J'ai coupé court, il le fallait. Le danger presse.
Le temps n'est pas aux développements.
Je me suis refusé le plaisir d'envisager, au
point de vue de la famille, la littérature et les
arts. Miroirs fidèles des civilisations qu'ils
reflètent, les arts et la littérature nous
auraient permis de comparer la notion idéale des
païens et des chrétiens, des sceptiques et. des
croyants, des protestants et des catholiques, en
matière de famille, de mariage et d'amour. La
littérature et les arts nous auraient montré
ce que devient, dans l'imagination des hommes de tous les
âges, la lumière de la famille, son centre et
son âme . la femme, l'être essentiel par lequel
vit la famille, sans lequel la famille se meurt.
Un trait suffira. Cet être, la femme, et avec
elle l'amour vrai, et par elle la famille, et par la famille
les bonnes affections unies aux sérieux devoirs, vous
pouvez bien les demander aux arts, à la
littérature antiques, à leurs modernes
dérivés, ils ne vous les donneront pas. Ils ne
vous donneront pas davantage cette poésie
incomparable du foyer, cette éternité des
liens, légitimes objets de nos plus ardentes
aspirations.
Vous aurez la forme; l'indifférente
beauté plastique vous apparaîtra dans sa
sérénité froide; quelques piles lueurs
du monde moral mettront çà et là leurs
intermittences, mais la flamme, mais les divines tendresses,
vous les chercheriez en vain, Vous ne les cherchez plus
dès qu'apparaissent la littérature et l'art
qu'ont éclairés, qu'ont
réchauffés l'Évangile. L'Evangile a
tout restitué. Voilà le visage humain; je le
reconnais, on y sent courir la vie, il a secoué
l'impassibilité des traditions classiques. Voici la
femme, chaste, ferme et douce, avec son coeur pour
chérir, avec son courage pour lutter. Nous avons des
amants, des époux, des pères et des
mères; nous contemplons, dans ses profondeurs
sublimes, le drame des immortelles amours; nos
destinées sont ressaisies, le foyer s'est
rallumé; nous n'habitons plus la place publique, ce
portique banal de l'antique tragédie; nous sommes
chez nous, notre intérieur est à nous, nous,
nous y trouvons bien, et nous y restons.
C'est pour cela que j'aime mon temps !
Nos législations, qui laissent beaucoup
à désirer, nous ont donné beaucoup. Les
premières à être justes, elles ont
établi sur bien des points l'égalité
des époux, l'égalité; des enfants; par
là. elles ont amené, la division des
héritages; par là elles ont créé
la petite propriété. J'aime cela.
Ne nous y trompons point toutefois; l'ennemi, le,
vieux ennemi qui dans tous les temps a guerroyé
contre la famille, cet ennemi n'est pas mort.
Il a rencontré au contraire, sous la forme
nouvelle qu'il a revêtue, une plus redoutable
popularité. Il s'appelait paganisme, philosophie, il
se faisait catholique, il se faisait protestant; au fond il
était incrédule; maintenant il se fait tout
à tous; maintenant il a pris un nom socialisme, qui
lui donne toute sa portée et qui exprime toutes ses
ambitions.
Nous le connaissons de longue date; c'est
l'implacable adversaire de l'individu. Païen,
philosophe, catholique ou protestant, c'est toujours le
vieux athée, le vieux despote; celui qui toujours
attaquera l'individu, cet éternel
révolté! qui toujours sapera
l'Évangile, cet éternel délivreur ! qui
toujours démolira la famille, cette éternelle
forteresse de toutes nos libertés!
Il pourrait y avoir un bon, un admirable socialisme.
Que dis-je : il pourrait? Ce socialisme existe;
l'Évangile nous l'a révélé. Pas
une question sociale dont l'Évangile ne fournisse la
solution. Si vous en doutez, consultez l'histoire. Nous
l'avons parcourue, nous savons ce qu'elle nous a fait voir.
L'esclavage anéanti, le servage aboli, toutes les
carrières ouvertes à tous, les
indépendances au lieu des oppressions, le droit
commun au lieu des privilèges, les petits
relevés, les faibles protégés, l'homme
partout affranchi; voilà ce que l'Évangile,
voilà ce que le vrai socialisme nous a
donné.
Ce qu'ôte le socialisme faux, c'est l'homme; et
c'est pour cela que nous n'en voulons pas.
Regardons-le bien en face. Il se lève à
tous les bouts de l'horizon: au bout de l'horizon politique,
au bout de l'horizon religieux.
Socialisme et christianisme, socialisme et individu,
socialisme et famille, autant d'antagonistes absolus : il
s'agit de choisir.
Ou nous aurons l'homme, l'âme humaine, la
responsabilité individuelle, la vie personnelle et
libre; ou nous aurons l'État absorbant toutes les
personnes et toutes les libertés.
L'Evangile, nous veut entiers; il ne diminue rien,
il
ne mutile rien, il développe et il agrandit.
L'Evangile n'écrase qui que ce soit; il prend
l'homme, la femme, l'enfant, le serviteur, et les
relève tous en mettant chacun à la place qui
lui convient. L'Evangile donne à tous les coeurs les
mêmes espérances, il a le secret de toutes les
douleurs. L'Évangile, résolvant les plus
effrayantes questions, établit seul l'indestructible
: seul il unit pour l'éternité. Ainsi la
société se fonde, ainsi l'Évangile
découvre à nos yeux les sources très
profondes et très-pures du socialisme vrai.
Le faux socialisme, notre ennemi, fait
précisément le contraire. Il rabat l'homme
à la terre, aux appétits, oubliant que l'homme
« ne vivra pas de pain seulement ! » Sous
prétexte de lui donner sa pâture, il lui
ôte son âme. L'État se charge de penser,
de vouloir, d'agir, de croire, de vivre pour lui. L'Etat
sera le citoyen, l'éducateur, l'ouvrier. L'Etat sera
le père et la mère. Il serait la famille si la
famille existait encore, mais elle n'existera plus; car la
première chose que réclame la famille, c'est
l'homme, et l'homme est justement l'objet incommode dont le
socialisme, s'il veut régner, doit se
débarrasser à tout prix.
Toutes les fois que le socialisme,
relégué dans la région des
idées, a rédigé sa formule, il a
supprimé la famille, hardiment.
Aujourd'hui qu'il aspire à gouverner le monde,
il se fait hypocrite et désavoue les
conséquences du système que lui-même a
posé. Supprimer la famille! cela ne s'opère
pas tout seul. Le monde, qu'on en veut délivrer,
s'effraye, il se scandalise Rassurons-le toujours! plus tard
on avisera !
Ce n'est pas notre moindre péril. Avec ce
socialisme habile et prudent, la famille, moins ouvertement
menacée, court des risques beaucoup plus
sérieux. On la ménage, on la vante; en
réalité, on la démolit.
Au surplus, nous allons bien voir !
Et nous verrons aussi dans quelle mesure la cause de
la famille se lie à celle de Dieu.
Car il n'y a pas ici deux intérêts, il
n'y en a qu'un celui de la foi, qui est celui de la famille;
comme il n'y a qu'un adversaire : celui de la famille, qui
est celui de la foi. Le danger, pour nos croyances,
s'accroîtra toujours des diminutions de la famille. La
famille, à son tour, ne trouvera nulle part ailleurs
que dans la foi l'énergie pour se maintenir, le
secours pour vaincre, l'idéal pour viser haut, le
ciel pour arriver.
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