,
l'homme pieux n'est plus un moine, la femme charitable n'est
plus une soeur, le ministre de l'Evangile n'est plus un
clerc; tous ceux-là rencontrent, et nous en
bénissons Dieu, les obstacles, les
difficultés, le train de la vie ordinaire; ils
apprennent ce que ne leur enseigneront ni les couvents ni
les séminaires.- ils apprennent à être
hommes comme vous et comme moi.
Sans le célibat religieux, l'Europe n'aurait
jamais connu cette organisation factice et funeste qu'on
nomme clergé!
Sans le célibat religieux, nous n'aurions
connu ni les ordres aumôniers et mendiants,
écoles de paresse et île lâcheté;
ni la charité en froc ou en robe de bure,
adorée, célébrée, vivant dans
une atmosphère à part, affectant le
dédain des choses humaines, déchargeant notre
conscience à tous des devoirs du dévouement et
des affections de l'humanité.
Pensez-vous que la foi chrétienne y eût
perdu? Pensez-vous que l'égoïsme y eût
gagné? Je ne le crois pas.
Les Églises du temps des apôtres, qui ne
connaissaient, pas plus le clergé qu'ils ne
connaissaient les soeurs et les moines, savaient pourtant ce
que c'est que de mourir pour la foi. Sous le coup des
spoliations, an sein de leur profonde misère, elles
savaient donner selon leur pouvoir, et même «
au-delà de leur pouvoir ! »
Les partisans du célibat sacré, loin de
se tenir pour battus, nous opposent certains textes. «A
la résurrection, dit Jésus, on ne prendra ni
ne donnera des femmes en mariage, car ceux qui ont
été rendus capables du relèvement ne
pourront plus mourir! »
De quel mariage s'agit-il? Chacun a répondu.
Il s'agit de l'union matérielle, terrestre,
destinée à peupler notre globe. Le mot, divin:
Croissez 'et multipliez! en indique le sens. Ne pouvant plus
mourir, l'humanité, qui est entrée dans le
définitif, ne peut plus s'accroître.
Oserez-vous prétendre que par ces mots Jésus
détruise le vrai, l'immortel mariage, le couronnement
de la création divine? Celui dont Jésus
lui-même a fixé le caractère, en disant:
« Dieu les a fait un! » Celui dont Il a dit :
« Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a joint!
» Celui qu'il choisit pour type de son intime union
avec l'Église! Celui qu'il a honoré de son
premier miracle! Celui dont les noces forment la splendide
image du bonheur des; cieux !
Tandis que Jésus ne voit pas de plus beau
titre à prendre que le nom d'époux,
oserez-vous prétendre qu'il n'y aura plus
d'époux?
Tandis que les pères, les mères, les
enfants, les frères, les soeurs se retrouveront
là-haut pour ne plus se quitter, oserez-vous dire que
les époux ne se retrouveront pas?
Si vous voulez toucher du doigt l'absurdité de
votre proposition, demandez-vous un peu ce que deviennent
ces mères et ces pères, dès que les
époux ne subsistent plus? Que signifie cette
paternité, que signifie cette maternité,
dès qu'il n'y a plus de mariage? D'où
procèdent ces parentés, d'où viennent
ces relations, d'où sont sortis ces enfants? Votre
vie, cette vie terrestre qui détermine
irrévocablement la vie céleste, dans quel
Léthé la plongez-vous? L'amour,
l'éternel amour qui voit tout passer, tout finir, et
qui seul ne périt jamais, qu'en faites-vous?
En présence de telles aberrations, on ne sait
lequel l'emporte du ridicule ou de l'odieux.
Ce qui chez vous est froissé, je vais vous le
dire : ce n'est pas la pureté chrétienne,
c'est l'égoïsme païen. Ce qui vous
répugne et vous révolte, c'est
l'indissolubilité du mariage, telle que la pose
Jésus, alors qu'interdisant le divorce absolument, il
Proclame adultère quiconque répudie sa femme
pour en épouser une autre, adultère, quiconque
épouse la répudiée, pour quelque cause
que ce soit.
A la déclaration de Jésus, un cri, le
cri de l'antiquité tout entière, sort de la
bouche des apôtres de Jésus : « Si telle
est la condition de l'homme avec la femme, il ne convient
pas de se marier! »
Se passer des secondes noces, se faire eunuque
plutôt que de contracter une union que le Seigneur
proscrit, n'espérez pas cela du coeur charnel. Ce
coeur vous accordera le célibat saint tant que vous
voudrez; le célibat saint n'est que pour
quelques-uns. Ce coeur ne vous accordera pas
l'indissolubilité de l'union, car la règle est
pour tous.
On cite le passage de l'Apocalypse
(13)
concernant ceux
qui, ne s'étant point souillés avec les
femmes, suivent l'Agneau partout où il va! -
J'attendrai que quelqu'un ait l'audace d'appeler le mariage
une souillure, pour appliquer ce stigmate à
l'institution divine par excellence, au dernier trait de la
création, trait chaste, radieux et parfait. D'ici
là, je continuerai de voir dans le texte cité
l'une de ces nombreuses images, pareilles à celle, de
la grande prostituée, à celle de la femme qui
fuit au désert, à celle de la bête qui
monte de l'abîme, à tant d'autres, propres au
style oriental, et dont fourmille la
révélation de Notre-Seigneur.
Abordons le principal argument.
Saint Paul, dans sa première
épître aux Corinthiens
(14),
déclare le
célibat préférable au mariage. Saint
Paul prête au célibat un caractère
sacré !
Ayant tout, remarquez-le : ici-même, à
l'endroit précis où Paul, faisant l'apologie
du célibat et rabaissant le mariage, abandonne
l'inspiration pour n'écouter que son sens,
ici-même Dieu contraint l'apôtre à nous
avertir du fait: « Non pas le Seigneur - dit Paul, -
mais moi! Le Seigneur, et non pas moi! Je n'ai pas de
commandement du Seigneur 1 » - Mis en garde par
l'apôtre lui-même, si nous tombons dans
l'erreur, c'est que nous le voulons bien!
Cet endroit, circonscrit, délimité, le
seul qui soit ainsi mis à part dans les
Écritures, avec une enclave pour séparer la
parole humaine de la parole divine, avec une ligne de
démarcation pour empêcher la sagesse d'en bas
de la confondre avec la sagesse d'en haut, cet endroit est
le seul qui renferme, contrairement à la Bible
entière, une doctrine qui a égaré les
consciences et corrompu l'Église de Christ: la
doctrine du célibat sacré.
Tous ceux qui, depuis saint Paul, ont appelé
le mariage une condescendance aux faiblesses humaines, une
concession accordée à la chair, une
misère qu'effacera l'éternité; tous
ceux-là se sont appuyés sur la parole que Paul
a prononcée de son chef, en dehors de l'inspiration
de Dieu.
N'atténuons rien.
« Il vaut mieux se marier que de brûler !
» tel est le langage de Paul.
« Celui qui ne se marie pas s'inquiète
des choses du Seigneur pour plaire au Seigneur! » En
êtes-vous bien sûr, Paul? N'avez-vous pas vu
maint célibataire, je dis parmi les plus
chrétiens, s'inquiéter des choses qui le
regardent, lui; chercher à se complaire à lui;
se préoccuper très-particulièrement de
sa propre personne, et faire ainsi de l'égoïsme
sans le savoir?
« Celui qui se marie s'inquiète des
choses du monde pour plaire à sa femme ! » - En
êtes-vous bien sûr, Paul? N'avez-vous pas vu,
tout au contraire, les époux s'encourager
mutuellement au devoir, à la lutte, au renoncement,
et donner l'exemple des sacrifices, et sceller leur union
par le martyre chrétien? Ne vous souvient-il plus
d'Aquilas et de Priscille, ni de tant d'autres
témoins mariés, qui ont trouvé dans
l'amour selon l'Evangile un puissant motif d'aimer Dieu
davantage, une ardeur de la mieux servir?
« Celui qui marie sa fille fait bien, celui qui
ne la marie pas fait mieux
(15)
». - En
êtes-vous bien sûr, Paul? Ne vous souvient-il
plus de cette déclaration : « Dieu fit l'homme,
mâle et femelle. » Et de cette autre : «Dieu
n'en a fait qu'un ! » Et de cette autre: « Il
n'est pas bon que l'homme soit seul ! » Et de cette
autre : « Deux valent mieux qu'un ! »
Les thèses de Paul sont énormes; elles
renversent les affirmations de Dieu, celles de Christ,
celles de Paul lui-même : « Le mariage est
honorable entre tous! » Elles effacent
l'expérience de l'apôtre, pour qui le mari et
la femme, Aquilas et Priscille, c'est Paul qui nous
l'apprend, « ont exposé leur cou! »
Quant à moi, je ne m'étonne pas des
erreurs qu'ont enfanté les thèses de Paul; je
m'étonne d'une seule chose, c'est que les gens qui
prennent ici, au mépris des avertissements de Dieu la
parole de Paul pour la parole du Saint-Esprit, s'accrochent
à ce pis-aller : « se marier plutôt que de
brûler », et n'adoptent pas, et ne fassent pas
adopter aux leurs, le seul état qui nous permette de
servir Jésus sans distraction : le célibat
perpétuel! Une situation dont le moindre
inconvénient serait de nous assujettir aux choses du
monde ne saurait convenir à des chrétiens. Les
chrétiens sont tenus de poursuivre, d'accomplir le
bien absolu: rien de moins.
Mais il y a autre chose. Ce mieux proposé par
saint Paul aux pères qui ne marient pas leurs filles,
hasarde pour la première fois ici - tenez grand
compte du fait - son apparition dans les Ecritures. La
Parole de Dieu ne connaît pas de mieux.
L'Évangile n'admet ni saintetés d'exception,
ni saintetés aux rabais. La perfection
présentée à tous, obligatoire pour
tous, au même degré, je vous défie de
trouver autre chose dans la Révélation. Et que
serait un Dieu, je vous le demande, qui exigerait moins? Et
que serait une âme qui se contenterait plus bas?
Là est le sceau divin. Les religions humaines
établissent en matière de sainteté des
degrés divers, Dieu qui est parfait exige la
perfection Or le Dieu parfait a créé le
mariage; os le Sauveur parfait a ramené le mariage
à son intégrité; or le mariage
chrétien or la famille chrétienne, telle est
la. grande prédication de sainteté
adressée au monde païen. Aucune idée ne
pouvait lui paraître plus nouvelle, aucun fait plus
merveilleux.
Des célibataires, il en avait vu, et beaucoup;
des prêtres et des prêtresses gardant la
virginité sacrée, Ses fausses notions de
sainteté lui en avaient montré dans tous les
pays et dans tous les temps. Les sages de l'antiquité
ne se mariaient guère, les philosophes
dédaignaient l'union conjugale, quelques-uns
même la proscrivaient; l'égoïsme
ascétique, la perfection déplacée, les
sources de la vie morale perverties ou
détournées, voilà ce que
l'antiquité connaissait. Ce qu'elle ne connaissait
pas, ce qu'elle ne soupçonnait pas, c'est le mariage
dans sa pureté, dans sa force, dans son
immortalité; ce que ses regards n'avaient jamais
rencontré, ce sont des époux saintement
épris l'un de l'autre, croyants, travailleurs,
heureux, héroïques au besoin, et qui marchent la
main dans la main, un dans la Nie, un dans la mort, le front
tourné du côté des horizons
éternels. Ce que l'antiquité ne connaissait
pas, c'est l'amour, le pur amour conjugal, l'amour
clairvoyant, viril et tendre. Ce qu'ignorait
l'antiquité, c'est la famille, c'est le foyer, ce
sont les bonnes joies, ce saut les saintes douleurs.
Communauté des biens, communauté des
existences, négation des droits de l'âme,
absorption de l'individu par l'État, despotismes sous
toutes les, formes, le vieux socialisme lui avait
donné tout cela; les sectes soi-disant
chrétiennes et qui sortent du paganisme un instant
terrassé, mais non vaincu, devaient lui rendre tout
cela (16).
Si
l'Evangile, ainsi que l'affirme le socialisme païen mal
déguisé sous sa robe de moine, si.
l'Évangile a fondé non la famille, mais le
couvent; non le mariage, mais le célibat; non
l'individu, mais le numéro, l'Évangile n'a
rien apporté, rien enseigné, rien change;
aucune révélation, aucune restauration, aucune
transformation n'a signalé, n'a suivi la venue de
Jésus-Christ!
Ouvrez les yeux, regardez le monde antique, regardez
le monde moderne; faites attention dans le monde moderne aux
deux courants; comparez les peuples de la Bible aux peuples
de la tradition latine, le courant chrétien au
courant païen, et concluez!
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