Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VII

LES EFFETS DE L 'ÉVANGILE

-------

Je n'attribue rien au christianisme qui ne soit constaté par les faits.
Parmi les faits, n'oublions pas celui-ci.: le christianisme, lorsqu'il commença d'agir sur la société païenne, altéré déjà, ayant perdu beaucoup de sa pureté primitive, avait perdu beaucoup de sa vigueur. Admirons les prodigieuses transformations qu'il a opérées, ne lui demandons pas la réalisation de l'absolu.
Tenons grand compte aussi de cet autre fait : le christianisme, lorsqu'il entreprit la réforme du monde païen, rencontrait devant lui non plus ces petits troupeaux, recrutés en partie au sein d'une nation que la Bible avait, durant des siècles, éclairée; non plus ces fortes croyances - exigeantes parce qu'elles sont affamées de perfection - que produit la conversion personnelle; l'Évangile, à qui de grands coups de filet amenaient des populations au heu d'individus, rencontrait devant lui toute une civilisation pourrie, tout un corps mort, sourd, inerte et résistant. Admirons les victoires remportées, saluons les progrès obtenus; toutefois n'exigeons de ces vastes sociétés à moitié plongées encore dans le bourbier des appréciations et des habitudes antiques, ni la sainteté ni les délicatesses du sens moral que nous présentent les premières Églises de Judée, par exemple, alors que la Parole, de Dieu, dans toute l'énergie que lui conservait l'inviolable fidélité des apôtres, s'imposait à des coeurs mauvais, je l'accorde, mais qui n'ignoraient pas Dieu; alors qu'elle saisissait des consciences trop souvent désobéies, j'y consens, mais qui savaient pourtant ce que c'est que la sainteté de Dieu.
De toutes façons et quoi qu'il en soit, à travers bien des erreurs, renversant bien des obstacles, l'Evangile, a régénéré les moeurs, il a redressé les lois.
Entrons dans le vif.

La polygamie ne résiste pas un instant à L'Evangile; elle ne l' essaye même pas. En présence de cette déclaration : « Ils ne sont plus deux, mais un! », pas une hésitation n'est possible : dès qu'arrive l'Evangile, la polygamie s'en va.
Le concubinat, cette lèpre latine, ce dégoûtant simulacre de l'union conjugale qui s'étalait au plein jour avec des airs de légitimité, ne tient pas davantage. Honteux de lui-même et sentant bien qu'il est condamné, le concubinat fléchit, recule, se cache, disparaît des lois à mesure que s'avance, austère et pur, le chaste mariage, le mariage chrétien.
Avec le divorce, il y a plus à faire; les racines en plongent plus avant dans le sol antique et païen. Le divorce affecte en certains cas des apparences de justice; il affiche un respect du droit, une jalousie de l'honnêteté, des ménagements pour la liberté mutuelle, qui réussissent parfois à tromper la conscience tout en satisfaisant les pires instincts du coeur. La législation chrétienne, indécise, mal affermie, ne touche d'abord au divorce que d'un doigt timide; elle l'arrache à moitié. Mais dès qu'il est maître, l'Évangile ne se contente ni de moitié ni d'à peu près; il veut tout; et le divorce à son tour s'effacera des législations.

Le sol une fois déblayé, il s'agit de bâtir. Soyez tranquilles, l'Évangile n'y manquera point.
La femme mineure, assujettie, fille du mari et non sa compagne, s'en va pour ne plus revenir. L'épouse l'a remplacée. Les lois impériales travailleront incessamment à réserver ses droits, à rétablir sa dignité.
Voici la mère. Des édits, l'un après l'autre, consacrent son intervention dans l'éducation, dans le consentement au mariage, dans tous les actes essentiels de la vie des enfants.
Les enfants à leur tour, cette chose que le père abandonnait, exposait, vendait, tuait, les enfants prennent leur place au soleil. Le despotisme paternel, tel que l'avait fait l'ancien droit romain, s'évanouira devant l'autorité paternelle comme l'Évangile l'a donnée. Ici, néanmoins, de même que lorsqu'il s'agissait du divorce, le mal, plus habilement dissimulé sous un semblant légitime; les tyrannies égoïstes, revêtues, on le dirait, de toute la majesté d'un principe divin, mettront plus de temps à finir. L'exposition des enfants, la vente des enfants, battues en brèche dès le début, persistent, et il faudra l'infatigable ténacité de l'Evangile, il faudra cette succession d'efforts produisant cette série d'adoucissements, chemin plein d'épines et de cailloux que connaissent tous les pionniers du Christ, pour arriver au but.

Que manque-t-il à la famille? Rien. Sitôt que l'Évangile a triomphé, vous trouvez la famille debout, ressuscitée. Elle vit dans les législations. Elle vit dans le gouvernement des affaires, distincte de la chose publique, lui prêtant son appui, mais ne se laissant ni dominer ni envahir. Elle vit dans les sociétés, qu'elle réforme. Elle vit dans les philosophies, qui sont forcées de compter avec son influence. Elle vit dans les littératures, qu'elle pénètre d'une douceur, d'une émotion, d'un charme inconnu aux lettres antiques - si bien que les Pline, les Sénèque, les Plutarque, les Marc-Aurèle, tant d'autres, idolâtres encore, ils se le figurent, ne sont plus ni des auteurs anciens ni des auteurs païens.

L'esclavage, l'ennemi de, la famille, qu'il soustrait aux devoirs en la soustrayant au travail, dont il détruit les liens, car il corrompt les coeurs; l'esclavage, cette victime, ce tentateur, pourriture sans cesse en ébullition, foyer de toute pestilence, type de toute misère; l'esclavage cédera. L'Evangile en aura raison. A mesure que l'Évangile, marchera, cette monstruosité d'un homme vendu, acheté, assassiné, conspué par un autre homme, vous ne la verrez plus. Et la famille, dégagée de son parasite, nettoyée de sa gangrène, guérie de ses torpeurs, réintégrée dans son beau droit au travail, la famille s'épanouira librement dans un air salubre imprégné de liberté.
Ainsi naît le monde moderne. La société moderne a commencé. Une éclosion d'idées nouvelles s'est produite. Un ensemble d'obligations et de sentiments ignorés jusque-là, tendresses profondes, éternelles et saintes, telles que n'en avait jamais éprouvé l'antiquité classique, est venu féconder l'âme humaine. Qu'elle résiste on qu'elle consente, l'âme humaine en vit.
C'est elle qui, étreinte par l'Evangile, régénérée par l'Évangile, saisissant à son tour les législations, - ce dur, cet implacable droit romain, - les adoucit, les pétrit, les transforme, et, de Constantin, qui a posé les fondations de l'édifice, jusqu'à Justinien, qui en a placé le couronnement, dresse aux sentiments naturels, à la dignité de la femme, à l'excellence de la famille, à l'oeuvre immortelle de Dieu, un monument qui verra périr les siècles, mais que les siècles ne verront jamais périr (1).

.

1. Ces empereurs sont souvent méprisables, ces législateurs ne sont pas toujours dignes d'estime; on peut regretter dans la rédaction de ces lois le style magistral de l'ancien droit romain. Disons-le cependant, l'oeuvre, imparfaite et mélangée de mal (le christianisme lui-même avait vite perdu sa pureté), l'oeuvre telle quelle, avec ses défectuosités, n'en reste pas moins une des plus grandes que l'homme, éclairé par l'Evangile, ait accomplies ici-bas.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant