Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IX

LE CATHOLICISME

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Il n'est pas nécessaire, hélas! de sortir de la chrétienté pour rencontrer des réactions contre la famille.
Le Catholicisme, la Réforme, l'incrédulité, chacun à sa manière, qui plus, qui moins, ont chacun attaqué l'institution de Dieu.
Commençons par l'oeuvre catholique.

Elle provient d'une confusion profondément matérialiste : la confusion de l'état de célibat avec l'état de sainteté.
Idée énorme qui, en directe opposition avec l'Evangile, touche au dualisme oriental et renverse la famille, par ceci: qu'elle met le mariage au rang d'une tolérance accordée à la faiblesse du coeur humain.
A côté de cette doctrine vous en voyez marcher une autre, non moins subversive de la famille, non moins contraire à la Parole de Dieu : la doctrine des deux saintetés; la sainteté moyenne, commune, pour les chrétiens ordinaires; la grande sainteté, pour les grands chrétiens. Les premiers épousent des femmes, les seconds ne se marient pas. Les premiers possèdent des biens, les seconds embrassent la pauvreté (1).
Belle situation pour le mariage, belle garantie pour la propriété!:
Car les Pères, il faut le remarquer en passant, attaquent la famille par deux brèches : le communisme et le célibat. Au fond, ils attaquent l'individu, l'éternel ennemi du paganisme, du paganisme païen, du paganisme chrétien.

Écoutez les homélies des Pères. L'indigence est une vertu; la richesse est presque un vice dont il faut se laver à grands coups d'aumônes. Quant au fait de la virginité, il constitue par lui seul une perfection telle, que les Pères, matérialistes, sans le savoir, je répète le mot, trouvent pour le louer des expressions dont l'ardeur nous froisse, nous les chrétiens vulgaires, nous les chrétiens mariés.
Au surplus, si vous voulez savoir ce qu'ils font du mariage, voici l'échelle dressée par saint Jérôme :

Tout en, haut, la vierge; un degré au-dessous, la veuve; plus bas, la femme mariée; plus bas encore, la femme remariée; après, sans transition, la femme de mauvaise vie!

Augustin se gêne encore moins. Tel, de ses discours, telle de ses épîtres assimile nettement le mariage à l'impureté, faisant du célibat, cela va de soi, le dernier terme de la perfection,
Le concile de Trente enfin, qui formule et qui fixe la doctrine catholique, a voté ce canon :
« Si quelqu'un dit que ce n'est pas quelque chose de meilleur et de plus heureux de demeurer dans la virginité et dans le célibat que de se marier, qu'il soit anathème! »
C'est du paganisme pur; c'est le dualisme persan; c'est une audacieuse, c'est une flagrante négation de l'Évangile qui, ne plaçant pas, lui, la sainteté où elle: n'est pas: dans un fait matériel; la met où elle est : dans le coeur. L'Évangile ne connaît ni le dictionnaire des choses pures et impures, ni le classement. des vertus, ni ce que c'est qu'un christianisme de premier, de second, de troisième ordre. L'Évangile dit à tous : Soyez parfaits. L'Évangile montre à tous le même type : Dieu.
Mais l'histoire de la chrétienté est-elle autre chose que l'histoire d'une longue revanche païenne? Nais le paganisme, chassé du domaine des apparences, a-t-il fait autre chose que ressaisir le coeur? Mais ne pouvant avoir raison de l'Évangile, l'idolâtrie ne s'est-elle point avisée de le corrompre afin de régner sous son nom?

Le célibat saint, au temps des Pères, s'avançait accompagné d'un cortège de choses fort peu saintes, vous pouvez m'en croire. On ne mutile pas impunément la famille, on ne refait pas impunément la création. Les prêtres, auxquels la fausse pureté commençait d'interdire le mariage, retiraient chez eux des soeurs agapètes - soeurs introduites. - Vous voyez d'ici, ce que la sainteté y gagnait Plus tard ce fut le concubinat avec un caractère officiel. Le célibat sacré, durant des siècles, remplit le monde chrétien de ses scandales, le souilla de ses vices, en abaissa le niveau sous ses avilissements. On avait conspué le mariage, on eut la corruption.
Cela n'éclaira point. Le mariage était l'ennemi, car le mariage, c'est la famille; or la famille, c'est l'opposition tenace, c'est la suprême résistance au principe païen.
Alors on inventa la direction.
Jésus avait dit : « Vous, que l'on ne vous appelle point directeurs, car un seul est votre directeur, le Christ » (2). On créa des directeurs.
Jésus avait dit : « Vous, qu'on ne vous appelle point maîtres, car vous n'avez qu'un maître, le Christ » (3). On établit des maîtres : maîtres de l'âme, maîtres de la conscience, maîtres de la vie.

L'Évangile, c'est l'abolition du prêtre, c'est la suppression absolue de tout intermédiaire entra l'homme et Dieu, c'est le voile déchiré de haut en bas, c'est le ciel ouvert, c'est l'éternel Sauveur qui tend les bras à ses enfants. On raccommoda la voile, on reforma les cieux, et à la place de Jésus on mit un prêtre.

Manou n'aurait pas fait mieux.
Voici donc une domination spéciale, étrangère, supérieure, qui s'interpose entre la femme et le mari, entre les parents et les enfants.
Voici un lieu très-secret où pénètre le directeur seul, où votre femme, où votre fille entrent après lui, où vous n'entrez pas. Les questions qui s'adressent là, les sujets qui s'y traitent, demandez-le aux Compendiums, ils vous répondront.
Le directeur sait tout ce que vous savez. Tout ce qu'il sait, vous ne le savez pas.
Il est maître des profondeurs de l'âme ou s'élaborent les pensées, d'où procèdent les résolutions. Là où votre autorité s'évanouit, la sienne s'exerce, sans contrôle, absolue, sacrée comme celle de Dieu. Et vous supportez cela!

Qu'est devenu l'époux, le protecteur unique, l'unique ami? Où est l'aide semblable, à lui, la chair de sa chair (4), son jardin clos, sa source close, sa fontaine cachetée (5)? Qu'avez-vous fait de la parole, sainte : « Ils sont un» (6) ? Qui, désormais, s'écriera, dans la pleine, dans la royale possession de, l'unité: : « Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi! » Vos enfants, à qui appartiennent-ils? de qui relève leur âme? qui aura le droit de dire, au jour du jugement : « Me voici, avec les enfants que tu m'as donnés » (7) ? - Où faut-il à présent chercher la famille? L'époux n'est plus l'époux, la femme n'est plus sa femme, les enfants ont un autre père. Le père d'en bas sert pour les soins infimes, pour vêtir, pour nourrir, pour gagner le pain du jour.; les jours le verront finir. Le père d'en haut est pour la manne céleste, pour ouvrir les horizons divins; c'est le père de l'esprit, celui qui enseigne, celui qui redresse, celui qui a la clef des cieux; il ne mourra jamais!
La famille est tuée; la société ne lui survivra pas longtemps. Les sentiments vrais et naturels, de bon coeur et de bon sens ont disparu. A leur place vous avez cette spiritualité quintessenciée, cette fausse adoration pour Dieu, cet amour frelaté qui, après s'être un moment contenté des triomphes de Jérôme en face de Paule au tombeau, des efforts que fait saint Augustin pour ne pas pleurer sa mère, aboutiront au mépris des créatures, à l'horrible égoïsme soi-disant chrétien !

Au moyen âge, le mal est dans son plein.
C'est l'âge, où le clergé pénètre tout, gouverne tout; où il n'y a plus ni conscience individuelle ni volonté! C'est l'âge où l'unité latine a tout envahi, où l'idéal latin est descendu sur la terre : une croyance, un culte, une pensée, un enseignement!
C'est l'âge où s'achèvent les grandes organisations qui porteront les derniers coups à la famille : le célibat définitif du prêtre, la confession obligatoire ! C'est l'âge qui voit naître la pureté angélique, les ordres errants et mendiants! C'est l'âge qui voit la sainteté militante, les ordres persécuteurs, favoriser la révolte des enfants contre les pères, ordonner les délations, empoisonner ce qui pouvait rester de confiance, dissoudre ce qu'on avait pu garder d'intimité sous le toit effondré de la famille ravagée!
Suprématie papale, inquisition, le monde changé en monastère, les monastères couvrant le monde, les terres incultes, les esprits en friche, la nuit partout, le moyen âge vous montrera cela.

Étonnez-vous s'il a supprimé la Bible! Tantôt inconnue et tantôt proscrite, la Bible fait comme la famille, comme la société, elle s'évanouit. Soyons justes; l'armée monastique menant en laisse l'Europe cléricale, pouvait-elle tolérer ce livre, LE LIVRE ! si humain, si libéral, si émancipateur? Pouvait-elle permettre qu'on rouvrit et qu'on y retrouvât le coeur humain avec tous ses droits, sans autre maître que Dieu? Pouvait-elle permettre qu'on écoutât la Bible, le révélateur du mariage, le fondateur de la famille, qui ne dit pas un mot des moines et qui fait la guerre au clergé?
Laissons l'ironie; elle convient mal à ce temps de tristesse et d'abjection.

Entre le directeur et le seigneur, celui-ci malmenant la conscience, celui-là malmenant l'honneur, l'homme achève de périr. Le directeur lui prend l'âme de sa femme, de ses filles, de ses fils. Le seigneur lui prend son épouse, lui marie ses filles, lui enlève ses fils, à mesure que se faisant vigoureux ils pourraient aider le père et l'entourer de respect.
Au fond de ces demeures sordides, parmi ces âmes esclaves, sous cette pourriture, je ne vous dirai pas quels vices avaient germé.

La corruption répandue dans l'air imprégnait les quelques livres, rares et grossiers, que promenaient les colporteurs. Ni les fabliaux, ni les turpitudes qu'ils racontent détonnaient personne. Les pénitentiels en dressaient l'inventaire avec. une naïveté «impudeur qui donne la mesure des niveaux; les prédicateurs en parlaient dans un langage dont les termes, qu'on ne supporterait pas un instant aujourd'hui, n'offensaient pas plus qu'ils ne surprenaient les oreilles d'alors.
La misère était horrible.

Il y avait des chevaliers, oui, qui servaient pour les grands jours et pour les grands seigneurs! Le chevalier s'inquiétait peu du vilain, il ne s'en occupait que pour faire de lui ce qu'en faisait le seigneur: une bête de somme, une bête de trait, un instrument, un outil. On aurait fort scandalisé ces redresseurs de torts, si on leur avait montré, là, sous ces chaumes, dans ces fossés, parmi ces boues, sur ces champs que le vilain labourait, ensemençait, récoltait pour le maître, des droits à soutenir et des torts à redresser. Le vilain avait froid, avait faim, vivait escorté de souffrances, mourait sous sa vermine et ses haillons. Qui s'embarrassait de cela?
Une houle montait parfois des bas-fonds; la bête se révoltait, elle s'enrageait; alors, de vilain à seigneur s'exerçaient des revanches inouïes comme les colères accumulées, féroces comme les maux endurés. Mais le vilain n'avait pas le dernier mot, la conclusion appartenait au. maître, et les tortures et les gibets se chargeaient d'en souligner l'éloquence.
Tantôt la disette, tantôt la peste venaient balayer le soi. il se faisait des vides prodigieux. Ce qui s'est amassé là de douleurs et d'agonies, nul ne le dira.

Eh bien, ni les morts noires qui traînaient leur linceul par les campagnes désolées, ni les guerres perpétuelles qui broyaient la chair du vilain, ni les jacqueries qui le jetaient plus désarmé aux vengeances de son seigneur, ni les détresses sans nom qui avaient tellement raccourci la vie humaine qu'après tomme avant, jamais pestilences, batailles ou famines n'en ont si vite tranché le cours; rien de tout cela ne me paraît si funeste à contempler que l'âme avilie, que la conscience étouffée, que le coeur écrasé, que la famille détruite, que le mariage défait, que l'homme enfin démoli tout entier!

Afin qu'on ne m'accuse pas de prévention, je tiens à: présenter un autre moment du catholicisme. Regardons l'heure brillante, l'heure acclamée : le siècle de Louis XIV.
Ce que furent les moeurs de cette époque, nul ne saurait l'ignorer. À part quelques familles parlementaires, à part les huguenots, tout ce qui avait bon air imitait le grand roi.
On sortait de la Fronde, cette guerre d'une frivolité sans exemple, menée par mesdames de Longueville et de Montbazon. Louis XIV étalait ses amours adultères; il faisait élever par la pieuse madame de Maintenon ses enfants adultérins. Jacques II, ce martyr de la foi, réfugié en France, menait partout avec lui son fils naturel.
On trouvait cela fort simple. Si l'hôtel de Rambouillet avait corrigé les formes grossières du langage, s'il avait remplacé la brutalité par la préciosité, le fond gardait sa boue.
Les plus prudes et les plus honnêtes soutenaient des relations suivies avec Ninon de Lenclos. On sait en quels termes madame de, Sévigné, une mère, badinait sur les débauches de son fils. La cynique société du Marais d'ailleurs, où Condé, Molière, la Rochefoucauld rencontraient le duc de Vendôme, cette société faisait concurrence à l'hôtel Rambouillet.
Ce monde-là préparait la Régence. Le XVIIe siècle nous donne le mot du XVIIIe. Quiconque a étudié les gloires de l'un ne s'étonnera plus des hontes de l'autre; il en a perdu le droit.

Que devient la famille, entre les vices pompeux du Roi Soleil qu'escortent les vices bien portés des courtisans, et les orgies à bride abattue d'un Régent, d'un Dubois, d'une meute acharnée après toutes les corruptions?

Ce n'est pas tout. La religion, comme au temps des Pères, comme au moyen âge, se met contre la famille. Au nom de la religion, les familles protestantes sont traquées, violentées, séparées; le mari jeté sur les galères du roi, la femme écrouée au couvent; des plus heureux, l'un s'enfuit par les montagnes, cherchant refuge au pays étranger; l'autre, pour sauver un morceau de pain, pour effectuer des ventes qui sont des ruines, reste dans le logis désert et périlleux. Il rejoindra! non, il rejoint rarement; c'est la chiourme qui le voit arriver; c'est le gibet, c'est la roue qui le voient finir. Un édit, celui de 17 juin 1681, autorise les enfants à se faire catholiques; l'âge de raison, requis pour un tel acte, est l'âge de sept ans; et comme ces émancipés pourraient, ne pas comprendre d'emblée toute l'étendue du bienfait, on les aide en les enlevant (8)!

La famille catholique, j'entends sa personne morale, ne s'en tire pas mieux. Si vous voulez savoir comment sa religion la traite, ouvrez les panégyriques de Bossuet : saint Sulpice, sainte Thérèse, saint Benoît; lisez l'homélie sur l'état religieux; prenez les sermons de vêtures, les discours à propos des fêtes de la Vierge Marie; vous verrez ce qu'il fait de la famille, le grand catholique, et à quel rang le mariage est placé 1 Ecoutez Fénelon, le docteur aux paroles onctueuses, au coeur didactique et froid; que fait-il de la femme, par conséquent du mariage., par conséquent de la famille et du foyer? Regardez cet état rabattu, ces perspectives courtes, ce quelque chose d'asservi, de mesquin, d'étroit, où l'on étouffe! Les dédains de l'antiquité ont disparu, les sourires de Montaigne se sont éteints; un arrêt anguleux et tranchant les a remplacés : c'est l'infériorité de la femme> non point constatée - nos saints hommes s'embarrassent bien de cela, - mais affirmée, proclamée, exigée ! Et vous chercheriez en vain l'aide semblable à lui que Dieu avait mise près de l'homme, « parce qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul ».

Madame de Maintenon, d'un mot sec et glacé comme elle, achève le tableau. Elle dit à Louis XIV qui meurt - touchant adieu entre deux époux: - « La mort n'est pénible que lorsqu'on a de la haine ou de l'attachement aux créatures! »

Fénelon, Bossuet, madame de Sévigné, la Fontaine, la Bruyère, la Rochefoucauld, ont admiré ce mot-là (9) !

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1. Il en est qui vont plus loin, et qui embrassent la mendicité; d'autre poussent la vie sainte jusqu'à ce point suprême: la saleté! Voyez Labre, François d'Assise, etc.
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2. Évangile selon saint Matthieu, XXIII.
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3. Évangile selon saint Matthieu, XXIII.
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4. Genèse.
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5. Cantique des cantiques.
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6. Saint Matthieu.
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7. Cantique des cantiques.
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8. Pour mesurer le chemin que, grâce à Dieu, nous ont fait parcourir les pays de la Bible, ces éclaireurs et ces entraîneurs, regardez le scandale, je dis européen, qu'a causé la séquestration du jeune Mortara, suivie de sa conversion.
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9. Il appartenait de le dire à cet esprit politique, le moins féminin possible, qui a toujours calculé, qui n'a jamais senti, trop étranger à toute espèce d'attachement pour être même égoïste, qui regardait pisser choses et gens d'une même indifférence, vulnérable en ce seul point, de gouverner un royaume ou de petites filles, peu importe, pourvu qu'il gouvernât.
Quant à la famille, à ce qu'en pensait madame de Maintenon, relisez ses lettres sur le mariage de son frère, et rappelez-vous les enlèvements d'enfants!
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