Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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LA RÉFORME

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Un des grands spectacles du XVIe siècle, ce fut l'austérité des moeurs chez les huguenots.
Tout à coup la Bible repartit, et la famille avec elle.
Il y eut de vraies femmes, compagnes dans le bonheur, secours dans le péril, modestes, braves, et qui savaient aimer. Il y eut Jeanne d'Albret, il y eut madame Duplessis-Mornay, il y eut ces fortes Anglaises, qui ramassaient au pied d'un échafaud l'oreille sanglante de leur mari et qui la baisaient. On les torture, on les brûle, on les noie, elles ne faibliront pas (1).

Voyez cette douce Catherine de Bora, « le docteur Catherine », comme l'appelait Luther (2), qui tremble, souffre, et n'a jamais détourné son mari du devoir. Voyez-les, solides à la brèche, émues au logis, fidèles, graves, soumises, dignes et ne se laissant dominer par qui que te soit: rappelez-vous la fière réponse de madame Duplessis-Mornay, à je ne sais plus quel pasteur dont le zèle indiscret se mêlait de régenter sa coiffure (3).
Ces femmes sont bien les femmes de leurs maris; leurs maris s'assurent bien véritablement en elles. Le couple s'est reformé dans sa force et dans sa grâce. Vous n'avez plus cet état inférieur, cette concession aux débilités de la chair, qui ne demande rien à l'âme et qui ne lui donne rien; vous n'avez plus cette espèce de servante, je ne veux pas dire d'esclave, qui se ratatine sur un ouvrage de couture, qui s'accroupit dans les cendres à côté de son pot-au-feu, qu'un mot du « maître de céans » fait trembler, à qui les grands saints interdisent de penser, de vouloir, d'être quelqu'un. Non, les époux se respectent; s'ils sont un au sens de la tendresse, un pour se chérir, ils sont deux au sens de l'individualité : la femme exerce son influence, elle a son opinion qu'elle émet librement; de la fusion des deux caractères naît le vrai mariage. Les concessions réciproques, la déférence confiante d'un côté, de l'autre une autorité qui est une protection encore plus qu'elle n'est un droit, achèvent l'unité. Les enfants sont élevés, point asservis; ni le couvent n'attend invariablement les filles, ni l'armée le fils allié, ni quelque ordre religieux les cadets.
Plus de célibat saint, plus de directeur, plus de confession. La Bible les a définitivement congédiés. Mariage, famille, individu, tout s'est retrouvé debout.
Voilà l'oeuvre de la Réforme.

Bien des misères ont gâté cette restauration. Par malheur les Réformateurs étaient de leur temps; par malheur plusieurs d'entre eux avaient porté le froc. on retrouvait trop chez Luther le moine de Wittemberg, trop le curé chez Calvin.
Alexandre VI, Jules Il et Léon X se succédaient à Rome; ils assistaient, accompagnés de leurs cardinaux, aux représentations de la Mandragore; Brantôme racontait les moeurs des Valois au public amusé; les ordures de Rabelais, accueillies par tout le monde, salissaient tout.
Peut-on s'étonner dès lors si les grossièretés de l'époque viennent parfois gâter l'incisive, l'humaine, la géniale parole de Luther? Celle de Calvin, nette, sobre et froide, se maintient à l'abri de tels contacts.
Mais considérez Genève soumise aux lois somptuaires, lisez le catalogue des choses interdites, remarquez cette cléricale immixtion dans la vie intérieure des époux, regardez cette troisième personne qui tout à coup parait entre eux, qui du bout de sa baguette touche ce plat, touche ce vêtement, supprime l'un, modifie l'autre; comptez ces fils de Lilliput, observez cette autorité indiscrète, souveraine, effective, qui n'est pas celle du mari, et dites si le séminariste n'a pas passé par là (4)!
C'est le séminariste et c'est le curé qui, par la bouche de quelques-uns des Réformateurs, présentent encore le mariage comme un remède à l'incontinence.
Le divorce suivi des secondes noces, réaction contre le mariage sacrement qu'a fait Rome pour en mieux tenir le noeud, semble l'apanage exclusif de la Réformation. Le divorce, négation implicite de l'union, le divorce qui rompt d'avance l'indissoluble lien, le divorce avec ses conséquences expressément condamnées par Jésus-Christ, le divorce, cette monstruosité, cette rébellion, le divorce est horrible, il est contre nature, il est contre Dieu; on ne saurait assez énergiquement le flétrir; les Réformateurs l'ont souffert, l'ont approuve, on ne saurait les blâmer assez fortement.

Mais l'ont-ils inventé? mais Rome ne l'a-t-elle pas pratiqué? Rome a-t-elle toujours respecté, en fait, le mariage qu'au fond elle dédaigne en esprit? Les mains des papes, mains d'homme; quoi qu'on dise - n'ont-elles jamais séparé ce que Dieu a joint?

Rappelez-vous ces mariages royaux, tantôt brisés, tantôt maintenus, selon qu'il convenait à la politique papale; rappelez-vous ce droit canon qui. rompt le mariage pour cause d'hérésie, qui le dissout en permettant à l'un ou l'autre des époux d'entrer en religion; qui l'annule pour cause de parenté, créant des parentés imaginaires - parentés de l'âme, - étendant les parentés de la chair jusqu'aux limites de l'absurde, afin de s'asservir un sacrement qu'elle a institué, qu'elle fera sauter, - le déclarant nul, sitôt qu'elle y trouvera profit!
Le fait s'est répété fréquemment. Du trône des rois, les cas douteux, multipliés à l'infini se sont répandus et reproduits parmi les unions qui en valaient la peine. Ils ont encombré Rome de solliciteurs, le Vatican d'affaires. compliquées, litigieuses, qui. chacune venait remplir les coffres sacrés et renforcer le pouvoir papal.
La répudiation, couverte de voiles hypocrites; soumise au bon plaisir du Vicaire de Jésus-Christ, s'est exercée quand et comme il a voulu. Plus d'une fois l'Église romaine a vu, sans sourciller, un de ses enfants prendre et garder successivement deux femmes, sous prétexte d'annulation de ce qui ne saurait s'annuler !
Je ne veux pas amoindrir les torts des Réformateurs; je veux rendre à César ce qui appartient à César.

Quoi qu'il en soit, le péché des Réformateurs ne doit pas rester notre péché. Nous ne sommes pas les disciples des Réformateurs, nous sommes les disciples de Jésus-Christ. Poursuivons le divorce, abolissons-le, nettoyons-nous de cette souillure; achevons l'oeuvre de notre maître; reconquérons le mariage comme Dieu l'a créé; ressaisissons la famille telle qu'il nous l'a donnée, si simple et si belle que jamais l'histoire en témoigne - l'homme n'à consenti à s'y tenir.
Jamais les Réformateurs qui ont, à part le divorce, restauré la famille, ne se sont doutés de l'excellence de leur travail. Si Dieu les avait laissés faire, ils auraient gâté l'ouvrage, - ce n'est pas la première fois que l'oeuvre est plus grande que l'ouvrier, mais Dieu ne les a pas laissés faire.
La puissance de la Réforme éclate en ceci, que les Réformateurs ne sont pas parvenus à l'empêcher de produire ce qui était en elle. Or ce qui était en elle, c'est la sainteté du mariage, c'est la famille, ce sont les bonnes moeurs, ce sont des caractères et ce sont des individualités; c'est toute une littérature honnête, vigoureuse, aimable, saine expansion de sentiments purs, d'où la vraie passion n'est pas plus bannie que le véritable amour, qui connaît les combats, qui connaît les tragédies, et qui n'a pas besoin d'aller ramasser au coin des rues, parmi les vieux adultères et les vices éraillés, ses secrets d'émotion ou ses études sur le vif.
Pour nous, en avant ! Un réformé réforme toujours. La Réforme ne s'arrête pas. C'est que la Réforme, c'est la Bible, et qu'une fois la Bible lâchée - passez-moi le mot, - elle fait l'oeuvre de Dieu, malgré les moines, malgré les curés, malgré vous, malgré moi, malgré tout !

1. Nommons Anne Askew. Soumise durant des heures au supplice du chevalet - le chancelier, Wriothesley, furieux, avait ôté son habit pour aider le bourreau à serrer les cordes, - Anne, couchée sur les dalles, sanglante, haletante, subit la double torture d'une discussion sans pitié. Condamnée au bûcher, ses pauvres jambes brisées ne peuvent l'y conduire, on l'y porte; là, en face des fagots, en présence de tout ce que la cour renfermait de seigneurs, musqués et de belles dames, il lui faut écouter l'interminable sermon d'un prêtre catholique. Anne se bornait à dire de sa voix douce et ferme : « Il se trompe, il parle sans le Livre ! » On la lia par trois chaînes de fer au poteau, et les flammes eurent raison de son corps.
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2. « Ma bien-aimée Catherine a été une épouse fidèle, pieuse et douce. Elle m'a toujours entouré de sa tendre affection. » Testament de Luther.
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3. Les trois pasteurs et le consistoire de Montauban avaient, s'en référant à une épître de Paul, interdit les cheveux bouclés, menaçant de refuser la cène: à toute femme qui enfreindrait la défense ! Bel exemple du despotisme papal qui renaît vite partout où il y a un clergé! - Madame de Mornay et ses filles arrivent à Montauban, coiffées comme on se coiffait alors. Grand émoi; madame de Mornay, sommée de défaire sa frisure, tient bon, elle discute, elle correspond avec le consistoire, elle insiste pour que la décision soit portée au prochain synode, et garde ses boucles avec son droit. Nous nous représentons mal ce qu'il fallait alors de bon sens, d'énergie, de sentiment de l'indépendance, du devoir de la maintenir, pour résister et pour triompher. Le courage persistant et calme qu'elle mettait à conserver sa liberté, madame de Mornay l'apportait à soutenir sa foi. Bien femme et bien forte, type héroïque et gracieux, ardemment aimée de son mari qui en la perdant perdit toutes choses, elle met devant nos yeux un de ces chastes profils, aux lignes pures, éclairés de tendresse, tels que la Bible seule peut les modeler.
La douleur de Duplessis-Mornay s'exhale en quelques strophes d'où nous prenons ces deux vers : ils disent tout dans leur naïveté touchante :

Ame, pour te chanter, il me fault des sereines;
Ame, pour te pleurer, il me fault des fontaines.
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4. Je ne parle ni du bûcher de Servet, ni de condamnations inouïes pour cause d'infraction aux lois somptuaires, ni de la torture appliquée sous les yeux du Réformateur. Luther n'a point fait cela; Zwingle n'a point fait cela. Calvin, dont j'honore les grandes qualités, est dur, il est despote, il l'est par caractère. Une femme lui a trop longtemps manqué; elle lui a trop vite fait défaut. Avant, écoutez-le - « La seule beauté qui me touche », écrit-il à ses amis, en quête de mariage pour lui, « consiste dans la chasteté d'une femme, dans sa patience, dam son économie, il faut qu'elle ne soit pas capricieuse, et qu'elle soit prête à prendre soin de ma santé! » Impossible de montrer un plus parfait égoïsme : voilà l'union idéale comme la comprenait le curé 'Après, écoutez l'homme: « Idelette est malade»- observons ceci en passant, Calvin, qui voulait une femme pour prendre soin de sa santé, eut pendant les neuf années de son mariage une femme à soigner, et il lui ferma le& yeux. - Idelette est malade, et voici ce que mande Calvin à un ami : « Le frère qui te perte ma lettre te dira au milieu de quelles angoisses je t'écris. Ma femme, est prématurément mère, non sans être dans un danger extrême. Veuille le Seigneur nous regarder dans sa miséricorde! » La note a changé; le coeur, sans être beaucoup réchauffé encore, s'est pourtant déroidi.
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