Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

Dédicace du temple de Freyssinières. - Une tournée de Neff.

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Le 29 août 1824 eut lieu la dédicace du temple de Freyssinières. Ce temple venait d'être bâti quand Neff était arrivé dans la contrée. L'intérieur n'était alors pas achevé ; on n'y avait pas encore prêché. Non seulement Neff y prêcha le premier, mais il dirigea la fin des travaux.

Puis il organise la cérémonie, disant : « Ce n'est pas, en France, une petite fête qu'une dédicace. Après avoir vu les temples démolis partout, et les fidèles obligés de s'assembler en secret et au péril de leur vie, dans les bois et les cavernes des montagnes, il est bien solennel de voir maintenant les mêmes temples rebâtis par l'autorité et le secours du souverain, et bien naturel que les protestants en témoignent leur reconnaissance envers Dieu et envers le roi qui les protège. »

Les autorités civiles et ecclésiastiques et plusieurs pasteurs avaient été invités. Sauf le sous-préfet, un catholique (1) et le pasteur Mondon, du Piémont, « tous ont eu quelque prétexte, quelque raison pour manquer ; et, constatait Neff, sans ce vieillard, qui, à septante-trois ans, n'a pas craint de passer les Hautes-Alpes et de faire deux journées pour venir, je me serais trouvé seul, ce qui eût été comme un affront pour l'église de Freyssinières. »

Le temple se remplit dès le matin, de gens de toutes les vallées voisines, tant catholiques romains que protestants.

Après un court service de Neff, le pasteur Mondon prêche sur ce texte : « Ne vous livrez pas à des espérances trompeuses, en disant c'est ici le temple de l'Eternel, le temple de l'Eternel ! » (Jérémie VII : 4). « Quoique âgé, écrit Neff, il prêche encore avec autant de force et de facilité qu'un jeune homme ; mais c'est la loi toute pure, spirituelle tout au plus, mais telle que s'il n'existait point d'Evangile et point de Sauveur (2):

« Après le sermon, je montai en chaire pour faire la prière de bénédiction ; le Seigneur m'accorda de prier avec onction, et selon l'ordre des choses à demander. »

Neff dut encore prêcher le soir, mais sans préparation, car on avait attendu en vain deux ou trois présidents de Consistoire.

La dédicace : Nouvelle occasion d'inviter au salut.

« Bien m'en a pris, pouvait-il dire, d'avoir l'habitude d'improviser ; il m'a fallu prêcher deux fois. Le Seigneur, sans doute, l'a ainsi voulu, afin que cette nombreuse assemblée entendit annoncer l'Evangile de vérité, simplement et sans détour... A la fin de chaque partie et surtout de la dernière, j'eus l'occasion d'adresser aux auditeurs une invitation pressante à recevoir la grâce et à aller à Christ. »

Après cette inauguration, il descend dans la vallée, trouve une malade. « Je fis, dit-il à ce propos, de la tisane à cette pauvre femme, qui est mère de six petits enfants, et je la veillai cette nuit-là pour lui en donner ; elle avait trop de fièvre pour supporter la conversation ; je ne pus lui parler de rien. Le lendemain, je donnai à son mari tous les conseils que je pus et je partis. Je vis, en passant à la Ribe, notre frère François Berthalon... Ce jeune homme est bien intéressant ; je le crois encore en travail pour la nouvelle naissance ; mais il a trop de connaissance pour douter longtemps de la miséricorde du Sauveur, dont il sent bien vivement le besoin. »

Le col d'Orcières à l'aller.

Le vendredi, Neff monte à Dormillouse, mais ne s'y arrête pas car « tous fauchaient dans les montagnes ». Il franchit le col d'Orcières où « les végétaux n'ont souvent qu'un mois pour croître et fleurir. En passant cette montagne, à la fin de l'été, on voit les quatre saisons : le printemps, près des tas de neige, où le crocus, la gentiane et autres fleurs sortant de dessous la neige commencent à fleurir ; ailleurs les moissons blanchies, près de là les blés de l'année prochaine, déjà verts, et les feuilles jaunes annoncent l'automne ; et sur le col, la neige et la glace font trouver un hiver éternel ».

Il passe trois jours dans le Champsaur ; sa présence suffit à dissiper les jeux et les bals ; il prêche et visite plusieurs familles. Le mercredi, il repart pour

Au retour

Dormillouse par le même col, bien qu'on le lui déconseille, le temps étant mauvais. Mais cela abrège sa route de quinze lieues, et il part. Il décrit ainsi ce passage : « Nous avions de la neige jusqu'aux genoux, tombée le matin, une grêle poussée par un vent terrible, joignait son bruissement sourd aux éclats répétés de la foudre et au roulement des avalanches, qui déjà descendaient dans les plus hauts rochers ; nous voyions les éclairs briller au-dessous de nous autant qu'au-dessus et à côté ; de temps en temps, les tourbillons de neige semblaient vouloir nous engloutir, puis disparaissaient aussitôt. » Il franchit enfin le col et descend l'autre versant. « Le brouillard se leva autour de moi et je vis quelques pointes de rochers dorées des rayons du soleil je chantai alors quelques versets du Te Deum et, pressant le pas, je trouvai bientôt la trace de troupeaux que la neige avait chassés dans la vallée. Je vins alors tout à mon aise, et j'arrivai de grand jour à Dormillouse, où l'on ne fut pas peu surpris de me voir arriver par le col. Cependant, je n'étais demeuré que quatre à cinq heures en chemin, comme par le beau temps, et j'arrivai sans mal et sans peur. Toutefois, je ne me remettrai pas en route dans de si hautes montagnes par le mauvais temps; c'est curieux à voir une fois. »

Premiers échos

Il visite les familles ; de l'une il écrit

« Cette famille de dix personnes semble toute assez bien disposée, surtout les deux fils aînés, Jean et François [Besson], l'un de vingt-deux, l'autre de vingt-huit à trente ans. Ces deux jeunes hommes voient quelques fois Suzanne Baridon, de la Ribe ; et, quoique peu avancés encore, et tous les deux bègues, ils font tout ce qu'ils peuvent pour répandre autour d'eux la connaissance de Christ. Mais ils se plaignent de la tiédeur de leurs alentours et surtout de leurs propres misères. L'un d'eux me disait en son patois : « Il vous arrive parmi nous comme à une femme qui fait son feu avec du bois vert ; elle s'époumone à souffler pour le faire un peu flamber ; et dès qu'elle le quitte un instant, tout s'éteint de nouveau. » Leur village, enfoncé dans l'endroit le plus étroit de la vallée, enseveli dans les neiges, et ne voyant pas le soleil de tout l'hiver, les maisons basses, obscures et malpropres, et les habitants stupides, hideux, dans le fumier de leurs étables, avec le bétail de toutes les espèces, tout cela représente assez bien les Tartares du Nobi. »


CL. A. Vincent
COL D'ORCIÈRES (2. 700 m.)

 

Quelques semaines plus tard, parlant du même village, il écrit : « Nos réunions ne sont pas si raides que chacun ne puisse faire ses observations ; aussi en font-ils quelques-unes d'assez bonnes, surtout les deux frères Besson. Ce témoignage des nouveaux convertis frappe plus que le mien, et je m'en réjouis. François, quoique un peu bègue, parle avec beaucoup de clarté, et même de ce qu'on appelle originalité. L'aîné, quoique plus bègue, ne craint pas de rendre témoignage à Christ avec peut-être encore beaucoup plus de sentiment. »

Cure d'âme

En Queyras, à St-Véran, Neff passe chez une veuve qui lui avait paru sérieuse lors de sa première visite. « Quoiqu'elle l'ait toujours été depuis, elle n'est encore guère avancée ; mais tout est lent chez ces rudes montagnards.

« Apprends-nous à prier»

Elle me demanda comment il fallait prier (3), car elle n'avait, malgré mes claires et nombreuses explications, encore pu comprendre ce que c'est que prier du coeur sans user de vaines redites. Je le lui expliquai encore en patois. Elle fut très étonnée d'apprendre qu'un simple soupir, une ou deux paroles répétées par un coeur sincère et humble, fussent une prière ; mais cela lui devint si clair qu'elle cita elle-même nombre d'exemples dans l'Ecriture, en particulier celui de Jésus en Gethsémané, qui pria en disant les mêmes paroles. Elle parut toute réjouie de cette heureuse découverte ; et, ne sachant comment me témoigner sa reconnaissance, elle me pria d'accepter un peu de lait et du pain d'orge frais ; c'était tout ce qu'elle avait. Cette femme a eu beaucoup d'épreuves, qui l'ont rendue sérieuse. Depuis lors, elle a toujours été pieuse, et quoiqu'elle ne soit encore guère avancée, je m'aperçois qu'elle parle beaucoup du salut, tant aux catholiques qu'aux protestants... Il y a quelque temps qu'elle fut obligée de comparaître devant le curé et le maire, parce qu'elle n'avait pas voulu se' mettre à genoux quand l'idole (le saint-sacrement) passait. Elle répondit avec douceur et fermeté; et comme il n'y a point de lois pour punir de telles choses, on la laissa aller chez elle sans autre désagrément. »

Toujours pasteur de Mens

Pendant ces tournées fantastiques, quant au chemin parcouru, quant au nombre de réunions, prédications, conversations qui se multipliaient, Neff écrit encore de longues lettres. « M. Neff, disait une femme d'Arvieux, était tellement rempli d'amour pour les âmes qu'il passa plusieurs fois des nuits entières à prier, ou à écrire à ceux qu'il savait travaillés de leurs péchés. » Il se tient surtout en rapport avec Mens : quand la solitude est trop pesante, « je reporte, disait-il, involontairement mes pensées vers ce pays où sont tous mes amis, tous mes enfants en Jésus-Christ, et je soupire du fond de mon coeur. Non, jamais je n'ai aimé ma patrie comme j'aime Mens », et de Mens on lui écrit « pour tout ce qui est de la conduite intérieure des âmes ».

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1. Admirons la déférence de Neff à l'égard des autorités dont il n'avait cependant pas à se louer, et son indépendance de procéder seul à cette dédicace. Mais comme il était délaissé de ceux qui auraient dû avoir à coeur de le soutenir !
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2. Dès l'arrivée de ce pasteur, Neff eut avec lui une discussion assez vive. Ce pasteur libéral, qui devait être l'ennemi acharné du réveil en Piémont, éleva aux nues les protestants et surtout les Vaudois. Neff lui rappela la paille et la poutre et lui cita sa propre discipline vaudoise.
Puis M. Mondon recommanda à Neff de lire Samuel Vincent, de Nîmes, « la lumière du siècle », qui lui apprendrait « à ne pas trop tendre la corde, et à savoir s'accommoder au siècle ». Neff n'y tint plus et lui demanda « s'il voulait envoyer le Saint-Esprit à l'école de S. Vincent et réformer l'Evangile comme les modes ». Puis il lui dit en deux mots ce qu'il pensait de S. Vincent.
Pour ne choquer personne et ne pas troubler la fête il le suivit jusqu'à sa chambre pour lui souhaiter le bonsoir. Ils s'embrassèrent affectueusement, tant le vieux pasteur fut touché de ce procédé.
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3. Lire Appendice I, quelques fragments admirables de Neff sur la prière.
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