Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Traité de la Virginité

saint Jean Chrysostome

suite point N° 21 à 30


 21. Il faudrait donc, comme je le disais, même si pareille accusation ne présentait aucun danger, nous en abstenir au moins pour les raisons exprimées plus haut.

Mais en fait, la chose comporte un grave danger; ce n'est pas seulement "Celui qui s'assied et parle contre son frère et diffame le fils de sa mère" (Ps 49,20) qui sera puni, mais aussi l'homme qui entreprend de calomnier des oeuvres belles aux yeux de Dieu. Écoute plutôt ce que dit un autre prophète traitant précisément ce sujet : "Malheur à celui qui appelle le mal bien et le bien mal, qui fait des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui fait ce qui est doux amer et ce qui est amer doux." (Is 5,20). Quoi de plus agréable que la virginité, de plus beau, de plus lumineux. Elle lance en effet des éclats plus étincelants que les rayons du soleil, nous détourne de toutes les choses de la terre et nous dispose à contempler sans ciller, avec des yeux purs, le soleil de la justice. Voilà ce qu'Isaïe proclamait à l'adresse de ceux qui portent en eux des jugements dépravés.

Écoute encore ce que dit un autre prophète à l'adresse des gens qui profèrent contre autrui ces paroles pestiférées; il commence par la même exclamation : "Malheur à celui qui fait boire son prochain en lui versant du poison." (Hab 2,15). Le mot "malheur" n'est pas une simple façon de parler, mais une menace qui annonce pour nous un supplice indicible et impitoyable; car c'est à propos de ceux qui ne peuvent plus détourner de leur tête le châtiment imminent que cette expression est employée dans les Écritures. Et un autre prophète a dit encore, en s'en prenant aux Juifs : "Vous avez fait boire du vin aux hommes consacrés." (Am 2,12). Si faire boire du vin aux Naziréens entraîne un tel supplice, quel châtiment méritera celui qui verse le poison dans les âmes des simples ? Si, pour écorner à peine l'observance de la loi, on subit un châtiment inexorable, à quelle sanction doit-il s'attendre, celui qui met en pièces intégralement la sainteté elle-même ? "Celui qui scandalisera un de ces petits, nous est-il dit, mieux vaudrait pour lui qu'on lui suspendît une meule à âne autour du cou et qu'on le précipitât dans la mer." (Mt 23,6) (Mathieu 18: 6) Que diront alors ceux qui par les propos en question scandalisent non un seul de ces petits, mais un grand nombre ?

Si traiter son frère d'insensé doit conduire tout droit au feu de la géhenne, l'homme qui calomnie cette règle de vie égale à celle des anges, quelle colère va-t-il attirer sur sa tête. Un jour, Myriam , soeur de Moïse, parla contre son frère, non comme vous le faites à présent de la virginité, mais en termes beaucoup moins graves et plus modérés. Loin de se moquer de Moïse et de railler la vertu de ce bienheureux, elle avait pour lui une vive admiration; elle lui dit seulement qu'elle aussi jouissait des mêmes privilèges que lui. Et cependant elle attira sur elle la Colère de Dieu au point que même les prières ferventes de celui qu'on jugeait offensé ne purent rien obtenir en sa faveur, mais que le châtiment de Myriam se prolongea bien au delà de ce qu'il attendait.


22. Pourquoi parler de Myriam ?

Ces enfants qui jouaient aux portes de Bethléem, pour avoir dit simplement à Élisée : Monte, chauve, (cf 2 Roi 2,23) excitèrent la Colère de Dieu, au point qu'Il lâcha, au moment même où ils parlaient, des ours sur leur groupe - ils étaient quarante-deux - et tous jusqu'au dernier furent mis en pièces par ces animaux. Ni leur jeunesse, ni leur nombre, ni le fait qu'ils plaisantaient ne protégèrent ces jeunes gens, et c'était tout à fait mérité. Car si les hommes qui se chargent de si grandes entreprises devaient servir de cible aux enfants et aux hommes, quelle âme moins bien trempée choisira de se charger d'entreprises payées de rires et de moqueries ? Quel chrétien ordinaire mettra son zèle à promouvoir la vertu, s'il la voit ainsi tournée en ridicule ? Aujourd'hui en effet, alors que le monde entier admire la virginité, non seulement ceux qui la pratiquent, mais ceux qui sont déchus de cet état, si beaucoup d'hommes hésitent cependant et reculent à la pensée de ces efforts épuisants qu'elle exige, qui donc consentirait sans peine à l'embrasser si, loin d'être un objet d'admiration, on la voyait en butte aux calomnies universelles. Les hommes assez forts, qui déjà se sont transportés dans les cieux, n'ont pas besoin de l'encouragement de la multitude, il leur suffit, pour tout encouragement, de la louange de Dieu; mais les êtres plus faibles, qui viennent juste d'être introduits dans cet état de vie, trouvent dans l'opinion publique un puissant adjuvant, jusqu'à ce qu'une instruction complète leur permette peu à peu de se passer de cette assistance.

Et ce n'est pas seulement à cause de ces faibles, mais aussi pour le salut des contempteurs de la virginité que de tels événements se produisent : ils ne pourront ainsi s'avancer plus loin dans la voie du mal en se fondant sur l'impunité de leurs premières fautes. Mais, au moment où je prononce ces mots, me revient aussi en mémoire l'histoire d'Élie. Le sort que les ours firent subir aux enfants à cause d'Élisée, ce sort fut infligé, à cause de son maître Élie, par le feu du ciel, à deux troupes de cinquante hommes ainsi qu'à leurs chefs. Ces hommes, avec une grande insolence, étaient venus trouver Élie et, interpellant le juste, lui avaient intimé l'ordre de descendre vers eux; au lieu de cela le feu du ciel fondit sur eux et les dévora tous, comme les bêtes sauvages l'avaient fait des enfants. Réfléchissez à cela, vous tous, les ennemis de la virginité, placez une porte et une barre à votre bouche, de peur que vous aussi vous ne vous mettiez à dire, au jour du Jugement, en portant vos regards sur ceux que la virginité rend là-haut resplendissants de lumière : "Voilà donc ceux qui autrefois étaient l'objet de nos moqueries et le but de nos outrages." Insensés ! Nous regardions leur vie comme une folie et leur fin comme une honte. Comment ont-ils été comptés parmi les fils de Dieu ? Comment partagent-ils le sort des saints ? Nous avons donc erré, loin du chemin de vérité et la lumière de la justice n'a pas brillé pour nous. Mais à quoi bon ces mots, puisque le repentir aura perdu, alors, dans ces circonstances, toute son efficacité ?


23. Mais l'un de vous dira peut-être : personne donc, après ces temps-là n'a insulté de saints personnages.

Beaucoup l'ont fait et en plusieurs points de la terre. Pourquoi n'ont-ils pas subi le même châtiment ? Ils l'ont subi et nous en connaissons un bon nombre. Si quelques-uns y ont échappé, ils ne l'éviteront pas toujours. Comme le dit en effet le bienheureux Paul : "Il est des gens dont les fautes sont manifestes, même avant le Jugement, mais pour d'autres aussi elles ne se découvrent qu'après." (1 Tim 5,24). De même que les législateurs ont laissé consignées par écrit les punitions frappant les coupables, de même aussi notre Seigneur Jésus Christ, en châtiant un ou deux pécheurs, grave pour ainsi dire avec des lettres sur une stèle de bronze leurs supplices et, par l'exemple de leur malheur, s'adresse à tous les hommes; même si pour le présent, leur dit-il, des coupables échappent au supplice qui, ailleurs, sanctionne la même faute, dans le temps à venir, plus rigoureux sera leur châtiment.


24. Aussi, lorsque des péchés extrêmement graves ne nous attirent aucun dommage, n'y puisons pas de l'assurance, mais plutôt un sujet de crainte.

Car si nous ne sommes pas jugés par Dieu ici-bas, nous serons condamnés là-haut avec le monde. Et là encore ce n'est pas moi qui l'affirme, mais le Christ qui parle par la bouche de Paul, s'adressant à ceux qui prennent part aux sacrements sans en être dignes, il dit : "C'est pour cela que beaucoup parmi vous sont débiles et malades, et qu'un bon nombre sont endormis dans la mort. Si nous nous discernions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés; mais quand nous sommes jugés, nous sommes corrigés par le Seigneur afin de n'être pas condamnés avec ce monde." (1 Cor 11,30-32). Il est des hommes qui n'ont besoin de sanction qu'ici-bas, lorsque leurs péchés restent dans des limites raisonnables et qu'après le châtiment ils ne retombent plus dans leurs premières fautes, en imitant le chien qui retourne à son vomissement. Il en est aussi dont la méchanceté dépasse à ce point les bornes qu'ils en sont punis dans ce monde et dans l'autre; d'autres encore ne subiront que là-haut le châtiment, car ils ont commis les plus graves des fautes et ne sont point jugés dignes d'être frappés avec les hommes. "Ils ne seront point frappés avec les hommes, dit le prophète, car ils sont réservés à partager le châtiment des démons." (Ps 72,5) (Psaume 73: 5). "Allez-vous-en loin de Moi, dit le Seigneur, dans les ténèbres extérieures qui ont été préparées pour le diable et pour ses anges." (Mt 25,41).

Beaucoup ont ravi le sacerdoce à prix d'argent sans que personne le leur reprochât, sans entendre les paroles que Simon (le Magicien) entendit alors de la bouche de Pierre. Mais ils n'ont pas pour autant échappé au châtiment; au contraire, ils en subiront un bien plus sévère que celui qu'ils auraient dû affronter en ce monde, parce que l'exemple même ne les a pas instruits. Beaucoup ont égalé l'audace de Coré et n'ont pas eu le sort de Coré, mais ils le subiront plus tard et leur peine sera plus grave. Beaucoup ont imité l'impiété du Pharaon et n'ont pas été submergés comme lui, mais l'océan de la géhenne les attend. Ceux-là non plus qui traitent leurs frères d'insensés n'ont pas encore été punis : c'est dans l'autre monde que le châtiment leur est réservé.

Aussi, ne croyez pas que les sentences de Dieu ne sont que des mots. C'est pour cela qu'il en a mis quelques-unes à exécution - par exemple dans le cas de Sapphire, de son mari, dans le cas de Charmi, d'Aaron et de tant d'autres - : pour que ceux qui ne croiraient pas à sa parole y ajoutent foi, confondus par les faits, cessant désormais de se leurrer eux-mêmes et de s'imaginer à l'abri du châtiment; c'est aussi pour qu'ils apprennent que la Bonté de Dieu consiste à donner aux pécheurs un délai et non à accorder l'impunité totale à l'obstination dans la faute. Il nous serait possible, bien sûr, de montrer plus longuement encore quel feu se préparent ceux qui méprisent la beauté de la virginité. Mais pour les hommes raisonnables j'en ai assez dit; quant aux incorrigibles et aux insensés, même de plus longs discours ne pourront les détourner de leur folie. Aussi terminerons-nous ici cette partie de notre traité, que nous allons adresser désormais tout entier aux hommes raisonnables, reprenant une fois de plus le mot du bienheureux Paul : "Quant aux choses que vous m'avez écrites, dit-il, il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme." Que rougissent de honte maintenant tout à la fois ceux qui dénigrent le mariage et ceux qui l'exaltent plus qu'il ne le mérite, car à tous deux le bienheureux Paul impose silence par ces paroles et aussi par celles qui suivent.


25. Le mariage est beau, parce qu'il maintient l'homme dans la chasteté et l'empêche de rouler dans l'abîme de la fornication et d'y périr.

Il ne faut donc pas en dire du mal : grande est son utilité, car il ne laisse pas les membres du Christ devenir les membres d'une prostituée, et ne permet pas que le temple saint soit profané et souillé. Il est beau, parce qu'il soutient et redresse celui qui est sur le point de tomber. Mais en quoi cela concerne-t-il celui qui est debout, celui qui n'a pas besoin de son aide ? En ce cas, en effet, il cesse d'être utile et nécessaire; au contraire, il est même une gêne pour la vertu, car non seulement il lui suscite nombre d'obstacles, mais encore il lui dérobe la majeure partie des éloges qu'elle mérite.


26. Couvrir d'armes l'homme qui peut combattre et vaincre le corps nu n'est pas lui rendre service, mais lui causer le plus grave des préjudices en le privant de l'admiration et des brillantes couronnes qu'il eût méritées.

Car on ne permet pas à sa vigueur de se révéler tout entière et son trophée perd son plus bel éclat. Dans le cas du mariage plus grave est encore le dommage, car il prive non seulement de la gloire du monde, mais des récompenses réservées à la vierge. De là ces mots : "Il est bon pour un homme de ne pas toucher à la femme." Pourquoi, alors, le lui permettre ? "Mais pour éviter la fornication, que chacun ait sa femme." Je n'ose pas, dit l'apôtre, t'élever jusqu'à la hauteur de la virginité, dans la crainte que tu ne tombes dans l'abîme de la fornication. Ton aile n'est pas encore assez légère pour que je puisse te hausser jusqu'à ce sommet. Pourtant ils ont, eux, choisi, les risques de la compétition et se sont élancés vers la beauté de la virginité. Pourquoi donc tes craintes, tes tremblements, bienheureux Paul ?- Parce que ces gens animés de cette ardeur, aurait-il répliqué sans doute, ignorent ce qu'est la virginité, tandis que moi, l'expérience et la pratique que j'ai déjà de cette bataille me rendent plus circonspect pour la conseiller à d'autres.


27. Je sais la difficulté de l'entreprise, je sais la rigueur de ces combats, je sais le lourd fardeau de cette guerres.

Il y faut une âme combative et fougueuse, luttant jusqu'au désespoir contre les passions. Car il faut marcher sur des charbons (ardents) sans être brûlé, avancer sur une épée et n'être pas blessé; la force de la concupiscence en effet est semblable à celle du feu et de l'acier. Et si l'âme n'a pas été entraînée jusqu'à rester indifférente à ses tourments, elle ne tardera pas à périr. Il nous faut donc un coeur de diamant, un oeil toujours ouvert, une patience à toute épreuve, des murailles robustes, des murs extérieurs et des verrous, des gardiens vigilants et courageux et, avant tout cela, l'intervention d'en-haut. Car "si le Seigneur ne garde pas la cité, c'est en vain que veillent ceux qui la gardent". (Ps 127,1). Comment obtiendrons-nous cette intervention ? Quand nous aurons apporté en contribution tout ce qui dépend de nous : saines pensées, constance inébranlable dans le jeûne et les veilles, scrupuleuse observance de la loi, respect des préceptes et, point essentiel, défiance vis-à-vis de nous-mêmes. Si d'aventure nous avons accompli de grandes choses, nous devons nous répéter sans cesse à nous-mêmes : "Si le Seigneur ne bâtit pas la maison, c'est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent." (ibid). Car "nous n'avons pas à lutter contre le sang et la chair, mais contre les Dominations, contre les Puissances, contre les Princes de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du mal répandus dans les espaces célestes". (Eph 6,12).

Et nous devons nuit et jour tenir nos pensées sur le pied de guerre, pour effrayer ces passions impudentes. Qu'elles se relâchent un tant soit peu et le diable est là, le feu dans les mains, prêt à le lancer et à embraser le temple de Dieu. De toutes parts il nous faut nous trouver fortifiés; car nous sommes aux prises avec les exigences de la nature, la vie des anges est l'objet de notre zèle, nous courons dans la lice aux côtés des Puissances Incorporelles, la terre et la cendre que nous sommes ambitionne d'égaler ceux qui vivent dans le ciel, et la corruption livre bataille à l'incorruptibilité. Osera-t-on encore, dis-moi, comparer le plaisir du mariage avec un tel état ? N'est-ce pas le comble de la sottise ? C'est de tout cela que Paul avait conscience quand il disait : "Que chacun ait sa femme." (1 Cor 7,2). Voilà pourquoi il se dérobait, voilà pourquoi il n'osait pas les entretenir dès l'abord de la virginité : il s'emploie quelque temps à parler du mariage avec l'intention de les en détourner peu à peu, puis consacrant quelques mots brefs à la continence, il les intercale dans son long développement sur le mariage, car il veut éviter de choquer les oreilles par la sévérité de son exhortation. Un orateur qui ne compose son discours de bout en bout que de pensées austères indispose son auditeur et bien souvent contraint l'âme â regimber, incapable de porter le poids de ses paroles; mais l'auteur qui introduit de la variété dans ses propos et combine un mélange où le facile a plus de place que le déplaisant, dérobe ce poids à l'auditeur et, en détendant son esprit, le convainc et se le concilie plus aisément. C'est précisément ce qu'a fait le bienheureux Paul.


28. Il dit d'abord : "Il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme", puis il saute aussitôt à la question du mariage :

"Que chacun ait sa propre femme", dit-il, bienheureuse la virginité, se contente-t-il de dire : "Il est bon pour l'homme, dit-il en effet, de ne pas toucher à la femme"; mais pour le mariage, il le conseille, le prescrit, y joint un motif : "A cause de la fornication", dit-il. Ainsi il semble justifier son autorisation du mariage; en réalité, les raisons qu'il avance concernant le mariage rehaussent implicitement l'éloge de la continence : il ne le dévoile pas en termes clairs, mais il l'abandonne à la conscience de ses auditeurs. Car celui qui comprend qu'on l'exhorte au mariage non parce que le mariage est le comble imposer l'obligation que Paul imposa alors aux Corinthiens. Car le mot : "Celui qui répudie sa femme, hors le cas d'impudicité, la jette dans l'adultère", et celui-ci : "L'homme n'a pas pouvoir sur son propre corps", en des termes différents expriment la même pensée. Et si l'on y regarde de plus près, le mot de Paul accroît la tyrannie du mariage et rend la servitude plus lourde à supporter. Car si le Seigneur ne permet pas au mari de chasser sa femme de la maison, Paul lui enlève jusqu'au pouvoir sur son propre corps, confère à sa femme toute autorité sur lui et le rabaisse au-dessous de l'esclave qu'on achète. Car à l'esclave il est possible souvent d'obtenir jusqu'à sa liberté complète, s'il parvient un jour à être assez riche pour payer sa rançon à son maître. Tandis que le mari - aurait-il la femme la plus acariâtre - est forcé de supporter sa servitude, et il ne peut trouver aucun moyen de se libérer, aucun moyen d'échapper à cette domination qu'il subit.


29. Et après avoir dit : "La femme n'a pas pouvoir sur son propre corps", Paul poursuit :

"Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, au temps qu'il faut, afin de vaquer au jeûne et à la prière, puis reprenez la vie commune."(1 Cor 7,5). Beaucoup, ici, parmi ceux qui ont embrassé la virginité, rougissent, je suppose, gênés par la grande indulgence de Paul. Mais n'ayez crainte, et point de sottise. A première vue, sans doute, il s'agit d'une faveur accordée aux gens mariés, mais un examen attentif montrera que cette parole est de la même inspiration que les mots qui précèdent. A les parcourir simplement séparés de leur contexte, ces mots paraîtront plutôt un épithalame qu'un conseil apostolique, mais si l'on veut bien dégager le sens de tout le passage, on s'apercevra que même cette exhortation est conforme à la dignité de l'apôtre. Pourquoi en effet Paul revient-il plus longuement sur ce sujet ? N'était-ce pas suffisant d'avoir, par les mots précédents, indiqué sa pensée avec beaucoup de dignité, et de borner à cela son exhortation ?

Qu'est-ce qu'ajoutent de plus à la formule : "Que l'homme rende à sa femme l'affection qui lui est due", ou encore : "L'homme n'a pas pouvoir sur son propre corps", qu'est-ce qu'ajoutent ces mots : "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, au temps qu'il faut" ou bien encore : "L'homme n'est pas maître de son corps ?"

Rien sans doute mais ce qui avait été dit là d'une manière brève et voilée, il le développe ici et l'explicite. En agissant ainsi, il imite le saint de Dieu, Samuel. Ce dernier, avec une rigoureuse précision, expose devant le peuple la charte de la royauté, non pour que celui-ci l'accepte, mais pour qu'il la refuse. Apparemment il s'agit d'une instruction, en réalité c'est un moyen de le détourner de son désir inopportun : de même Paul, avec une assiduité et une netteté toutes particulières, nous rebat les oreilles de la tyrannie du mariage, se proposant par ses paroles d'y soustraire précisément ses auditeurs.

Quand il a dit : "La femme n'a pas pouvoir sur son propre corps", il ajoute : "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, pour vaquer au jeûne et à la prière." Tu vois comme à leur insu et sans les importuner, il amène les personnes qui vivent dans le mariage à l'exercice de la continence. Pour commencer, il a fait simplement l'éloge de la chose, en disant : "Il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme", ici, il y joint une exhortation par ces mots : "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord". Et pourquoi aussi est-ce à la façon d'une exhortation qu'il propose ce qu'il voulait instituer, et non pas sous la forme d'un ordre ? Car il n'a pas dit : "Refusez-vous l'un à l'autre, mais d'un commun accord, pour vaquer à la prière", mais : "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord."

Parce que cette façon de s'exprimer est moins pressante, elle révèle bien la pensée du maître, qui n'est pas de réclamer avec rigueur cette conduite, étant donné surtout que l'accomplissement de ce conseil demande un grand esprit de générosité. Et ce n'est pas de cette manière seulement qu'il encourage son auditoire, mais aussi parce qu'il traite brièvement ce qui est austère et, avant que l'auditeur en soit indisposé, revient au sujet plus agréable et s'y attarde davantage.


30. Il est bon d'examiner aussi ce point : pourquoi donc, si a le mariage est estimable et le lit conjugal exempt de souillure, pourquoi Paul ne l'autorise-t-il pas durant le temps du jeûne et de la prière ?

Parce qu'il serait tout à fait absurde que les Juifs - chez qui tous les besoins corporels étaient profondément imprimés, qui avaient même la liberté de posséder deux femmes, de les chasser et de les remplacer aient eu un tel souci de la continence qu'au moment d'entendre les paroles divines, ils s'abstenaient de rapports même légitimes et cela non pas seulement un jour ou deux, mais plusieurs jours, alors que nous, comblés comme nous le sommes de la grâce divine, ayant reçu l'Esprit saint, nous qui sommes morts et ensevelis avec le Christ, qui avons été jugés dignes de l'adoption divine, qui avons été élevés à une telle dignité, après tant de faveurs, et quelles faveurs, nous ne parviendrions pas au même zèle que ces petits enfants. Et si l'on insistait en cherchant encore à savoir pourquoi Moïse lui-même a détourné les Juifs de ces rapports charnels, je répondrais : même si le mariage est estimable, il ne peut avoir d'autre ambition que d'éviter la souillure à l'homme qui le contracte; faire des saints est au pouvoir non du mariage, mais de la virginité.

Et Moïse n'est pas seul, avec Paul, à prêcher cette doctrine, écoute ce que dit Joël : "Publiez un jeûne, prêchez la guérison, convoquez une assemblée, rassemblez les vieillards." (Joël 2,15). Mais peut-être veux-tu savoir où il a ordonné de n'approcher aucune femme ? "Que l'époux sorte de sa couche, dit-il, que l'épousée sorte de sa chambre." Et cette parole va plus loin encore que l'ordre de Moïse. Si en effet l'époux et l'épousé, dans toute l'ardeur de la passion charnelle, dont la jeunesse est pleine de sève, le désir amoureux irrésistible, ne doivent pas avoir de rapports pendant le temps du jeûne et de la prière, combien plus impérieuse est l'obligation pour tous les autres qui ne subissent pas autant qu'eux la contrainte de l'union charnelle ? Celui qui désire prier comme il se doit, et jeûner, il lui faut rejeter tout désir terrestre, tout souci, toute cause de dissipation, se retirer de tout et se recueillir parfaitement en lui-même pour se présenter devant Dieu. C'est pourquoi le jeûne est beau : il retranche les soucis de l'âme, il secoue la torpeur qui submerge notre esprit et concentre notre pensée tout entière sur elle-même. C'est ce que Paul donne à entendre quand il détourne de l'union charnelle, utilisant une expression tout à fait adéquate. Il ne dit pas en effet : "Pour que vous ne soyez pas souillés", mais : "pour que vous vaquiez au jeûne et à la prière", comme si les rapports avec une femme n'étaient pas cause de souillure mais de temps perdu.

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