Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME PARTIE

LE SOCIALISME

I

LE NOTRE ENNEMI

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J'ai coupé court, il le fallait. Le danger presse. Le temps n'est pas aux développements.
Je me suis refusé le plaisir d'envisager, au point de vue de la famille, la littérature et les arts. Miroirs fidèles des civilisations qu'ils reflètent, les arts et la littérature nous auraient permis de comparer la notion idéale des païens et des chrétiens, des sceptiques et. des croyants, des protestants et des catholiques, en matière de famille, de mariage et d'amour. La littérature et les arts nous auraient montré ce que devient, dans l'imagination des hommes de tous les âges, la lumière de la famille, son centre et son âme . la femme, l'être essentiel par lequel vit la famille, sans lequel la famille se meurt.
Un trait suffira. Cet être, la femme, et avec elle l'amour vrai, et par elle la famille, et par la famille les bonnes affections unies aux sérieux devoirs, vous pouvez bien les demander aux arts, à la littérature antiques, à leurs modernes dérivés, ils ne vous les donneront pas. Ils ne vous donneront pas davantage cette poésie incomparable du foyer, cette éternité des liens, légitimes objets de nos plus ardentes aspirations.
Vous aurez la forme; l'indifférente beauté plastique vous apparaîtra dans sa sérénité froide; quelques piles lueurs du monde moral mettront çà et là leurs intermittences, mais la flamme, mais les divines tendresses, vous les chercheriez en vain, Vous ne les cherchez plus dès qu'apparaissent la littérature et l'art qu'ont éclairés, qu'ont réchauffés l'Évangile. L'Evangile a tout restitué. Voilà le visage humain; je le reconnais, on y sent courir la vie, il a secoué l'impassibilité des traditions classiques. Voici la femme, chaste, ferme et douce, avec son coeur pour chérir, avec son courage pour lutter. Nous avons des amants, des époux, des pères et des mères; nous contemplons, dans ses profondeurs sublimes, le drame des immortelles amours; nos destinées sont ressaisies, le foyer s'est rallumé; nous n'habitons plus la place publique, ce portique banal de l'antique tragédie; nous sommes chez nous, notre intérieur est à nous, nous, nous y trouvons bien, et nous y restons.
C'est pour cela que j'aime mon temps !

Nos législations, qui laissent beaucoup à désirer, nous ont donné beaucoup. Les premières à être justes, elles ont établi sur bien des points l'égalité des époux, l'égalité; des enfants; par là. elles ont amené, la division des héritages; par là elles ont créé la petite propriété. J'aime cela.
Ne nous y trompons point toutefois; l'ennemi, le, vieux ennemi qui dans tous les temps a guerroyé contre la famille, cet ennemi n'est pas mort.
Il a rencontré au contraire, sous la forme nouvelle qu'il a revêtue, une plus redoutable popularité. Il s'appelait paganisme, philosophie, il se faisait catholique, il se faisait protestant; au fond il était incrédule; maintenant il se fait tout à tous; maintenant il a pris un nom socialisme, qui lui donne toute sa portée et qui exprime toutes ses ambitions.
Nous le connaissons de longue date; c'est l'implacable adversaire de l'individu. Païen, philosophe, catholique ou protestant, c'est toujours le vieux athée, le vieux despote; celui qui toujours attaquera l'individu, cet éternel révolté! qui toujours sapera l'Évangile, cet éternel délivreur ! qui toujours démolira la famille, cette éternelle forteresse de toutes nos libertés!
Il pourrait y avoir un bon, un admirable socialisme. Que dis-je : il pourrait? Ce socialisme existe; l'Évangile nous l'a révélé. Pas une question sociale dont l'Évangile ne fournisse la solution. Si vous en doutez, consultez l'histoire. Nous l'avons parcourue, nous savons ce qu'elle nous a fait voir. L'esclavage anéanti, le servage aboli, toutes les carrières ouvertes à tous, les indépendances au lieu des oppressions, le droit commun au lieu des privilèges, les petits relevés, les faibles protégés, l'homme partout affranchi; voilà ce que l'Évangile, voilà ce que le vrai socialisme nous a donné.
Ce qu'ôte le socialisme faux, c'est l'homme; et c'est pour cela que nous n'en voulons pas.

Regardons-le bien en face. Il se lève à tous les bouts de l'horizon: au bout de l'horizon politique, au bout de l'horizon religieux.
Socialisme et christianisme, socialisme et individu, socialisme et famille, autant d'antagonistes absolus : il s'agit de choisir.
Ou nous aurons l'homme, l'âme humaine, la responsabilité individuelle, la vie personnelle et libre; ou nous aurons l'État absorbant toutes les personnes et toutes les libertés.

L'Evangile, nous veut entiers; il ne diminue rien, il ne mutile rien, il développe et il agrandit. L'Evangile n'écrase qui que ce soit; il prend l'homme, la femme, l'enfant, le serviteur, et les relève tous en mettant chacun à la place qui lui convient. L'Evangile donne à tous les coeurs les mêmes espérances, il a le secret de toutes les douleurs. L'Évangile, résolvant les plus effrayantes questions, établit seul l'indestructible : seul il unit pour l'éternité. Ainsi la société se fonde, ainsi l'Évangile découvre à nos yeux les sources très profondes et très-pures du socialisme vrai.

Le faux socialisme, notre ennemi, fait précisément le contraire. Il rabat l'homme à la terre, aux appétits, oubliant que l'homme « ne vivra pas de pain seulement ! » Sous prétexte de lui donner sa pâture, il lui ôte son âme. L'État se charge de penser, de vouloir, d'agir, de croire, de vivre pour lui. L'Etat sera le citoyen, l'éducateur, l'ouvrier. L'Etat sera le père et la mère. Il serait la famille si la famille existait encore, mais elle n'existera plus; car la première chose que réclame la famille, c'est l'homme, et l'homme est justement l'objet incommode dont le socialisme, s'il veut régner, doit se débarrasser à tout prix.
Toutes les fois que le socialisme, relégué dans la région des idées, a rédigé sa formule, il a supprimé la famille, hardiment.
Aujourd'hui qu'il aspire à gouverner le monde, il se fait hypocrite et désavoue les conséquences du système que lui-même a posé. Supprimer la famille! cela ne s'opère pas tout seul. Le monde, qu'on en veut délivrer, s'effraye, il se scandalise Rassurons-le toujours! plus tard on avisera !
Ce n'est pas notre moindre péril. Avec ce socialisme habile et prudent, la famille, moins ouvertement menacée, court des risques beaucoup plus sérieux. On la ménage, on la vante; en réalité, on la démolit.
Au surplus, nous allons bien voir !

Et nous verrons aussi dans quelle mesure la cause de la famille se lie à celle de Dieu.
Car il n'y a pas ici deux intérêts, il n'y en a qu'un celui de la foi, qui est celui de la famille; comme il n'y a qu'un adversaire : celui de la famille, qui est celui de la foi. Le danger, pour nos croyances, s'accroîtra toujours des diminutions de la famille. La famille, à son tour, ne trouvera nulle part ailleurs que dans la foi l'énergie pour se maintenir, le secours pour vaincre, l'idéal pour viser haut, le ciel pour arriver.

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