Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIV

Moissonneront avec chants d'allégresse. - Réveil de Freyssinières.

(avril 1825)

-------

« Le lieu aride se réjouit, et le désert fleurit comme la rose ! »

Esaïe, XXXV, 6.

Les ossements desséchés reprennent vie

« La vallée triste et sauvage dont j'ai parlé dans mes derniers numéros, semble vouloir réaliser cette prophétie, et reproduire au sein des Alpes les missions de Sierra-Leone et d'Otahiti (1). On a vu le zèle qu'ont montré ces pauvres montagnards pour la construction d'une école ; comment ils ont reçu avec empressement les serinons de Nardin ; et comment les services publics et particuliers étaient fréquentés. J'ajouterai que depuis longtemps tout divertissement profane avait disparu de chez eux, et que l'amélioration de leurs moeurs était remarquée de leurs voisins. Tout cela cependant n'était pas encore la vie ; les os s'étaient rapprochés à la voix de l'homme; ils s'étaient recouverts de chair et de peau, mais l'Esprit n'y était point.

L'Esprit souffle

Aujourd'hui, grâces en soient rendues au Seigneur, l'Esprit souffle sur eux des quatre vents : et s'il continue, la foi des anciens Vaudois revivra dans leur postérité !

« Jusqu'à la fin de février (1825), je n'avais encore remarqué de réveil que chez les cinq ou six personnes dont j'ai souvent parlé ; mais à cette époque, il s'en manifesta chez plusieurs autres, aux Mensals surtout, où les deux frères Besson tenaient de petites réunions; là, j'avais vu plusieurs fois mes catéchumènes répandre des larmes. Ainsi l'Eternel a voulu commencer son oeuvre par ce hameau, le moins civilisé et le plus misérable du pays, et appeler ainsi encore une fois les premiers, ceux qui paraissaient les derniers.

Discours atterrant

« A Dormillouse, où l'on respire un air pur, et où, en conséquence, on est plus dispos de corps et d'esprit, je ne voyais rien de semblable ; les catéchumènes, comme les autres, paraissaient aussi morts qu'ils étaient instruits. Affligé de l'état de cette jeunesse, j'essayai un soir (c'était le 8 mars) de leur faire sentir combien ils étaient peu préparés à recevoir, à la Pâque prochaine, leur première communion. Je leur parlai ouvertement ; et donnant un libre cours à l'amertume dont j'étais rempli, je leur reprochai, dans les termes les plus forts, leur endurcissement et leur légèreté ; leur témoignant combien j'étais navré de voir que toutes mes peines n'aboutissaient qu'à centupler leur condamnation. Je ne sais plus tout ce que je leur dis, mais mon discours fut atterrant, ainsi que la prière qui le suivit, après laquelle on resta longtemps prosterné...

« Je me levai et allai m'asseoir près du feu, n'ayant plus rien à leur dire ; le plus grand silence régnait dans l'étable ; personne ne bougea pendant un grand quart d'heure ; puis chacun se retira sans rien dire.

« Quelques jeunes hommes vinrent alors vers moi, à la cuisine. Je leur parlai sur le même ton. Ils paraissaient touchés pour la première fois, et se condamnaient fortement eux-mêmes. Cette sévérité produisit une profonde impression, que notre soeur Baridon eut grand soin d'entretenir dans le temps qui suivit, en réunissant les jeunes filles presque tous les jours.

« En redescendant la vallée, je tins des réunions dans tous les villages, et partout je remarquai beaucoup de mouvement dans les esprits. Je recommandai aux trois frères qu'on connaît déjà, de redoubler d'activité pendant mon absence.

« Je revins en Queyras, où je passai trois dimanches et tins beaucoup de réunions dans tous les hameaux. Le 20 mars, prêchant à Saint-Véran, j'obtins pour la première fois que les gens de Mollines, qui toujours s'en retournaient dès le service du matin, restassent pour celui de l'après-midi...

« Je quittai ce triste lieu le coeur serré, et me hâtai de retourner à Freyssinières, où l'Eternel m'avait préparé plus de joie. La première personne que je rencontrai fut notre ami F. B., qui travaillait près du chemin. Il vint à moi d'un air riant et me dit : « Soyez le bienvenu ; vous êtes ardemment désiré ; et je crois que pour cette fois, le Seigneur a bien travaillé. Depuis que vous êtes parti, j'ai été tous les dimanches à la Combe ; et, après le service, on se presse autour de moi pour me demander des conseils et entendre quelques bonnes paroles. Mais hélas ! j'ai peu de chose à leur donner, et je dis quelquefois comme Moïse à l'Eternel : Ai-je engendré tout ce peuple que je porte dans mon sein, comme un nourrisson ? »

Les visages sont changés

« Dès le premier hameau, je trouvai des âmes vivement touchées, et plus j'avançais, plus la scène devenait intéressante. Tous les visages paraissaient changés ; j'étais reçu partout avec de vives démonstrations de joie, quoique je ne fusse absent que depuis vingt jours. A cette joie cependant succédaient bientôt les larmes. Les coeurs étaient oppressés par le sentiment du péché, et ne répondaient souvent à mes questions que par des soupirs. Il fallait m'arrêter partout ; et je restai presque trois jours pour arriver à Dormillouse.

« J'y montai le Jeudi saint, 30 mars. Du bas de la colline, je vis une troupe qui descendait, croyant que j'étais encore à la Combe ; je leur fis signe de rétrograder ; mais ils continuèrent à descendre jusqu'à ce qu'ils m'eussent rencontré, disant qu'ils ne faisaient pas ce chemin avec moi toutes les fois qu'ils le voudraient.

L'examen des catéchumènes

« Le même jour, après le service, je fis l'examen des catéchumènes, chaque sexe à part. J'adressai à chacun les questions convenables, et je pus m'assurer qu'en effet le Seigneur avait travaillé, et que Suzanne (Baridon) n'avait pas perdu son temps (2). Tous montraient une grande connaissance de leur misère ; et la plupart en paraissaient vivement touchés. Le soir, il y eut une réunion publique, qui fut encore fort touchante et dura jusqu'à onze heures ; les jeunes hommes restèrent longtemps après. Etant sorti pour prendre l'air, j'entendis dans une maison voisine des pleurs et des lamentations comme pour un mort ; je m'approchai et reconnus que c'étaient les jeunes filles réunies chez Suzanne, et qui, touchées par sa parole pleine de vie, pleuraient leur trop longue indifférence. Je n'essaierai pas de rendre cette scène touchante, ces paroles plaintives et entrecoupées auxquelles les expressions et la prosodie de leur patois donnent une âme dont le français n'est pas susceptible. Je ne crus pas devoir les déranger ; je me retirai sans bruit, et j'allai rejoindre les jeunes hommes qui n'étaient guère moins attendris.

Une semaine vraiment sainte

« Ainsi se passa cette nuit que l'Agneau sans tache a sanctifiée par son agonie. Si le Saint et le Juste a failli succomber sous le poids de la colère, s'Il a été « enlevé par la force de l'angoisse et de la condamnation », comment pourraient ne pas trembler les vrais coupables lorsqu'ils viennent à sentir le poids de leurs péchés !

« Le lendemain, Vendredi saint, 31 mars, je descendis de bonne heure à la Combe pour l'examen des catéchumènes ; ils étaient plus avancés qu'à Dormillouse ; mais, excepté les deux Besson, aucun n'avait trouvé la paix ; la plus profonde tristesse était peinte sur tous les visages. - A dix heures, je me rendis au nouveau temple, où toute la vallée était réunie ; les catéchumènes, au nombre de cent, occupaient tous les bancs vis-à-vis de la chaire. Je leur adressai un discours sur 1 Pierre 11, 2 : « Comme des enfants nouvellement nés, etc. » ; le Seigneur m'assista puissamment ; et quoique je n'eusse guère pu me préparer, je laissai, je crois, peu de chose à leur dire ; l'assemblée fondait en larmes ; beaucoup de jeunes gens, surtout des filles, étaient à genoux aux pieds de leurs bancs.

L'assemblée fond en larmes

Quand il fallut réciter le voeu du baptême, je n'en trouvai aucun qui pût aller jusqu'au bout ; les sanglots étouffaient leurs voix ; je fus obligé de le réciter pour eux. Puis, élevant les mains pendant que tous étaient prosternés, j'invoquai sur eux la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Après le service, la plupart restèrent à genoux, sans paraître s'apercevoir qu'il était fini ; d'autres allèrent se réunir en petites troupes pour pleurer et prier ensemble. - A deux heures, je fis le service de la Passion, selon le rite des Frères Moraves, c'est-à-dire, en lisant l'histoire de la Passion dans l'Harmonie des quatre évangélistes, et en entremêlant cette lecture de chants analogues, également pris dans le recueil des Frères... L'émotion fut plus grande encore que le matin ; peu de personnes pouvaient chanter ; deux de nos chantres surtout ne firent que verser des larmes. M. Baridon fils me dit en sortant : Que ce service est touchant ! Quel beau discours pourrait le remplacer ?

Le réveil s'étend

« Sur le soir, les habitants des hameaux éloignés se retirèrent en soupirant ; j'en accompagnai plusieurs à quelque distance, les exhortant à s'approcher du Seigneur Jésus avec confiance. Ce soir même je tins, aux Mensals, une réunion nombreuse et familière, qui dura jusqu'à minuit ; plusieurs des jeunes frères restèrent encore longtemps.

« Samedi 1" avril, dès le matin, la maison se remplit de nouveau, et j'eus beaucoup de peine d'en sortir pour venir au chef-lieu, les Ribes, où je vis plusieurs personnes sérieuses. M. Baridon m'accompagna le soir à Pallons, où nous eûmes une réunion jusqu'après onze heures ; nous revînmes encore chez lui, où nous nous entretînmes avec sa famille et quelques amis jusqu'à deux heures du matin (3) .

« Dimanche, Pâques, 2 avril, communion. L'assemblée était presque aussi nombreuse qu'à la dédicace. J'expliquai le sixième chapitre des Romains, si obscur pour l'homme charnel ; puis je distribuai la communion à mes auditeurs, qui, pour la plupart, venaient à la table, les yeux mouillés de larmes ; les vieillards dirent que jamais ils n'avaient vu la moitié autant de monde communier dans leur église. L'après-midi, l'assemblée fut presque aussi nombreuse que le matin ; et le soir, encore autant qu'elle pouvait l'être elle se prolongea fort avant dans la nuit.

« Le lundi était encore fête, je montai à Dormillouse ; on y vint de toute la vallée, et j'y tins encore trois assemblées publiques.

« Ainsi se passa cette semaine vraiment sainte pour cette vallée. On ne l'y avait jamais célébrée, mais pour cette fois, c'était tout à fait fête ; on ne faisait partout que lire, prier et pleurer ; la jeunesse surtout semblait animée d'un même esprit ; et une flamme vivifiante semblait se communiquer de l'un à l'autre, comme l'étincelle électrique. Pendant ces huit jours, je n'ai pas eu en tout trente heures de repos ; on ne connaissait plus ni jour ni nuit. Avant, après et entre les services publics, on voyait tous les jeunes gens réunis en divers groupes auprès des blocs de granit dont le pays est couvert, s'édifiant les uns les autres.

Ici, on lisait le Miel découlant du Rocher ; là le Voyage du Chrétien ; plus loin, Suzette Baridon, entourée de jeunes filles, leur parlait de l'amour du Sauveur ; tandis que le sévère François Berthalon représentait aux jeunes hommes toute l'horreur du péché et la nécessité de la repentance. Dans ces petites réunions, les larmes coulaient comme au temple, et l'on y observait le même recueillement.

« Frappé, étonné de ce réveil subit, j'avais peine à me reconnaître. Les rochers, les cascades, les glaces mêmes, tout me semblait animé et m'offrait un aspect moins sévère. Ce pays sauvage me devenait agréable et cher, dès qu'il était la demeure de mes frères (Ps. CXXII) !... N'oublions pas toutefois qu'il y a plus de fleurs au printemps que de fruits en automne ; et qu'au moment d'un réveil, bien des âmes, entraînées par le mouvement général, paraissent animées sans l'être effectivement, comme un caillou au milieu d'un brasier serait pris pour un charbon vif.

« Mais, quoi qu'il en soit, c'est ici une oeuvre de l'Eternel. Lui seul connaît ceux qui sont les siens, et il saura les manifester. A lui seul soient louange et gloire par Jésus-Christ, aux siècles des siècles ! Amen. »

Une société biblique

En même temps, Neff fondait une Société, biblique. « Dès le mardi, on fit dans chaque village le recensement de tous les livres saints, en prenant note des demandes. »

La pénurie de Bibles était extrême. « Avant la fondation des Sociétés bibliques, il n'existait pas dans toute la vallée douze Bibles ... et un très petit nombre de Nouveaux Testaments ... le tout en fort mauvais état. Depuis les envois de la Société de Londres, et surtout depuis la formation de celle de Paris, la moitié des familles se sont pourvues de Bibles et presque toutes de Nouveaux Testaments... Maintenant, tous ceux qui manquaient encore de Bibles se sont fait inscrire pour en avoir. Nous leur donnons la facilité de les payer en divers termes, ce qui porte, pour le plus pauvre, à deux ou trois ans. Dans ces contrées, il ne faut pas, pour ces sortes de paiements, parler de souscriptions hebdomadaires ; les montagnards ne touchent guère de l'argent qu'à l'époque où l'on vend le bétail ; tout le reste de l'année, le plus grand nombre n'ont pas un sou à leur disposition.

« Mais, prévoyant que la chose pourrait traîner en longueur, je m'adressai, en attendant, directement au Comité, pour une centaine de Nouveaux Testaments portatifs avec parallèles, qu'on attendait avec impatience. J'écrivis que les jeunes bergers des Alpes languissaient de pouvoir garnir leurs mallettes du pain qui demeure en Vie éternelle. Et maintenant, le voyageur chrétien, visitant le vallon glacial de Freyssinières, ne verra pas sans émotion la pauvre bergère, assise au pied d'un bloc de granit et entourée de ses agneaux, lire, les yeux pleins de larmes, l'histoire du bon Berger qui donne sa vie pour ses brebis. »

Meilleures dispositions en Champsaur

Le lendemain, Neff passe le col d'Orcières, arrive le même soir à St-Laurent « où j'eus, dit-il, aussitôt à tenir une réunion. Je pensais, en venant en Champsaur, me reposer un peu des fatigues de la semaine précédente ; mais, par la grâce du Seigneur, j'y eus encore assez d'occupation. Notre brave Ferdinand ne s'était pas relâché ; je trouvai le zèle augmenté et les moeurs améliorées. Le peuple, si mondain, si fier de sa richesse et de sa force ou de sa beauté, n'est plus cependant insensible à la voix de l'Evangile ; et quoique les protestants n'y soient qu'en faible minorité, leur exemple influe néanmoins sur les catholiques romains. La danse a disparu ; le jeu et l'ivrognerie, qui y avaient passé, en proverbe, ont insensiblement diminué ; et l'on n'entend presque plus parler de ces rixes sanglantes qui étaient si fréquentes dans cette vallée... Plusieurs habitants d'un hameau voisin, qui étaient venus pour la première fois à la réunion du soir, disaient en s'en retournant : « Si cet homme était souvent ici, les cabaretiers ne deviendraient pas riches » - « Il n'y a pas moyen d'y tenir, disait un autre, il faut pourtant se rendre une fois. »

Exigeant pour lui-même

Malgré ces exaucements, Neff vise plus haut encore; il s'ouvre en novembre 1825, sur son travail et sur lui-même à Empeytaz : « Les fruits pourraient être plus abondants, mais quand je considère ma grande indignité, je m'étonne encore de ce que le Saint des Saints veuille bien se servir d'un vase impur pour répandre la précieuse liqueur qui répand la vie. Oui, mon cher ami, je suis toujours le même pécheur, pour ne pas dire pire. Je me compare souvent au page d'un roi qui introduit les étrangers auprès du prince et reste lui-même dehors ; le passage de Saint Paul : « de peur d'être rejeté après avoir prêché aux autres... » me frappe souvent, et, plût à Dieu qu'il me frappât davantage et que j'eusse plus peur, je veillerais et serais moins infidèle. ...Si quelque chose m'empêche de perdre courage, c'est la pensée, assez suspecte cependant, que mon indignité est un contrepoids nécessaire à mon orgueil; qui prend tout à fait le dessus au moindre succès extérieur que le Seigneur m'accorde.

« Au reste, j'ai bien perdu l'habitude d'ennuyer les autres du récit de mes infirmités, et je ne t'en parle qu'en qualité d'intime ami et afin que tu fasses mention de moi dans tes prières. Tu penses bien qu'ici je ne puis « m'ouvrir » à personne, et que je me contente de gémir en secret. Je vois des âmes que j'ai engendrées en Christ tout récemment, me devancer de beaucoup dans le Royaume du ciel, et je suis humilié lorsqu'elles viennent se plaindre à moi et me demander des conseils. »*

Mais l'humilité ou le scrupule ne devenaient jamais morbides. « On l'entendait, écrit Bost, souvent chanter les louanges du Seigneur, seul dans sa chambre. Les gens du monde disaient de lui : « Quel être singulier, on le croirait malheureux ; et quand il est seul, toujours il chante ! » Ce n'est pas qu'il n'eût à combattre le reste de corruption qui était dans son coeur ; je l'ai entendu s'en plaindre bien souvent, et dire qu'il était quelquefois tellement assailli par l'ennemi, qu'il se voyait comme enveloppé de ruines ; qu'il perdait même, par instants, l'espérance d'être sauvé. Mais bientôt il reprenait courage : « Celui qui m'a reçu dans sa communion est fidèle, disait-il, et si, à cause de mes nombreuses infidélités, il cache pour un instant sa face, j'espère en lui, je sais en qui j'ai cru ! »

.
1. A Sierra Leone le missionnaire allemand William Johnson arrive en 1816, ne trouve que le rebut des négriers et des africains vivant dans l'ordure, mourant à raison de deux cents par mois. Ils avaient tant souffert des blancs que l'Evangile, annoncé par leur bouche, leur était odieux. Johnson leur donna chaque jour une ration de riz, leur témoigna beaucoup de patience et de sympathie, gagna leur confiance, leur apprit à lire le Nouveau Testament, lutta sous un climat mortel, racontant et racontant encore la vieille histoire de la croix. Un jour, presque découragé, il entend un esclave prier et demander la liberté des enfants de Dieu.
En 1819 il regagne l'Angleterre, laissant derrière lui un Etat modèle, une église de 1.300 places débordant d'auditeurs à chacun des trois services du dimanche.
Les autorités elles-mêmes furent contraintes dans leur rapport au Gouvernement de dire : « C'est ici le doigt de Dieu ». Le rapport montrait le contraste entre les « superstitions basses et malfaisantes, l'eau rouge, la sorcellerie, les maisons du diable » de naguère et le culte chrétien d'une sincérité si touchante qui se célébrait maintenant.
Dans chaque île tant soit peu importante de l'immense archipel (de seize cents lieues de diamètre) de l'Océanie dont Tahiti (ou O'Tahiti) est le centre, John Williams (1796-1839) prêcha l'Evangile. Partout les habitants brûlèrent leur maraë (autels sur lesquels avaient lieu les sacrifices humains). Avec les lances qui avaient servi autrefois à empaler des enfants et à les porter en guise de trophées dans les temples, on fit des balustrades pour les chaires. Les chansons et les gestes impurs firent place à des cantiques de louange et à la prière à genoux. (D'après A. PIERSON : Les Nouveaux Actes des Apôtres, p. 128, 325, 434).
.
2. Baulme, un des élèves de Neff qui devait devenir pasteur, faisait très exactement une remarque « sur le soin que prenait Neff non seulement de travailler lui-même, mais de faire travailler les autres. A peine quelqu'un avait-il reçu une grâce, qu'il savait l'employer auprès de ceux qui ne les avaient point reçues. C'est ainsi que par ses soins, ses conseils, ses directions, ses exhortations, il se créa des aides pour les grands travaux auxquels son maître l'appelait. » (A. MARCHAND, Op. Cit., P. 59).
Neff avait aussi pris des mesures pour se faire remplacer en chaque lieu pendant ses absences. Il avait établi de vallée en vallée quelques personnes sûres et vraiment converties au Seigneur qui devaient surveiller certains districts et y répandre quelque instruction suivant le degré de leur propre avancement ; ces espèces de moniteurs ou de monitrices lui rendaient compte à son retour de tout ce qui pouvait s'être passé d'important en bien ou en mal pendant son absence ; et Neff utilisait ainsi tous les dons répandus dans ses troupeaux. (A. BOST, Visite.... p. 132).
.
3. Quelle intimité régnait entre Neff et cette famille Baridon 1 Martin-Dupont la fait revivre : « Le dimanche, nous avions pris l'habitude de passer la veillée chez M. et Mme Jean Baridon ; nous nous rangions près du foyer, on nous servait un lait délicieux. Neff restait silencieux, la tête entre les mains, et comme absorbé dans une pénible méditation, laissant échapper quelques soupirs. Il pensait à ses efforts du jour pour édifier, il passait en revue les choses graves qu'il avait enseignées, il avait devant les yeux les auditeurs distraits, peu sensibles ou même encore étrangers aux choses du salut. Il s'accusait de n'avoir pas été assez direct, assez scripturaire, assez pressant ; il se rappelait qu'il n'avait pas prié avec assez d'insistance, de ferveur, de foi. Je ne disais rien, je pensais aux hommes de Dieu les plus illustres, aux prophètes, aux apôtres, aux réformateurs qui avaient tous éprouvé de pareils regrets. » (Op. cit., P. 89).
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant