Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXII

L'attitude de Neff:

La controverse. - La prédestination. - Le devoir et la manière de dénoncer l'erreur.

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« Neff pensait sur toutes choses, et en particulier sur les vérités évangéliques avec une telle lucidité et une telle justesse, que chaque mot de lui mérite d'être conservé. »

A. BOST.

Les discussions oiseuses

« Le christianisme expérimental et pratique », voilà la dogmatique de Neff, aussi avait-il en aversion les discussions oiseuses. Il évitait toute discussion de nature à satisfaire la curiosité, à distraire « de la seule chose nécessaire. » Son attitude vis-à-vis de Ferdinand Martin est à cet égard caractéristique :

Celui-ci, avec un de ses amis, essaya un jour de lui poser des questions de controverse. « Neff fut très discret, sa retenue, écrit Martin, nous étonna. Quelques mots à notre adresse touchant la vraie, la bonne controverse, celle de l'Evangile contre le coeur mauvais de l'homme, protestant ou catholique, nous réduisirent au silence ; nous n'osâmes plus le questionner, il se tut... »

Quelques mois après, poursuit Martin, « je lui fis part de mes besoins spirituels, de mes difficultés. ... Notre entretien fut long. Neff répondait à toutes mes questions par l'Ecriture.... le moment de nous séparer étant arrivé, nous nous embrassâmes. »

Les discussions nécessaires

Mais quand il s'adressait à des chrétiens, à des pasteurs, à des théologiens, une fois que la question du salut ne se posait plus, Neff ne laissait jamais passer l'erreur sans la dénoncer avec une franchise, une vigueur exemplaires.

Il n'était pas polémiste par goût, bien au contraire mais il savait que, pour les idées, il n'y a pas de charité et que l'erreur est génératrice de péché.

« Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler. » Neff le savait, et la distinction qu'il opérait est digne d'être retenue.

L'attitude de Neff vis-à-vis des discussions théologiques de l'époque est non moins remarquable.

« Une autre chose qui me rend le séjour de Genève bien pénible, écrivait-il à André Blanc, c'est le triste état où s'y trouve le règne de Dieu ; l'esprit de théologie, de système, de dispute, de critique et je dirai presque d'inquisition, qui trouble et détruit toute simplicité de foi et bientôt toute vie !

« La principale cause de tout le mal est ce fameux Malan (1), qui est de plus en plus exclusif et tout à l'heure un vrai pape, condamnant au feu tous les livres religieux dont il n'est pas l'auteur ; accusant d'hérésie tous les prédicateurs qui ne prennent pas journellement le mot d'ordre chez lui, et défendant à son troupeau de les entendre ; travaillant à former de ses sectateurs autant d'agents de sa haute police et de son saint office. J'aimerais mieux, en vérité, prêcher parmi les Turcs que parmi de tels chrétiens...

« Il reste cependant, j'en conviens, au milieu de tout cela, bien des âmes simples qui vont leur petit train, sans presque s'apercevoir de ce qui se passe ; mais j'ai le malheur de ne pas appartenir à cette heureuse classe... »

La prédestination

La question la plus discutée à Genève à cette époque était les rapports de l'élection et de la grâce. Neff avait d'ailleurs déjà pris parti depuis longtemps sur ce point, et avec quel rare équilibre !

« Redoutant les extrêmes, je me vois souvent forcé de prendre l'opposé de ceux qui outrent dans un sens quelconque ; et je suis arminien parce que la plupart d'entre vous sont trop calvinistes. Je serais calviniste, au contraire, si vous étiez arminiens. Au reste, je ne me souviens pas d'avoir jamais cru ni plus ni moins qu'actuellement à la prédestination.

L'esprit de système

Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'il me semble impossible d'encadrer et de systématiser les doctrines évangéliques dont il s'agit, sans s'exposer à mutiler et à tordre les Ecritures, vu que l'arminien et le calviniste trouvent également dans les livres saints de quoi établir en apparence, victorieusement leur système. Je crois peu sage à l'homme de décider hardiment la question, et je puis dire avec la même vérité, tantôt que je crois, tantôt que je ne crois pas à la prédestination. Je reconnais qu'elle est enseignée en plusieurs endroits de la Bible ; mais comme je vois les livres saints s'exprimer dans une multitude d'autres passages comme si cette doctrine n'existait pas, je me crois autorisé à en faire autant, toutes les fois que cela me paraît nécessaire et je ne puis approuver ceux qui « en font un article essentiel de notre foi », et qui, insistant là-dessus en temps et hors de temps, en font une pierre d'achoppement pour la très grande majorité des âmes. Je ne puis que gémir en voyant avec quelle témérité on s'est enfoncé dans cet abîme, sans redouter les conséquences terribles et souvent blasphématoires qu'on est presque forcé d'en tirer ; - je ne puis que gémir plus encore en considérant quelle théologie aride, scolastique et pointilleuse en est résultée, et a remplacé chez plusieurs la piété simple et onctueuse du petit enfant !... Je le répète pourtant : je suis prêt à reconnaître que c'est une doctrine biblique, mais bien plus expérimentale que dogmatique, qui peut se sentir et non se comprendre, encore moins être enseignée ex professo. »

Obligé de se défendre : Energie et douceur

Malgré cette largeur, sinon à cause d'elle, il fut plusieurs fois blâmé, pour des prédications où on lui reprochait de ne pas assez insister sur l'élection. Neff dut souvent se défendre (et ces luttes ébranlaient encore sa santé si chancelante). Mais avec quelle hauteur de vue, quelle sérénité réfute-t-il ses adversaires ! On a trouvé ce fragment de prière, effusion de coeur entre Neff et son Dieu, nullement destinée à la publication annexé à une réponse :

« Oh mon Sauveur ! voici encore une lutte ! Veuille faire servir à ouvrir les yeux de plusieurs, ce seul fait que je me voie appelé à justifier ce petit écrit (2) où tu m'avais donné de n'annoncer que des vérités si saintes et qui semblaient si fort au-dessus des attaques de ceux qui croiraient en Toi ! »

Citons encore la fin d'une de ses lettres

« Cher Monsieur, qu'il y a loin de cette aride et minutieuse théologie à la douce et vivante parole de Jésus ! Et combien le coeur de ce Sauveur doit-il être affligé en voyant ses enfants se chicaner sur des mots, s'enfermer dans d'étroits systèmes, réduire à une vaine science sa divine Révélation, et employer leur temps et leurs forces à harceler leurs frères, tandis qu'ils ont au dehors tant d'adversaires à combattre. Croyez-moi : avec tous vos syllogismes, avec toute votre exacte et raide science, vous êtes bien loin de recevoir le Royaume de Dieu comme des petits enfants ! Dieu confond la sagesse des sages et anéantit l'intelligence des intelligents. »

Un rare franc-parler. - Les plaies de l'Eglise

Voici une lettre où Neff, malgré l'aménité de son caractère, revendique le droit de dénoncer les plaies de l'Eglise. Cette lettre est un peu longue, mais ses directives sont toujours de saison et si claires qu'il est utile de la lire tout entière.

« Plusieurs chrétiens, d'ailleurs très respectables, redoutent toute espèce de publicité quand il s'agit des plaies de l'Eglise, et paraîtraient peut-être plus disposés à condamner celui qui les signale que celui qui les fait. Sans doute, il serait bien peu charitable de révéler sans nécessité à un monde incrédule ou indifférent, les erreurs ou les péchés qui troublent quelquefois l'intérieur de la famille de Jésus-Christ. Mais serait-il beaucoup plus chrétien, celui qui ne s'affligerait des misères du peuple de Dieu qu'à cause du monde, et qui mettrait plus de soin à les cacher qu'à les guérir ? Quoi ! pourvu que la coupe parût nette aux yeux des hommes, on se soucierait peu des souillures dont elle est remplie ! Il suffirait d'être couvert d'une peau de brebis pour ravager impunément les troupeaux du Seigneur ! Et si quelqu'un voulait donner l'alarme et crier au loup, on lui imposerait silence, et on ferait peut-être feu sur lui, tandis que le véritable ennemi continuerait librement ses déprédations ! Appellerait-on cela sagesse ou charité, ou même justice ?...

« Est-il bien sûr, d'ailleurs, que le monde ignore tous les maux dont nous gémissons, et qu'il attende, pour s'en apercevoir et pour en être scandalisé, que l'Eglise elle-même les ait signalés?... Si un chrétien égaré publie dans son aveuglement des principes dangereux, s'il affiche et fait sonner bien haut des prétentions ambitieuses, s'il pèche ainsi publiquement, serait-il donc moins une occasion de chute que celui qui, jaloux de la gloire de son Dieu, protestera, au nom de l'Evangile, contre de tels abus, et se bornera à déclarer que ce n'est point là la doctrine que nous professons ?

« Oh! mes frères, s'il en est quelques-uns parmi nous qui aient jugé des personnes et des choses d'après ces principes relâchés, qu'ils sondent leur coeur devant Dieu et qu'ils se demandent si c'est là marcher de droit pied selon l'Evangile ? N'est-ce pas là plutôt pervertir le droit et tolérer le mal ? Bien plus, c'est l'encourager, c'est le prendre sous sa protection, et s'en rendre responsable.

« D'autres pensent que, s'il est nécessaire d'attaquer les erreurs et les abus, il faut au moins laisser entièrement les personnes de côté. Sans doute, quand on peut le faire sans s'exposer à manquer son but ! Mais les choses vont rarement sans les personnes ; souvent cette distinction devient impossible ; et tant s'en faut que la Bible la fasse toujours.

« Quand un pays est menacé d'une épidémie, il ne suffit pas, pour en arrêter les progrès, de publier une froide dissertation sur la maladie ; il faut encore indiquer, autant qu'on le peut, les lieux qui en sont infectés. Je n'ai jamais rien compris, à cette charité qui sacrifie le tout à la partie et le bien publie à l'intérêt particulier. Ce serait, par exemple, une singulière charité que celle qui, de peur de nuire à un pharmacien dont les drogues seraient avariées, exposerait la santé et la vie de tous les habitants d'une ville, - ou qui, pour ménager les intérêts ou l'amour-propre d'un régent [instituteur] ignare ou paresseux, négligerait l'éducation d'une génération tout entière ! ...

La forme n'est pas indifférente

« D'autres enfin, et c'est peut-être le plus grand nombre, perdent de vue l'importance des choses mêmes, pour s'attacher à la forme, et se plaindre du ton sur lequel on parle. - « Il fallait dire tout cela ; mais on pouvait le dire autrement. » - Non, car si l'écrivain, en choisissant ses expressions, n'a eu d'autre but que de rendre avec force et clarté toute sa pensée, on ne peut guère toucher à sa phrase sans en changer ou en affaiblir le sens ; et dès lors, ce n'est plus dire la même chose autrement, c'est dire autre chose... Je n'ignore pas que, dans le monde, il est assez généralement reçu de ne dire, en fait de choses désagréables, qu'une partie de ce que l'on pense, et de laisser deviner le reste ; mais le chrétien doit-il imiter ce langage hypocrite, qui, bien souvent d'ailleurs, n'est qu'un raffinement de malignité ?

« Quelques-uns exigeraient qu'un écrivain chrétien ne s'animât jamais que pour louer ou bénir, et voudraient lui interdire en tout temps une sainte indignation à la vue du mal ; mais lisez la Bible, et voyez si les hommes inspirés et le Sauveur lui-même ont toujours agi avec cette froide réserve qu'on voudrait nous imposer et qui ressemble beaucoup à l'indifférence ! Moïse était le plus doux des hommes (Nombres XII : 3), et cependant il jette à terre et brise les tables de la loi à la vue du veau d'or (Exode XXXII : 19).

« D'ailleurs, quand on sentirait et qu'on exprimerait trop vivement les choses, cesseraient-elles pour cela d'être vraies et importantes ? et ne devrait-on plus du tout être écouté ? »

Le pasteur F. Dumont a rapporté les comparaisons qu'il avait recueillies de la bouche même de Neff, en se promenant avec lui, en 1827, sur la place des Aires, à Mens :

Comment caractériser les déviations des Eglises

« L'Eglise chrétienne est un arbre sain dans son intérieur, et dont l'écorce est saine aussi.

« L'Eglise romaine est un arbre dont le coeur est sain, mais dont l'écorce est surchargée de mousse, de gui et d'autres plantes parasites.

« L'Eglise néologue (si on peut l'appeler Eglise), est un arbre dont le bois est pourri, mais dont l'écorce est encore saine et de belle apparence... Pour ramener l'Eglise romaine à la véritable foi, il n'y a qu'à racler son écorce, mais si l'on veut racler les néologues (3), il ne reste que de la poussière. »

« Oui, oui, non, non. »

« Est-ce juger, écrit-il ailleurs, que de dire d'un homme qui blasphème, que c'est un impie ; d'un homme qu'on voit sortir tous les jours de la taverne en chancelant, que c'est un ivrogne ? Est-ce juger que de dire d'un homme qui nie la Divinité du Sauveur et la nécessité de son sacrifice, la corruption de l'homme et l'action du Saint-Esprit dans le coeur des croyants, et qui le fait publiquement dans ses discours ou ses écrits ; est-ce juger que de dire : Voilà un incrédule, un ennemi de la croix de Christ ? « L'homme spirituel juge de tout » et son jugement est juste parce qu'il est basé sur la loi de Dieu, et non sur les préjugés et les maximes du monde. » (4)

Neff professait la vérité, avec intransigeance, envers et contre tous, mais il la professait toujours dans la charité.

Combattre les idées : aimer les âmes

Sous un extérieur austère et froid, « le caporal au coeur d'acier », comme Bost l'appelait, cachait une âme profondément sensible (5). En 1823 déjà, il écrivait ces lignes : « Exhortons-nous aussi les uns les autres à la charité et à la miséricorde. Nous en avons grand besoin, et nous ne savons pas en user avec autrui. Soyons bons, même avec les plus grands ennemis haïssons leurs oeuvres ; combattons leurs principes empêchons-les, autant que possible, d'obscurcir le conseil de Dieu ; mais aimons leurs âmes ; prions pour eux ; plaignons leur aveuglement, et témoignons-leur une affection véritable. Souvenons-nous surtout que nous sommes pétris de la même fange qu'eux ; et que, si nous ne sommes pas au nombre des plus corrompus et des plus endurcis des hommes, cela ne vient point de nous, mais c'est un don de Dieu ; car nous sommes de notre nature des enfants de colère, comme tous les autres... (6) »

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1. Neff s'exprime ici avec vivacité, mais il n'en veut qu'aux principes d'un calvinisme exclusif et intransigeant, que professait le célèbre prédicateur et poète genevois. La liberté de jugement et de langage de Neff est d'autant plus remarquable qu'il ne pouvait avoir oublié tout ce qu'il devait à Malan qui, d'ailleurs le visita sur son lit de mort et parla sur sa tombe.
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2. Méditation sur 1 Cor. VII, 29-31.
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3. Le mot néologue désignait au début du XIXe siècle ce que nous nommons aujourd'hui moderniste.
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4. Méditation sur le IV, chapitre de l'épître de St-Jacques, V. 11.
A propos de cette méditation, Neff avait reçu de vives critiques de quatre élèves de César Malan, candidats en théologie. Il répondit aux « quatre proposants », par une lettre que nous donnons in extenso en appendice (V). En effet, non seulement elle nous fait assister aux discussions théologiques de l'époque, et présente, de ce fait, un certain intérêt historique, mais surtout elle nous montre comment doit réagir tout chrétien en présence des déviations doctrinales et qu'il ne faut tolérer « ni l'ennemi domestique, ni l'étranger ».
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5. GUERS, Le premier réveil, p. 375.
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6. On trouvera cette lettre tout entière Appendice III.
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