Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Traité de la Virginité

saint Jean Chrysostome

suite point N° 11 à 20


 11. Mais le genre humain, lui, inférieur par sa nature à ces esprits bienheureux, fait violence à ses propres facultés et déploie toute l'ardeur possible pour s'élever à leur niveau.

Comment cela ? Les anges n'épousent pas, ne sont pas épousés : la vierge non plus. Sans cesse ils se tiennent en présence et au service de Dieu : la vierge aussi. Voilà pourquoi Paul veut les vierges éloignées de tous les soucis du monde, pour les porter à être assidues, sans distraction, (auprès du Seigneur). Si elles ne peuvent encore monter au ciel comme les anges, car la chair les retient, du moins ont-elles dès ici-bas la grande consolation de recevoir le Maître des cieux en personne, quand elles sont saintes de corps et d'esprit. Vois-tu la haute valeur de la virginité comme elle donne à ceux qui vivent sur la terre les mêmes conditions d'existence qu'aux habitants des cieux ? Elle ne veut pas que les êtres revêtus d'un corps soient inférieurs aux puissances incorporelles et, tout hommes qu'ils sont, elle en fait les émules des anges. Mais tout cela n'a pas de sens pour vous, qui dégradez une si belle chose, qui calomniez le Seigneur et l'appelez mauvais. Oui, le châtiment du mauvais serviteur vous est réservé, tandis qu'aux vierges de l'Église des biens magnifiques s'offriront en foule, inaccessibles à l'oreille, à l'oeil, à l'entendement humain. Aussi, laissons là les hérétiques - nous leur en avons assez dit - il faut maintenant nous adresser aux enfants de l'Église.


12. Par où vaut-il mieux commencer notre discours, par les paroles mêmes du Seigneur, qu'il prononce par la bouche du bienheureux Paul; car les exhortations de l'apôtre sont les exhortations du Seigneur, soyons-en convaincus.

Quand Paul nous dit : "A ceux qui sont mariés, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur," (1 Cor 7,10-12) et puis encore : "Quant aux autres, c'est moi qui leur dis, non le Seigneur", il ne prétend pas que ses paroles ont un sens et celles du Seigneur un autre. Car l'apôtre qui portait le Christ parlant dans son coeur, qui ne se souciait même pas de vivre afin que le Christ vécût en lui, pour qui la royauté, la vie, les anges, les puissances, toute autre créature, tout en un mot passait après son amour pour le Seigneur, comment l'apôtre aurait-il accepté d'énoncer ou même de penser une chose que le Christ n'eût pas approuvée, et surtout quand il en faisait un précepte ?

Que signifient donc ces expressions : "Moi", et "Non pas moi" ? Les lois, les dogmes, le Christ nous les a donnés tantôt par lui-même, tantôt par ses apôtres. Il ne les a pas tous établis Lui-même; prête en effet l'oreille à ce qu'il déclare : "J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent". (Jn 16,12).

Ainsi, la loi "que la femme ne se sépare pas de son mari", il l'avait déjà promulguée en personne lorsqu'il était sur cette terre, revêtu de chair; et c'est pourquoi Paul dit : "A ceux qui sont mariés, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur." Mais en ce qui concerne les incroyants, le Seigneur n'avait rien prononcé de sa bouche, c'est en inspirant dans ce sens l'âme de Paul qu'il légiférait, disant : "Si quelqu'un a une femme incroyante et qu'elle consente à habiter avec lui, qu'il ne la répudie pas; et si une femme a un mari incroyant et qu'il consente à habiter avec elle, qu'elle ne le répudie pas". C'est pour cela que Paul déclarait : "Non le Seigneur, mais moi"; il ne voulait pas signifier que sa parole était d'origine humaine -évidemment - mais que ce précepte, s'il ne l'avait pas donné à ses disciples quand il était au milieu d'eux, le Seigneur le donnait maintenant par sa bouche à lui.

Ainsi, tout comme ces mots : "Le Seigneur, non pas moi", ne manifestent pas une opposition au commandement du Christ, de même ces mots : "Moi, non le Seigneur" n'expriment pas une opinion personnelle en contradiction avec la divine Volonté, mais montrent simplement que c'est maintenant par son intermédiaire que le précepte est donné. En effet, quand il parle de la veuve, l'apôtre dit : "Elle est plus heureuse dans le Seigneur si elle reste comme elle est, selon mon avis"; (1 Cor 7,40) puis, de peur que l'expression "mon avis" ne fasse croire à une réflexion qui vient de l'homme, il ajoute, pour couper court à cette supposition : "Je crois avoir, moi aussi, l'esprit de Dieu." Ainsi donc, ce qu'il énonce au nom de l'Esprit, l'apôtre l'appelle son avis, sans que nous puissions prétendre pour autant que sa déclaration vient de l'homme; de même dans notre passage, quand il dit : "C'est moi qui dis, non le Seigneur", il ne faut pas en inférer que c'est la parole de Paul. Car il portait le Christ parlant dans son coeur, et jamais il n'aurait osé, dans une déclaration, formuler une telle doctrine, s'il ne nous donnait cette loi sous son inspiration.

On aurait pu en effet lui tenir ce langage : "Je ne peux supporter, moi croyant, de vivre avec une femme incroyante; moi qui suis pur, de vivre avec une femme impure. Toi-même tu as déjà déclaré que c'est toi qui le disais, non le Seigneur. Quelle garantie puis-je avoir, quelle certitude ? Paul aurait répliqué : Sois sans crainte. Si j'ai déclaré : j'ai le Christ parlant en mon coeur, et : je crois posséder l'esprit de Dieu, c'est pour que tu ne soupçonnes rien d'humain dans les paroles que je prononce. Sinon, je n'aurais pas attribué à mes propres pensées une telle autorité : Les pensées des mortels sont timides, en effet, et leurs desseins hasardés. D'ailleurs l'Église universelle aussi montre la force de cette loi, puisqu'elle l'observe avec rigueur; ce qu'elle n'aurait pas fait si elle n'était rigoureusement convaincue que ces paroles sont un commandement du Christ. Eh bien, que déclare Paul, inspiré par le Seigneur ? "Quant aux choses que vous m'avez écrites, il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme." (1 Cor 7,1). On peut ici féliciter les Corinthiens : sans avoir jamais reçu aucune instruction de leur maître concernant la virginité, ils le devancent en l'interrogeant d'eux-mêmes, montrant ainsi le progrès déjà accompli en eux par la grâce. Car dans l'Ancien Testament il n'y avait aucun doute à l'égard du mariage : non seulement tout le peuple, mais les lévites, les prêtres et le Grand Prêtre lui-même faisaient grand cas du mariage.


13. Comment donc les Corinthiens en sont-ils venus à poser cette question ?

Ils ont compris, avec autant de perspicacité que de justesse, qu'il leur fallait atteindre un plus haut degré de vertu, puisqu'ils avaient été gratifiés d'un plus grand don. Il vaut la peine aussi de se demander pourquoi l'apôtre ne leur avait encore jamais proposé ce conseil. S'ils avaient en effet déjà entendu semblables propos, ils ne lui auraient pas écrit de nouveau pour lui reposer la question à ce sujet. En vérité, ici encore, nous pouvons mesurer la profonde sagesse de Paul. Ce n'est pas par hasard ni sans raison qu'il a omis d'exhorter à un si bel état, il attendait qu'ils en eussent les premiers le désir, qu'ils prissent quelque notion de ce problème; s'adressant à des âmes familiarisées avec l'idée de la virginité, il pourrait alors utilement jeter en elles sur ce sujet la semence de ses paroles, les bonnes dispositions de ses auditeurs pour la chose donnant à son exhortation beaucoup plus de chance d'être entendue. Et, par ailleurs, l'apôtre veut montrer la grandeur et la majesté de l'entreprise.

Dans le cas contraire, il n'aurait pas attendu leur généreux mouvement, mais il aurait pris lui-même les devants, sinon sous la forme d'un ordre et d'un précepte, du moins d'une exhortation et d'un conseil. Tandis qu'en refusant d'en prendre l'initiative, il nous a montré clairement que la virginité exige nombre d'efforts épuisants et un rude combat. Et, ici encore, par cette façon de faire, il imite notre Maître à tous. Car le Seigneur n'a parlé de la virginité que lorsque ses disciples l'interrogeaient. Quand ils ont dit : "Si telle est la condition de l'homme avec la femme, mieux vaut ne pas se marier", il répond : "Il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des Cieux." (Mt 19,10). Quand il s'agit en effet d'un bel acte vertueux qui, de ce fait, ne présente pas le caractère obligatoire d'un précepte, il faut attendre les bonnes dispositions de ceux qui vont l'accomplir et, par une autre voie, sans qu'ils s'en doutent, les préparer à le vouloir dans leur esprit et dans leur coeur. Telle fut précisément la conduite du Christ; ce n'est pas en leur parlant de la virginité qu'il leur inspire l'amour de la virginité, Il ne s'entretient que du mariage, leur montre les difficultés de cet état, et n'en dit pas plus long.

Méthode si pleine de sagesse que, sans avoir rien entendu sur l'abstention du mariage, les disciples de leur propre chef lui disent : il est bon de ne pas se marier. C'est pour cela que Paul, à son tour, imitant le Christ, disait : "Quant aux choses que vous m'avez écrites"; c'est une façon de se justifier à leurs yeux et de leur dire : je n'osais pas, quant à moi, vous appeler à ce haut sommet de vertu, car il est difficile à atteindre; mais puisque vous m'en avez parlé les premiers dans votre lettre, je n'hésite plus à vous donner ce conseil : il est bon pour un homme de ne pas toucher à la femme. Pourquoi, en effet, alors que les Corinthiens lui avaient écrit sur de nombreux sujets, pourquoi n'a-t-il nulle part ailleurs ajouté cette remarquez ? Pour la raison que je viens de dire, tout simplement; pour éviter que son exhortation ne fût mal accueillie, il leur remet en mémoire les lettres qu'ils lui avaient adressées. Et même alors, aucune véhémence dans cette exhortation, et cela malgré la belle occasion qui s'offre à lui; au contraire, il procède avec une extrême réserve, imitant encore sur ce point le Christ. Car le Sauveur, quand il en a terminé sur le sujet de la virginité, ajoute : "Que celui qui peut comprendre comprenne". Et l'apôtre, que dit-il ? "Quant aux choses que vous m'avez écrites, il est bon pour l'homme de ne pas toucher à la femme."


14. On objectera peut-être : mais s'il est bon de ne pas toucher à la femme, pourquoi le mariage s'est-il introduit dans la vie ?

Quel sera le rôle de la femme désormais, si elle n'est utile ni au mariage, ni à la procréation des enfants ? Qu'est-ce qui empêchera la destruction totale du genre humain, puisque chaque jour la mort en fait sa pâture et sa victime, et qu'avec ce raisonnement il n'est pas possible de remplacer les êtres qui disparaissent ? Supposons en effet que nous mettions tous notre zèle à pratiquer cette vertu et que nous n'ayons pas de rapport avec une femme, tout disparaîtra : villes, maisons, champs, métiers, êtres vivants, plantes. Ainsi, quand le général est tué, c'est inévitablement la débandade dans son armée; de même, si le roi de tout ce qui est sur la terre, si l'homme vient à disparaître par l'extinction du mariage, rien de ce qui reste ne pourra conserver la même sécurité et le même ordre, de sorte que ce beau conseil remplira le monde de calamités infinies. Pour moi, si ce langage était tenu par nos adversaires et des incroyants, j'en ferais peu de cas. Mais en fait, dans le nombre de ceux qui passent pour appartenir à l'Église, bien des gens s'expriment de la sorte; ils refusent, par faiblesse de volonté, les efforts qu'exige la virginité, ils la dénigrent, la déclarent inutile pour dissimuler leur propre nonchalance et donner l'impression d'avoir esquivé ces combats non par couardise, mais par une juste appréciation des raisons. Aussi, sans plus nous occuper de nos adversaires "car l'homme psychique ne reçoit pas les choses de l'esprit, pour lui elles sont ineptie" (1 Cor 2,14) - à ces gens qui prétendent être des nôtres, nous apprendrons deux choses : d'abord la virginité, loin d'être superflue, est tout à fait utile et nécessaire; ensuite, une telle mise en accusation de la virginité ne peut rester impunie, elle attirera sur les détracteurs autant de périls que la virginité assurera de récompenses et d'éloges à ceux qui la pratiquent.

En effet, lorsque la totalité de notre univers eut été créée et que tout eut été mis en place pour notre repos et notre service, Dieu façonna l'homme pour qui il avait fait le monde. Façonné par Dieu, l'homme vécut dans le paradis et il n'était nullement question de mariage. Il eut besoin d'une aide et elle lui fut donnée : même alors le mariage ne semblait pas nécessaire. De fait, on n'en voyait pas trace, ils s'en passaient tous deux, vivant dans le séjour du Paradis comme dans le ciel et jouissant de la familiarité divine. Désir de l'union charnelle, conception, douleurs, parturition, toute forme de corruption étaient absentes de leur âme. Comme un ruisseau transparent coulant d'une source limpide, leur vie s'écoulait en ce lieu, parée des ornements de la virginité. Et la terre entière alors était vide d'habitants : c'est ce que redoutent aujourd'hui ces gens pleins de sollicitude pour le monde, toujours prêts à s'inquiéter des affaires d'autrui mais ne supportant pas d'accorder même une pensée aux leurs; ils redoutent que le genre humain tout entier ne vienne un jour à disparaître, mais ils traitent chacun leur âme en étrangère, ils la négligent, et cela quand pour cette âme ils auront à rendre des comptes sévères, même à cause d'insignifiantes peccadilles, mais, pour la diminution du genre humain, pas l'ombre d'une raison à fournir. Il n'y avait alors ni cités, ni métiers, ni maisons c'est encore là pour vous un souci peu ordinaire : non, tout cela n'existait pas alors et pourtant rien ne venait entraver ni entamer cette existence bienheureuse et de beaucoup supérieure à la nôtre.

Mais quand ils eurent désobéi à Dieu et qu'ils furent devenus terre et cendre, ils perdirent avec cette existence bienheureuse la beauté de la virginité qui, en même temps que Dieu, les a laissés et s'en est allée. Tant qu'ils étaient insensibles aux séductions du diable et qu'ils révéraient leur Maître, la virginité aussi les accompagnait, plus riche ornement pour eux que pour les rois le diadème et les vêtements d'or. Mais lorsque, tombés dans l'esclavage, ils eurent dépouillé ce vêtement royal et déposé leur parure céleste, quand ils furent sujets à la corruption de la mort, à la malédiction, à la souffrance, aux peines de la vie, c'est alors qu'avec ce cortège survint le mariage, ce vêtement mortel et servile. Car "l'homme marié, dit Paul, s'inquiète des choses du monde". (1 Cor 7,33). Vois-tu quelle fut l'origine du mariage ? pourquoi il parut nécessaire, il est la conséquence de la désobéissance, de la malédiction, de la mort. Où est la mort, là est le mariage; ôtez l'un, l'autre disparaît. Tandis que la virginité n'a pas cette escorte : elle est chose toujours utile, toujours belle, toujours bienheureuse, avant la mort, après la mort, avant le mariage, après le mariage. De quel mariage, s'il te plaît, est né Adam ? A quel enfantement douloureux Eve doit-elle la vie ? Tu ne saurais répondre. Pourquoi cette crainte, cette peur sans raison que la fin du mariage n'amène aussi la fin de la race humaine ?

Des millions d'anges sont au service de Dieu, des milliers de milliers d'archanges se tiennent à ses côtés et aucun d'eux ne doit la vie à la génération, aucun ne la doit à la parturition, aux douleurs, à la conception. N'eût-il pas été beaucoup plus facile à Dieu de créer des hommes en dehors du mariage ? Tout comme il a créé, aussi, nos premiers parents, d'où descend toute l'humanité.


15. Et aujourd'hui même ce n'est pas à la vertu du mariage qu'est due la croissance de notre race, mais à la parole du Seigneur qui a déclaré au commencement : "Croissez et multipliez et remplissez la terre." (Gen 1,28).

En quoi, s'il te plaît, cette institution a-t-elle aidé Abraham à avoir des enfants ? N'est-ce pas après tant d'années de mariage qu'il finit par exprimer cette plainte : "Seigneur, que me donneras-tu ? Je m'en vais sans enfants."(ibid 15,2). De même qu'alors Dieu a voulu que des corps épuisés fussent le principe et la racine de tant de myriades d'êtres, de même au commencement, si Adam et Eve avaient obéi à ses ordres et maîtrisé leur désir de l'arbre interdit, il n'aurait pas été en peine d'un moyen pour propager la race humaine. Car le mariage, sans la Volonté de Dieu, ne pourra multiplier les hommes sur la terre, pas plus que la virginité, si Dieu veut les multiplier, n'en pourra affecter le nombre. Mais il l'a voulu ainsi, dit l'Écriture, à cause de nous et de notre désobéissance.

Pourquoi en effet le mariage n'est-il pas apparu avant la faute ? Pourquoi n'y avait-il pas de relations sexuelles dans le paradis. Pourquoi n'y avait-il pas les douleurs de l'enfantement avant la malédiction ?

Parce que ces choses, alors, étaient superflues et ne devinrent nécessaires que plus tard, à cause de notre infirmité - elles, et tout le reste : cités, métiers, vêtements, avec toute la multitude de nos besoins. Traînant à sa suite toute cette cohorte, la mort l'a introduite ici-bas avec elle. Aussi, je t'en prie, ce qui n'est qu'une concession à ta faiblesse, ne le préfère pas à la virginité - ou plutôt, ne le place même pas à égalité. En procédant d'après ce raisonnement, tu iras prétendre qu'il vaut mieux avoir deux femmes que de se contenter d'une - puisque c'était même chose permise dans la loi de Moïse; et tu préféreras aussi, en ce cas, la richesse à la pauvreté volontaire, les plaisirs à la vie de continence et la vengeance à la généreuse patience devant l'injure.


16. Mais c'est toi maintenant qui dénigres tout cela, m'objecte-t-on. Je ne le dénigre nullement. C'est Dieu qui l'a permis et tout a eu son utilité à son heure.

Mais je prétends que c'est peu de chose, vertu d'enfants, plutôt que d'hommes. Et c'est pourquoi le Christ, voulant nous rendre notre perfection, nous a ordonné de nous en dépouiller comme de vêtements d'enfants qui ne peuvent vêtir l'homme parfait, ni convenir à la force de l'âge qui réalise la plénitude du Christ, et Il nous a ordonné d'en vêtir de plus appropriés et de plus parfaits que ceux-là; il n'était pas en contradiction mais en parfait accord avec lui-même. Car si ces nouvelles prescriptions sont supérieures aux anciennes, du moins le but du législateur n'a-t-il pas changé. Quel est-il retrancher le péché de notre âme et la conduire à la vertu parfaite. Si donc il avait cherché, non pas à nous imposer des obligations supérieures aux précédentes, mais à laisser les choses éternellement dans le même état sans jamais délivrer l'homme de sa médiocrité, c'est alors qu'il eût été en pleine contradiction avec lui-même. Si au commencement en effet, quand le genre humain se trouvait encore dans sa petite enfance, Dieu avait fait une règle de ce mode de vie rigoureux, nous ne serions jamais parvenus à cette juste mesure et tout notre salut aurait été compromis par cette démesure. De même, après une si longue période d'apprentissage sous l'ancienne loi, quand les temps nous appelaient à cette céleste philosophie, si Dieu nous avait laissés attachés à la terre, nous n'aurions tiré aucun profit sérieux de sa Condescendance, puisque cette vie de perfection qu'avait en vue sa Condescendance n'aurait jamais été notre partage.


17. Aujourd'hui, il en est de nous comme des petits oiseaux : lorsque leur mère les a nourris, elle les pousse au bord du nid.

Si elle les voit faibles et chancelants, ayant encore besoin de rester à l'intérieur, elle les y laisse quelques jours de plus, non pour qu'ils demeurent dans le nid toute leur existence, mais pour que leurs ailes soient bien assurées, qu'ils acquièrent toute leur vigueur et qu'ils puissent ainsi désormais déployer leur vol en toute sécurité. De même notre divin Maître, dès le commencement, nous attirait vers le ciel, nous montrait la voie qui y conduit, n'ignorant pas ou plutôt sachant parfaitement - que nous serions encore incapables d'un tel vol, mais voulant nous montrer que notre chute avait pour cause non sa Volonté, mais notre faiblesse. Et, cette leçon donnée, Il laisse désormais l'espèce humaine croître dans le nid de ce bas monde et du mariage, pendant un long temps.

Puis, lorsque, au bout de ce long temps, les ailes de la vertu nous ont poussé, doucement alors et peu à peu, il est venu nous faire sortir de ce gîte terrestre, en nous apprenant à voler plus haut. Sans doute ceux qui sont encore un peu nonchalants ou plongés dans un lourd sommeil se plaisent encore à rester dans le nid, attachés qu'ils sont aux choses du monde. Mais les vrais généreux, les amoureux de la lumière quittent le nid avec une parfaite aisance, volent vers les hauteurs et touchent aux cieux, ayant tout abandonné ici-bas, mariage, fortune, soucis et tout ce qui, d'ordinaire, nous attire vers la terre. Cependant, n'allons pas croire que cette permission du mariage, accordée au commencement, soit pour la suite des temps une obligation qui nous empêche de nous abstenir du mariage. Car il veut que nous y renoncions : prête l'oreille à ces paroles : "Que celui qui peut comprendre, comprenne." Qu'il n'ait pas donné cet ordre au commencement, rien d'étonnant.

Un médecin, par exemple, ne prescrit pas à ses malades toutes ses ordonnances à la fois, ni au même moment; quand ils sont pris par la fièvre, il leur défend la nourriture solide, mais quand la fièvre les a quittés et la faiblesse physique qui s'ensuivait, il leur supprime désormais les aliments désagréables pour rétablir leur régime habituel. De même que les éléments qui sont en conflit entre eux à l'intérieur du corps, par excès ou par défaut, provoquent la maladie, de même pour l'âme le dérèglement des passions ruine sa santé. Aussi devons-nous posséder juste au moment opportun l'ordonnance appropriée aux passions en cause; faute de ces deux conditions, la loi par elle-même serait impuissante à corriger le désordre de l'âme. Il en est donc comme pour les médicaments dont la vertu ne peut à elle seule guérir une blessure, car ce que les remèdes sont aux blessures, les lois le sont aux péchés. Or toi, que fais-tu ? Quand le médecin souvent pour la même blessure a recours tantôt au bistouri, tantôt au feu, tantôt n'utilise ni l'un ni l'autre, tu ne l'importunes pas de questions indiscrètes, et encore combien de fois son traitement est-il inefficace !

Mais Dieu, toi qui n'es qu'un homme, Dieu qui ne commet jamais d'erreur, qui dirige toutes choses d'une manière digne de sa Sagesse infinie, vous osez, vous qui n'êtes qu'un homme, l'appeler à votre tribunal; vous lui demandez raison de ses préceptes; vous refusez de marcher dans la voie de sa Sagesse. N'est-ce pas de la dernière démence ? Il a dit : "Croissez et multipliez", parce que les temps l'exigeaient, les temps où la nature humaine était en folie, incapable de contenir la virulence des passions, et qu'elle n'avait pas d'autre port où se réfugier au milieu de cette tempête. Alors, que devait-il ordonner aux hommes de vivre dans la continence et la virginité ? Mais cela n'eût fait que rendre la chute plus grave et la flamme du désir plus violente. Voyez les enfants qui n'ont besoin que de lait : supprimez-leur cette nourriture et forcez-les à prendre à la place celle qui convient à l'homme, rien n'y fera, ils mourront très vite; tant il est mauvais d'agir à contretemps. C'est pour cette raison que la virginité n'a pas été donnée dès le commencement - ou plutôt si, la virginité est apparue dès le commencement et antérieurement au mariage, mais c'est pour la raison indiquée que le mariage s'est introduit, plus tard, et qu'il fut considéré comme une chose nécessaire, alors que, si Adam était resté dans l'obéissance, il n'en aurait pas eu besoin.

Mais alors, m'objectez-vous, comment seraient nés tant de millions d'hommes ? Et moi, je renouvelle ma question, puisque cette crainte continue à te bouleverser si fort : comment Adam, comment Eve sont-ils nés, alors qu'ils ne disposaient pas du mariage ? Mais quoi, toute l'humanité devait-elle naître de cette façon ? De cette manière ou d'une autre, je n'en sais rien. Le point qui nous intéresse pour l'instant est que Dieu n'avait pas besoin du mariage pour multiplier les hommes sur la terre.


18. Ce n'est pas la virginité qui peut causer l'extinction du genre humain, mais le péché et les unions dénaturées, comme le prouve bien l'extermination qui eut lieu, au temps de Noé, des hommes, des bêtes, en un mot de tout ce qui respirait sur la terre.

Si les fils de Dieu avaient alors résisté à ce désir dénaturé et s'ils avaient honoré la virginité, s'ils n'avaient pas jeté des regards coupables sur les filles de l'homme, une telle catastrophe ne les aurait pas frappés. Qu'on ne s'imagine pas que je rends le mariage responsable de leur anéantissement, ce n'est pas ce que je prétends ici, je veux dire que la ruine et la destruction du genre humain sont imputables non à la virginité, mais au péché. 19. Ainsi, le mariage a certes été donné en vue de la procréation, mais beaucoup plus encore pour apaiser le feu du désir inhérent à notre nature. Paul l'atteste quand il dit : "Pour éviter la fornication, que chacun ait sa femme". (1 Cor 7,2). Il ne dit pas : pour faire des enfants. Et quand il invite (mari et femme) à reprendre la vie commune, ce n'est pas pour qu'ils aient nombreuse descendance, mais pourquoi ? "Pour que Satan ne vous tente pas", dit-il. Et un peu plus loin, il ne dit pas : "S'ils désirent des enfants", mais : "S'ils ne peuvent être continents, qu'ils se marient."

Au commencement en effet, je le disais, le mariage avait ce double motif, mais plus tard, une fois peuplés la terre, la mer et le monde entier, il ne resta plus qu'une seule raison : la suppression de la débauche et du dévergondage. Car pour ceux qui maintenant encore se vautrent dans ces passions, recherchent la vie des pourceaux et la perdition dans les lupanars, l'utilité du mariage est considérable : il les délivre de cette impureté, de cette tyrannie et leur assure la protection de la chasteté et de la sainteté. Mais en voilà assez : jusqu'à quand poursuivre un combat contre des ombres. Car vous qui me faites ces objections, vous savez aussi bien que moi l'excellence de la virginité et tout ce que vous avez dit n'est que faux-fuyants, prétextes pour jeter un voile sur l'incontinence.


20. Et même s'il n'y avait aucun danger à tenir ce langage, vous devriez néanmoins aujourd'hui mettre un terme à la calomnie.

Car celui qui, en présence des belles choses, exprime sa désapprobation, entre autres préjudices donne publiquement un témoignage sérieux de sa propre malice en émettant ce jugement aussi dépravé et peu fondé. En sorte que, même en l'absence d'autre motif, la seule crainte de vous voir gratifier d'une aussi méchante réputation devrait vous retenir la langue; réfléchissez : le spectateur qui applaudit les grands champions, même s'il ne peut obtenir des résultats identiques, pourra bénéficier du moins de l'indulgence générale; mais celui qui, sans y participer, dénigrerait en outre des exploits dignes de nombreuses couronnes, serait justiciable de la réprobation universelle, comme ennemi et adversaire du mérite et il serait plus misérable que les déments. Car les fous ne savent pas ce qu'ils font, ils n'endurent pas volontairement leur sort c'est pourquoi, quand ils outragent les puissants du jour, loin de les châtier, leurs victimes même en ont pitié; mais quiconque oserait, en connaissance de cause, commettre ce qu'ils font, eux, par ignorance, serait à juste titre condamné à l'unanimité comme ennemi de la nature humaine.

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