La manufacture, cet agent du socialisme, inconnu à
l'antiquité, au moyen âge, au monde moderne
jusqu'à nos jours, amène une des crises les
plus effrayantes que les sociétés humaines
aient jamais eues à traverser.
Naguère encore, beaucoup d'industries
s'exerçaient en détail, en petit. L'outillage
était insignifiant, la main de l'homme jouait un
rôle essentiel. L'ouvrier pouvait produire à
part, habiter la campagne, travailler chez lui, travailler
en famille. La femme, comme le mari, rencontrait là,
sans quitter ni le ménage ni les enfants,
l'application de ses facultés et trouvait son
gagne-pain. On ne se séparait pas, on n'était
pas condamné à la vie commune;
l'intérieur restait intime et sacré.
Le monstre est venu. La machine à feu contint,
a embrasé ses foyers d'enfer. Elle a sifflé;
il lui fallait des hommes, des femmes, des enfants. Elle a
pris tout cela, elle a jeté tout cela dans ses
engrenages qui ont broyé la famille, fourrant le
père ici, fourrant la mère ailleurs, parquant
l'enfant loin des siens, selon l'aptitude ou les besoins,
car l'être humain n'est Plus qu'un outil!
Ainsi a disparu la saine industrie, l'industrie
morcelée, l'industrie heureuse, l'industrie morale,
l'industrie sagement combinée avec le travail des
champs, l'industrie qui réunissait la famille au lieu
de la disperser.
Ainsi la femme, l'épouse et la mère, a
disparu. La femme, c'est le foyer; la femme, c'est la
famille; la femme, c'est la joie; la femme, c'est le doux
lien. Elle éclaire, elle réchauffe, elle sait;
elle a des énergies pour les forts, pour les faibles
elle a des compassions; elle veille sur tous, elle a
prévu tous les besoins; bien-être,
prospérité, tendresse, tout ce qui attire et
tout ce qui retient rayonne de ce centre lumineux. Une fois
éteint, c'est fini, le froid saisit au coeur.
Dès que la femme s'en est allée, la maison se
fait déserte, le foyer se fait vide et
glacé.
Le soir, tard, on voit revenir une ouvrière
lasse, usée, qui tout le jour a poussé ou
tiré le même engin, qui a vécu de la vie
de, phalanstère, qui ne sait plus ce que c'est qu'un
ménage, qui sait à peine ce que c'est qu'un
mari, que ses enfants ennuient, qui n'en peut plus,
étrangère chez elle, presque inconnue aux
siens.
C'est tout, il n'y a rien d'autre, et cela repartira
demain, pour recommencer, comme hier, comme aujourd'hui,
comme toujours!
Autrefois, l'ouvrier s'intéressait à
son oeuvre; cette oeuvre lui appartenait, il s'y consacrait;
les doigts n'allaient pas seuls, une pensée les
inspirait. Voyez le moindre verrouil, voyez le plus
chétif escabeau; l'homme s'y reconnaît: il a
forgé, taillé, orné, suivant
l'idéal qu'il portait en lui. Aujourd'hui la
manufacture, en divisant à l'infini le travail, a
créé le travail abrutissant. Au lieu d'un
individu, il y a un automate qui répète du
matin au soir le même mouvement. Au lieu d'un ouvrier,
il y a une machine qui sert une autre machine. Plus
d'initiative, plus d'intelligence! Et c'est si vrai, que le
triomphe de la machine, c'est de gagner du terrain sur
l'homme, c'est de faire ce que faisait l'homme, et de faire
mieux, parce qu'elle pense moins!
Cette espèce de rouage revient le soir, lui
aussi, engourdi, asservi, abruti, l'âme
harassée de vide, hébété,
atrophié, incapable de devoir et de bonheur.
Voilà ce que la manufacture fait de la
famille.
La manufacture fait autre chose encore; elle chauffe
grand train la corruption. Séparant ce qui devait
rester uni, rapprochant ce qui devait demeurer
séparé, elle favorise toutes les
éclosions du vice, elle excite, toutes les
pourritures du coeur.
La manufacture n'est pas au bout; elle tient en
réserve des secrets de misères devant lesquels
nous. reculons épouvantés. Certains bouges,
certains entassements, certaines détresses : pas
d'air à respirer, pas de loques pour se vêtir,
pas de pain à mettre sous la dent, les
dernières abjections par le dernier dénuement,
la manufacture nous a donné cela.
Elle nous l'a donné parce qu'elle a
détruit la famille, et que du même coup elle a
fait tomber les salaires.
Dès qu'elle s'est saisie des femmes et des
enfants, le salaire, nécessairement, a baissé.
Et ne dites pas que ces fractions de l'ancien salaire le
dépassent en se multipliant; ne dites pas que les
gains réunis des enfants et des femmes
entassés dans les manufactures l'emportent sur le
produit du travail qui se faisait en famille jadis. Cela
n'est pas vrai. Cela fût-il vrai, les âmes et
les santés perdues, à quel chiffre les
évaluez-vous? L'argent dissipé en de
précoces débauches par l'enfant, quelle part
aura-t-il au budget? Les désordres du père,
l'incurie de, la mère, toutes ces sources de ruine,
que vont-elles produire? Sera-ce l'aisance ou sera-ce la
pauvreté?
Tant que la famille existe, la famille tient à
son logis. Elle le veut aimable, gracieux, attrayant. Elle
ne se passe ni de clarté, ni de propreté, ni
des coquetteries du nid; car c'est là qu'elle se
retrouve tout entière, c'est là qu'elle se
possède, c'est là qu'elle sent battre son
coeur.
La famille, tant qu'elle reste unie, ne descendra
pas
au-dessous d'un certain niveau, elle n'acceptera pas
certaines pénuries qui entraînent l'abandon de
soi, elle n'admettra pas un excès d'indigence qui
compromet la vie des siens, elle ne supportera pas de les
voir en haillons, de les voir affamés; elle fait
effort, et par cette saine vigueur qui est en elle, gagne
leur pain, saisit leur bien-être, et ne le laisse pas
échapper. Une fois écrasée par la
manufacture, une fois émiettée par la machine,
ne demandez plus à la famille ni l'énergie qui
résiste, ni l'élan qui conquiert. Ce que vous
avez devant vous n'est plus un corps vivant, pensant, qui
veut ou qui ne veut pas; ce sont des membres
disloqués, qui se laissent faire, qui subissent, qui
n'ont ni centre, ni foyer, ni intérieur, auxquels un
trou pour se remiser la nuit, quelque grabat où se
jeter durant un instant, suffit au besoin , et qui
très-vite en viennent à ne rien
prétendre au delà! - Qu'on se dédommage
par les jouissances grossières, cela va de soi. Le
calcul des sommes que l'ouvrier dépense au cabaret,
dans les désordres de tous genres, a
été fait: il a signalé un total plus
que suffisant aux nécessités du ménage.
C'est le logement, c'est la saine alimentation, c'est la
propreté, c'est le respect de soi, c'est l'honneur et
c'est le bonheur qui s'écoulent ainsi. La famille
jamais ne les aurait lâchés.
J'ai dit la famille! Mais à côté
de la famille il y a des existences isolées,
laborieuses, qui se suffisaient autrefois. On voyait
autrefois l'ouvrière en couture gagner largement son
pain; et quand elle était économe, assidue,
elle gagnait sa dot. qu'est-ce que la manufacture en a fait?
Demandez-le à l'abaissement des salaires.
Malgré l'ordre le plus strict, malgré, un
travail excessif, malgré bien des privations,
l'ouvrière à l'aiguille parvient à
peine à subsister. Qu'une maladie arrive, qu'un
chômage se produise, que le caprice d'une fournisseuse
de magasins lui retire l'ouvrage ou le ralentisse sous ses
doigts, l'ouvrière n'y parvient plus du tout. Ah !
que je les trouve nobles et touchantes celles qui à
force de labeur, de veilles, de pénuries
courageusement affrontées, luttant avec une
énergie surhumaine, meurent souvent à la
peine, mais réussissent à ne pas tomber!
Qu'elles me paraissent dignes de pitié celles qui
s'affaissent vaincues!
Notre temps prendra-t-il son parti de voir toute une
classe de créatures humaines condamnées au
travail sans relâche, vouées à la
misère sans espoir, ne vivre guère que pour
souffrir, ayant faim, ayant froid, ne parvenant à
rester honnêtes qu'à la condition de ne
rencontrer ni chômage ni maladie sur leur sentier!
Notre temps voudra-t-il que l'alternative de faillir ou de
se jeter à la rivière s'impose en quelque
sorte à des milliers de femmes, heureuses et
préservées si elles eussent eu du pain?
Rien qu'à y penser on ne peut plus ni manger
ni dormir.
Ici encore la famille se présente comme le
seul remède qui puisse guérir un tel mal. La
famille étant donnée, il n'y a plus
d'isolement. La famille recueillera l'ouvrière
isolée. La famille ajoutera peut-être à
ce budget insuffisant un autre budget plus sûr et
mieux fourni. La combinaison des ressources et des charges
résout de grands problèmes. D'ailleurs Dieu
l'a dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul.
»
Ajoutons qu'il faut détourner les femmes des
carrières qui, décidément, ne peuvent
subvenir à leurs besoins. Ajoutons qu'une foule de
vocations, accaparées aujourd'hui par les hommes,
appartiennent exclusivement aux femmes, et qu'il faut les
leur restituer. Ajoutons - j'exprime ma pensée,
quelque excessive qu'elle puisse paraître, - ajoutons
que le travail extérieur des femmes est contre
nature, que la place des femmes n'est ni dans l'atelier ni
dans la fabrique, qu'elle est au foyer, qu'elle appartient
à l'intimité, à la modestie conjugale,
à l'éducation des enfants, à la tenue
du ménage, au bon ordre, à tous les
bonheurs!
Une société bien organisée doit
en venir là. Une société bien
organisée ne comptera pas le salaire des femmes comme
une ressource indispensable à la vie en commun. Une
société bien organisée comprendra qu'en
se retirant de la manufacture et de l'atelier, les femmes
feront hausser de tout ce qu'elles gagnaient le salaire des
hommes, et qu'ainsi l'équilibre sera maintenu au
profit de tous.
Voilà mon idéal.
On n'y arrivera pas du jour au lendemain. Toutefois,
marchons de ce côté.
En présence de la manufacture, de ce fait si
nouveau, de cette redoutable alliée du socialisme,
qui ne tend à rien moins qu'à écraser
l'individu, qu'à supprimer la famille, nous avons un
seul moyen de défense reconstruire la famille,
relever l'individu.
On nous dit que la manufacture est nécessaire!
il se peut. Mais vivre est nécessaire aussi, or la
vie s'en va; penser est nécessaire aussi, or
l'ouvrier machinisé ne pense plus; la famille est
nécessaire aussi, or la famille, tuée par les
manufactures, disparaît.
Ne supportons pas cela. Ne consentons pas,
fût-ce une heure, à un état de choses
par l'effet duquel des populations immenses jetées au
laminoir y sont broyées, qu'on ne se marie plus,
qu'on vit. dans le désordre, qu'il n'y a plus de
chez-soi', plus d'épouse, plus de mère, plus
d'enfants; que les membres de l'ancienne famille,
dispersés et séparés des leurs,
condamnés à de brutales accointances,
étiolés, engourdis, asservis parla machine qui
devait les affranchir, sans intelligence, sans affection,
baissant chaque jour au physique et au moral, revenant au
logis, quand ils y reviennent, incapables de devoir et de
joie, nous présentent le spectacle d'une
dégénérescence fatale, d'un
abrutissement sans rémission, race d'ilotes à
jamais privée de tendresse, de progrès,
d'intérêts élevés, et pour qui
la. canette d'eau-de-vie, quelque débauche quand on
peut, forment tout le soleil ici-bas.
Dieu me préserve de maudire l'industrie; elle
n'existe que dans les pays civilisés. Si elle a,
partout où elle s'est exercée sans
contrôle, abaissé les. populations, le peuple
en général lui doit plus d'un soulagement. La
manufacture d'ailleurs est un fait; or la sagesse ne
consiste pas à protester contre un fait lorsqu'il
n'est pas vicieux en soi; la sagesse consiste à
l'accepter, mais pour en opérer la transformation.
Gémir ne sert à rien, agir vient à bout
de tout. Voir et vouloir, le remède est
là.
Nous avons vu. Reste la volonté.
Eh bien, je voudrais, avant tout, soustraire aux
manufactures, par une loi positive, obéie, et non par
des mesures hypocrites qui laissent tout faire et tout
passer, les enfants, ces victimes sans défense, que
notre temps jette à son Moloch, à la fabrique,
à la machine, qui les tue, âme et corps, sans
pitié! je voudrais que tout travail fût
interdit à tout enfant, dans toute manufacture. Je
voudrais que l'enfant suivit l'école jusqu'à
seize ans, pour le moins; y développant son
âme, y exerçant son esprit, croissant en plein
air quand il n'est pas en classe, devenant un homme au lieu
de devenir un objet inerte et souffrant. Tous y gagneraient:
le pays, que n'appauvrirait plus une race malsaine, chaque
jour plus débile, moins propre à la vie, plus
déshéritée des terrestres
félicités, moins propre aux éternels
bonheurs; l'ouvrier, dont le salaire reprendrait les niveaux
équitables; le maître, qui aurait des individus
complets à son service, au lieu d'êtres
ébauchés, manqués, espèces de
larves qui ne parviennent jamais à l'éclosion,
ni des forces physiques, ni des facultés.
Je voudrais qu'un arrêté pareil vint
absolument interdire aux femmes tout travail industriel et
publie, les renvoyant chez elles, à leur mari,
à leurs enfants, au foyer, à l'atelier de
famille, intime et libre, le seul qui ne compromette ni leur
honneur ni leur bonheur.
Je voudrais qu'au moyen de conventions
internationales , les plus glorieuses qui puissent honorer
notre siècle, les mêmes lois fument
votées, le même but fût atteint, une
même reconstruction de la famille fût
opérée dans tous les pays.
Je voudrais que le même accord amenât le
respect volontairement accepté, rigoureusement
maintenu, du dimanche, du repas d'un jour sur sept? tel que
Dieu l'a donné et ordonné.
Je voudrais que le travail fût limité
à douze heures, ni plus ni moins; afin que l'ouvrier
eût la possibilité d'être homme, tout en
restant travailleur
(1).
Je voudrais que la loi sur les logements insalubres,
achevant son oeuvre, fermât non-seulement ces bouges
qui se nomment les caves de Lille, mais proscrivit toute
espèce de taudis privé d'air et de
lumière, insuffisant, ou s'entassent, ramassés
les uns sur les autres, sans distinction des sexes, au
péril de la moralité - sans compter le
mépris de la pudeur, père, mère,
enfants de tout âge, tant qu'il en peut tenir!
Alors, dans les grands centres industriels, au lieu
de ces horribles casernes, sortes de cages à
compartiments décorées du nom de «
cités ouvrières » que l'ouvrier, dont le
sens est juste, fuit d'instinct, on verrait s'élever,
à F exemple de Mulhouse, des habitations
indépendantes, pourvues chacune de son jardin, mises
au service de l'ouvrier, qui, moyennant un loyer
calculé d'après d'infaillibles données,
en devient propriétaire sans qu'elles lui
coûtent rien.
Propriétaires ! comprenez-vous la magie d'un
tel mot ? pressentez-vous quelle puissance de
régénération, de bonheur, de
santé morale, de poésie, de progrès il
renferme? Propriétaire! posséder cette
maisonnette, ce bout de terrain, planter, arroser, regarder
par sa fenêtre, respirer le parfum de ses roses, avoir
un chez-soi; à soi! Mais c'est le foyer
rallumé, c'est la famille reconstruite, ce sont les
bonnes joies qui mettent à la porte les mauvais
plaisirs, c'est la débauche flétrie, c'est le
cabaret déserté, c'est le vrai travail revenu,
c'est l'ordre, c'est l'épargne, c'est l'idéal,
ce sont les intimes trésors, c'est l'homme, pour tout
dire, qui reconquiert sa royauté!
Voilà ce que je voudrais.
Reste l'ouvrière isolée.
On a inventé pour elle des asiles, disons des
couvents - en vérité c'est cela -
dirigés par des soeurs!
C'est prendre la question à rebours. Il s'agit
de sauver la société. On sauvera la
société en reconstituant la famille; on ne
sauvera pas la société en organisant ici des
phalanstères, là des cloîtres dont les
pensionnaires plus ou moins séquestrées, plus
ou moins sécularisées, suivront la
règle, machinisées par le couvent comme elles
le sont par la fabrique, sans initiative, sans
expérience de la vie, en tutelle, aux
lisières, ne sortant que sous la surveillance des
religieuses, rigoureusement défendues contre tout
'contact extérieur !
Il y a, Dieu merci, de meilleurs moyens pour
sauvegarder l'ouvrière.
Il y a la famille. Et toujours c'est là qu'il
en faut revenir.
L'atelier dans la famille, tel qu'on le rencontre
aux
abords de Lyon, tel que nous le montrent les cantons de
Zurich et de Saint-Gall, avec leurs chalets de bois bien
clos le jour, entourés de fleurs, qui laissent le
soir sortir la brodeuse; ces nids gracieux et
parfumés peuvent abriter la jeune fille
isolée; tout naturellement elle peut y retrouver une
mère et des soeurs. L'atelier de famille lui donnera
l'existence normale et simple. Ouvert en pleine nature,
comme il existe en Suisse, comme l'industrie
horlogère du canton de Neuchâtel a su le
conserver; il entremêlera pour l'ouvrière les
bons, les gais travaux de la campagne, les fenaisons, les
moissons, au labeur assidu qui la retient sédentaire
au logis. Voilà ce que fera la famille.
Si l'on veut réunir les ouvrières
isolées, absolument, qu'on regarde à
l'Amérique. Lowel offre le type d'un abri commun qui
n'est pas le cloître, d'une surveillance qui n'est pas
la tutelle; l'ouvrière américaine,
très-indépendante et
très-honnête, y va chercher sa dot, l'acquiert
en peu de temps, et rentre chez elle pour se marier, mais
avec nos moeurs, avec notre inhabileté à nous
gouverner nous-mêmes, l'atelier de famille vaut
mieux.
Tout est-il dit? Non.
Reste la grande question du patronage; gardons-nous
de l'éluder.
Le patronage met la main du riche dans la main du
pauvre. Le patronage remplace l'aumône à
distance, toujours sèche, toujours
débilitante, par cette affection pleine de sympathie,
par cette protection de frère dîné qui
soutient les faibles et qui relève les abattus.
Quelques-uns de nos établissements manufacturiers,
Saint-Gobain, pour ne citer que lui, ont compris cela.
Saint-Gobain possède, nous ne disons pas sa
population, mais sa famille d'ouvriers dont il est le
centre, la sécurité, l'avenir, et qui le
servent de père en fils. Pas un de ceux-là
n'inventerait de déserter; s'en aller, ce serait
s'exiler. Écoles, associations entre ouvriers, soins,
prévoyances, gâteries de la fabrique envers ses
enfants, les intérêts de chacun
protégés, le sanctuaire de chaque
intérieur entouré de sollicitude et de
respect, Saint-Gobain a réalisé ce beau
rêve industriel.
Regarde-t-on aux difficultés, aux conflits,
aux crises! celle du Lancashire, récente et vaincue,
nous prouve qu'il ne faut pas désespérer de
l'industrie tant que l'industrie laisse l'homme debout.
Aucun problème n'est insoluble avec
l'intégrité de la conscience, avec la
prière, avec la ténacité dans la
poursuite du bien; aucun n'est insoluble avec des individus
et non des machines devant soi; aucun n'est insoluble avec
la famille relevée, avec l'amour fraternel pour la
maintenir, avec l'Évangile pour lui donner son vrai
caractère et toute sa dignité.
Je ne sais pas de plus belle vocation aujourd'hui
que
la vocation d'un industriel qui, ne se méprenant pas
sur son rôle, ne le mesurant pas aux petitesses de
l'égoïsme, mais à l'ampleur de la
sympathie et de la foi, en reconnaît
l'élévation suprême, en mesure la
portée, immense, lui obéit dans ses plus
vastes expansions.
Tout, au reste, pour l'industriel comme pour
l'ouvrier, se résume en un mot: conversion du coeur.
Dès que vous aurez la famille, vous aurez l'homme;
dès que vous aurez l'homme, vous aurez l'âme;
dès que vous aurez l'âme, il lui faudra
l'Évangile. Et sitôt que vous aurez
l'Évangile, c'est-à-dire Jésus mort
pour nos offenses, Jésus ressuscité pour notre
justification, vous aurez le renouvellement, vous aurez la
sanctification, vous aurez le coeur, vous aurez tout.
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