Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

DOCTRINES ESSENTIELLES DU SOCIALISME

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L'immolation de l'individu à l'État, principe même de l'antiquité païenne, se place au premier rang.
Quand la croyance est asservie, que reste-t-il de l'homme?
Rien.
Et Platon, ce coryphée du socialisme antique, l'a si bien senti, qu'il achève de ruiner la personnalité humaine en imaginant la métempsycose, le Léthé, l'oubli complet des existences antérieures; autant dire le néant.
Et Pierre Leroux, ce disciple conséquent de Platon, l'a si bien compris, qu'une fois les convictions personnelles abolies, il nie la personnalité de l'homme, ne la voyant plus que dans le vague ensemble de l'humanité.
La Toute-puissance réformatrice de l'État vient après. L'individu ne peut rien. La société peut tout. Elle fait ce qu'elle veut. S'il y a des souffrances, c'est la faute de la société. D'où il résulte que c'est à la société de réparer le mal.

D'ailleurs l'homme est bon. C'est la société qui l'a gâté.

Un philosophe, qui tout en combattant le communisme lui appartenait par beaucoup de ses instincts, Rousseau, a proclamé, avec plus d'éclat que de jugement, cette absurde et contradictoire théorie de la société mauvaise et de l'homme bon.
Chacun dans l'école de répéter après lui : Le législateur peut tout! On transforme les moeurs par les lois! Légiférez, votez, décrétez, le bonheur universel descendra sur la terre!
Admirable moyen d'éluder la responsabilité, admirable manière d'échapper au repentir, recette infaillible pour se dispenser du travail sur soi. Il ne s'agit plus de changer les coeurs, mais les textes. La réforme n'a pas à s'opérer par dedans, il suffit qu'elle badigeonne les dehors!
On imaginerait difficilement une plus ignoble erreur. La prétention utopique est pourtant là tout entière, et je lui reproche moins de rêver son paradis ici-bas que de le rêver séparé de la conversion.

La Parole de Dieu nous tient un autre langage. Elle aussi nous promet le paradis sur la terre. Il y viendra le jour où le péché en aura disparu.
Ôtez le péché, vous avez le paradis, même au milieu des misères du temps présent. Conservez le péché, vous aurez l'enfer, même au milieu de l'abondance, même au sein de toutes les jouissances matérielles accumulées, même avec les bons repas annonces par Fourier : nous pouvons devenir plus gras sans en être plus heureux.

L'Égalité, beau mot, belle espérance, à laquelle, nous le verrons, l'Evangile donne et donnera la plus magnifique des réalités, l'Egalité vient illustrer à son tour le programme des socialistes contemporains.
Entendons-nous. L'égalité telle qu'ils la rêvent, ce coup de hache qui met tout à bas pour tout remettre à niveau, cette égalité-là ne subsistera pas un jour.
Vous partageriez ce soir, que demain comme hier il y aurait des gens honnêtes et des fripons, des paresseux et des travailleurs, des économes et des dissipés, des incapables et des intelligents, des forts et des faibles, de petits et de grands appétits, de bonnes santés et des santés débiles, des méchants, des bons, des beaux, des laids; il n'y aurait plus d'égalité.

Prenez un article, un seul, le travail; et dites-moi de quelle manière vous vous y prendrez pour faire travailler ceux qui n'en ont pas envie. Je sais bien qu'on vous propose l'égalité des salaires en dépit de l'inégalité du labeur; je sais bien qu'on tient le fouet en réserve pour égaliser les efforts. On aura beau s'ingénier : même payés pour ne rien faire, même esclaves et fouettés comme tels, nous ne produirons pas également.
Disons mieux. Nous ne produirons pas du tout. Dût-on nous traiter comme des ilotes, ce qui présente quelques difficultés, il est des choses qu'on n'obtient pas à coups de fouet, les maîtres d'esclaves le savent bien. Ce quelque chose, c'est l'initiative, c'est la volonté, c'est Man, c'est la vie; elle seule répond aux besoins de la société. Dès que vous avez pris l'engagement de me nourrir, de me vêtir et de me loger cela ne me regarde plus; vos discours n'y font rien, vos lois pas davantage; je me couche et je m'endors. Dès qu'il n'y a plus ni propriété ni famille, ni mobile ni devoir, ni responsabilité ni foyer, je ne vois pas pourquoi je violenterais mes instincts, qui sont de me croiser les bras; pourquoi je prendrais de la peine, comme avant l'égalité!

Les socialistes l'ont bien senti; sur ce point-là, du travail obligatoire, le système, privé de l'esclavage, a toujours fait fiasco. Le socialisme, c'est la fin du travail; par conséquent, c'est la fin de la richesse.
Le socialisme a deux problèmes devant lui, l'un très-facile, l'autre impossible à résoudre ; le facile, c'est d'appauvrir les riches; l'impossible, c'est d'enrichir les pauvres. On ne décrète pas la confiance, on ne ressuscite pas les capitaux morts, on ne refait pas les industries anéanties, on ne galvanise pas les facultés paralysées, on ne peut ni créer l'énergie, ni commander la spontanéité.
Très-vite on en arrivera là. Quelques semaines, quelques jours suffiront pour amener l'indigence universelle. Piller et manger, cela se fait en un tour de main. Rebâtir ce qu'on a démoli, cela prend plus de temps.
Réussit-on à rebâtir? les peuples suicidés se relèvent-ils? Je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est qu'il y avait une fois une poule aux oeufs d'or, qu'on la tua, et que lorsqu'elle fut tuée elle ne pondit plus.

Quant à l'Abolition du mariage, doctrine essentielle du socialisme, on pourra bien essayer de l'atténuer ou de la voiler, elle reparaîtra toujours. Elle tient au coeur même du principe : la communauté. Les principes ne se limitent pas. Une fois la propriété détruite, une fois l'individu supprimé, je vous défie de conserver la famille. La famille s'écroulera sous vos ménagements hypocrites; vous-mêmes vous ne les garderez pas. Platon avait raison, Campanella avait raison, Fourier avait raison, Saint-Simon avait raison : il faut descendre jusqu'en ces fonds perdus, jusqu'au divorce de plein droit, jusqu'au facile échange des unions temporaires, jusqu'à la destruction du dernier lien, jusqu'à la négation du dernier devoir.
On se rassure en disant: Cela ne durera pas! Je crois bien que cela ne durera pas! Essayez de faire durer quelque part une application quelconque du socialisme!
Cela ne durera pas, mais nous aurons fini de vivre. Un incendie ne dure pas, mais il laisse la ruine après lui. Un assassinat ne dure pas, mais il laisse un assassiné.
Même réduit à n'être qu'une convulsion, le socialisme, s'il se réalisait, fût-ce un an, fût-ce un mois, porterait aux sociétés humaines un de ces coups qui donnent la mort.
En doutez-vous? Alors regardez le trait distinctif, la doctrine par excellence : le Despotisme! Et quand le despotisme aura tout broyé, tout ployé, tout abaissé, dites-nous ce que vous ferez de ces âmes d'esclaves!

L'Etat souverain, l'État pensant, l'État croyant pour tous et Pour chacun, c'est la fin; c'est la ruine des caractères et des consciences, c'est l'écroulement de se qui se tenait encore debout ici-bas.
Quel vestige de liberté maintiendrez-vous là où l'homme enrégimenté dès son berceau, administré jusqu'à son dernier soupir, absorbé par la machine publique, travaillant pour l'impôt, vivant de l'impôt, a cessé d'être homme, et n'aspire plus qu'à devenir fonctionnaire de l'État? - Certes c'est quelque chose d'être nourri; mais, sans compter qu'on ne le sera guère, être nourri à des conditions pareilles, cela peut sembler un triste marché.

Que la démocratie du siècle ne vous rassure pas. Démocratie et despotisme ont plus d'une fois marché d'accord; l'histoire du passé devient facilement la prophétie de l'avenir.
D'ailleurs les socialistes sincères nous laissent peu d'illusions. Ils nous annoncent que dans l'État parfait, toutes les libertés : liberté de l'individu, liberté de la famille, liberté de l'action, liberté de la presse, liberté de la propriété, liberté des instincts et de la volonté, des tendresses et des goûts, des habitudes et du choix, toutes auront disparu.
C'est à nous d'aviser.

On l'a dit, le socialisme s'atèle à rebours au char de la civilisation. Pas un progrès qui ne se soit accompli sans lui, contre lui, en vertu du noble régime de l'indépendance, de l'effort, de la conscience, de la famille et du devoir. Le socialisme a toujours fait reculer le progrès.

Regardez Sparte, dure, tyrannique, ignorante, ramassée sur elle-même comme une fauve dans son repaire, égoïste jusqu'à en oublier le patriotisme grec!

Regardez les anabaptistes, qui nous ramènent aux sauvages férocités et à la polygamie!

Regardez les jésuites, qui maintiennent au Paraguay l'éternelle enfance des Indiens !

Contemplez la famille partout ravagée!
La famille, c'est l'humanité. Tant que la famille durera, l'homme restera mettre de soi. Aussi dans tous les temps, sous toutes les apparences, vous verrez le socialisme battre en brèche son implacable ennemi. Ceux qui veulent établir le despotisme par excellence savent bien qu'il faut supprimer la résistance, par excellence: qu'il faut raser ces forteresses qu'on appelle des familles, car aussi longtemps qu'elles tiendront, l'homme se maintiendra.
Abolition des intérêts communs: plus de propriété, plus d'héritage, plus de travail indépendant et personnel! Abolition de la paternité : les enfants enlevés à la mamelle, et jetés au mécanisme sans entrailles qui se charge d'en fabriquer des citoyens! Abolition du mariage par la pluralité des femmes, par le divorce, par l'absence même de tout lien ! Abolition de l'intérieur: le foyer éteint et la table renversée ! Abolition de l'individu, que l'État prend et pétrit et forge jusqu'à ce qu'il en ait fait son instrument ! Aussi longtemps que le socialisme professera ces doctrines nettement, crûment, le socialisme na sera pas à redouter; il rencontrera partout devant lui les révoltes du bon sens.

Mais nos socialistes modernes, plus habiles que Platon et moins sincères, sont parvenus à vêtir d'une façon décente le système et ses cyniques laideurs. Là est le danger. Nos socialistes nient le renversement de la famille, nient les tyrannies de l'État, nient la proscription des lumières, nient les mesures extrêmes, nient la spoliation! C'est pour cela que le socialisme, qui dans les âges précédents n'avait pu parvenir à sortir de la théorie, devient un fait actuel et plein de périls. Le socialisme de notre temps se produit moins comme système politique, se présente moins comme parti révolutionnaire, qu'il ne s'insinue sous la forme hypocrite et bien plus à redouter. de grandes innovations industrielles, d'habitudes imposées, de bienfaisance exercée, d'un terrain silencieusement, sournoisement occupé, sans bataille, sans éclat., mais positivement acquis, grâce à notre aveuglement, à notre paresse, à notre lâcheté.

Pour nous, qui ne nous soucions pas de périr, ouvrons les yeux, levons-nous, et démasquons l'attaque.

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