Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

LES SYSTÈMES SOCIALISTES

-------

Le grand modèle socialiste, celui auquel on revient toujours, parce que seul il a vécu, c'est Sparte. La législation de Lycurgue excite et conserve, au travers des siècles, une admiration que je parviens mal à m'expliquer.
Est-ce légal partage des terres qui la provoque? Mais alors on affecte d'ignorer ceci : qu'en face d'une aristocratie très-restreinte, propriétaire unique du sol, se déployait une immense population d'esclaves, les ilotes, qui travaillaient. Jamais le socialisme ne se passera d'une servitude. Il faut bien que, quelqu'un laboure, sème, tisse, charpente ou forge; or ce quelqu'un, il faut bien que, de force on le contraigne au labeur quand la famille, quand les besoins de la famille, quand l'avenir de la famille, ne sont plus là pour l'y pousser !

On oublie encore ceci : c'est que Sparte, en dépit de Lycurgue, a donné le spectacle d'opulences et d'avarices également scandaleuses; c'est que Sparte, malgré son heure de fortune et de gloire, est venue aboutir à un dépérissement si complet, que la race des Spartiates avait disparu, et qu'on cherchait çà et là, comme une rareté, quelque dernier spécimen de ce peuple, le plus oppressif et le plus dur qu'ait produit le despotisme, le plus absolu.
J'ose à peine indiquer les détails d'un tel régime, auquel rien sur la terre, ne saurait se comparer. Sparte était traitée comme un haras humain. Des lois y réglaient les adultères officiels. Le meurtre des enfants ou débiles ou contrefaits assurait la vigueur de l'animal. L'égorgement périodique des ilotes prévenait dans les campagnes l'expansion exagérée, quand elle n'était pas dangereuse, de la population. On avait, pour se débarrasser de la famille, la vie en dehors et les repas en commun. D'autres moyens conjuraient le péril. Ni les pères ni les mères n'existaient à Sparte; à peine s'il y avait des époux. L'État seul élevait le troupeau des enfants; l'État prenait possession des générations nouvelles; l'État était tout, l'État faisait tout.

Voilà donc le socialisme réalisé! La famille est supprimée, l'individu anéanti. Qu'on ne nous parle plus, d'aucun de ces sentiments qui jaillissent des profondeurs de l'âme : l'amour conjugal, la tendresse maternelle, les viriles affections du père, le respect pour la femme, la confiance de l'enfant, l'attachement au foyer ! ces sentiments-là risqueraient de nous donner des hommes. Or ce que Sparte veut, ce ne sont pas des hommes, ce sont des esclaves en bas : les ilotes; ce sont des esclaves en haut : les aristocrates. Sparte veut des animaux robustes, bons pour la bataille, incapables d'un autre métier, étrangers à tout développement intellectuel ou moral : il lui faut des instruments de combat et de domination.
Peut-on descendre davantage? Je ne le crois pas.

Notre rhétorique aura beau faire, cette servitude acceptée reste un des plus ignobles phénomènes qu'ait amenés sous nos yeux le tableau des défaillances du sens moral, l'histoire des aberrations de l'esprit humain. Que Léonidas avec ses trois cents hommes communique à Sparte un passager éclat d'héroïsme, j'y consens. Rien avant, rien après ne vient remuer les fibres du coeur.
Comme elle nous a fourni le socialisme en action, la Grèce nous donne le socialisme en théorie. La législation de Lycurgue d'un côté, les livres de Platon de l'autre (1) ont défrayé les dualismes de tous les temps*

La République, expression sincère et complète de la pensée socialiste, nous fait voir ce que, privée de l'Évangile, serait devenue l'humanité:

Plus de mariage! on le remplace par des associations annuelles. Celles-ci, dans l'intérêt de la race, sont réglées par les magistrats.
Plus de pères, plus de mères ! les enfants, placés dans un asile commun, allaités en commun, élevés en commun, ne connaissent pas leurs parents. Inutile de dire qu'ici, comme à Sparte, les enfants mal venus sont égorgés.
Plus de propriété privée! il n'y d'autre possesseur que l'Etat.
Plus de repas en famille! il y a la table de l'Etat.
Plus de travail indépendant! l'État seul fait travailler.
Plus de croyances individuelles! l'Etat pense et croit pour vous.

Ainsi Platon, disciple de Socrate, proclame le principe en vertu duquel son maître périra. Mais tout se tient, et quand on prétend supprimer l'homme pour mieux garder le citoyen - triste citoyen que celui-là, - il faut bien commencer par tuer ce qu'il y a de, plus vital dans l'homme : la conscience; ce qu'il y a de plus résistant dans l'âme : les convictions.

La République, avec son caractère absolu, était pour Platon le type parfait. Tenant compte, il le fallait bien, des oppositions du coeur, qui ne se laisse pas écraser sans protester, Platon consentit à modifier son projet. De là le livre des Lois.
Vous n'y trouvez plus la communauté des femmes, dégoûtante et rigoureuse application du système. C'est une inconséquence. Conserver le mariage, c'est mettre de la contradiction entre le principe et les faits. On se demande ce que deviendront les femmes, là où il n'y a ni ménage à conduire, ni intérieur à charmer, ni mari à aider, ni enfants à aimer, là où il n'y a rien : pas un intérêt, pas une oeuvre digne de ce nom, pas plus de présent que d'avenir !
Platon, qui se le demande aussi, envoie les femmes à la guerre. Voilà un bon débarras (2).
Il règle, ne vous en étonnez point, jusqu'aux relations les plus intimes de l'union conjugale. Existe-t-il un sanctuaire pour l'État? Des matrones sont préposées à la surveillance du mariage dans ce qu'il a d'inviolable, dans ce qu'il a de sacré. Ces matrones emploient tour à tour la douceur et les menaces envers les jeunes mariés récalcitrants. S'il le faut, elles en appellent aux gardiens des lois ! - Trouvez quelque chose de plus ridicule et de plus odieux.
Ces lois séparent, au bout de dix ans, les époux restés sans progéniture ! Trouvez quelque chose de plus monstrueux et de plus ignoble.
Le divorce, cela va sans dire, existe de plein droit.
Platon voudrait bien mettre les femmes au régime des repas en commun. Mais les femmes y répugnent; il craint de n'en pas avoir raison.
S'agit-il des esclaves ? Quiconque a tué quelque pièce de ce bétail en est quitte pour se purifier. Si l'esclave, en revanche, a « dans un mouvement de colère », tué son maître, « les parents du mort feront souffrir à cet esclave tous les traitements qu'ils jugeront à propos, pourvu qu'ils ne le laissent pas vivre ».
Voulez-vous savoir ce que Platon pense de la liberté? « Quant à l'indépendance, il faut la bannir du commerce de la vie (3)».
Voulez-vous savoir ce qu'il en fait? « Il ne sera permis à aucun citoyen, avant l'âge de quarante ans, de voyager, quelque part que ce soit, hors des limites de l'État (4). » Par compensation, il lui est ordonné d'avoir femme et enfants, de vingt-huit à trente-huit ans, sous peine d'amende et de blâme public !

Platon, cet ami des lumières, a grand soin de mettre son peuple sous l'éteignoir: « L'effet naturel du commerce fréquent entre les habitants de diverses nations est d'introduire une grande variété dans les moeurs, par les nouveautés que ces rapports avec les étrangers font nécessairement naître : ce qui est le plus grand mal que puissent éprouver les Etats policés par de sages lois ! » - Les jésuites au Paraguay n'ont rien inventé de mieux, et le mot burlesque : renouvelé des Grecs! trouve ici, comme pour tous les despotismes, sa funeste, son humiliante application.

Platon, génie poétique, bannit les poètes de sa cité. Un poète, c'est un remueur d'idées, on ne saurait tolérer les idées où l'on ne tolère pas la liberté.

Le socialisme, il faut le répéter, n'admet pas plus d'hommes libres que la famille ne supporte d'hommes asservis. Liberté, égalité, progrès, famille, ces quatre termes sont solidaires. Partout où le socialisme, régnera, vous les verrez disparaître; partout où la famille renaîtra, vous les verrez revenir.

Soyons équitables. Platon a de bonnes intentions, Platon aspire au bien; mais il y marche comme on y marché sans l'Evangile : par la mutilation. Les religions les philosophies émanées de l'homme se reconnaissent à ceci, qu'elles montrent pour l'homme et pour ses droits un indicible dédain. On reconnaît à ceci la Révélation de Dieu, qu'elle a pour l'homme un profond respect, qu'elle fonde et qu'elle affirme ses droits, qu'elle ne le gouverne qu'à la condition de le développer. Les unes, qui sont d'en bas, font des esclaves; l'autre, qui est d'en haut, fait des individus (5).
Un nom, dans l'histoire moderne, le nom de Thomas Morus, le célèbre chancelier d'Angleterre au XVIe siècle, vient se placer à côté de celui de Platon
A travers beaucoup de précautions et de réserve, Thomas Morus poursuit le même idéal. Il n'ose pousser jusqu'aux limites extrêmes. Le Platon de la République le fait reculer. Morus essaye de s'arrêter à la position intermédiaire. inconséquente, et fausse, du Platon des Lois.
Les grands traits s'y retrouvent tous. Suppression de la propriété individuelle, l'État maître du sol, le travail obligatoire, les repas pris en commun; tel est le thème, invariable et passablement pauvre, convenons-en, sur lequel les théories socialistes, depuis des siècles exécutent leurs monotones variations. Diminuer l'homme, grandir l'État, c'est toujours le but; un despotisme étroit et minutieux, c'est toujours le moyen. L'utopie de Thomas Morus, comme la législation de Lycurgue, comme la République et comme les Lois de Platon, nous montre l'homme réduit aux fonctions de rouage. Faute d'esclaves - les ilotes lui manquent, - Thomas Morus est obligé de demander le pain de chaque jour, c'est-à-dire le travail, aux, habitants de sa cité. De là ces règlements mesquins, de là ces tyrannies de détail qui vont écraser les derniers vestiges de la spontanéité dans l'âme. L'individu ne peut aller et venir, ne peut se reposer, ne peut obtenir quelques moments de solitude, que conformément aux ordres et au programme de l'État.
Heureux pays, merveilleux affranchissement de l'esprit humain!
Et l'utopie, telle quelle, il faut le dire à la honte, du, non sens, rencontra partout un enthousiaste accueil!

Le siècle suivant vit un autre théoricien, Campanella, reproduire sous un habit nouveau les vieilles théories du vieux socialisme, usé dans la forme et dans le fond. Campanella, un moine, avait tout ce qu'il faut pour. pousser le socialisme jusqu'au bout. Les villes dont il peuple sa cité du soleil sont de vastes couvents. Sans hésiter une minute, il applique aux sociétés humaines tous les instruments d'oppression inventés par le système monacal. Comme il ne peut exiger le célibat universel, et qu'il faut pourtant abolir le mariage, Campanella ne recule pas, lui le religieux, devant la communauté des femmes. Il le sent avec Platon, ce n'est pas en ôtant la propriété seulement qu'on aura raison de la personnalité humaine et qu'on la fondra dans le grand tout; aussi longtemps que subsistera le mariage, On n'aura rien fait; tant qu'un fragment de la famille restera debout, il y aura quelque chose d'individuel et d'indépendant ici-bas. N'ayez pas peur que le socialisme conséquent supporte une telle anomalie.
Et Campanella bâtit ses monastères gigantesques pour y enfermer le genre humain, et le genre humain y suit la règle, du lever au coucher du soleil, du crépuscule à l'aurore, docile, automatique, prenant ses repas en silence, pendant qu'un solariste lui fait la lecture à haute voix !

Nous n'avons pas le droit de sourire. Ces doctrines, qui présentées dans leur nudité choquante excitent notre ironie, renferment une doctrine générale à laquelle un très grand nombre d'esprits se rattachent aujourd'hui.
Et cependant, pour nous aussi, l'expérience a été faite.

Les anabaptistes à Münster, les jésuites au Paraguay nous ont montré l'oeuvre avec ses fruits.

Jean de Leyde, aussi conséquent que l'était Campanella, mettant en action ce que l'autre mettait en théorèmes, étend la nature humaine sur son lit de Procuste et taille en pleine chair. Il faut voir à quelles horreurs, à quel esclavage, à quelles dépravations mène le système, lorsqu'il s'applique librement. Communauté des biens, polygamie, débauches inouïes, despotisme sans merci, tout se rencontre à Münster.
Jean de Leyde - il ne faut rien faire à moitié - joint sur sa tête la tiare du pontife à la couronne du roi; le peuple fanatisé contemple, subit, accepte! Le prophète anabaptiste a réalisé les rêves du moine calabrais. Et le bon sens public n'oppose pas une résistance, et la conscience ne pousse pas un cri, et Jean de Leyde pétrit, meurtrit Münster à son gré, jusqu'au moment où Waldeck, après un siège de six mois, prend la ville par trahison.

Les jésuites, maîtres au Paraguay, n'exerceront ni terreurs ni violences; point d'excès non plus; tout y sera paternel, bénin, d'une suave douceur; seulement, là vous aviez des esclaves, ici vous aurez des enfants: vous n'avez des hommes nulle part.
Directeurs absolus, les jésuites décident les mariage, dirigent les éducations, créent ou détruisent les industries, tiennent en main l'agriculture, fixent les vocations, font et défont les lois, règlent jusque .dans ses moindres détails l'emploi du jour, ont bien soin d'établir la clôture, fermant hermétiquement le pays, de telle sorte que le Paraguay ressemble trait pour trait, à un couvent de nonnains. Le résultat, c'est une population éternellement mineure, éternellement inférieure, frappée d'impuissance chronique, privée d'initiative, dépourvue de virilité, qui ne pense pas, qui sent à peine, incapable de vouloir, incapable de ne pas vouloir, et si parfaitement inhabile à se gouverner, qu'une fois les jésuites partis tout s'écroule, et que ces civilisés retombent à Mat, sauvage, instantanément, d'un bloc, comme cette chose inerte qu'ils sont, sans âmes, sans résistance, sans rien d'acquis parce que rien n'a été conquis : un poids quelques instants soulevé par une force extérieure, et qui, le levier disparu, se laisse choir.

Si nous arrivons à la fin du siècle dernier, Morelly - son Code de la nature - y marque pour nous l'état des tendances socialistes et communistes. N'y cherchons pas de nouveautés; il n'y en a point; il n'y en a jamais eu depuis Lycurgue et Solon. C'est toujours le, même rêve, c'est toujours cette apparente diversité qui sépare les conséquents des habiles, renversant le mariage avec ceux-là, laissant croire avec ceux-ci que le mariage subsistera. Suppression de la propriété , l'Etat seul producteur et seul maître, le travail forcé, les enfants livrés dès l'âge de cinq ans à l'éducation commune, vous retrouvez les traits, éternellement pareils.
Morelly, cependant, se montre original en ce point, qu'il a le premier dévoilé la base du système : l'homme bon! et qu'il l'a établi en termes clairs. Morelly balaye ce vieux préjugé qu'on nomme la morale. Nos passions, toutes, sont excellentes; le vice n'existe pas. Nos passions, mouvements légitimes de l'âme, demandent, non à être réformées, mais utilisées. Que venez-vous parler de mal et de bien? Le bien, c'est ce que pense, sent et fait l'homme; le mal, c'est la compression contre nature exercée surnomme par le code intérieur et le code extérieur.
Ainsi Morelly formule la théorie sur laquelle Charles Fourier bâtira son phalanstère.
En attendant, la doctrine de Morelly, reprise en sous-oeuvre par Mably, puis par Brissot, puis par beaucoup d'autres, arrive au parti violent que personnifie Babeuf et dont il est le chef.
Lisez le manifeste des Égaux!

« Nous voulons l'égalité réelle ou la mort. - La Révolution française n'est que l'avant-coureur d'une autre révolution, bien plus grande, qui sera la dernière! Périssent, s'il le faut, tous les arts! - La terre n'est à personne. - Les fruits sont à tout le monde! »

Babeuf, extrême mais illogique, hésite devant le mariage; il n'ose pas le proscrire du premier. coup. Ses décrets, préparés à l'avance, ne contiennent que ce que contenait le programme des devanciers. C'est toujours la spoliation pratiquée par l'État, toujours l'éducation commune, les repas communs, le travail contraint, avec des peines rigoureuses pour assurer l'exécution du projet. Notons néanmoins cette différence énorme, que de l'ordre des idées, la théorie tout entière va s'élancer dans celui des faits.
Chacun le comprit alors. Babeuf, qui y comptait bien, se modérait afin de ne pas trop effrayer le monde social qu'il se préparait à démolir. La société française, à peine sortie de la crise révolutionnaire, et qui, malgré les précautions, en sentait venir une autre plus formidable, reculait épouvantée devant l'écroulement final.
Elle recula jusque sous le sabre de Napoléon. Babeuf a contribué, pour sa part, à nous donner l'Empire. Entre les deux despotismes, celui d'en bas, celui d'en haut, nul ne pouvait hésiter.

Le socialisme contemporain, le nôtre, a fait comme il a pu ses théories et ses applications. Les saints-simoniens ont cherché la femme libre et ne l'ont pas trouvée; ils ont inventé le Père, c'est-à-dire le maître; ils ont supprimé l'héritage, établi l'échelle des capacités, essayé la vie en commun, pratiqué un culte nouveau. La popularité leur a fait défaut, car ils conservaient une hiérarchie et reconnaissaient un principe d'inégalité fondamentale : les aptitudes diverses, la valeur proportionnelle des facultés. Vous savez comment le saint-simonisme et les saints-simoniens se sont évanouis d'eux-mêmes, sans que personne y touchât.

Fourier en est resté aux spéculations. Son Attraction passionnelle, son identification du plaisir et de la vertu, mènent droit à l'abolition de la famille. Fourier ne s'arrête pas en si beau chemin; il supprime la famille, tout net. Polygamie, polyandrie, divorce, tout dans le Monde-harmonie affranchit les sexes des entraves qui avaient jusqu'ici faussé leurs instincts et dénaturé leurs relations! Les enfants vont se perdre dans la communauté du phalanstère, comme c'est leur devoir et leur droit.

Cabet expérimente; aussi vous le trouverez plus prudent. La famille se maintient en Icarie. Affaire de transition. À ceux qui lui reprochent son inconséquence, Cabet répond par des raisons d'habileté. La communauté des biens une fois établie, soyez tranquilles, la famille partira. Nul plus que lui, d'ailleurs, n'a posé en termes si clairs l'absolu despotisme de l'État. Pas un atome de liberté 1 Il n'y a point de journaux en Icarie, si ce n'est le Moniteur de l'État; il n'y a point de livres, si ce n'est les livres de l'État; il n'y a point de science, si ce n'est la science de l'Etat; il n'y a point d'histoire, si ce n'est l'histoire écrite par les ordres de l'Etat. En revanche, les Icariens ont tous et chacun les travaux forcés à perpétuité.
On sait ce que l'Amérique a fait du système lorsque Cabet l'y a transporté, et comme ce système y est mort, tout simplement par incapacité de vivre.

Pierre Leroux, Louis Blanc, propagent sinon la même organisation, du moins des tendances pareilles. Les ateliers nationaux nous ont montré ce qu'il faut attendre du droit an travail. En dépit de cette expérience, certaines idées se sont répandues; elles composent ce que j'appellerai le socialisme anonyme : celui qui, appartenant à tout le monde, ne compromet personne.

Vous ne trouvez plus aujourd'hui ni saint-simoniens, ni fouriéristes, ni cabétistes; encore, moins des disciples de Campanella, de Morus ou de Platon; mais ce que vous rencontrez à chaque pas, ce sont des gens qui rêvent l'égalité décrétée par la loi, l'existence assurée par la loi, une sorte de partage opéré par la loi, et qui ne voient pas qu'en promenant le tranchant de leur niveau sur tout ce qui se permet de différer, c'est-à-dire de vivre, ils tuent d'un seul coup l'individu, la famille et la liberté.

1. La tendance antique tout entière poussait au socialisme communiste; les repas en commun, cette ruine de la famille, était établi en Crète par les lois de Minos. Aristote, un des esprits les plus opposés à celui de Platon, inclinait à les vouloir.
Absentes des habitudes et des faits, ne nous étonnons pas de ne trouver dans Part et dans la littérature grecs, ni les personnes de la famille, ni les sentiments de la famille, ni la famille elle-même, à aucun degré
.
2. « Ce qu'il y a de plus important est que, personne, soit homme, soit femme, ne secoue en aucune rencontre le joue de la dépendance, ni ne s'accoutume, dans les combats véritables, ou même dans les jeux, à agir seul et de son chef; mais qu'en paix comme en guerre, tous aient sans cesse les yeux sur celui qui les commande, ne faisant rien que sous sa direction, et s'abandonnant à sa conduite dans les plus petites choses. » (Les Lois, livre XII).
.
3. Les Lois, livre XII.
.
4. Passé quarante ans, le citoyen obtient la liberté de voyager; voici ,en quoi cette liberté consiste : nul ne voyagera en son nom, mais seulement au nom de l'État, en qualité de héraut, d'ambassadeur, d'observateur. Suivent d'interminables enchevêtrements de règles, pour rendre compte des voyages, disons mieux, pour les entraver autant que faire se pourra. À Sparte ils étaient interdits.
.
5. Platon, bien plus discoureur qu'homme d'État, n'entend rien à là pratique. Les conceptions, dès qu'il s'agit du gouvernement en fait, sont d'une inouïe pauvreté. Beaucoup de paroles et peu d'idées, point de plan net et défini, des détails sans fin, aboutissant à la minutie; voilà ce que présente le livre des Lois ; on y rencontre des clartés éparses, des désirs Intègres, mais le généralisateur, le logicien, manquent absolument.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant