51. Comme je le disais donc : en premier lieu, il n'était pas permis de mener une vie de plaisirs;
d'autre part, alors même que
rien de tout
cela n'eût été défendu, que tout eût
été autorisé, le mariage présente en
contrepartie autant de sources de tristesse et de douleur; ou
plutôt elles sont tellement plus nombreuses et plus graves que
nous ne retirons pas la moindre sensation de ces avantages et que le
plaisir qu'ils promettaient brille par son absence.
52. Supposons, en effet, veux-tu, un mari naturellement jaloux, ou encore ayant contracté ce mal pour un motif sans fondement : que pourrait-on concevoir de plus pitoyable qu'une telle âme ?
Quelle guerre, quelle tempête comparer à une telle maison pour trouver l'image exacte ? partout la douleur, partout les soupçons, la discorde, le désordre. L'homme frappé de cette folie n'est guère mieux partagé que les démoniaques ou les malades mentaux, tant il ne cesse de gesticuler, de bondir, de déverser sa hargne sur tout le monde, de déchaîner toujours sa colère contre ceux qu'il a sous la main, même s'ils n'y sont pour rien : serviteur, fils ou n'importe qui d'autre. Le plaisir s'en est allé, ce n'est que tristesse, affliction, humeur morose. Qu'il reste chez lui, qu'il se rende sur l'agora, qu'il entreprenne un voyage, partout il fait renaître ce mal, plus redoutable que toute mort, qui aiguillonne et irrite son âme, sans lui accorder de répit. Car cette maladie n'enfante pas seulement le chagrin, mais encore, d'ordinaire, un ressentiment intolérable. Chacun de ces maux par lui-même suffirait à perdre sa victime; quand ils se réunissent tous pour l'assiéger, qu'ils le harcèlent sans relâche, sans le laisser respirer un seul instant, combien de morts seraient plus terribles ? Qu'on parle de la plus extrême pauvreté, d'une maladie incurable, du feu, du fer, on n'exprimera rien d'équivalent : ceux-là seuls qui en ont fait l'expérience le savent bien; aucun discours ne pourrait traduire l'extraordinaire gravité de ce fléau.
Quand une femme qu'on chérit par-dessus tout, pour laquelle avec joie on donnerait jusqu'à sa vie, quand on est contraint de la suspecter sans cesse, est-il chose au monde capable d'apporter un réconfort ? Qu'il faille se livrer au sommeil, prendre nourriture ou boisson, le jaloux s'imaginera la table couverte de poisons mortels plutôt que de nourritures; sur sa couche, il ne cessera pas un moment de trembler, il s'agite et se retourne comme sur un lit de charbons ardents. Ni la société des amis, ni le souci de ses affaires, ni la crainte des dangers, ni le comble du plaisir, rien ne pourra le soustraire à pareil ouragan; avec plus de violence que toute joie, que toute peine, cette tempête prend possession de son âme.
Pour l'avoir bien observé, Salomon disait : "La jalousie est cruelle comme la mort", (Can 8,6) et puis encore : "La colère pleine de jalousie de son mari ne l'épargnera pas au jour du Jugement; aucune compensation ne le fera renoncer à sa haine et le nombre des présents ne pourra non plus l'apaiser". (Pro 6,35-36).Telle est la rage où se porte cette maladie que même le châtiment du coupable ne parvient pas à dissiper la douleur. Beaucoup de maris, bien souvent, ont supprimé l'homme adultère sans avoir la force de supprimer leur ressentiment et leur chagrin. Il en est même qui, après avoir tué leur femme, ont conservé intact, avivé même, le foyer qui les consumait. Et le mari vit en compagnie de tous ces maux, même lorsqu'il n'y a rien de vrai; quant à cette malheureuse, cette infortunée, elle endure des tourments beaucoup plus pénibles que son mari.
Quand celui qui devait être pour elle un réconfort dans toutes ses peines, dont elle aurait dû attendre l'assistance, quand elle le voit transformé en bête sauvage et devenu son pire ennemi, où pourra-t-elle désormais jeter ses regards ? Auprès de qui chercher asile ? Où trouver le remède à ses souffrances, puisque le port est fermé devant elle et semé d'innombrables écueils ? Et dans ces circonstances, domestiques et servantes la traitent de façon plus outrageante que son mari. Ces gens-là sont toujours soupçonneux et ingrats, mais quand s'offre à eux l'occasion d'une plus grande licence, quand ils voient la discorde entre leurs maîtres, ils prennent dans le conflit qui les oppose un prétexte excellent pour donner libre cours à leur grossièreté naturelle. Il leur est alors possible en toute sécurité d'inventer et d'imaginer tout ce qu'ils veulent et, par leurs calomnies, de donner plus de consistance aux soupçons. Car l'âme une fois possédée par cette pernicieuse maladie est prompte à tout accepter, elle prête à tous la même oreille attentive, refuse de distinguer les sycophantes de ceux qui ne le sont pas, et même leur paraissent les plus dignes de foi ceux qui accroissent leurs soupçons, ceux qui s'ingénient à les dissiper.
De la sorte, il ne lui reste plus qu'à craindre et qu'à trembler pareillement devant les gens de sa maison : ces vauriens d'esclaves et leurs femmes; elle n'a plus qu'à leur laisser la place qui lui revient et prendre la leur. Quand pourra-t-elle vivre sans larmes ? Quelle nuit ? Quel jour ? En quelle fête ? Quand cesseront les soupirs, les lamentations, les sanglots ? Menaces, insolences, insultes perpétuelles - soit de la part d'un mari à la blessure imaginaire, soit de la part de misérables serviteurs - surveillances, espionnages : partout la crainte et la terreur. Car ce ne sont pas seulement les entrées et sorties qui sont l'objet d'inquisition, mais encore les propos, les regards, les soupirs sont soumis à l'examen le plus attentif; nécessité pour elle ou bien de garder l'immobilité de la pierre, de tout endurer en silence, d'être toujours rivée à sa chambre, plus cruellement qu'un prisonnier. Ou alors, si elle veut ouvrir la bouche, se plaindre, sortir de chez elle, il lui faut rendre compte de tout, se justifier devant ces juges corrompus, je veux dire devant les servantes et la foule des domestiques.
Au milieu de ces misères, si tu le veux, place une fortune inouïe, une table somptueuse, des troupes de serviteurs, l'éclat du nom, l'étendue de la puissance, une réputation immense, le lustre des aïeux. N'omets absolument rien de ce qui passe pour rendre l'existence enviable, rassemble soigneusement tous ces avantages et compare-les à cette souffrance : tu ne verras même pas l'ombre du plaisir qu'ils promettent, il se sera évanoui comme s'éteint, naturellement, une petite étincelle tombée dans l'immense océan. Voilà ce qu'il en est quand le mari est jaloux, mais si jamais cette maladie se transmet à l'épouse - éventualité qui n'est pas rare - l'homme s'en trouvera mieux que la femme, mais c'est sur cette malheureuse que retombe encore la majeure partie de la souffrance. Car elle ne pourra disposer des mêmes armes contre l'objet de ses soupçons. Quel homme en effet acceptera, sur l'ordre de sa femme, de ne pas bouger de chez lui ? Quel est celui des domestiques qui aura l'audace d'espionner son maître sans être sur-le-champ jeté au cachot ? Elle ne pourra donc pas user de ce moyen pour se rassurer ni, bien sûr, exhaler sa colère verbalement : une fois peut-être ou deux le mari tolérera sa mauvaise humeur; mais si elle n'arrête pas de récriminer, il lui fera comprendre bien vite qu'il est préférable de supporter la situation et de dévorer son mal en silence. Et cela pour de simples soupçons; mais si d'aventure le mal est réel, personne ne pourra arracher la femme des mains du mari outragé; la loi venant à son aide, il traîne devant les tribunaux celle qu'il chérissait plus que tout au monde et la fait exécuter.
Tandis que l'homme échappe
au
châtiment de la loi; c'est au jugement d'En-Haut, au jugement
de Dieu, qu'il est réservé, mais c'est insuffisant pour
réconforter cette malheureuse, qui devra endurer une mort
lente et pitoyable, par les charmes ensorcelés, par les
poisons que les femmes adultères savent préparer. Il en
est qui n'ont même pas besoin de comploter contre leurs
victimes, celles-ci les ont prévenues, emportées par la
violence de leur désespoir. En sorte que, même si tous
les hommes se précipitaient vers le mariage, les femmes ne
devraient pas lui courir après; car elles ne peuvent
prétendre que la tyrannie du désir chez elles est aussi
grande et d'autre part elles récoltent la majeure partie des
misères conjugales, comme nous l'avons
précisément démontré. Quoi ? me
dira-t-on, ces ennuis sont-ils le lot de tous les mariages ? Du
moins
tous n'en sont pas exempts, tandis qu'ils sont à cent lieues,
toujours, de la virginité. La femme mariée, même
si elle ne tombe pas dans le malheur, éprouvera la crainte du
malheur; car il est impossible qu'une femme qui va partager la vie
d'un homme ne suppute et ne redoute tous les maux inhérents
à la vie commune. La vierge, elle, est affranchie non
seulement des misères du mariage mais aussi de
l'appréhension. Cela n'est pas le lot de tous les mariages. Je
ne le prétends pas non plus, mais à défaut de ce
mal, il s'en trouve beaucoup d'autres et si l'on parvient à
les éviter encore, il sera absolument impossible de les
éviter tous. C'est comme pour les ronces qui s'accrochent aux
vêtements quand on franchit les haies : appliquez-vous à
en arracher une, d'autres plus nombreuses vous retiennent; il en est
de même pour les ennuis du mariage : échappez à
celui-ci, celui-là vous transperce, évitez l'un, vous
bronchez sur cet autre. En bref, il n'est pas possible de trouver un
mariage libre de tout désagrément.
53. Mais, veux-tu ? laissons maintenant de côté ses misères, considérons ce qui passe dans le mariage pour le comble de la félicité, ce que tant de gens très souvent - disons plutôt tout le monde - souhaitent d'obtenir et examinons de près la chose.
De quoi s'agit-il ? De ceci
: un homme pauvre,
simple, modeste, épouse une femme issue d'une maison
importante, puissante et très riche. Eh bien ! cette situation
si enviable, nous allons voir qu'elle ne comporte pas moins de
tribulations que celle, si détestable, définie plus
haut. Les femmes en effet sont généralement
orgueilleuses, et plus faibles que les hommes - aussi sont-elles
plus
facilement sujettes à ce défaut - mais dans le cas
où elles disposent d'aliments nombreux à cet orgueil,
plus rien n'est capable de les retenir. Comme une flamme qui
s'empare
d'un combustible, elles se montent le cou à un point
inouï, renversent l'ordre des choses et mettent tout sens dessus
dessous; car la femme ne laisse pas l'homme demeurer à sa
place de tête de la famille, mais sous l'effet d'une
présomption démenti elle, elle le repousse de ce rang
et le relègue au sien, le rang de la subordination, devenant
elle-même la tête et le chef. Quoi de pire que ce
désordre ? Sans parler des reproches, des affronts, des
vexations - ce qui est plus intolérable que tout !
54. Et si l'on me disait - pour ma part, je l'ai entendu dire bien souvent quand on parle de ce sujet : qu'elle soit riche seulement et qu'elle ait de la fortune.
Je me fais fort de rabaisser
et de rabattre sa
présomption. Tenir ce langage, c'est ignorer d'abord que
l'entreprise est des plus difficiles, et puis, serait-elle possible,
qu'elle entraîne un grave préjudice : si la femme est
soumise par contrainte, dans la peur et sous la violence, aux ordres
de son mari, la situation en sera beaucoup plus pénible et
désagréable que si elle exerce sur lui une
complète autorité. Pourquoi cela ? parce que cette
violence chasse toute affection et tout plaisir; or, quand il n'y a
plus affection ni désir amoureux, mais à la place
terreur et contrainte, que peut valoir désormais un tel
mariage ?
55. Voilà quand la femme est fortunée, mais si d'aventure elle ne possède rien alors que le mari est riche...,
d'épouse elle devient
servante, de femme
libre, esclave; elle perd l'assurance qui convient à son
rôle et son sort n'a rien à envier à celui des
esclaves qu'on achète; son mari veut-il se livrer à la
débauche, à l'intempérance, introduire dans le
propre lit de sa femme une foule de courtisanes, force lui est de
tout supporter avec le sourire, ou alors de quitter la maison. Et ce
n'est pas là le plus terrible : avec un pareil mari, elle ne
pourra plus donner un ordre librement aux domestiques et aux
servantes, elle vit comme une intruse qui profite de ce qui ne lui
appartient pas, son compagnon est un maître plutôt qu'un
époux, aussi est-elle obligée de tout faire et de tout
souffrir. Supposez maintenant qu'un homme veuille épouser une
femme de condition équivalente, ici encore
l'égalité est compromise par la loi de
l'obéissance, bien que des conditions de fortune identiques
invitent la femme à être l'égale de son mari. A
quoi nous déterminer, vraiment, au milieu de toutes ces
difficultés qui nous cernent ? Et ne m'oppose pas ces
rarissimes mariages, trop faciles à compter, qui ont
échappé à ces maux : car ce n'est pas
d'après des exceptions, mais d'après leurs effets
habituels qu'il faudrait définir les choses.
56. Dans la virginité, en effet, il est difficile, disons plutôt impossible, que se rencontrent ces ennuis; dans le mariage, il est difficile qu'ils ne se rencontrent pas.
Et si, dans les unions considérées comme heureuses, se produisent tant de désagréments, tant de malheurs, que dire de ce qui passe sans conteste pour des misères ? La femme en effet a plus d'une mort à redouter, bien qu'elle ne doive mourir qu'une fois, plus d'une âme pour qui s'inquiéter, bien qu'elle n'en possède qu'une; elle tremble pour son mari, elle tremble pour ses enfants, elle tremble pour leur famille, femmes et enfants, et plus la racine a poussé de rejetons, plus s'accumulent les soucis; qu'à l'une ou l'autre de ces personnes arrive un malheur, perte d'argent, maladie, quelque accident fâcheux, le sort l'oblige à se désoler, à se lamenter tout autant que les victimes elles-mêmes. Si tous quittent ce monde avant elle, c'est une souffrance intolérable; et si les uns restent tandis que les autres sont ravis par une mort prématurée, elle ne saurait trouver, même en ce cas, une consolation sans mélange. Car les craintes continuelles qui ébranlent son âme pour les vivants ne le cèdent en rien à la peine éprouvée pour les disparus, disons même, pour étonnant que cela soit, elles sont plus pénibles. Car le temps adoucit le chagrin dont les morts sont la cause, mais nos soucis pour les vivants n'ont pas de cesse, la mort seule peut y mettre un terme. Et si nous ne suffisons pas à nos propres épreuves, quelle vie sera la nôtre, si nous devons pleurer sur les malheurs d'autrui ?
Bien des femmes souvent,
nées de parents
illustres, élevées dans le plus grand luxe, se sont
mariées à quelque puissant du monde, et soudain, avant
qu'elles aient savouré ce bonheur, un danger fond sur elles,
comme une tempête ou une bourrasque, et les voilà, elles
aussi, submergées, livrées aux horreurs du naufrage;
elles qui jouissaient de biens innombrables avant le mariage, le
mariage les a plongées dans la dernière infortune. Mais
ici encore, objecte-t-on, ces malheurs n'arrivent pas dans tous les
mariages ni toujours. Du moins ils ne les épargnent pas tous -
oui, moi aussi, je vais me répéter - certains en font
directement l'expérience, quant à ceux qui peuvent y
échapper, c'est par l'appréhension qu'ils les
tourmentent. La vierge se trouve toujours placée au-dessus de
l'expérience et de l'appréhension.
58. Au reste, veux-tu ? laissons cela de côté; venons-en à l'examen des ennuis inhérents au mariage et auxquels personne, bon gré mal gré, ne peut se soustraire.
Quels sont ces ennuis ? Les douleurs de la gestation, de la naissance, les enfants. Mais plutôt reprenons les choses de plus haute informons-nous de ce qui précède le mariage - dans la mesure du possible, car pour le savoir avec exactitude, il faut y être passé ! Le temps des fiançailles est arrivé, et des soucis de toutes les couleurs se présentent aussitôt en rangs serrés : quel mari va-t-elle avoir ? Ne sera-t-il pas de basse naissance, de mauvaise réputation, suffisant, fourbe, hâbleur, effronté, jaloux, petit esprit, sot, méchant, brutal, efféminé ? Tout cela, bien sûr, n'échoit pas forcément à toutes les jeunes filles qui se marient, mais pour tout il leur faut se faire de l'inquiétude et du souci. Comme elle ignore encore quel mari le sort lui donnera, comme elle est encore dans l'incertitude sur ce qui l'attend, son âme s'alarme et frémit à tout sujet; pas une de ces éventualités qui ne se présente à sa pensée. Et si quelqu'un vient prétendre qu'elle peut tout aussi bien espérer le contraire et se trouver alors dans la joie, qu'il retienne bien ceci : l'espoir du bonheur ne nous réconforte jamais autant que la crainte du malheur ne nous afflige.
L'espoir du bonheur ne procure de plaisir que s'il est sûr, pour le malheur un simple soupçon suffit pour jeter aussitôt dans l'âme le trouble et le désarroi. C'est comme pour les esclaves : l'ignorance où ils sont des maîtres qu'ils vont avoir ne laisse à leur âme aucun instant de repos; ainsi pour les jeunes filles : leur âme, pendant tout le temps des fiançailles, ressemble à un navire ballotté dans la tempête, car chaque jour leur famille agrée et refuse tour à tour les prétendants. Le vainqueur de la veille, un autre prétendant l'évince le lendemain, et ce dernier, à son tour, un troisième l'élimine. Parfois même au seuil du mariage, l'époux qu'on attendait se voit éconduit les mains vides, et les parents remettent la jeune fille à un prétendant imprévu. Ce n'est pas seulement le lot des femmes, les hommes aussi éprouvent des soucis cruels : sur leur compte, en effet, il est possible de se renseigner, mais pour la femme, continuellement cloîtrée chez elle, quel moyen de s'informer de son caractère ou de son physique ? Et cela pendant le temps des fiançailles; mais quand le jour du mariage est arrivé, l'angoisse redouble, le plaisir s'efface devant la crainte; crainte qu'elle ne paraisse dès ce soir-là dépourvue d'attraits et bien au-dessous de ce qu'on avait espéré.
Louanges au début, mépris plus tard, c'est supportable; mais si elle inspire la répulsion dès la ligne de départ, pour ainsi dire, quand donc pourra-t-elle à l'avenir inspirer de l'admiration. Et ne me dis pas : Eh quoi ? si elle est belle fille ? Même ainsi, elle n'est pas à l'abri de cette inquiétude. Bien des femmes d'une remarquable beauté ne réussissent pas à captiver le coeur de leur mari, qui les abandonne pour se livrer à d'autres qui ne les valent pas, et de loin ! Et, cette inquiétude dissipée, une autre surgit aussitôt; sur les désagréments que cause le règlement de la dot - le beau-père qui s'exécute de mauvaise grâce, car pour lui c'est un dépôt à fonds perdus; le marié pressé d'entrer en possession de tout, mais honteux d'employer la contrainte pour se faire payer; la jeune femme humiliée par ce retard à s'acquitter et rougissant surtout devant son mari d'avoir pour père un mauvais débiteur, sur ces désagréments, je passe ici. Cette inquiétude dissipée, donc, la crainte de la stérilité aussitôt pénètre en son coeur et aussi, inversement, celle d'une trop nombreuse progéniture; comme elle est dans l'incertitude encore à ce sujet, ces deux soucis contraires la bouleversent dès le début. Si très vite elle est enceinte, la joie se mêle encore de crainte.
Rien dans le mariage n'est exempt de crainte : crainte qu'une fausse couche ne survienne, que l'enfant conçu ne meure et que la parturiente ne coure un danger mortel. Si d'autre part l'attente se prolonge, la femme n'ose plus ouvrir la bouche, comme si elle était maîtresse de son accouchement. Et au moment d'accoucher, les douleurs frappent et déchirent ce ventre depuis si longtemps à l'épreuve, douleurs capables à elles seules de rejeter dans l'ombre toutes les joies du mariage. Et d'autres inquiétudes se joignent à celles-ci pour la tourmenter : la malheureuse et l'infortunée jeune femme, quoique à ce point torturée par ces souffrances, éprouve une crainte non moins vive, celle de mettre au monde un être souffreteux et infirme au lieu d'un enfant bien conformé et sain, au lieu d'un garçon une fille. Cette angoisse en effet ne les tourmente pas moins à ce moment que les douleurs physiques; car ce ne sont pas seulement les choses dont elles sont responsables, mais celles où elles ne sont pour rien qui les font trembler, tout autant, devant leurs maris; négligeant de songer à leur propre sécurité, dans une situation aussi critique, elles appréhendent un événement qui n'ait pas l'approbation de leur époux. Et à peine l'enfant est-il venu au monde, à peine a-t-il poussé son premier cri, que d'autres soucis encore prennent le relais, car il s'agit de le conserver en vie et de l'élever. S'il se trouve avoir une bonne nature, portée à la vertu, voilà de nouveau ses parents dans les transes : crainte que leur rejeton ne soit victime d'un malheur, d'une mort prématurée, qu'il ne se laisse entraîner à quelque vice. Car on ne passe pas seulement de la mauvaise à la bonne conduite, mais aussi de l'honnêteté à la malfaisance et à la méchanceté. Et si l'une de ces éventualités redoutées se réalise, c'est un coup plus accablant que s'il eût été porté dès le premier jour.
Au reste, ne parlons plus de tout cela, ne reprochons rien au mariage : du moins ne pourrons-nous pas pour autant lui faire grâce d'un dernier grief. Lequel ? le sort qu'il réserve à l'homme bien portant n'est pas meilleur que celui du malade, il le plonge dans la même détresse que l'homme alité. Faisons encore abstraction, veux-tu de tout cela; supposons l'impossible et accordons au mariage d'englober toutes les conditions du bonheur : nombreux et beaux enfants, de l'argent, une femme sage, belle, intelligente, une bonne entente, une longue vieillesse. Ajoutons aussi l'éclat de la race, l'étendue de la puissance, admettons que cette affection dont nous souffrons tous ne les importune pas : la crainte d'un revers de fortune; bannissons tout sujet de chagrin, toute occasion de souci et d'inquiétude; supposons qu'aucun autre motif, aucune mort prématurée ne vienne briser le lien du mariage, que tous même accueillent la mort le même jour, ou encore, ce qui passe pour être le comble de la félicité, que leurs enfants leur restent pour hériter, et qu'ils escortent à leur dernière demeure leurs père et mère ensemble après une longue vieillesse. Et pour quel résultat ? Quel profit retireront-ils d'un plaisir aussi complet, au moment de partir pour l'autre monde ? avoir laissé de nombreux enfants, avoir possédé une belle femme, au milieu du luxe et de tous les avantages énumérés à l'instant, être parvenu à une longue vieillesse, de quoi cela pourra-t-il nous servir en présence du tribunal, devant les choses éternelles et véritables ? De rien.
Tout cela n'est-il pas une
ombre et un songe.
Puisque dans les siècles qui nous attendent là-haut et
qui n'ont point de terme, nous ne pourrons des biens de la terre
retirer aucun profit ni bénéficier d'aucune
consolation, il nous faut mettre sur le même plan de les avoir
ou non possédés. Supposons en effet un homme qui, en
l'espace de mille ans n'aurait été qu'une seule nuit
visité par un songe agréable : nous ne lui
reconnaîtrons aucun avantage sur celui qui n'a pas joui de
cette vision. Et encore ces mots n'expriment-ils pas toute ma
pensée, car s'il y a loin du songe à la
réalité, il n'y a pas autant de la vie d'ici-bas
à la vie d'en-haut, mais beaucoup plus encore. Et ce qu'est
une seule nuit en mille années ne représente pas non
plus le temps de la terre par rapport au temps à venir;
là encore la différence est bien plus importante. Tel
n'est pas le sort de la vierge : elle quitte ce monde largement
pourvue. Mais plutôt reprenons les choses par le commencement.
59. La vierge n'est pas obligée de s'informer sur son époux et elle ne craint pas d'être abusée.
C'est Dieu en effet, non un
homme, c'est un
Maître, non un compagnon d'esclavage. Voilà la
différence entre les deux époux; considère aussi
les conditions de leur union. Pas question d'esclaves, de
plèthres de terrain, de tant et plus de talents d'or, non,
mais les cieux et les biens célestes sont les présents
de noces de cette fiancée. En outre, si la femme mariée
redoute la mort entre autres raisons parce qu'elle la sépare
de son compagnon, la vierge, elle, désire le trépas, la
vie est un fardeau pour elle, tant elle a hâte de voir son
Époux face à face et de jouir de cette gloire.
60. Et puis, la pauvreté de son état ne saurait, comme dans le mariage, lui être préjudiciable :
au contraire, elle rend plus chère encore à son époux celle qui la supporte volontairement; ainsi pour sa bassesse d'origine, ainsi pour l'absence de beauté physique, et toute autre chose du même genre. Que dis-je ? même si elle n'est pas de condition libre, cela non plus ne compromet pas ses fiançailles; c'est assez de montrer la beauté de son âme et d'occuper le premier rang. Elle n'a pas ici à craindre la jalousie, elle n'a pas à souffrir les affres de l'envie pour une autre femme qui a épousé un homme plus brillant. Il n'y a pas d'époux semblable au sien, égal au sien, qui en approche même si peu que ce soit; dans le mariage au contraire, même si une femme a pour mari un homme extrêmement riche et très puissant, elle pourra toujours en trouver une autre mieux pourvue qu'elle. Or il est sensiblement diminué, le plaisir que nous éprouvons à surpasser nos inférieurs, quand nous songeons à la supériorité de ceux qui nous dépassent, et la vie de bien-être que supposent objets en or, vêtements, bonne table et autres commodités, est bien propre à appâter une âme et à l'allécher. Et combien de femmes jouissent de ces avantages ? La plupart des hommes en effet passent leur vie dans la pauvreté, les misères et les épreuves. Si quelques femmes disposent de ces biens, elles sont rarissimes, on peut les compter sur les doigts, de plus, elles agissent contre la Volonté de Dieu. Car il n'est permis à personne de vivre au milieu de ces plaisirs, comme nous l'avons montré précédemment.
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