Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XII

Voyage. - Séjour à Mens.

(novembre-décembre 1824)

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Neff laisse un moment son école et ses Alpins car il lui faut voyager. Ce n'est pas pour visiter ses églises, mais pour essayer encore d'obtenir cette naturalisation dont il ne pouvait vraiment se passer et pour détruire l'impression fâcheuse excitée à Paris contre lui par d'absurdes dénonciations. Il fait ce voyage à pied (1). [Embrun, Briançon, Grenoble], « car il n'y a guère que trente-cinq lieues de Briançon à Grenoble, en passant par la grande route ». Mais il profite de ce voyage d'affaires pour aller deux fois à Mens. Là, il prêche, visite les villages, assiste à toutes les réunions de frères et soeurs. Voici l'emploi qu'il donne de son temps : « Continuellement occupé, et ne sortant du temple que pour entrer dans quelque réunion : le premier dimanche surtout, je tins neuf assemblées, y compris trois services au temple.

Malgré la prévention qu'on a encore contre moi, l'auditoire fut très nombreux, surtout le matin. Ce jour-là, je crois que je ne cessai pas de parler ou de chanter pendant dix-huit heures consécutives ; la veille, j'avais eu presque autant de fatigue ; cependant, grâce à Dieu, je ne m'en trouvai pas mal. »

Neff résume ainsi son travail dans le Trièves à cette époque .

Réorganisation des réunions d'exhortations mutuelles

« Je crus devoir, pour utiliser cette visite, organiser parmi les frères une réunion d'exhortations mutuelles, composée uniquement de personnes converties du même sexe, et rapprochées en même temps par l'âge et la condition. Dans cette réunion, il ne peut être agité d'autres questions que celles proposées à l'ouverture de la séance ; et c'est toujours quelque matière tendant immédiatement à la sanctification, comme la prière, la lecture, la méditation, l'emploi du temps, la patience, la charité, etc... ; les frères sont rangés en cercle, et celui qui préside les interroge tour à tour à diverses fois. D'abord, il recueille les réflexions de tous sur l'importance et l'obligation du devoir en question ; en second lieu, chacun est appelé à avouer franchement où il en est à cet égard; troisièmement, on doit dire à quoi on attribue sa négligence ; et enfin, ce qu'on croit de plus propre à la prévenir. Les trois ou quatre tours finis, le président récapitule ce qui a été dit de meilleur, et exhorte les frères à s'en occuper sérieusement, afin de pouvoir, à la prochaine assemblée, dire quelles expériences ils ont faites. Cette réunion se tient deux fois par mois dans le bourg ; il y vient des frères de trois lieues à la ronde. Depuis environ cinq mois qu'elle existe, on m'en donne les meilleures nouvelles, elle produit le plus grand bien, non seulement en excitant la vigilance, mais encore en apprenant à chacun à sonder son coeur, et en resserrant les liens de l'amour fraternel... Il serait sans doute à désirer qu'il existât de semblables réunions partout où il y a de vrais chrétiens ; et si elles sont si rares, je crains bien que ce ne soit par l'opposition du vieil homme, qui n'y trouve pas aussi bien son compte que dans les questions stériles de dogme ou de discipline dont on s'occupe si volontiers. »

Neff stimule non seulement les fidèles, mais aussi le pasteur.

On ne sait si l'on doit plus admirer Neff de mettre à profit les circonstances les plus diverses et les plus adverses, ou André Blanc, qui laisse, dans sa paroisse, carte blanche à son ancien suffragant, et en reçoit lui-même de sérieux avertissements :

Suffragant vil prophète

« Notre frère ***, quoique très zélé pour le matériel de l'oeuvre de Dieu et prédicateur très évangélique depuis son réveil, était encore trop léger et trop peu édifiant dans le particulier. Sous prétexte de ne pas compromettre les réunions, il ne les fréquentait pas ; et il n'avait d'ailleurs que peu de relations avec les personnes converties d'entre le peuple. Il passait une partie de son temps dans son cabinet ou dans quelque maison bourgeoise ; aussi ne possédait-il guère la confiance des âmes réveillées ; tous ceux qui avaient quelque chose sur le coeur s'adressaient à moi par lettre... Je crus devoir, avant de quitter, parler franchement au frère ***. La sincère affection qu'il m'a toujours témoignée, et son désir de voir avancer le règne de Dieu m'y autorisaient. Je lui fis observer qu'il perdait beaucoup de temps, et négligeait surtout les âmes simples, qui sont les plus précieuses aux yeux du Seigneur. Je lui dis qu'en fréquentant toujours les mêmes personnes, on finit par ne plus s'édifier avec elles. En effet, dans les sociétés de chrétiens riches et instruits, on trouve bien souvent les mêmes choses que dans celles qu'ils ont quittées ; c'est pourquoi j'avais aussi exhorté les autres amis de la classe plus aisée à ne pas passer autant de soirées au salon, mais à se répandre parmi le peuple et à fréquenter les autres réunions. Ils en convinrent et me le promirent. Pour ***, il parut profondément touché de tout ce que je lui dis ; il ne répondit rien ; mais en m'embrassant, les larmes aux yeux, il me dit : priez pour moi ! »

Le fruit de ces avertissements

Blanc réfléchit et quelque temps après écrivit « que tout ce que je lui avais dit était très vrai ; qu'il y avait pensé ; que depuis lors il avait mieux employé son temps ; et qu'il fréquentait les réunions, non pour enseigner, mais pour être enseigné. Dernièrement encore, il me disait dans une lettre : « Je puis vous dire que, par la grâce de Dieu, rien n'a fait plus de bien à mon âme que la fréquentation de nos jeunes chrétiens, jeunes d'âge, mais plus avancés dans l'amour du Sauveur que moi. Combien de fois mes larmes ont coulé en les entendant prier dans leur réunion ! Quelle humilité ! Quelle connaissance ! Quel amour ! 0 Seigneur ! augmente-moi la foi et rends-moi comme l'un d'eux ! Amen !... Le Sauveur s'est formé un troupeau dans nos églises ; que son saint nom soit béni ! Et puisse-t-il bénir de plus en plus l'instrument dont il s'est servi pour nous retirer de nos sépulcres ! Nous avons organisé un Comité de dames pour les Missions, qui chemine fort bien. Tout en recueillant les sous pour la conversion des païens, elles s'occupent des âmes de notre pays... (2). »

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1. Quand il voyage en diligence il n'en travaille pas moins : « Je devrai un jour, répétait-il souvent, rendre compte même des minutes que je passe en diligence avec des étrangers. » (A. MARCHAND, op. cit., p. 44).
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2. Lire Appendice VII, plusieurs lettres de A. Blanc et de Neff.
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