Un des grands spectacles du XVIe siècle, ce fut
l'austérité des moeurs chez les
huguenots.
Tout à coup la Bible repartit, et la famille
avec elle.
Il y eut de vraies femmes, compagnes dans le
bonheur,
secours dans le péril, modestes, braves, et qui
savaient aimer. Il y eut Jeanne d'Albret, il y eut madame
Duplessis-Mornay, il y eut ces fortes Anglaises, qui
ramassaient au pied d'un échafaud l'oreille sanglante
de leur mari et qui la baisaient. On les torture, on les
brûle, on les noie, elles ne faibliront pas
(1).
Voyez cette douce Catherine de Bora, « le
docteur Catherine », comme l'appelait Luther
(2),
qui tremble, souffre,
et n'a jamais détourné son mari du devoir.
Voyez-les, solides à la brèche, émues
au logis, fidèles, graves, soumises, dignes et ne se
laissant dominer par qui que te soit: rappelez-vous la
fière réponse de madame Duplessis-Mornay,
à je ne sais plus quel pasteur dont le zèle
indiscret se mêlait de régenter sa coiffure
(3).
Ces femmes sont bien les femmes de leurs maris;
leurs
maris s'assurent bien véritablement en elles. Le
couple s'est reformé dans sa force et dans sa
grâce. Vous n'avez plus cet état
inférieur, cette concession aux
débilités de la chair, qui ne demande rien
à l'âme et qui ne lui donne rien; vous n'avez
plus cette espèce de servante, je ne veux pas dire
d'esclave, qui se ratatine sur un ouvrage de couture, qui
s'accroupit dans les cendres à côté de
son pot-au-feu, qu'un mot du « maître de
céans » fait trembler, à qui les grands
saints interdisent de penser, de vouloir, d'être
quelqu'un. Non, les époux se respectent; s'ils sont
un au sens de la tendresse, un pour se chérir, ils
sont deux au sens de l'individualité : la femme
exerce son influence, elle a son opinion qu'elle émet
librement; de la fusion des deux caractères
naît le vrai mariage. Les concessions
réciproques, la déférence confiante
d'un côté, de l'autre une autorité qui
est une protection encore plus qu'elle n'est un droit,
achèvent l'unité. Les enfants sont
élevés, point asservis; ni le couvent n'attend
invariablement les filles, ni l'armée le fils
allié, ni quelque ordre religieux les cadets.
Plus de célibat saint, plus de directeur, plus
de confession. La Bible les a définitivement
congédiés. Mariage, famille, individu, tout
s'est retrouvé debout.
Voilà l'oeuvre de la Réforme.
Bien des misères ont gâté cette
restauration. Par malheur les Réformateurs
étaient de leur temps; par malheur plusieurs d'entre
eux avaient porté le froc. on retrouvait trop chez
Luther le moine de Wittemberg, trop le curé chez
Calvin.
Alexandre VI, Jules Il et Léon X se
succédaient à Rome; ils assistaient,
accompagnés de leurs cardinaux, aux
représentations de la Mandragore; Brantôme
racontait les moeurs des Valois au public amusé; les
ordures de Rabelais, accueillies par tout le monde,
salissaient tout.
Peut-on s'étonner dès lors si les
grossièretés de l'époque viennent
parfois gâter l'incisive, l'humaine, la géniale
parole de Luther? Celle de Calvin, nette, sobre et froide,
se maintient à l'abri de tels contacts.
Mais considérez Genève soumise aux lois
somptuaires, lisez le catalogue des choses interdites,
remarquez cette cléricale immixtion dans la vie
intérieure des époux, regardez cette
troisième personne qui tout à coup parait
entre eux, qui du bout de sa baguette touche ce plat, touche
ce vêtement, supprime l'un, modifie l'autre; comptez
ces fils de Lilliput, observez cette autorité
indiscrète, souveraine, effective, qui n'est pas
celle du mari, et dites si le séminariste n'a pas
passé par là
(4)!
C'est le séminariste et c'est le curé
qui, par la bouche de quelques-uns des Réformateurs,
présentent encore le mariage comme un remède
à l'incontinence.
Le divorce suivi des secondes noces, réaction
contre le mariage sacrement qu'a fait Rome pour en mieux
tenir le noeud, semble l'apanage exclusif de la
Réformation. Le divorce, négation implicite de
l'union, le divorce qui rompt d'avance l'indissoluble lien,
le divorce avec ses conséquences expressément
condamnées par Jésus-Christ, le divorce, cette
monstruosité, cette rébellion, le divorce est
horrible, il est contre nature, il est contre Dieu; on ne
saurait assez énergiquement le flétrir; les
Réformateurs l'ont souffert, l'ont approuve, on ne
saurait les blâmer assez fortement.
Mais l'ont-ils inventé? mais Rome ne
l'a-t-elle pas pratiqué? Rome a-t-elle toujours
respecté, en fait, le mariage qu'au fond elle
dédaigne en esprit? Les mains des papes, mains
d'homme; quoi qu'on dise - n'ont-elles jamais
séparé ce que Dieu a joint?
Rappelez-vous ces mariages royaux, tantôt
brisés, tantôt maintenus, selon qu'il convenait
à la politique papale; rappelez-vous ce droit canon
qui. rompt le mariage pour cause d'hérésie,
qui le dissout en permettant à l'un ou l'autre des
époux d'entrer en religion; qui l'annule pour cause
de parenté, créant des parentés
imaginaires - parentés de l'âme, -
étendant les parentés de la chair jusqu'aux
limites de l'absurde, afin de s'asservir un sacrement
qu'elle a institué, qu'elle fera sauter, - le
déclarant nul, sitôt qu'elle y trouvera
profit!
Le fait s'est répété
fréquemment. Du trône des rois, les cas
douteux, multipliés à l'infini se sont
répandus et reproduits parmi les unions qui en
valaient la peine. Ils ont encombré Rome de
solliciteurs, le Vatican d'affaires. compliquées,
litigieuses, qui. chacune venait remplir les coffres
sacrés et renforcer le pouvoir papal.
La répudiation, couverte de voiles hypocrites;
soumise au bon plaisir du Vicaire de Jésus-Christ,
s'est exercée quand et comme il a voulu. Plus d'une
fois l'Église romaine a vu, sans sourciller, un de
ses enfants prendre et garder successivement deux femmes,
sous prétexte d'annulation de ce qui ne saurait
s'annuler !
Je ne veux pas amoindrir les torts des
Réformateurs; je veux rendre à César ce
qui appartient à César.
Quoi qu'il en soit, le péché des
Réformateurs ne doit pas rester notre
péché. Nous ne sommes pas les disciples des
Réformateurs, nous sommes les disciples de
Jésus-Christ. Poursuivons le divorce, abolissons-le,
nettoyons-nous de cette souillure; achevons l'oeuvre de
notre maître; reconquérons le mariage comme
Dieu l'a créé; ressaisissons la famille telle
qu'il nous l'a donnée, si simple et si belle que
jamais l'histoire en témoigne - l'homme n'à
consenti à s'y tenir.
Jamais les Réformateurs qui ont, à part
le divorce, restauré la famille, ne se sont
doutés de l'excellence de leur travail. Si Dieu les
avait laissés faire, ils auraient gâté
l'ouvrage, - ce n'est pas la première fois que
l'oeuvre est plus grande que l'ouvrier, mais Dieu ne les a
pas laissés faire.
La puissance de la Réforme éclate en
ceci, que les Réformateurs ne sont pas parvenus
à l'empêcher de produire ce qui était en
elle. Or ce qui était en elle, c'est la
sainteté du mariage, c'est la famille, ce sont les
bonnes moeurs, ce sont des caractères et ce sont des
individualités; c'est toute une littérature
honnête, vigoureuse, aimable, saine expansion de
sentiments purs, d'où la vraie passion n'est pas plus
bannie que le véritable amour, qui connaît les
combats, qui connaît les tragédies, et qui n'a
pas besoin d'aller ramasser au coin des rues, parmi les
vieux adultères et les vices éraillés,
ses secrets d'émotion ou ses études sur le
vif.
Pour nous, en avant ! Un réformé
réforme toujours. La Réforme ne s'arrête
pas. C'est que la Réforme, c'est la Bible, et qu'une
fois la Bible lâchée - passez-moi le mot, -
elle fait l'oeuvre de Dieu, malgré les moines,
malgré les curés, malgré vous,
malgré moi, malgré tout !
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