Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXIII

Séjour aux eaux de Plombières.

(19 juin - 31 octobre 1828)

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Neff ne s'abusait point sur son état ; cependant, il ne croyait pas devoir négliger les secours de l'art. Son médecin, après beaucoup d'essais, lui ordonna les eaux de Plombières.

Il relate ainsi ce voyage

A trente ans vieilli et usé

« Parti de Genève le 19 juin, je me dirigeai à petites journées, vu mon état de faiblesse, vers les bains de Plombières (Vosges). Mes rechutes de ce printemps m'ont tellement vieilli qu'en traversant la Suisse aucun de mes anciens amis ne me reconnaissait. Ces étrangers prennent partout ma mère pour ma femme, malgré ses soixante-sept ans... En traversant les cantons de Vaud, de Neuchâtel, de Berne, de Bâle, je visitai un grand nombre de lieux où, huit ou neuf ans auparavant, j'avais annoncé l'Evangile, quand tout, ou à peu près (Bâle excepté), y était encore plongé dans le sommeil de mort. Oh ! combien j'éprouvais de joie à la vue de la riche moisson qui couvre maintenant cette terre où le Seigneur m'a fait la grâce de jeter les premières semences !... Le voyage me procurant quelque soulagement, je me trouvai assez de force pour prêcher partout où j'en trouvais l'occasion, c'est-à-dire dans tous les lieux où je m'arrêtais... »

Encore sur la brèche

Arrivé à Plombières le 6 juillet, dès le 14 il écrit qu'il a eu avec une malade une longue conversation qui, de protestante, devint bientôt chrétienne. Il a aussi des entretiens avec des catholiques, de sérieux entretiens.

Il écrit encore : « Il paraît donc que je ne serai pas ici sans rien faire, quoique je n'aie point cru devoir y chercher de l'occupation. Mais j'étais bien sûr que dès que j'aurais la force de la supporter, le Maître ne manquerait pas de m'envoyer... Si Dieu le permet, j'aurai une réunion dans ma chambre. Voilà, ainsi que je le disais, comment Dieu arrange tout, et me taille de l'ouvrage sans que je m'en sois mêlé...

« Je trouvai à Plombières ce qu'on trouve dans tous les bains, une réunion confuse de toutes les misères physiques et morales, et de toutes les vanités humaines.. Je me sentais pressé de faire retentir la Parole de vie au milieu de cette foule, tout occupée de ses maux ou de ses plaisirs, et où personne ne paraissait songer à son âme et à l'éternité. J'aurais cependant été embarrassé pour commencer cette oeuvre si le Seigneur, qui m'avait envoyé à Plombières, ne m'avait aussi lui-même, dans sa grande miséricorde, préparé les voies et aplani les difficultés.

Un brillant auditoire

Mme de X.... épouse du préfet des Vosges, et protestante, ayant appris que j'étais ministre, me fit proposer d'établir un service publie chaque dimanche ; elle chercha elle-même un local convenable, et fit prévenir tous les protestants qu'elle put découvrir. Mon médecin, catholique de naissance, mais très mal soumis à l'Eglise de Rome, demanda pour lui et pour ses amis la permission d'assister à notre culte, et nous amena en effet plusieurs de ses coreligionnaires. La réunion fut assez nombreuse. Je n'avais jamais prêché devant un auditoire aussi brillant selon le monde ; c'est-à-dire composé presque uniquement de gens instruits et de riches de la terre. Toutefois, le Seigneur me donna de leur parler avec autant de liberté qu'aux montagnards des Hautes-Alpes, quoique dans un langage plus approprié à la délicatesse de leurs oreilles. »

Et c'est la même prédication qu'il fait entendre, car « l'Evangile, comme il l'a écrit quelque part (1), également approprié à toutes les âmes, est comme l'herbe de la terre dont se repaissent tous les animaux, mais il faut que les grands baissent la tête. »

« Le dimanche suivant, nous eûmes un plus grand nombre de catholiques romains, tant étrangers que du pays ; et deux grandes salles avaient peine à contenir les auditeurs .....

Les occasions particulières

« Outre la prédication du dimanche, j'avais bien des occasions particulières d'annoncer l'Evangile, soit à la promenade, soit dans l'hôtel que j'habitais. Plusieurs personnes, tant catholiques que protestantes, paraissaient prendre plaisir aux conversations, et me témoignaient le désir de me revoir dans leur pays, si le Seigneur m'y appelait. Une dame anglaise m'avait prié de donner à sa fille des leçons de religion ; elle venait tous les jours, accompagnée de son institutrice. »

Le local du dimanche précédent étant trop petit, on en trouve un autre où il y eut le double d'auditeurs, bien que beaucoup d'étrangers fussent partis (2). « La salle proprement dite de la réunion et deux autres attenantes étaient presque remplies. Nous avons pris les banquettes de la salle de spectacle ; et ainsi l'ennemi de Dieu a été forcé de servir Dieu. Ce n'est pas la première fois qu'il a ce crève-coeur ; et nous savons qu'il en verra bien d'autres. »

Venu à Plombières pour se soigner, se reposer, Neff évangélise !... et les soins passent au second plan :

« Pouvoir dire amen à ses jugements. ,

« Au milieu de ces occupations, je continuai l'usage des eaux thermales.... mes forces et mon appétit, malgré des variations, semblaient augmenter ; et l'on crut qu'il était temps d'ajouter quelques aliments un peu plus solides au lait qui, depuis plus d'un an, était ma seule nourriture. Mais malgré toutes les précautions, ces essais ont failli me coûter la vie... Cependant, je ne puis assez bénir le Seigneur pour la bonté avec laquelle il m'a traité dans cette occasion et pour la paix et le calme dont il m'a fait jouir pendant cette longue épreuve. Jusqu'à cette époque, l'idée d'être entièrement retranché du nombre des ouvriers de Jésus-Christ et d'être condamné à une inaction absolue m'avait paru comme impossible à supporter ; mais dès que le Seigneur a jugé à propos de m'appeler à ce sacrifice, il m'a fait sentir que ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu ; et soutenu par sa grâce, j'ai pu dire amen à ses jugements.

« Aussi j'ose espérer que ce Père miséricordieux n'a voulu que m'éprouver comme Abraham, et qu'il n'exigera pas la consommation du sacrifice. Toutefois, que sa volonté s'accomplisse, car elle est toujours bonne, agréable et parfaite. »

Nouveaux traitements

Neff, trop malade, ne peut plus prêcher. On essaye divers modes de traitements, dont l'application de plusieurs moxas (petits morceaux d'amadou qu'on fait brûler sur la peau) ; et, pour mieux résister à la douleur, il chantait au plus fort de l'action de ce cruel remède.

Toujours Evangéliste

Mais, de son lit, il évangélise encore. Deux jeunes prêtres « écoutaient volontiers le peu de paroles d'édification que le Seigneur me donnait de leur adresser. Ils paraissaient surpris d'entendre un protestant parler de la conversion du coeur et de la vie intérieure et spirituelle, dans le même esprit et dans le même langage que quelques-uns de leurs docteurs les plus considérés. J'ai souvent éprouvé qu'avec de telles âmes il vaut mieux planter et bâtir qu'arracher et démolir. Une grande partie de leurs préventions proviennent de leur ignorance sur tout ce qui concerne le protestantisme positif ; et ils sont à moitié désarmés quand ils rencontrent un chrétien qui leur parle sans controverse de ce qui fait la vie, la force et la paix de son coeur. »

De son médecin, il dit : « Il me fait tout l'effet d'une âme bien préparée pour la vie éternelle. Peut-être le Seigneur nous a-t-il rapprochés pour nous faire faire échange de santé, de vie et de guérison. »

Il a avec toutes les dames de la pension, une conversation moitié controverse et moitié édification, « où j'eus, dit-il, l'occasion d'opposer le seul chemin de l'Evangile aux voies tortueuses de l'Eglise romaine. »

Il organise une collecte pour les pauvres de l'endroit. On le consulte pour former un comité de bienfaisance et une société de dames pour la distribution de dons aux malheureux.

Il écrit longuement au pasteur qui l'a remplacé dans les Hautes-Alpes pour lui donner des directions, des détails sur les différents villages, la meilleure façon d'organiser ses tournées, et par-dessus tout, des conseils spirituels.

Mais sa santé s'aggrave. « Depuis six semaines environ, - écrit-il le 25 septembre 1828 - je ne puis faire aucun exercice, ni m'appliquer à rien ; je prends très peu de nourriture et je reste au lit presque tout le jour. »

Le passé s'évoque pendant les sombres veilles des nuits d'insomnie.

Il commence à souffrir d'une insomnie rebelle. Il écrit alors des lettres admirables.

« Une partie de mes longs loisirs, écrit-il à Emilie Bonnet, à Mens, est employée à des promenades en Dauphiné ; mon esprit erre comme dans un songe, au travers des Alpes et du Trièves; mon coeur l'accompagne dans ses tournées, et se retrouve, non sans émotion, dans tous les lieux où il a éprouvé tant de sensations délicieuses, partout où il a soupiré pour la conversion des pauvres pécheurs, partout où il s'est trouvé entouré d'âmes précieuses, avides de la Parole du salut. Je repasse les vallons, les cols, tous les petits sentiers que j'ai tant de fois traversés, ou seul ou avec des amis. Je me retrouve dans les chaumières, dans les étables, dans les vergers, partout où je me suis entretenu des choses du Ciel avec tous ceux qui me sont chers en Jésus-Christ. Je les vois tous, à part ou réunis ; je les entends et je leur parle. Dans ces moments-là, je me trouve tout naturellement replacé dans les sentiments qui m'animaient alors ; et comme alors, j'élève mon âme au Père des lumières, et je prie pour ses chères brebis.

Ceux qui ne sont plus

« Je rencontre aussi dans ces souvenirs l'image de ceux qui ne sont plus, et je soupire ; mais bientôt, je bénis Dieu pour eux, et je me réjouis en les voyant dans le bercail, à l'abri de tout mal et de toute chute. Sans doute, je ne puis repasser ainsi les temps et les lieux sans retrouver beaucoup de souvenirs humiliants, bien humiliants, et sans penser que si, à cette heure, je suis comme mis de côté dans le service de Christ, je l'ai bien mérité ; mais ces souvenirs ne sont pas les moins salutaires, et j'aurais bien tort de les écarter.

Ceux qui sont retournés en Egypte

« Mais ce qui jette plus d'ombre sur ce tableau, c'est le nombre, hélas ! si grand, de ceux qui sont morts dans le désert et qui, après être sortis d'Egypte, y sont retournés de leur coeur, n'ayant pas eu le courage de « monter pour posséder le bon pays ! » Combien mon souvenir rencontre, en parcourant vos contrées, de ces pauvres âmes qui ont été ébranlées par la prédication de la Parole, qui ont tremblé au pied du Sinaï, qui se sont écriées avec angoisse : « Que ferai-je pour être sauvée ? » qui ont, pour un temps, renoncé au monde, supporté sa haine et partagé les afflictions du peuple de Dieu, - puis qui se sont lassés du chemin, qui n'ont plus redouté la colère à venir, qui ont oublié les menaces et les promesses, qui se sont endormies après avoir veillé, veillé assez longtemps, hélas ! pour devenir inexcusables, et pour se préparer des regrets éternels et la plus terrible condamnation !

« Oh ! que mon coeur est affligé à leur souvenir! et combien m'est sensible la perte de ces chers enfants, pour lesquels mon coeur a été longtemps en travail, et qui n'ont pu parvenir jusqu'à la nouvelle naissance! qui ont brillé comme des fleurs, mais comme des fleurs stériles, et qui n'ont point donné de fruits ! ...

« Mais ! que dirai-je donc de ceux qui ont porté du fruit et qui ont vu le jour d'une nouvelle vie, qui ont rendu témoignage à la vérité, qui en ont même amené plusieurs à la lumière, - et qui sont retournés, comme le pourceau, se vautrer dans la fange qui ont oublié la purification de leurs péchés passés qui ont quitté la droite voie comme Balaam ! et qui ont outragé l'Esprit de grâce, par lequel ils paraissaient avoir été sanctifiés Leur nombre est petit, sans doute; mais, ô mon Dieu pourquoi faut-il qu'il y en ait ? Pourquoi faut-il que son corps spirituel soit ainsi mutilé, et que des plaies si profondes et si douloureuses soient faites à son Eglise, et navrent le coeur de ses enfants ?... Il faut, nous as-tu dit, Seigneur, qu'il arrive des scandales !... Mais, malheur à ceux par qui ils arrivent !... Oui, malheur à eux ! Et plût à Dieu qu'ils ne fussent jamais nés !

Malheur à nous aussi

Mais malheur à nous aussi si ces exemples terribles ne nous humilient pas, ne doublent pas notre vigilance, ne nous font pas saisir des deux mains le pan de la robe de notre unique Protecteur, en nous réfugiant dans son sein comme un enfant qui, voyant paraître un tigre, se jette entre les bras de son père ! Ah ! que celui qui pense être debout prenne garde qu'il ne tombe ! Souvenez-vous de la femme de Lot ; veillons ; prions ; défions-nous de nous-mêmes ! Mais ayons toute confiance en Jésus ; et surtout demeurons près de lui ; là nous serons en sûreté. Oui, demeurons près de lui ; demeurons en lui ! Prenez garde à cette expression du Sauveur ; demeurez en moi comme le sarment demeure attaché au cep. Il ne dit pas seulement comme ailleurs : venez à moi mais demeurez en moi.

Demeurons en Lui

Certainement, ceux dont la chute afflige l'Eglise, ceux qui crucifient de nouveau le Fils de Dieu, étaient déjà, depuis plus ou moins longtemps, séparés de lui par le fait : un fruit tombe rarement avant la saison, si ce n'est qu'il a été rongé sur l'arbre même par un ver. Et c'est longtemps avant de se détacher du rameau que la feuille d'automne jaunit, et cesse d'avoir part à la sève vivante qui la fît naître et verdir au printemps. Non, il n'est donné à aucune créature de pouvoir dire comme Dieu : Je suis celui qui suis ; c'est-à-dire, d'avoir la vie en elle-même et de la posséder hors de son principe, qui est Dieu. Le Sauveur nous le déclare quand il dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'avez point la vie en vous mêmes. » Ce n'est donc qu'autant que nous vivons de Christ et qu'il habite en nous, ce n'est qu'autant que nous avons effectivement le Fils que nous pouvons avoir la vie.

Et ne le sentons-nous pas, n'en faisons-nous pas chaque jour l'expérience ? Quelle force, quelle paix nous donne habituellement la simple profession de la foi ? Tout en disant : « je suis chrétien, j'appartiens à Christ », si notre coeur demeure éloigné de lui, ne sommes-nous pas tout aussi faibles, tout aussi légers, tout aussi mondains, et pour le moins aussi malheureux que ceux qui ne l'ont point connu ? Mais j'ai traité ce sujet dans la Méditation de Saint Jacques, qui est entre vos mains. Relisez avec attention les pages 16 et 17.

« Ah! si, dans les trop longs intervalles qui séparent nos moments de véritable recueillement et de prière, nous conservions un souvenir profond de ce que nous éprouvons dans ces moments-là, ils ne seraient certainement pas si rares ! Mais ce sont des choses qui se passent entre Dieu et l'homme spirituel, et que l'homme animal, le vieil homme, oublie aussitôt, pour ne se rappeler que la difficulté du chemin. »

Je serai net de votre sang

Il écrit les mêmes choses aux Arviens :

« Ah ! chers amis, si j'étais si souvent sérieux et triste au milieu de vous en vous annonçant l'Evangile ; si je vous parlais souvent avec tant de force ; et si, souvent, j'ai pu vous blesser par des vérités pénibles, je suis pourtant loin de m'en repentir ; car si vous périssez, ce qu'à Dieu ne plaise! du moins je serai net de votre sang. Mais, ô mon Dieu ! quelle triste consolation ! Ah ! daigne avoir pitié de ces chères âmes, et ne permets pas que j'aie été au milieu d'elles un messager de mort en aggravant leur condamnation !

« Non, chers amis, je ne regrette pas toutes les privations et toutes les fatigues que j'ai endurées pour l'amour de vous, et qui m'ont réduit à l'état de faiblesse et de maladie où je suis maintenant, vous écrivant du fond de mon lit et par une main étrangère. Je ne regretterais pas même d'avoir, comme dit le prophète, travaillé en vain et usé ma force pour néant et sans fruit, car mon oeuvre est par devers mon Dieu; (Esaïe XLIX : 4), si la plus grande perte n'était pas pour vous-mêmes, et si cette Sainte Parole que je vous ai prêchée tant de fois et qui devait sauver vos âmes, ne devait pas un jour s'élever en jugement contre vous ! ... »

« Par beaucoup d'afflictions »

A Alexandre Vallon, l'ivrogne batailleur dont la conversion avait été si profonde que Neff l'avait mis à la tête de l'oeuvre de Dieu en Champsaur, il écrit une lettre qui, comme toutes celles de cette période, ne serait pas indigne d'être mise à côté des Adieux d'Adolphe Monod... « Si je ne puis montrer en moi les fruits de l'Esprit, je les ai vus chez beaucoup d'autres ; j'ai vu de mes propres yeux des chrétiens, souffrant beaucoup plus que moi, et pendant de longues années, qui puisaient dans le trésor de leur très-sainte foi des consolations toujours nouvelles, qui bénissaient Dieu de leurs douleurs mêmes, et qui « se réjouissaient de participer aux souffrances de Christ. » Oui, j'ai vu cela, et je l'ai vu souvent ; et j'en conclus bien naturellement que si vous (3) et moi sommes tristes et ennuyés de souffrir, si nous perdons courage, et si, au lieu de bénir Dieu et de nous réjouir, nous sommes tentés de murmurer et de nous plaindre, ce n'est pas la faute de l'Evangile, mais c'est notre faute; c'est parce que la foi nous manque ; parce que nous avons négligé la prière ; parce que nous avons oublié en quelque sorte la purification de nos péchés passés, c'est-à-dire perdu de vue les premières grâces que nous avons reçues de Dieu, ainsi que les grandes et précieuses promesses qui sont devant nous ; nous avons oublié aussi que « c'est par beaucoup d'afflictions qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu ». Nous oublions enfin que notre Chef fut couronné d'épines ; que le Prince de notre salut fut consacré par les souffrances ; et qu'on ne peut le suivre qu'en renonçant à soi-même, et en chargeant sa croix ; et cette croix, ce n'est pas nous qui la choisissons, mais c'est à nous de la recevoir comme Dieu nous l'envoie.

La pensée de la mort

« Je ne sais, mon cher ami, si la pensée de la mort vous est pénible ; mais je sais maintenant par expérience que Satan peut, dans certains moments, nous la rendre bien lugubre ; c'est alors que nous voyons combien nous sommes encore charnels, et combien nous avons peu de foi. Cependant, qu'est-ce pour nous, que cette pauvre vie, que ce misérable monde ? Nous l'avons appelé tant de fois, dans le temps même de notre vigueur, un désert, une vallée de larmes, un enfer ; et maintenant que nos corps affaiblis ne peuvent plus jouir du peu de bien qu'il offre, l'esprit de séduction aurait l'art de nous le faire regretter !

Le port

Dans les plus beaux jours de notre pèlerinage, nous avons soupiré après l'heure de l'arrivée ; et dans les sombres nuits d'une orageuse et pénible navigation, la vue du port nous effraierait. 0 cher ami ; chantons, chantons plutôt le cantique de la délivrance : « Courage ! encore un pas, etc... » Vous avez peu de chose, cher ami, qui doive vous attacher ici-bas ; personne, ou à peu près, que vous puissiez regretter selon la chair, et si, selon l'Esprit, vous avez quelques frères et soeurs dont la séparation vous soit pénible, n'allez-vous pas aux milliers d'anges, à l'assemblée des premiers-nés, à l'Eglise d'en-haut qui vous tend les bras et qui chantera à votre arrivée : « Courage ! Entrez dans ce palais de gloire ; c'est ici le séjour de la félicité ! Entrez, bénis de l'Eternel, entrez dans la joie de votre Seigneur ! »

« ... Ah ! que les veilles de cette triste nuit, qui nous semblent si longues, nous paraîtront courtes au matin de l'éternité, quand la brillante aurore du jour des Cieux dissipera comme un vain songe le souvenir de nos douleurs, quand l'Agneau nous paîtra, et qu'Il essuiera toute larme de nos yeux ! Courage donc, cher frère ; bientôt Celui qui doit venir viendra.

« Rappelons-nous, en attendant, que nul de nous ne doit ni vivre ni mourir pour soi-même ; et prions Dieu qu'Il nous accorde la grâce de pouvoir dire avec Saint Paul : « Ma ferme attente et mon espérance est que je ne serai confus en rien ; mais qu'en toute assurance, Christ sera maintenant, comme Il l'a toujours été, glorifié en mon corps, soit par la vie, soit par la mort. » Et ajoutons avec lui : « Christ m'est un gain, à vivre et à mourir. »

Adieu, cher ami ! Nous ne franchirons probablement plus ensemble les sommets des Alpes ; mais bientôt nous nous rencontrerons sur les riantes collines de la céleste Canaan, et cela pour toujours ! Oui CERTAINEMENT... BIENTÔT POUR TOUJOURS ! Adieu.

« Félix NEFF. »

(Cette lettre (4) arriva trop tard ; le corps de ce cher ami était bien encore dans la maison, mais son âme était au ciel, seulement depuis quelques heures ! Neff lui-même mourut six mois après, en mars 1829).

Thérapeutique hésitante

De nouveaux traitements, d'autres régimes sont essayés. « Tout cela va bien pendant quelques jours, et semble d'abord promettre beaucoup ; mais bientôt, mon estomac fatigué s'en lasse comme du reste, et je suis obligé de revenir au lait.»

Aussi « je n'aurai probablement plus grand'chose à faire à Plombières » (écrit-il le 6 octobre 1828), d'ailleurs les frais du séjour pour sa mère et lui étaient trop onéreux, et il quitta les Vosges le 29 octobre. « On conçoit facilement, écrit Ami Bost, que pour une personne aussi affaiblie que lui, un voyage en novembre dut être bien pénible. Il revint, enveloppé de flanelles comme un vieillard ; et personne que lui n'eut plus d'espoir de le voir jamais rétabli. »

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1. Cité par Adolphe MONOD in : Les grandes âmes, Sermons choisis, p. 233.
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2. Non seulement Neff prêche, mais il convoque les auditeurs: « Samedi nous avons, maman et moi, préparé une trentaine de cartes indiquant l'heure et le lieu de culte protestant pour le lendemain. Puis, j'ai donné ces cartes au crieur public pour les distribuer à l'heure du dîner entre les principaux hôtels. »
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3. Vallon était lui aussi tombé malade.
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4. On la trouvera in extenso dans le volume: Lettres de direction spirituelle.
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