Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XX

Retour et séjour à Genève.

(Juin 1827 - juin 1828)

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Neff arrive à Genève le 15 juin. Les souffrances l'empêchent d'écrire, il ne peut « tracer quelques ,lignes... qu'à plusieurs reprises ».

L'écharde

Pendant une légère accalmie, il écrit : « Mais quand on est trop bien, on est mal, et le péché prend bien vite le dessus ; surtout quand on est obligé de rester tout le jour sans rien faire, comme cela m'arrive maintenant, que je ne dois ni lire, ni écrire, ni même parler. Depuis environ trois mois, j'ai laissé, j'ai été obligé de laisser la prédication et tout travail d'évangélisation ! C'est la première fois que les forces me manquent pour remplir les fonctions de mon ministère depuis huit ans que je l'exerce ; rien ne pouvait m'humilier davantage. Mais je m'y soumets; et je dois d'autant plus m'y soumettre que je suis digne d'être rejeté, non pas pour un temps, mais pour toujours, de l'oeuvre de Dieu. »

Rachetant le temps

Il évangélise cependant son médecin, lui parle du réveil des Hautes-Alpes. « Et voilà mon docteur qui oublie ma consulte pour me parler du règne de Dieu. Jugez si je fus agréablement surpris ! Cependant, comme plusieurs personnes attendaient dans l'antichambre, je crus devoir ramener le sujet de ma visite... (1) »

Au bout de deux mois, il se sent mieux et travaille malgré son régime de diète presque absolue. « Depuis quinze jours (écrit-il le 28 août), j'ai été appelé à prêcher sept à huit fois sans m'en être mal trouvé, et même je me suis trouvé pendant quelques jours le seul prédicateur évangélique en état de fonctionner par ici, tous mes frères étant absents ou malades... »

Il fait un discours dans une assemblée pour les Missions à Nyon, à quatre lieues de Genève. « Vous voyez que Dieu me traite bien doucement ; et que, si je ne fais pas d'imprudence, je puis espérer de me rétablir... Dès que je me trouve un peu mieux pendant quelques jours de suite, il me semble que cela va durer et que je pourrais bientôt partir... Je languis toujours plus de vous revoir... »

Malgré la distance il n'a quitté personne

Mais tout en restant, il vit encore avec ses Alpins et reste leur pasteur. Il reçoit des lettres circonstanciées sur les églises et presque sur l'état de chaque âme, et il répond - malgré la fatigue que lui cause cette correspondance - donnant à tous et à chacun ses directions.

Si le coeur n'est pas touché...

A Suzanne Baridon de Dormillouse, il écrit : « Rappelez-vous, mes chers amis, que le principal n'est pas tant de lire et de chanter, ni même de méditer les Saintes Ecritures, mais de prier dans son coeur en demandant à Dieu sa lumière et sa force ; car, quand la Parole de Dieu serait claire à nos yeux comme le jour, et que nous saurions par coeur les passages les plus essentiels, si notre coeur n'est pas touché par le Saint-Esprit, nous serons toujours légers, incrédules et rebelles. »

Il écrit à Arvieux pour indiquer quand et comment organiser les réunions du soir (2).

Le pasteur Ehrmann se présente pour succéder à Neff dans les Hautes-Alpes ; il n'est pas sûr qu'on le nomme, « parce que, comme il s'en présente plusieurs, on tirera au sort ». Mais Neff sait qu'Ehrmann est « simple, populaire, actif. robuste et surtout très bon piéton, en même temps qu'affermi dans la foi vivante en Jésus-Christ ». Aussi écrit-il au percepteur de la région : « Je crois devoir vous conjurer de ne pas rester inactif dans une circonstance aussi intéressante, et de faire de votre côté tout ce qui dépendra de vous pour que le choix du Consistoire tombe sur des hommes, et particulièrement pour la section d'Arvieux, sur un homme vraiment zélé, et non pas sur un mercenaire » et il termine sa lettre en disant : « L'hiver a commencé ici de bien bonne heure... Je ne suis pas en peine pour moi..., je crains surtout pour nos pauvres montagnards, qui n'auront pas plus de fourrage et de pain qu'il n'en faut pour un long hiver. »

A un futur évangéliste. Pas de cléricalisme

Il écrit à un de ses anciens élèves, Jean Rostan, qu'il ne peut envoyer à la Faculté de Théologie de Montauban comme il l'aurait voulu : « Mon cher Jeannet, si le Seigneur ne juge pas à propos de te conduire présentement par cette voie, et que tu ne puisses, pour le présent, savoir si tu auras un jour le caractère officiel de prédicateur aux yeux du monde, ce n'est nullement une preuve que le maître de la moisson rejette tes services et que tu doives t'en retirer, car il est évident que pour l'oeuvre de Dieu, ce n'est pas la science humaine, la régularité des études ni le choix des hommes, non plus que le costume et le titre qui font le véritable ouvrier. Le Sauveur choisit et appelle ceux qu'il veut et lui-même leur confère les dons qui leur sont nécessaires. Souvent, leur ministère obscur et méconnu du monde n'en est que plus béni pour les âmes simples qui ont entendu leur message. Ainsi donc, quoique la porte plus large du ministère régulier ne soit point à mépriser, il faut, si on ne peut y atteindre, se persuader que le Seigneur peut et veut nous employer d'une manière moins apparente, moins honorable aux yeux des hommes et peut-être moins agréable à la chair, mais tout aussi glorieuse devant les anges et devant Dieu. Aie donc bon courage, et sans tant t'inquiéter de l'avenir, emploie le présent à la gloire de Dieu et à l'avancement de son règne selon qu'il peut t'y appeler. Arrange-toi de manière à ce que ta maison ne souffre pas de tes absences et continue à visiter tantôt une vallée, tantôt l'autre, surtout les dimanches et les fêtes. Tu pourrais, par exemple, visiter tout le Queyras à la Dame d'Août (3), ou bien si tu étais à Freyssinières le dimanche avant, passer le col et te trouver en Champsaur pour le 15. Continue, quand tu es à Vars, de t'occuper du travail de la terre, soit parce que tu y es appelé par état, soit pour en conserver l'habitude et maintenir ton corps robuste.

Il n'y a pas besoin d'être « Monsieur » et d'avoir un habit fin et des mains blanches pour montrer « l'Agneau de Dieu » aux pécheurs. Seulement sois prudent pour ton corps, ménage tes forces, aie de toi un soin raisonnable ; surtout ne fais pas trop de longues étapes par la chaleur, ne bois pas d'eau en chemin ni rien de froid en arrivant et prends garde de ne pas te laisser glacer la sueur sur le corps ; ne sois pas trop économe en route, prends une bonne nourriture tant que cela pourra se faire. Je sais qu'à ton âge, et robuste comme tu l'es, on se moque volontiers de toute ces précautions, mais c'est tout simplement de l'orgueil, j'en paye actuellement la façon et je désire que mon exemple serve à d'autres. Il n'est plus temps de ménager notre corps quand il est usé. Adieu, mon cher ami, que le Seigneur te bénisse et te fortifie par son bon esprit, qu'il te donne un esprit de force, de charité et de prudence. Amen (4). »

A ses anciens catéchumènes, à ceux qui avaient encore recours à lui, il répondait :

Soyez enraciné en Christ, vous devez vous passer de moi.

« Je suis bien sensible à l'affection et à la confiance que vous me témoignez, mais je vous ai déjà dit souvent que vous n'avez qu'un père qui est Dieu... Vous ne devez pas plus attendre après moi qu'après un autre, et comme un provin qui a pris racine dans la terre peut être sans danger séparé de la mère-souche, de même si vous êtes enracinés en Jésus-Christ, vous pouvez vous passer de moi comme de toute autre créature.

« Vous savez trop bien que celui qui sème n'est rien, ni celui qui arrose, mais que c'est Dieu seul qui donne l'accroissement.

« Quelle est en effet la mission du prédicateur sinon de montrer Jésus au pécheur en lui disant : « Voilà l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », et que doit y faire le pécheur..., sinon quitter Jean-Baptiste pour suivre Jésus et demeurer avec lui.... en répétant avec le même Jean-Baptiste : « Celui qui a l'épouse est l'époux, il faut qu'il croisse et que je diminue. » (Jean 111, 29). Oui, à mesure que Jésus croîtra dans vos âmes, le prédicateur y doit diminuer jusqu'à ce qu'il soit réduit tout à fait à rien, et que tous puissent lui dire « Nous n'avons plus besoin que tu nous enseignes nous sommes enseignés de Dieu (Hébreux VIII, 11) : nous ne croyons plus sur ta parole, mais nous avons nous-mêmes entendu Jésus, et nous savons qu'il est le Christ, le Sauveur du monde. » (Jean IV, 42).

Mens et les hameaux du Trièves

Il se tient en contact avec Mens, où le réveil se poursuit. Emilie Bonnet lui écrit : « J'ai vu aujourd'hui nos soeurs de La Baume ; elles sont bien intéressantes. Il y a toujours à Menglas des réunions qui prennent de jour en jour plus de vie. Vous rappelez-vous que ce village avait une bruyante vogue (fête patronale) la nuit de Noël. Eh bien, à présent, plus de vogue, mais de nombreuses réunions chrétiennes.

« Richard, du Villard-de-Touages, me dit qu'au Villard-Julien, après quelques oppositions, les habitants, d'abord divisés au sujet des assemblées, ont fini par y venir tous à l'exception d'une famille, et que ceux qui avaient été les plus exaspérés sont maintenant les plus attentifs ; que le réveil se propage aussi dans son propre village, et que lui-même se sent plus de courage, en même temps que plus de douceur et de joie à annoncer la Bonne Nouvelle... La Peyre donne de nouvelles marques de la bonté de Dieu. Aux Caravelles, de nouveaux disciples ; à Jouany, à Saint-Sébastien, on commence à bouger... Je ne sais si vous recevez des lettres du Verdier et du Mantaire, le règne de Dieu avance rapidement dans ces hameaux... A Oriol, on désire entendre la Parole de Vie... A Saint-Baudille de même... Une brave femme, de Guichardière, qui ne parle guère que son patois, tient des réunions, le dimanche soir, tantôt dans un village, tantôt dans un autre. »

Après avoir considéré ses anciens champs d'activité et donné à chacun de ses amis ses derniers conseils, il se juge lui-même et s'exhorte :

Retour sur soi-même

« C'est pour moi une épreuve, aussi nouvelle que méritée, de me sentir arrêté dans mon activité. J'entrevoyais déjà, dans le temps de ma plus grande vigueur, que mettant trop de confiance dans mes forces, en faisant trop de cas, et en me complaisant trop dans cette puissance d'action que rien ne semblait pouvoir arrêter ou lasser, je risquais d'en être privé un jour ou l'autre pour mon avantage spirituel, comme d'autres sont privés de leurs biens, de leurs enfants, de leurs amis ou de toute autre chose périssable à laquelle ils mettent trop de prix. Jusqu'ici, je n'avais qu'une connaissance théorique d'un vrai renoncement à soi-même ; et à moins d'être privé d'une manière quelconque du travail et du mouvement, qui était l'objet principal de mon coeur, je ne pouvais en faire l'expérience. Oh ! qu'il est dur, au commencement, de donner les mains à l'accomplissement des desseins de Dieu sur nous ! Combien nous avons de peine à nous soumettre à la conduite du seul sage, dans notre éducation comme enfants de la famille royale, comme héritier du sacerdoce éternel ! Mais grâces lui soient rendues de ce qu'il ne prend pas conseil et n'attend pas notre bonne volonté, et surtout de ce qu'il ne tarde pas à nous découvrir la bonté et la sagesse de sa conduite envers nous, en nous faisant rougir de nos plaintes et de nos murmures insensés ! »

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1. Quelques mois plus tard le médecin portera le diagnostic de « squirrhe ». On désignait ainsi à l'époque une certaine variété de cancer. Les détails donnés sur la maladie de Neff permettent aujourd'hui de confirmer ce diagnostic.
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2. Voici encore quelques-unes de ses exhortations à ses anciens paroissiens :
Ceux qui négligent d'arroser la semence
« J'ai reçu vos lettres il y a quelque temps, ainsi qu'une de M. Baridon, le percepteur, et une de Jean Besson. Je puis rarement écrire sans me faire de mal ; c'est pourquoi je n'entreprends pas de répondre à tous pour le moment ; car il m'a fallu bien des jours pour faire celle de votre cousin, que vous trouverez ci-incluse. Aujourd'hui cependant je me trouve assez bien, et j'en profite pour m'entretenir un moment avec vous, je pense bien souvent à mon cher Dormillouse et à tous ceux que j'y ai laissés. Quand il faisait si froid vers la fin de mai et au commencement de juin, je pensais souvent à vos récoltes que je croyais voir couvertes de neige ou de gelée ; et quand ensuite la sécheresse est venue, j'avais du souci pour vous tous, pensant que peut-être on laisserait, comme l'année dernière, consumer les fourrages des montagnes, au lieu de les couper; et que, faute d'union et de bonne foi, on aurait négligé d'entretenir les canaux et de se maintenir à l'eau, pour arroser soit les pommes de terre, soit d'autres plantes. Mais ce qui me donne bien plus de souci que tout cela c'est de penser qu'il y en a tant parmi vous qui négligent d'arroser la bonne semence de la Parole de vie qui a été abondamment répandue dans les coeurs. »
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3. Le 15 août.
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4. Lettre du 27 juillet 1827 citée par M. LELIEVRE in L'élève de F. Neff, Vie de Jean-Louis Rostan, 1865, p. 34.
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