Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XVI

Visite en Piémont.

(juillet 1825)

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Lors de la dédicace du temple de Freyssinières, Neff avait fait la connaissance d'Antoine Blanc, frère d'André Blanc, de Mens, et l'avait invité à examiner sérieusement son état spirituel. Puis Blanc s'était ouvert à lui par lettre, de sa misère et de l'horrible hypocrisie « de ses prétendues vertus ». Neff lui répondit, cherchant à guider ses pas incertains du côté de la « vraie porte » et écrivit alors (janvier 1825) : « Voilà très probablement la première et seule âme des vallées du Piémont qui donne quelques signes sensibles de vie. »

Quelques mois après, Antoine Blanc le « pressait vivement d'aller le voir et prêcher à ses voisins... De mon côté, pensait Neff, j'avais fort à coeur de visiter ce pays, fertile en glorieux souvenirs... et je partis pour cet effet d'Arvieux le 6 juillet 1825 ». André Blanc l'avait prévenu qu'il se rendrait aussi aux Vallées à cette époque.

Impression de Neff en voyant l'Italie

Arrivé au col La Croix (2.305 m.), Neff s'écrie : « Je n'essaierai pas de rendre l'impression que fit en moi le tableau magnifique qui s'offrit tout à coup à mes regards. Derrière et autour de moi, les rochers escarpés et les glaciers des Alpes ; à mes pieds, les riantes vallées du Piémont et, dans le lointain, les vastes plaines de l'Italie. Cette admiration est un tribut que paie sans doute tout voyageur qui franchit les Alpes pour la première fois ; surtout s'il peut, à cette vue, associer les poétiques ou belliqueux souvenirs de ces belles contrées. Mais que les sentiments du chrétien sont différents de ceux du monde ! Que j'étais loin alors de penser aux Césars, aux Annibals, ou aux Virgiles ! Le ténébreux Empire de la Bête et le double esclavage du fanatisme absorbaient tous mes sens et jetaient comme un voile obscur sur cette riante Italie. « 0 Jésus ! m'écriai-je, ô Soleil divin, n'éclaireras-tu jamais ce malheureux peuple ! L'as-tu livré sans retour aux séductions de l'ennemi ? Et toi, humble vallée, arrosée du sang de tant de martyrs, es-tu aussi devenue aride ? Lampe ardente, qui as brillé si longtemps au milieu des ténèbres, es-tu éteinte pour toujours ? 0 Eternel, as-tu abandonné ce faible résidu de ton antique Eglise ? L'as-tu effacé de ton livre et vomi de ta bouche ? Souviens-toi de tes compassions ! Rends-lui ton chandelier ; ramène les coeurs des pères dans les enfants ; et daigne accompagner ton faible serviteur afin « qu'on possède encore les héritages désolés ! »

Les Eglises vaudoises

Le début du XIXe siècle était, en effet, pour les Eglises vaudoises, comme pour les autres, une période de tiédeur et de décadence. De plus, les Vaudois du Piémont, dans l'impossibilité où ils étaient de préparer eux-mêmes leurs jeunes gens au saint ministère, durent accepter les bourses que leur offraient généreusement les Universités suisses et allemandes, où déjà l'enseignement théologique laissait beaucoup à désirer sous le rapport des doctrines. Dans les Vallées comme partout ailleurs, les vérités de la ]Parole de Dieu furent supplantées par la philosophie de l'école (1).

Quand Neff arrive à la Tour, Antoine Blanc le salue en ces termes : « Vous êtes attendu ici comme le Messie ; on languit de vous voir et de vous entendre ; je ne sais si c'est tout de bon. » Neff devait en effet trouver, au cours de cette tournée, tiédeur chez les pasteurs, légèreté et insouciance chez les membres du troupeau.


Cl. Sté des Amat. Phot.
MONT-VISO (3.841 ni.)
dominant les Hautes-Alpes de France et le Piémont

 

Culte en plaisir

Neff va, avec son ami, rendre visite, à St-Jean, au pasteur Mondon, qui avait prêché à Freyssinières. Ce dernier leur demande lequel des deux prêcherait le dimanche suivant.

« - L'un et l'autre, répondit Blanc. Ne peut-on pas faire deux services ?

« - Oui, mais justement il y a taulas (2) (tir à la cible) et bal aux Bronnens (devant le temple) ; pour cela, on fait le service du matin le plus tôt possible ; et comment en faire un second ? On peut cependant le proposer ajouta-t-il ; mais il faut que celui de l'après-midi soit très court. »

« Je contins mon indignation, me promettant bien cependant de ne pas asservir ainsi le service de Dieu à celui de la vanité : car il n'est que trop vrai que dans plusieurs églises vaudoises, on hâte le service divin pour laisser plus de place aux plaisirs ! »

Cependant, en considération des deux pasteurs étrangers, les gens de la fête n'eurent point de bal et le tir fut interrompu pendant les services.

Une prédication de circonstance

Neff prêcha sur ce texte : « Qui n'a pas l'Esprit n'a pas le Fils » (Romains VIII : 9).

« Quoique peu accoutumé à prêcher devant un auditoire aussi important et dans un si grand vaisseau, je ne fus point intimidé ; le Seigneur me fortifia et je pus hardiment lui rendre témoignage. Je commençai à prouver ma proposition par les Ecritures ; puis ayant établi les caractères auxquels on peut reconnaître la présence de l'Esprit dans un coeur, je fis l'anatomie de celui de mes auditeurs, en comparant en détail leurs affections avec celles de l'Esprit. Les ayant ainsi convaincus qu'ils n'étaient affectionnés qu'aux choses de la chair (Rom. VIII : 5), j'en conclus qu'ils n'avaient point l'Esprit, par conséquent point le Fils, et enfin point la Vie. (Jean III, 36 ; 1 Jean V, 12) ; qu'ils étaient donc sous la colère de Dieu, dans la mort, dans la perdition. Je terminai en les conjurant de demander à Dieu cet Esprit de lumière et de vie, sans lequel on ne peut connaître ni ses péchés, ni les richesses de la grâce.

« Mon discours, j'ose le dire, logique, semé et coupé d'interpellations, soutenait singulièrement l'attention d'un auditoire qui entendait pour la première fois une prédication de ce genre. »

Le pasteur Mondon, lui, fut loin d'en être satisfait.

Qui ne se fit, par contre, pas faute de témoigner à Neff son approbation, ce fut le vieux pasteur Meille. Ils allèrent le voir le lendemain : « C'est, dit Neff, un vieillard respectable qui a toutes les manières et la tournure d'un ancien frère de l'Unité... Il n'était pas loin du royaume de Dieu ; et nos visites paraissent lui avoir fait du bien. Quoique riche et considéré, il est d'une grande humilité, et malgré son âge, il reçoit l'Evangile comme un petit enfant. Je crains seulement qu'il ne trouve des obstacles dans sa propre maison, et qu'il n'ait pas la force de les surmonter. »

C'est chez lui cependant que l'on commence des réunions fraternelles tous les soirs de cette semaine, et qu'on les continue la semaine suivante (3).

Le dimanche entre deux avait été consacré à l'église de Saint-Germain. « Je fis ouvrir de grands yeux à mes auditeurs, écrit Neff, quand je leur déclarai que' non seulement ils n'étaient pas régénérés, mais qu'ils n'avaient peut-être jamais vu personne qui le fût. »

Neff tint encore plusieurs réunions, visita quelques pasteurs « qui parurent la tiédeur même pour ne dire rien de plus », prêcha à La Tour sur la vision des ossements secs - l'application, dit-il, était facile - et repartit pour le Queyras.

«jamais sans effet.»

La prédication évangélique de Neff avait produit un vrai réveil dans bien des âmes que le christianisme rationaliste des prédicateurs du temps ne satisfaisait pas (4).

Antoine Blanc fut un de ceux qui saisirent avec le plus d'ardeur les sérieuses paroles de Neff (5) ; il établit chez lui, régulièrement, une réunion de prières le mercredi, une société de couture le jeudi et une autre réunion le dimanche soir. Ces assemblées religieuses exercèrent une influence directe autant que salutaire sur les pasteurs et les fidèles.

Il en coûte d'être momier

Mais, pendant longtemps, Blanc endura pour ses principes des persécutions dont on se représente difficilement l'horreur.

Quelques jours après son retour en Queyras, Neff rencontra un homme de St-Jean qui lui dit : « Vous avez eu bon nez, M. Blanc et vous, de partir, l'autre jour, autrement vous étiez coffrés. Sa Majesté Sarde, informés que des ministres étrangers avaient prêché dans ses Etats, a écrit aux Vaudois une lettre fulminante, qu'ils ont été obligés de lire en chaire dans toutes les églises ; et si vous y aviez encore été, on ne sait pas ce qu'il y aurait eu pour vous. »

Le Gouvernement fit réprimander par l'Intendant de Pignerol les pasteurs qui avaient ouvert leurs chaires à André Blanc et à Neff.

Neff, de retour dans les Hautes-Alpes, ne cessa d'encourager les Vaudois par des lettres pleines d'affection et de directions pratiques. En mai 1827, André Blanc, lors d'une seconde visite en Piémont, constata de réels progrès, et au printemps 1828, un véritable réveil se poursuivit, malgré l'opposition de l'Ennemi, qui était déjà sorti pour semer son ivraie, ce qui faisait écrire à Neff : « Ah ! je puis maintenant dire comme le Seigneur : Je suis allé porter le feu en Piémont ; que veux-je de plus s'il est déjà allumé ? »

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1. L'Eglise vaudoise des vallées du Piémont, Toulouse, 1881, p. 2184.
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2. Le taulas est un tir à la carabine auquel on consacrait presque tous les dimanches de la belle Saison. « Rien n'égale la dissolution de ces fêtes qui, selon l'expression d'Antoine Blanc, font du jour du Seigneur un jour de Satan. »
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3. Elles se poursuivirent pendant plusieurs semaines, puis le Syndic les interdit.
M. Meille crut devoir obéir à la défense du magistrat. Il fit prévenir qu'il ne tiendrait plus de réunion dans sa maison, et exhorta ceux qui les suivaient à s'édifier chez eux. Félix Neff y vit-il une faiblesse coupable ? Le fait est qu'il lui écrivit de Guillestre, au mois d'octobre, la lettre suivante
MON RESPECTABLE FRÈRE,
Le Seigneur vous a fait une grande grâce, et c'est avec une véritable joie qu'au milieu des ténèbres de mondanité et d'orgueil qui couvrent vos vallées, j'ai trouvé chez vous seul la connaissance intime de l'insondable misère de l'homme, la vraie confiance aux mérites du Rédempteur. Mais, oserais-je vous le demander, pourquoi cette lumière paraît-elle être demeurée jusqu'à aujourd'hui sous le boisseau ?... Je ne puis croire que vous avez laissé sincèrement dans la mort ceux auxquels vous parliez au nom du Sauveur ; j'aime mieux supposer que vous n'aviez point une idée assez claire du danger qui les menaçait et qu'étant seul pour avancer dans la voie étroite, vous ne l'avez fait qu'avec une lenteur bien naturelle à votre état d'isolement... Aujourd'hui, malheureusement, vous n'avez plus la même porte ouverte auprès du monde et votre ancienne chaire est devenue une chaire de philosophie et d'histoire grecque. Cependant vous pouvez faire encore du bien et je n'ai pas besoin de vous prier d'y veiller fidèlement. Plus on entre tard dans la vigne, et plus on doit se sentir pressé de travailler pendant qu'il fait jour.
« ...Si du tronc presque mort du fertile olivier peuvent s'élever de vigoureux rejetons, oh ! combien vous devez désirer, comme Siméon de voir le salut de votre Dieu avant d'entrer dans son sein... ; combien vous devez prier qu'on voie renaître l'ancienne piété de votre peuple ! »
Il est probable que cette lettre obtint l'effet désiré, car après plusieurs pérégrinations « la réunion revint à son ancienne résidence de la Garole et s'y rétablit d'une manière permanente et prospère ».
(D'après W. Meille : Le Réveil de 1825 dans les Vallées vaudoises du Piémont, Turin 1893).
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4. GAY, op cit., p. 187.
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5. MARCHAND, Op. Cit., p. 34.
Nous pensons rassembler dans un volume de Lettres de direction spirituelle, la correspondance entre Neff et Antoine Blanc ainsi que quelques détails sur le travail intime de cette âme.
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