Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VII

PROPAGANDE AU CARREFOUR

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« Ce n'est point par votre force, mais par Mon Esprit », dit Dieu

 

Sur les bords Est de la Cité de Londres, proche de Whitechapel et Stepney, vous trouvez ce quartier universellement connu ou s'élève la Tour de Londres, dressée là depuis des siècles et tout au long de l'histoire d'Angleterre. Que de scènes tragiques ou passionnantes évoquent ces vieilles murailles grises.

Tout près, à Towerhill, les foules aiment s'arrêter autour d'orateurs en plein air de toutes appartenances. Au sortir des bureaux, les rues d'Eastcheap Thames, Trinity sq., Mercury Lane, déversent des flots d'humanité de tout âge, magnifiques auditoires pour les propagandistes. Tous les « ismes » du monde s'y coudoient et souvent nous profitions des avantages que donne une rue en pente, un solide mur de brique pour y prêcher... Jésus-Christ.

On comprend sans peine que l'auditoire et sa composition dépendent de l'orateur. On écoute volontiers un homme si l'on sent qu'il a « quelque chose à dire ». Et bien des fois, j'y avais pêché de belles prises.

Ce jour-là, rentrant à la maison, je trouvai la rue presque bloquée par les divers groupes massés là. Le plus nombreux et de beaucoup se tassait autour d'un camion, transformé en tribune : un véritable meeting politique, fort bien organisé, avec président et bureau assis derrière l'orateur ! Du premier coup d'oeil je le reconnus, un politicien de renom, doué d'un puissant organe. Il déblatérait avec violence contre le gouvernement et les lois établies et le prétendu « ordre public », puis continua sa diatribe par une charge à fond contre la religion et le Christ et l'église et toutes les prétailles, les tournant en ridicule, dans un vocabulaire d'une grande richesse où le terme de « parasites » revenait avec une certaine fréquence.

Aux rangs extérieurs où je me tenais, je reconnus la haute et large silhouette d'un de mes bons amis, inspecteur de police, un chrétien. Il ne m'avait pas vu venir :

- Que pensez-vous du discours, inspecteur? lui dis-je à l'oreille.

Me toisant du haut de sa taille, il se mit à sourire sans répondre. Et comme l'orateur continuait de plus belle, je repris :

- Ça dépasse tout de même un peu les bornes permises. J'ai bien envie d'intervenir.

Il me saisit par le bras pour me retenir, mais je me souciais peu de me laisser imposer silence.

- Ne craignais rien. je serai très prudent. JE connais fort bien le président et vais lui toucher un mot.

- Prenez garde, me souffla-t-il. Les interruptions ne sont pas tolérées. Mais il me fit en même temps un petit clin d'oeil qui en disait long.

D'un pas calme, je fis le tour des rangs attentifs et par derrière m'approchai du camion, tirai doucement la veste du président. Il se retourna, me reconnut et sourit.

- Dites-moi, Tom, lui soufflai-je, laissez-moi dire un mot. Car je le connaissais fort bien.

- A quel sujet? demanda-t-il tout surpris.

- Le même sujet que lui. Seulement deux minutes, deux mots sur le même sujet. je poursuivrai la même route que lui.

- Surtout pas de discussion, vous savez, fit-il.

- Non, non, soyez sans crainte. C'est le même sujet.

- Bien. Alors deux minutes, pas davantage.

Au milieu d'une tempête d'applaudissements, l'orateur concluait par une magnifique envolée où d'un seul élan il écrasait toutes les grenouilles de bénitier.

Le bruit prenant fin, la voix du conseiller municipal Tommy X... annonça qu'avant de lever la séance il donnait la parole à un autre orateur désireux d'ajouter un ou deux mots sur le même sujet. La plupart des hommes qui déjà partaient se retournèrent aussitôt pour entendre la suite.

- Camarades, commençai-je, notre brillant orateur vient de nous faire un discours splendide auquel j'aimerais seulement, en matière de conclusion, ajouter, si je puis dire. quelques points sur les i et quelques barres aux t. En deux minutes je poserai deux ou trois questions.

Face à eux, je discernais bien vite des visages connus et déjà favorables. malgré certaines protestations.

- Si je pouvais enlever d'un tournemain cet immense édifice-ci, dis-je pointant le doigt vers les docks, les mâts et la fumée des bateaux à l'ancre, nous verrions une vieille maison où vit un homme qui souvent passe quinze jours sans changer de costume et sort de bon matin sans même avaler une tasse de café pour venir en aide à un brave camarade parmi vous, pour rendre visite à votre femme malade ou s'occuper d'un gosse en peine. Vous savez son nom?

- F... W.... crièrent cent voix en même temps.

- Très bien ! Maintenant allez donc vers ici jusqu'à ce pâté de maisons où vit une femme jour et nuit soucieuse de faire oeuvre de bien, procurant à votre foyer un peu d'aide, envoyant les moutards au grand air, parfois payant le terme en retard, si vous n'avez plus le sou. Qui donc trouverions-nous par là ?

Miss Mary H ... !cria une autre partie de l'auditoire juste ! Et si ... continuai-je en citant d'autres serviteurs de Dieu, fort connus dans ces parages. Et chaque fois les hommes reconnaissaient le portrait présenté.

- Maintenant, concluai-je sûr d'avoir été Compris, y a-t-il encore quelques bonnes choses dans la religion, les églises, les chrétiens et notre vieille Bible ?

Une immense clameur, crépitant d'applaudissements, me suivit tandis que je descendais du camion, non sans jeter un rapide coup d'oeil sur la figure du précédent orateur, dont les traits méritaient une étude ! Si seulement ses yeux avaient pu me transpercer ! je remerciai avec chaleur le président, excellent garçon, un de ces hommes « proches du Royaume de Dieu » comme disait Jésus. sans encore faire profession de croire. Comment il fut un peu plus tard conquis lui aussi mérite une autre histoire. Mais il ignorait ce jour-là quelle aide étonnante il m'avait offerte pour la conquête de deux autres, père et fils.

Je m'en allai en effet du côté de mon ami l'inspecteur de police qui rayonnait :

- Splendide ! Vous avez fait là du beau travail.

Et juste à ce moment. un homme nous rattrapa et me dit :

- Excusez, Monsieur. Pourrais-je vous dire deux mots en particulier ?

Je pris congé de mon inspecteur et tendis l'oreille

- Voilà. Je suis athée, et j'ai même souvent fait des conférences sur ce sujet. Mais il m'arrive une affaire assez étrange. Cela vous gênerait-il de m'expliquer un peu pourquoi vous avez parlé de la sorte il y a un instant. Une raison très spéciale me fait vous poser la question et bien des choses peuvent dépendre de votre réponse.

Avec attention, je le regardai bien en face. Il paraissait sérieux et rien ne me laissait supposer en lui quelque intention malveillante. Sans détour, je répondis :

- Mais pourquoi ne pas vous le dire ? Mon métier c'est de chercher les hommes perdus ou plutôt « hors de la voie ». Quand j'ai tout à fait par hasard entendu cet orateur parler si injustement devant des hommes et des femmes qui par-dessus tout ont un criant besoin d'entendre la vérité pour pouvoir peut-être un jour retrouver en Dieu le secret de la vie, j'ai cru nécessaire de corriger certaines de ses erreurs. Peut-être y ai-je, réussi.

- Ainsi vous croyez ferme que Dieu existe et qu'Il nous connaît et qu'il se préoccupe de nous ?

A nouveau je le considérai pour bien me convaincre de son sérieux. Beaucoup de gens prétendent douter de l'existence de Dieu. Je dis : prétendent car un court entretien vous démontre bientôt qu'ils mentent. je répondis :

- Je sais que Dieu existe.

Ce fut à lui de me dévisager pour deviner ma pensée. Sa figure dénotait une intelligence supérieure. Ses yeux sombres, le regard perçant, un front large, la lèvre supérieure fortement accusée, tout me paraissait signe d'un esprit réfléchi. Bien que de taille moyenne, il était vigoureux et bien bâti mais pauvrement vêtu. Il me plut beaucoup. Sa profession d'athéisme ne semblait pas lancée à la légère. Peut-être au fond de lui se prenait-il pour un hypocrite, tout autant que beaucoup d'autres accusés par lui de la même fausseté. Ce furent du moins les pensées qui en quelques secondes me traversèrent la tête du temps que je le regardais.

- Je ne puis douter de votre sincérité, finit-il par dire d'une voix lente, et j'ai la conviction qu'il vous est possible de m'aider en une affaire assez délicate. Je voudrais vous confier mon tourment. Puis-je vous accompagner ? Cela prendra du temps, je le crains. Vous est-il possible de me consacrer un long moment ?

Comme je commençais à sentir le besoin de prendre mon repas de midi, je proposai d'aller au restaurant le plus proche. Il accepta après quelques hésitations qui m'étonnèrent.

- A vrai dire, je me trouve en ce moment assez gêné, presque sans 'un sou. Mais si vous m'offriez une tasse de thé, j'accepterais volontiers.

La situation me parut s'éclaircir. Bref, au bout d'un instant nous partagions de fort bon appétit un repas substantiel car nous étions l'un et l'autre affamés. J'avais proposé de commencer par manger. Nous parlerions ensuite. Et j'entendis alors une pauvre histoire.

Homme de loi, il avait eu large clientèle et situation fort enviable. Sa femme et ses enfants vivaient loin de lui. Uniquement par sa faute. Son unique fils poursuivait au collège ses études tandis que la mère s'était retirée chez ses parents après avoir été traitée si indignement que la vie commune était devenue intolérable. Depuis des années il n'avait revu ni l'un ni l'autre et s'était résolu à ne plus s'en inquiéter. Peu importait : ils ne souffraient point de son absence et ne manquaient pas d'argent. D'ailleurs il n'y avait ni Dieu ni vie future ni jugement dernier. Il avait cessé de les aimer et ne pouvait espérer de leur part aucune affection. D'ailleurs qu'est-ce que l'amour ? Un sentiment, une imagination, forgée de toutes pièces par l'éducation reçue à l'église. Il n'aboutit jamais qu'à la déception. Tout être vit pour soi en égoïste. Et si vous ne vous préoccupez pas de votre propre personne, nul ne le fera pour vous. Du moins pour le moment ainsi envisageait-il la vie.

Maintes fois il avait eu affaire à des croyants « de tout poil ». Il ne m'en cacha point son opinion :

- En fin de compte tous ces gens m'ont agacé de leur vanité hypocrite. Mais alors vous, ce matin, vous m'avez fait réfléchir. je regardais, pendant que vous parliez, votre prédécesseur à la tribune. Il paraissait furieux. je vous comparais. Il avait essayé de réveiller en nous le moins bon. Un peu plus, nous étions tous prêts à cogner. Votre arrivée inattendue, vos manières... tout a changé. Pour moi j'ai l'impression d'avoir entrevu là ce que vous entendez par... Dieu. Vous savez, je suis loin de passer pour sentimental. Toujours j'ai lutté contre le sentiment. Et pourtant, du temps que vous évoquiez la figure de vos amis, il me semblait que vous n'étiez pas seul. Une voix semblait me parler à moi directement. Vous ignoriez ce que j'ai bien pu enseigner ici et la au cours de tant d'autres réunions, et l'auriez-vous au, vous n'auriez pu mieux répondre. je me demande si je n'ai pas pris le mauvais chemin et même un faux départ. Etais-je vraiment sincère dans mes convictions ? J'éprouvais un malin plaisir, à n'en point douter, à combattre ces gens dont le seul désir au fond est de faire connaître le dieu vivant, comme vous dites. Ces hommes tout à l'heure vous ont compris ; ils vous suivaient. Votre religion leur parait vraie. Après tout pourquoi ne pas l'avouer? Moi aussi j'aimerais posséder cette foi. Si je l'avais eue, ma vie ne se terminerait pas en faillite. Plus encore - il ferma les yeux un instant et garda le silence - si j'avais moi aussi cru comme ces gens-là dont vous parliez, mon fils ne serait pas devenu le froid sceptique qu'il est.

- Le jugez-vous vraiment tel ? demandai-je. A son âge, on peut encore changer.

Oui, mais en quel sens ? Pour tomber plus bas ? Voilà mon angoisse. je lui ai enseigné que Dieu n'existe pas, et pas davantage le ciel, ni l'enfer, ni la vérité, et que les hommes sont égoïstes et les meilleurs pleins de cruauté. je lui ai empoisonné le coeur. Maintenant j'en porte la lourde responsabilité. Que puis-je encore ?

Avec patience, je le questionnai, Me rendant compte que toute sa science reposait presque uniquement sur le stock habituel aux orateurs de carrefour, habiles à susciter les rires faciles, enrichi de quelques citations banales tirées de Voltaire, ou Kant, Hegel, et autres. Il reconnaissait avoir souvent parlé contre ses convictions intimes. argumenté contre sa conscience. Mais qu'est-ce que notre conscience ? Quelques notions puériles qu'on nous a inculquées dans notre jeune âge ? Recettes de bonne vie et moeurs ? Il me priait de le bien comprendre, désirant s'exprimer avec la plus grande clarté.

Ce qui m'apparut fort clair au travers de toutes ses explications, ce fut sa crainte d'avoir agi comme un fou et son désir lancinant de trouver auprès de lui un quelconque appui sympathique. Il s'ouvrait à moi en toute confiance, semblait-il. Peut-être sous l'influence d'une invisible main... On le sentait libéré, heureux de pouvoir parler avec liberté devant des oreilles attentives.

- C'est mon fils qui me préoccupe, ajoutait-il. Un seul être au monde le passionne, lui-même. Il refuse de me voir, mais je l'ai mérité. Il refuse de voir sa mère et ça la pauvre femme ne le mérite nullement. C'est la meilleure des créatures. Vous n'imaginez pas la patience qu'elle a eue pour moi. Et pour son fils ! Souvent je me suis demandé si la seule explication n'est pas à chercher tout simplement dans sa foi. Que feriez-vous à ma place? Est-ce trop tard pour agir? N'ai-je plus rien à espérer? Peut-être non. Qu'en pensez-vous?

- Ma conviction est que votre fils peut aussi être sauvé, répondis-je calmement. Et si tout ce que vous venez de me dire est vrai, il le sera.

Que dites-vous là ? reprit-il comme anxieux.

Je dis que très probablement le même Dieu qui en cet instant même se préoccupe de vous attirer à Lui, fait aussi la même tentative auprès de votre fils.

- Alors vous croyez vraiment que ce matin j'ai été mené ici par Dieu ?

- Mon cher, vous savez parfaitement en votre âme et conscience qu'il en est ainsi. Voyons, soyez logique. Pourquoi m'avez-vous abordé, pourquoi m'avez-vous parlé si longuement sinon poussé par une inspiration heureuse ou moi je vois la main de Dieu ? Vous hésitez encore à employer le même vocabulaire. Pourquoi? Si vraiment vous êtes sincère comme vous le prétendez, reconnaissez franchement que c'est Dieu et nulle autre influence qui vous a poussé et vous parle encore en cet instant même.

Il manifestait une grande nervosité.

- Si j'étais certain qu'Il peut et qu'Il veut sauver mon grand gars, je serais prêt à faire tout ce qu'il exigerait de moi.

- Alors inutile de vous mettre en souci. Ou plutôt 'tenez. Laissez-moi vous raconter un fait authentique.

Un soir, on me pria de présider une réunion religieuse dans un temple assez proche de mon quartier : le collègue était absent. Ce soir-là, il faisait presque aussi noir que dans un four. De plus il pleuvait à seaux, et la marche en plein air n'offrait aucun charme. Ma route traversait un vaste terrain vague sans aucun abri contre le vent. Malgré mon imperméable bien fermé, avant d'avoir atteint le porche de l'église je me suis senti trempé jusqu'aux os. Qui donc allais-je trouver comme auditeurs ?

La seule personne présente était... la femme du concierge : elle habitait la porte à côté. Elle avait tout préparé, éclairé et chauffé la salle. Nous causâmes un instant puis je passai dans la sacristie et attendis. Enfin la porte d'entrée grinça et livra passage à deux femmes, une vieille grand'mère et une toute jeune fille. Toutes deux ruisselaient d'eau. bien qu'elles m'assurassent habiter à deux pas de là. je leur dis ma joie de les. accueillir et aussi mon admiration pour leur courage. La vieille dame sourit et balbutia quelque chose comme

- Nous comptions sur le Seigneur.'

Comme nous étions quatre, je me lançais dans un bref service pour le bénéfice des trois mais aussi pour le mien. je me mis à l'harmonium, chantai un cantique (presque en solo), dis une prière, un nouveau chant. je lus une portion de la Bible et ajoutai quelques explications personnelles qui me parurent fort appréciées de mon auditoire. La vieille dame et la jeune fille ne me quittaient pas des yeux. Un chant, une prière et je terminai en leur donnant la bénédiction je pris congé et me préparais à partir.

- Qui est cette chère vieille dame, demandai-je à tout hasard à la concierge.

Elle me regarda avec un peu d'hésitation et dit

- Cela va vous faire de la peine mais pourquoi le cacher ? En fait elle est plus sourde qu'un pot de terre..

J'en fus éberlué. Elle m'avait souri si gentiment. Elle avait même répondu à mes remarques. je n'y comprenais rien.

- Ce n'est pourtant que trop vrai. Monsieur. Elle n'a pas saisi un mot de votre sermon. Mais laissez-moi vous dire merci pour ce culte. Cela m'a fait du bien.

Je repris la route, le dos courbé sous l'avalanche, perdu dans mes pensées. Puis après tout, j'avais fait mon devoir. Le reste, il fallait le remettre aux soins de Celui qui sait tout. D'ailleurs les concierges d'église aussi ont une âme dont il serait peut-être bon de se préoccuper mieux qu'on ne fait à l'ordinaire, même si on leur confie le soin du temple (même et surtout). Et je priai Dieu en moi-même de bénir ce service pour cette concierge et cette jeune fille.

Des mois plus tard, on me redemanda de prêcher en cette même salle et j'en profitai pour demander à ma brave concierge des nouvelles de la vieille dame sourde, si du moins elle l'avait revue depuis.

- Bien sûr ! me dit. elle. Et elle sera là ce soir. Vous n'avez donc rien su d'elle ?

- Moi ? Non, pas un mot. Que s'est-il passé ?

- Ah ! bien. Alors il faut vous dire que c'est la grand'mère de la petite jeune fille qui l'accompagnait, une enfant de son fils aîné. Elles vivent ensemble depuis que la mère a dû entrer à l'hôpital et que le père a tout quitté pour boire. Où il vivait, nul n'en savait rien. Mais Dieu savait. En rentrant chez elle la vieille dame tendit un crayon à la petite en la priant de lui écrire ce qu'elle se rappelait du sermon. Après avoir lu. la grand'mère dit :

- Ma chérie, je crois que jamais je n'ai donne mon coeur vraiment à Dieu. J'aurais peut-être évité bien des malheurs si je l'avais fait jadis. Mais ce soir je veux le faire. Nous allons nous agenouiller ensemble et je veux le faire maintenant.

Elle demanda pardon à Dieu, s'engageant à demeurer une fidèle servante. Puis elle a conseillé à l'enfant d'en faire autant, elle aussi, du temps qu'elles étaient là toutes les deux à genoux. Et elle ajouta encore :

- Chérie, il y a aussi ton père et tes deux oncles. Prions aussi pour eux trois.

Ses trois fils avaient plutôt mal tourné. L'un d'eux, matelot, était parti en mer, puis avait quitté son bateau et il n'avait plus donné signe de vie depuis des années. Mais ce soir-là, la vieille mère décida en son coeur de les présenter à Dieu et elle fut étonnamment exaucée.

Depuis ma première venue dans cette salle, on y avait tenu une série de réunions d'appels et un des premiers hommes à y assister et à accepter le divin message fut tout juste le propre père de la jeune fille. Après cela., la vieille maman avait reçu une lettre de .son second fils racontant comment grâce à un ami. il avait lui aussi décidé de prendre le bon chemin. Enfin la semaine d'avant, du Canada lui arrivait la nouvelle que le troisième de ses garçons, converti à Montréal, dans une église méthodiste, commençait des études pour devenir un prédicateur de l'évangile !

Quelques instants après cette passionnante conversation, je revis ma bonne vieille auditrice sourde et la jeune fille et je fis connaissance du père. Dans la sacristie nous eûmes quelques instants du plus pittoresque entretien : les feuilles de mon carnet se succédaient l'une à l'autre posant des questions, donnant des conseils, remerciant Dieu. La figure de la vieille dame sans oreille valait un poème : dire qu'elle rayonnait n'exprimerait qu'une très pâle approximation de la vérité.

Et j'ai eu depuis l'occasion de rencontrer ensemble les trois frères, tout réjoui comme bien l'on pense de les trouver aussi décidés à faire bénéficier les amis de leurs propres joies.

Ce récit m'avait pris quelques longs moments. Mon nouvel ami écoutait sans mot dire, attentif. Quand j'eus fini :

- Marchons un peu. Nous avons encore à parler. Et à deux pas de là, contre un pilier de grosses pierres en haut du passage du Rossignol, cet homme à son tour se décida pour la grande aventure. Il ignorait seulement que presque à la même minute à Cambridge, dans une chambre d'étudiant, un autre miracle se produisait.

Peu de jours plus tard, une lettre le lui annonça, une lettre de son fils. Il voulait vivre en disciple du Christ et avec affection conseillait à son père d'en faire autant « de peur qu'ensuite il ne soit trop tard ».

- Voudriez-vous répondre à ma place ? demanda le père

- Avec joie, si toutefois vous lui écrivez de votre côté.

Les deux lettres partirent ensemble. Dans mon bureau, j'eus bientôt l'émotion d'assister à une scène bien étrange.

Notre orateur de Tower Hill, à la voix si puissante, accepterait-il de croire que deux chrétiens militants, père et fils, aujourd'hui travaillent à en trouver d'autres, en conséquence de ses propres attaques, un peu imprudentes, contre le Dieu vivant ?


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