Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIX

Derniers travaux dans les Hautes-Alpes.

(Janvier 1826 - juin 1827)

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L'année 1826 et le printemps de 1827 furent aussi remplis pour Neff que les années précédentes. Malgré l'affaiblissement de son estomac, il continue à diriger son école de Dormillouse, à parcourir le Queyras, la vallée de Freyssinières et le Champsaur.

Faire de bonnes oeuvres

Il s'intéresse à toutes les détresses. Un village catholique, aux environs de Gap, ayant été détruit par un incendie, Neff commente en chaire l'appel du préfet, ce qui permet au maire de recueillir une somme de plus de cent soixante francs, « tant en argent qu'en denrées, offrande considérable pour un peuple aussi pauvre et qui dépasse de beaucoup celle de la majorité des autres communes catholiques, qui, toutes, sont mieux situées et plus riches. Ce trait pourrait, comme mille autres, prouver que la doctrine du salut gratuit prêchée au peuple, ne l'empêche pas de faire de bonnes oeuvres. »

La lettre que nous venons de citer est la dernière que Neff ait écrite d'Arvieux, sinon des Hautes-Alpes, et Ami Bost ajoute : Je suis frappé de voir que les quatre derniers mots qu'ait écrit de sa station ce prédicateur fidèle, qui a tant prêché le sang de la Croix, la seule doctrine de vie, aient été ceux-ci : « Faire de bonnes oeuvres ! »

Voici maintenant le dernier journal de Félix Neff, écrit d'ailleurs de Genève. Le missionnaire ouvre ce journal du ton dont pourrait s'ouvrir un testament. Il n'avait alors que vingt-neuf ans et huit mois ! ...

A vingt-neuf ans: son testament

« Appelé à l'oeuvre d'évangéliste presque en même temps qu'à la précieuse connaissance de Jésus-Christ, endurci jeune au travail et peu accoutumé aux aisances de la vie, j'ai pu supporter les fatigues de cette vocation pendant près de huit années sans m'en apercevoir.

Premiers malaises

Le séjour même des Hautes-Alpes, l'âpreté du climat, les courses continuelles, les privations de toute espèce, ne paraissaient pas, pendant les trois premiers hivers, influer sur ma santé ; ce ne fut qu'en été 1826, que je commençai à sentir mon estomac s'affaiblir sensiblement, probablement par l'usage des aliments grossiers (viandes salées, séchées, vinaigrées, soupes au suif salé, fromage fort), et par l'extrême irrégularité inévitable du régime dont j'usais, en parcourant un pays très pauvre et peu peuplé ; peut-être aussi par la malpropreté des ustensiles de cuivre, seuls usités dans ces contrées. Je fis d'abord peu attention à ces indispositions, et ne me crus pas autorisé à quitter encore un poste où le Seigneur daignait me bénir abondamment, et où ma présence semblait nécessaire. Je résolus donc d'y passer encore un hiver, mais cet hiver, plus long et plus rigoureux que les trois précédents, a achevé de détruire ma santé.

J'avais surtout au coeur de continuer, pendant l'hiver qui allait commencer, l'école de jeunes hommes et surtout d'élèves régents, que j'avais commencée l'année précédente. Je réunis donc encore à Dormillouse, l'hiver dernier, une dizaine de jeunes frères des vallées voisines, et autant du village même, je pris pour sous-maître un de mes élèves de la première volée, Jean Rostan, qui s'en est acquitté avec autant d'intelligence que d'activité ; et je donnai à cette école le plus de temps possible. Mais le travail de l'instruction m'était très pénible, à cause du mauvais état de ma santé. D'un autre côté, mes courses autour des Alpes étaient aussi fatigantes que périlleuses, à cause de la rigueur de cet hiver, le pays étant couvert de près d'une toise de neige. La tourmente régnait presque continuellement, et les avalanches se précipitaient de toutes parts et encombraient tous les passages. Je sentais mon mal empirer de jour en jour. Je ne pouvais supporter aucun aliment solide. J'avais de fréquentes indigestions et des douleurs d'estomac presque continuelles ; une foulure au genou, contractée en traversant les débris d'une énorme avalanche sur la fin de mars, faillit m'arrêter tout à fait : je dus rester six jours pour faire douze lieues...

A petites journées

« Après le départ de mes élèves, je retournai au Queyras à petites journées, m'arrêtant dans tous les villages où je pouvais tenir des réunions. Je prêchai plusieurs fois dans chaque église, et tins beaucoup de réunions pendant les fêtes de Pâques ; après quoi je fus obligé de demeurer plusieurs jours à Arvieux, me trouvant plus faible et plus malade, et aussi pour soigner ma foulure, que la fatigue avait aggravée.

Savoir ce qu'est la fatigue

Mais pendant que cette partie se rétablissait, les douleurs d'estomac augmentaient ; je ne pouvais plus supporter aucun aliment, pas même de légères infusions ; je sentais mes forces diminuer rapidement ; et, pour la première fois, j'éprouvais ce que c'est que la fatigue. Je vis alors qu'il était temps de me rapprocher des secours dont j'avais besoin, secours qu'avec toute leur bonne volonté, ces pauvres montagnards ne pouvaient me procurer !

« Jusqu'alors, j'avais été tenté d'accuser de mollesse et de paresse tout homme et surtout tout prédicateur qui parlait de ménagement, de repos, et qui regardait un travail pour la gloire de Dieu au-dessus de ses forces. Mais j'apprenais cette fois que mes forces aussi avaient leur limite, et, à mon tour, je sentis le besoin de ces soins et de ce repos que j'avais tant dédaignés. C'est ainsi que Dieu nous humilie et nous fait sentir notre entière dépendance et aussi qu'il nous apprend à ne point nous estimer nous-même et à juger charitablement nos frères. Aucun genre d'épreuve ne pouvait m'être plus sensible et plus salutaire. C'est celui-là que le Seigneur m'a envoyé. Puissé-je en profiter et lui rendre grâce.*

« Un soir où j'étais particulièrement mal, les paysans, pensant que j'allais mourir, entouraient mon lit en pleurant, et se désolaient de ne pouvoir me donner aucun soulagement. Je profitai de leur émotion et des grâces spirituelles que le Seigneur répandait en moi dans ce moment, pour leur parler de leur âme, et du peu de progrès qu'ils avaient faits pendant mon séjour parmi eux.

La force dans l'infirmité

Jamais je n'avais parlé avec tant d'émotion et de vie ; je sentais à la lettre la vérité de ces paroles : « Ma force s'accomplit dans ton infirmité. » Oh ! que la maladie serait préférable à la santé, et la douleur au bien-être du corps, si l'homme intérieur en était toujours fortifié comme il l'était alors en moi ! Nous pourrions bien dire de tout notre coeur : « Nous nous glorifions dans l'affliction » ; et nous pourrions la regarder « comme le sujet d'une parfaite joie ».

Des adieux qui ne sont pas de bonnes paroles.

« Quoique la commune d'Arvieux fût celle où j'avais rencontré le plus de résistance et d'incrédulité, je ne la quittai pas sans regret ; j'y laissais plusieurs âmes dans une situation aussi pénible qu'intéressante. Profondément convaincues de péché, accablées sous le fardeau de leur misère, elles refusaient de croire à la Bonne Nouvelle... Mon départ achevait de les décourager et je les laissai presque dans le désespoir...

« Je quittai Arvieux le 27 avril, monté sur un mulet... A peine eûmes-nous fait une lieue que nous rencontrâmes quatre jeunes hommes de Dormillouse qui, ayant ouï dire que j'étais plus malade, venaient pour s'en informer et me voir. Ils avaient déjà fait neuf lieues, et ils retournèrent jusqu'à Guillestre où nous couchâmes tous... J'allai prêcher aux Viollins. Le temple était rempli ; j'étais très faible en montant en chaire, car depuis plusieurs jours je ne prenais aucun aliment ; mais la prédication me donna des forces. Je prêchai sur ces paroles de Paul : Actes XX : 20, 21, 26, 27, 31, 32 (1), m'appliquant surtout à leur retracer ce conseil de Dieu que je leur avais annoncé, faisant sentir à ceux qui avaient négligé cette bonne Parole toute la responsabilité qui pesait sur eux ; et encourageant les autres par les saintes promesses de Dieu ; leur recommandant l'union, la vigilance et l'amour fraternel. Tout l'auditoire paraissait vivement touché, bien que j'évitasse d'émouvoir leur sensibilité par quelques considérations charnelles. Après le service, je me sentis plus de force et je pus prendre quelque nourriture. Je remontai en chaire l'après-midi ; et je me rendis le même soir à Dormillouse, où je tins une nombreuse réunion au temple.

Encore une journée complète

Le lundi, je me sentis si bien que je pris la résolution de ne pas partir encore, et de refaire une tournée complète en attendant la grande foire de Guillestre, qui était prochaine, et où j'espérais vendre la plupart des Bibles, Nouveaux Testaments et autres livres qui me restaient encore.

« Je descendis à Dormillouse le mardi, m'arrêtant en tenant des réunions partout, surtout à Champcellas, où le réveil parmi les catholiques romains continuait d'une manière réjouissante. Les curés du Queyras, me croyant parti définitivement, s'étaient hâtés de l'annoncer en chaire à leurs paroissiens...

Colporteur

« Je terminai cette dernière tournée par une nombreuse réunion du soir au Serre de Champcellas même, à laquelle assistèrent un grand nombre de catholiques romains ; et le lendemain, je me rendis à la foire de Guillestre, où, comme je l'avais espéré, je plaçai la plupart des Bibles, Nouveaux Testaments, et autres livres qui me restaient. Je montai le même soir à Vars, où je prêchai le lendemain. Je priai notre frère Jean Rostan de continuer mon oeuvre autant que possible, en faisant quelques tournées dans les diverses vallées pendant le courant de l'été. Je lui laissai quelque argent pour sa dépense dans ses diverses courses, et je vins à Mont-Dauphin prendre la diligence de Gap...

« La bonne qualité des aliments que je trouvai dans les auberges d'Embrun et de Gap me rendit momentanément quelque force ; aussi je pus franchir à pied le mont Bayard pour me rendre en Champsaur, où je prêchai le samedi et le dimanche plusieurs fois ; après quoi je repris la grande route et la diligence pour venir à La Mure, dont l'église protestante fait partie de la paroisse de Mens et dont jusqu'alors l'état spirituel n'était pas à beaucoup près satisfaisant. »

Le Trièves prospère

De Mens, on envoie un cheval à Neff qui pensait encore pouvoir se rétablir sans aller en Suisse.

Il trouve le Trièves dans l'état le plus prospère... « Un grand nombre d'âmes avaient été ajoutées au troupeau de Jésus, et le zèle de ces nouveau-nés avait ranimé celui des anciens. La réunion des soeurs mariées, fondée à l'époque de la dédicace du temple de Mens, en automne 1826, s'était tellement accrue, qu'on fut obligé d'en former deux ; et la vie chrétienne s'y était développée au point qu'on y voyait souvent s'accomplir ce que dit Saint Paul (I Cor. XIV : 24-25). La plus grande liberté de coeur règne dans ces assemblées où souvent la dame et sa fermière sont assises l'une à côté de l'autre, et s'exhortent ou s'instruisent mutuellement, et où l'on parle plus souvent patois que français. Le christianisme expérimental et pratique en est seul l'objet ; et jamais des questions difficiles de théologie ne viennent en troubler la paix, ou en détruire la simplicité. Plusieurs autres réunions semblables avaient été fondées parmi les jeunes gens et même parmi les enfants. Ces dernières sont Présidées par quelqu'un de plus âgé ; toutes les autres marchent à peu près sans autre conducteur que Celui qui a promis d'être en personne partout où deux ou trois sont assemblés en son nom.

Ce qu'on fait des réunions mutuelles

« J'ai vu ici des gens, qui depuis la première année de mon séjour à Mens, c'est-à-dire depuis plus de cinq ans, avaient suivi de loin le troupeau de Jésus sans qu'on eût pu dire s'ils étaient morts, ou vivants; et qui, réveillés tout de bon seulement cette année, ont trouvé la porte étroite et sont entrés pleins de joie ; d'autres qui ne s'étaient jamais occupés de leur salut jusqu'à cet hiver, et qui au bout de quelques, semaines, ou même au bout de quelques jours de combats, ont trouvé le repos de leur âme en Jésus-Christ. On s'étonne ici, surtout dans le bourg, quand quelqu'un reste dans la conviction de péché plus de deux ou trois mois. Cependant, nous en avons à la campagne qui ont souffert bien plus longtemps. Il en est une entre autres qui sent son état de perdition depuis quinze ans, et qui, jusqu'à ce printemps, n'avait osé en parler à personne, ne sachant pas même ce qu'elle avait. On l'avait traitée comme atteinte d'une maladie de nerfs ; et pendant longtemps elle cherchait par toute sorte de moyens à se distraire et à se divertir. Malgré cela, le Seigneur l'a gardée jusqu'à présent ; elle reconnaît maintenant que c'est une oeuvre de Dieu ; et elle ne cherche sa guérison que dans la croix de Jésus et dans la conversation des vrais chrétiens. Mais elle craint si peu de leur ouvrir son coeur, qu'elle le ferait, je le crois, sur la place du marché comme dans sa chambre.

« Je ne saurais vous dire combien j'ai été encouragé en voyant tout le travail que le Seigneur a daigné faire dans ce pays depuis mon dernier voyage ; et je dois vous dire que ce ne sont pas tant les pasteurs et leur prédication, quoique bien fidèle, qui ont été le moyen, que les réunions mutuelles, pleines de vie et de confiance chrétienne (2).

La moisson

« Pendant le temps que je passai à Mens, je prêchai plusieurs fois chaque dimanche, et je tins, chaque soir, de nombreuses réunions. J'avais, en outre, tout le jour, de nombreuses visites ; les âmes nouvellement réveillées venaient me raconter avec joie ce que Dieu avait fait pour elles et par elles, ou me demander des conseils pour marcher dans la nouvelle voie où elles venaient d'entrer ; d'autres, en plus grand nombre, encore enveloppées de doutes et de difficultés, venaient pour s'informer du chemin qui conduit « à la ville de refuge ». Les habitants des campagnes m'amenaient des montures pour me conduire dans leurs hameaux, où je trouvais toujours des réunions plus ou moins nombreuses. J'étais appelé de tous côtés. Jamais la moisson n'avait paru si abondante en Trièves ; jamais je n'avais éprouvé un plus vif désir d'en parcourir les populeux vallons. Oh ! combien je regrettais mon ancienne vigueur ! Combien mon corps souffrant et affaibli me semblait un pesant fardeau ! La prédication ne m'était toutefois pas pénible encore ; il me semblait au contraire que c'était un exercice salutaire ; et jamais je ne me sentais mieux que le dimanche au soir. Aussi, malgré l'irritation toujours croissante de mon estomac, je voyais venir avec peine le jour de mon départ ; je ne pouvais me résoudre à m'éloigner de ce Dauphiné, qui m'était échu comme en partage dans le vaste champ du Seigneur. »

 

Mais Neff avait un pressant besoin de repos, et d'ailleurs un long séjour à Mens l'eût exposé à « quelque dénonciation de la part des adversaires, toujours vigilants », ou eût excité quelque trouble.

Le dernier dimanche à Mens

De son dernier dimanche à Mens, il écrit

« Je prêchai trois fois au temple le dimanche, et je tins trois ou quatre réunions ; je ne pris pas un instant de repos depuis le matin jusqu'à dix heures du soir. Le lendemain (12 juin), de très bonne heure, nous partîmes à cheval pour La Mure... Nous trouvâmes la route couverte de gens qui nous attendaient pour nous dire adieu. Plusieurs nous accompagnèrent jusqu'au sommet de la montagne, et quelques-uns beaucoup plus loin. A La Mure, nous prîmes une voiture pour Grenoble, où j'arrivai malade, et souffris toute la journée du mardi ; le mercredi, nous partîmes pour Genève, où nous arrivâmes le lendemain 15 juin. »

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1. Textes combien appropriés :
« Vous savez que je n'ai rien caché de ce qui vous était utile, et que je n'ai pas craint de vous prêcher et de vous enseigner publiquement et dans les maisons, annonçant aux Juifs et aux Grecs la repentance envers Dieu et la foi envers notre Seigneur Jésus-Christ... C'est pourquoi je vous déclare aujourd'hui que je suis pur du sang de vous tous, car je vous ai annoncé tout le conseil de Dieu sans en rien cacher... Veillez donc, vous souvenant que durant trois années, je n'ai cessé nuit et jour d'exhorter avec larmes chacun de vous. Et maintenant, je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce, à celui qui peut édifier et donner l'héritage avec tous les sanctifiés. » 
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2. Ces improvisations, ces effusions, ces enthousiasmes qui se donnaient libre cours au sein des réunions d'édification mutuelle ne devaient jamais dévier.
Bost, visitant Mens vingt-deux ans après le réveil, était frappé de cet « air de liberté et de spontanéité » qui régnait à Mens Les pasteurs « fidèles serviteurs de Jésus-Christ n'ont pourtant ni l'un ni l'autre, à mon avis, cette opiniâtre et continuelle action génératrice qui semblerait nécessaire pour produire ou seulement pour entretenir l'effet spécial ont je parle ».
Relisons ce que Bost écrivit à ce sujet. Il avait assisté « à une réunion d'environ cinquante personnes qui n'a, je crois, pas de président. Quelqu'un y indique un chant, quelqu'un fait la prière, quelqu'un lit une portion de l'Ecriture ; puis, avec une liberté entière, hommes ou femmes prennent la parole pour faire quelques observations ou demander quelques explications. Dans cette réunion les femmes apportent toujours quelque ouvrage de main. Et je crois que depuis la naissance de ces assemblées, qui datent du temps de Neff, on n'en a jamais vu résulter les mauvaises suites qui ont pu se montrer ailleurs, mais qui ne sont point, tant s'en faut, l'effet nécessaire de réunions pareilles ». (Visites.... p. 24).
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