Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX

Premiers travaux. Instructions religieuses. - Ecoles. - Assemblées d'édification mutuelle. - Naturalisation refusée.

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Dès son arrivée dans les Hautes-Alpes, Neff commence l'instruction des catéchumènes.

Rassemblement des catéchumènes

« J'ai fait ces temps passés, écrit-il le 20 février 1824, le recensement de mes catéchumènes ; j'en ai en tout environ cent vingt, sans compter ceux du Champsaur, qui sont près de cinquante. Dans le Queyras proprement dit, il n'y en a que de jeunes ; mais en Freyssinières, où personne n'avait fait le catéchisme depuis vingt ans, il y en a de très âgés ; leur nombre dans cette vallée passe quatre-vingts. Vous pensez que je suis loin d'en être fâché ; je bénis le Seigneur de ce qu'il m'a réservé ce travail. » A Dormillouse, « je faisais le catéchisme le soir, parce que de jour les garçons travaillaient aux carrières d'ardoises, et les filles gardaient les brebis dans quelques rochers où la neige avait déjà fondu. On commençait tard et souvent, il était onze heures avant qu'on pût se retirer. Ceux qui étaient de loin s'en retournaient alors avec des brandons de paille. Je n'ai pu qu'être satisfait de leurs bonnes dispositions, ainsi que de celles de plusieurs hommes faits qui assistent aux catéchismes avec leurs femmes... »

Le Catéchisme de Neff

Le catéchisme de Neff était original à tous égards. Ferdinand Martin, alors instituteur à St-Laurent-du-Cros, nous en a laissé cette vivante description : « Chaque jour, il réunissait les catéchumènes au temple ; il avait groupé des textes de l'Ecriture en ordre de doctrines ; cela formait une trentaine de questions à peu près. On commençait à la chute, au péché; on finissait à tout ce qui se rapporte au salut, au relèvement. C'était nouveau ; c'était de plus scripturaire, vrai et irréfutable.

« Neff avait un talent tout particulier pour expliquer les passages ; il n'y avait rien de trivial, de vulgaire, de superficiel dans ce qu'il disait ; il donnait un tour frappant à sa pensée, employant, pour mieux se faire comprendre, des comparaisons d'une grande lucidité, d'un à-propos admirable ; elles se gravaient dans la mémoire, et les plus ignorants ne se retiraient jamais à vide. Neff fuyait le vague, il était précis, positif, il n'était pas phraseur, ne posait jamais, ne s'écoutait pas parler ; les mots s'adaptaient aux idées et les idées aux mots, comme la clé à la serrure et la serrure à la clé (1). »

« Les sujets bibliques formant l'ossatures des cours, écrit P. Gothié (2), sont rangés suivant un ordre.- logique et progressif. Et cet ordre n'est pas quelconque, il a en vue l'expérience à provoquer... chaque leçon correspond à une étape à faire. »

Les catéchumènes ne seront pas admis avant d'être prêts.

Malgré la valeur de la méthode et de l'ouvrier, l'oeuvre se fait lentement. « Je n'ai encore, reprend Neff (14 juin 1824), admis nulle part aucun de mes catéchumènes, parce que, ne pouvant les voir que rarement, ils ne sont encore guère avancés. Quelques pères de famille, surtout en Champsaur, avaient l'air de trouver cela bien long ; mais je leur ai répondu par ce dilemme : Ou mes catéchumènes sentent l'importance de leur instruction, ou ils ne la sentent pas ! dans le premier cas, ils se garderont bien de perdre patience ; et dans le second, ils ont besoin qu'elle se prolonge encore beaucoup. Actuellement l'instruction va plus lentement ; la plupart sont pasteurs ou pastourelles et n'assistent que rarement au catéchisme. Je ne puis assez recommander aux frères et soeurs de ne pas oublier, devant le trône de Dieu et de l'Agneau, cette nombreuse famille ; il est bien probable qu'il n'existe pas sur le continent beaucoup de troupeaux de deux cents catéchumènes confiés au même pasteur, et qui soient instruits dans une doctrine pure avec autant de simplicité, et uniquement sur le Nouveau Testament. Ce serait une chose bien triste que, sur un si grand nombre, nul ne prît vie. »

L'instruction

Après le catéchisme, ce qui préoccupe Neff, c'est l'instruction. L'ignorance est profonde, en effet. « Les maîtres d'écoles que je trouvai en Freyssinières, pouvait-il écrire, ne seraient pas bon pour être des écoliers dans tout autre pays ; on leur donne pour tout salaire un louis pour cinq ou six mois ; car, en été, il n'est pas question d'école. Je fus obligé de laisser les choses dans cet état pour le premier hiver, et j'y suppléai de mon mieux en donnant moi-même des leçons à tous ceux qui voulurent en recevoir, tant grands que petits le plus difficile à leur faire saisir, c'était le ton et, soit là, soit dans les autres vallées, j'ai eu toutes les peines du monde à former quelques lecteurs passables. J'essayai aussi de leur donner quelques principes de musique ; ils y prirent d'abord beaucoup de plaisir ; et cela servit à les attirer aux réunions. Mais ils sont si peu doués sous ce rapport, qu'ils n'ont encore fait que très peu de progrès. »

Les « petites réunions »

En même temps que les catéchismes et les écoles, Neff institue partout où il le peut de ces réunions d'édification mutuelle qui avaient été le moyen du réveil à Mens : « petites réunions qui sont encore sans ordre, mais qui n'en valent peut-être que mieux pour le moment ».

Dans le Champsaur, il laisse en son absence la charge de ces assemblées à l'instituteur, Ferdinand Martin, qui faisait d'ailleurs le catéchisme et des services aux temples. « On le contredit, on le questionne, et tout cela l'excite à s'instruire et fait ensuite triompher la vérité. »

Neff passe les veillées dans les étables ; on chante des Psaumes ; il explique quelques paroles de la Bible. Les sermons et le catéchisme se font souvent aussi dans les étables.

Ailleurs c'est à l'auberge, au cabaret, qu'on se réunit, et Neff « explique un chapitre ».

On comprend que ces réunions aient amené là aussi le réveil quand on voit comment Neff les présidait. Il nous le laisse voir lui-même une fois :

« La lecture de quelques cantiques de la Grande Psalmodie me toucha vivement, et me fit passer un de ces moments si doux et si rares chez moi, d'amour pour le Sauveur. Je me sentais animé plus qu'à l'ordinaire ; et en leur lisant ça et là quelques versets à leur portée, je tâchai de leur communiquer quelque étincelle du feu qui réchauffait mon coeur. Il est excessivement rare que je puisse parler avec quelque sentiment de l'amour de Jésus et de la joie que donne sa grâce ; et cette absence glace presque toutes mes prédications ; je suis obligé, pour les animer, d'emprunter les foudres de Sinaï ; et ce feu-là ne va pas au coeur. Le très petit nombre de fois qu'en prêchant je me suis senti touché moi-même, j'ai toujours vu l'auditoire très ému et souvent tout en larmes. Du reste, si le Seigneur me refuse cette foi sensible et pleine de douceur, je dois croire que c'est pour de bonnes raisons, et me contenter de ce qu'il me donne 1 tous les outils sont bons dans sa main. »

A propos d'une autre assemblée, il écrit :

« Je ne me sentais guère de feu ni de vie, surtout pour une veillée de Noël ; et après avoir fait chanter plusieurs cantiques et expliqué quelques portions des Ecritures, je voyais le moment où mon monde allait s'en retourner sans édification. C'est une pénible position pour un évangéliste ; et pourtant elle n'est pas rare ! Ne sachant que faire, je sortis et allai prier à l'étable ; là encore, j'avais le coeur mort ; j'étais sur le point d'en murmurer. Cependant, je me soumis, et m'en remettant à Celui qui peut faire jaillir de l'eau du rocher, je rentrai et fis chanter ce cantique : Exaltons la charité, etc... Puis je l'expliquai avec une force et une vie qui pénétra tout l'auditoire. Oh ! combien de fois nous travaillons en vain, parce que nous oublions d'invoquer en vérité le secours du Seigneur ! »

Les conversations

Il parle aux paysans et quelquefois doit les prendre « un peu rudement » tant il a de peine à les amener à des conversations spirituelles.

Voici de ces conversations quelques traits pris sur le vif :

Quelqu'un demande une fois

« Comment vont aujourd'hui les affaires de notre religion ?

- Très mal, lui répondis-je vivement.

- Comment ?

- Parce qu'on ne trouve partout que tiédeur et impiété.

- Oh ! mais ce n'est pas ce que je veux dire. Je vous demande si on nous inquiétera, etc.

- Je vous entends bien, mais je ne juge pas du bon ou du mauvais état de la religion comme vous (3). »

Un jour, se trouvant dans une maison, après avoir supplié ceux qui s'y trouvaient de recevoir la parole de réconciliation, et voyant qu'ils ne faisaient point de cas de ce qu'il leur disait, il devint triste et abattu.

« Avez-vous mal ? lui dirent ces gens.

- Oui, j'ai mal, en voyant votre obstination à vivre dans l'éloignement de Dieu, sans vie et sans espérance dans le monde !

- Je lis souvent la Bible, lui dit l'un d'eux, et je ne me la rappelle pas.

- Ah ! si vous l'aimiez, cette Parole, vous la garderiez ! Si vous aviez un ami bien cher, qui fût éloigné de vous, vous penseriez souvent à lui. S'il vous écrivait que bientôt il viendra pour rester toujours avec vous, vous liriez, vous reliriez sa lettre ; vous vous la rappelleriez ; vous en parleriez à vos amis ; vous hâteriez par vos soupirs le moment de sa venue. Hé bien ! Si vous aimiez le Seigneur Jésus, vous garderiez sa Parole, vous en parleriez à tous ceux que vous rencontrez, et vous aimeriez le jour de son apparition ! »

Un protestant et un catholique se disputaient à l'auberge de Guillestre, sur la supériorité, de leur communion respective, tout en buvant à force. Neff ne disait rien. A la fin, le protestant se tourne vers lui et l'interpelle :

« N'est-ce pas, monsieur le pasteur, que c'est notre religion qui est la meilleure ?

- Hélas ! mes amis, leur répondit-il, vous avez bien tort de vous disputer ainsi ; vous avez tous deux la même religion : le culte de la bouteille (4). »

Situation instable

En juillet 1824, Neff est encore sans nouvelle de sa naturalisation : « J'en doute chaque jour davantage, écrit-il, car Satan ne doit pas avoir manqué d'intriguer en cela, comme en toutes choses ; et je serais moins surpris de voir arriver au premier jour un ordre de partir tout de suite de France, que de recevoir des lettres de naturalité. Mais je suis prêt à tout événement ; et si je ne peux faire entendre l'Evangile aux hommes blancs, peut-être que les sauvages du Madagascar ou des îles Sandwich le recevront mieux ; et si je ne puis partir comme missionnaire, en titre, j'irai comme maître d'école, plutôt que de rester les bras croisés dans cette Europe, si policée et si chrétienne, qu'elle ne veut pas entendre parler de Jésus. Tout cela n'est cependant encore qu'un rêve ; car jusqu'ici je prêche bien sans empêchement... »

Naturalisation refusée... Foi fortifiée.

Quelques jours après, il est fixé : c'est un refus. Au lieu d'être déçu, il est affermi, et sans tarder l'exprime à plusieurs amis. Nous ne pouvons nous empêcher de reproduire, malgré quelques répétitions, certains fragments de ces lettres, tant elles sont pleines de soumission, de sérénité, de foi, d'optimisme même, à un moment où sa carrière en France semblait définitivement brisée

A un de ses amis :

« C'est un défaut qui, malheureusement, ne se trouve pas chez vous seul, que de vouloir qu'on soit personnellement placé bien à son aise et solidement selon la chair, pour travailler à l'oeuvre de Dieu. Il semble aux chrétiens qui sont tels, qu'il est peu sage de songer à l'oeuvre directe de Dieu, et surtout de s'attirer par sa franchise la haine du monde, avant d'être retranché de manière à pouvoir braver ses insultes ; mais ceci est une erreur, permettez-moi de vous le dire en ami ; nous ne voyons rien de semblable dans l'Ecriture, et surtout dans l'exemple des serviteurs et du Maître. S'il en était ainsi, où serait le besoin de la foi ? Que ferait-on des promesses de Dieu ? Il suffit de bâtir sur le fondement solide, et d'y être soi-même fondé selon l'Esprit ; mais, du reste, que la personne de l'ouvrier soit comme suspendue par un fil, n'importe : s'il est utile, Dieu le soutiendra. Celui qui veut tant prendre de précautions et attendre toujours, de peur de faire trop tôt de mauvaises affaires, perd le temps le plus précieux à échafauder au lieu de bâtir ; en attendant, les âmes s'endurcissent toujours plus et meurent dans l'ignorance ; en attendant, la nuit vient, pendant laquelle on ne peut plus rien faire ! La persécution aussi vient également ; également il faut abandonner le poste, et le quitter avec le regret d'avoir perdu son temps et laissé périr des âmes immortelles !

« Je dis tout ceci autant pour moi que pour vous, parce que c'est une tentation qui m'a souvent attaqué rudement ; et j'ai besoin de me munir contre elle de principes solides. Au reste, tout ceci sans préjudice à ce que demande la prudence du serpent ; on ne doit pas la négliger, mais elle doit passer en seconde ligne; la première prudence est celle qui consiste à racheter le temps. »

A André Blanc

« Vous admirez, dites-vous, la manière dont j'ai pris ce dernier contretemps. Mais j'aurais bonne façon en vous prêchant la résignation, de m'abandonner au découragement !... Vous avez pu voir plus d'une fois que la nouvelle imprévue d'un revers me frappait péniblement, mais que cela ne durait guère; et dès que j'étais appelé à affermir les autres, je me trouvais aussitôt fortifié moi-même. Rien ne fond tant le coeur comme de se plaindre ; et c'est justement ce que vous faites trop facilement. C'est cela, plus que le manque de foi, qui vous abat si vite. D'ailleurs, je vous ai dit dernièrement d'où vient que vous ne pouvez vous accoutumer à la haine, au mépris, à la perfidie des enfants de ce siècle (5) ; c'est que vous avez de la peine à concevoir que cela doive être nécessairement, et que cette lutte continuelle et souvent terrible soit inséparable de l'Evangile ; c'est, comme je vous l'ai dit, que vous n'aviez pas fait, en entrant dans le ministère, votre compte là-dessus, mais au contraire sur l'estime des hommes, l'aisance et le bien-être temporel. Mon cas est différent. Quand j'ai ouvert les yeux à la vive clarté de l'Evangile, les premières choses que j'ai vues ont été la rage, la fureur des loups contre les brebis du Bon Berger, car c'était un moment de crise ; je n'ai pu me faire illusion sur le sort qui m'attendait dans cette voie ; et aujourd'hui je compte pour peu de choses les petites contradictions que je rencontre ; comme un enfant, né sur le champ de bataille, s'accoutume de bonne heure au sifflement des balles, et dit volontiers comme le guerrier du nord : « J'en ferai désormais ma musique. » Au reste, je ne puis me glorifier de ces dispositions ; car si, de ce côté-là, j'ai quelque force, par la grâce du Seigneur, je n'en ai encore que très peu en comparaison de tant d'autres ouvriers mille fois plus fidèles que moi ; d'ailleurs, j'ai tant et tant d'autres sujets de m'humilier, de me détester moi-même, qu'il faudrait bien que je fusse fou pour m'estimer le moins du monde et pour ne pas rougir quand on me donne des louanges...

Un été de six semaines... Le véritable hiver

« L'hiver, ajoute-t-il en terminant, ne nous a quittés que le 29 juin, et il est revenu hier matin (15 août); les montagnes étaient toutes blanches de neige nouvelle jusqu'aux villages ; il a gelé ; et j'ai vraiment souffert du froid pour venir ici. La veille, la grêle avait ravagé plusieurs collines ; il n'y a ni pâturage, ni fourrage, et très peu de grains ; la misère menace les pauvres Alpins. Encore s'ils étaient riches en Dieu, tout cela serait peu de chose ; mais toutes les misères à la fois ! C'est vraiment une triste chose que ce pauvre monde ; on voit qu'il est maudit. »

« La première prudence est celle qui consiste à racheter le temps ». Neff s'entendait à racheter le temps. Il travaille comme si l'avenir était assuré : les mois suivants allaient voir en effet la dédicace du temple des Viollins, l'organisation des écoles de Dormillouse, le réveil de Freyssinières.

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1. F. MARTIN-DUPONT : Op. cit, p. 62.
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2. P. GOTHIÉ : Etude sur le catéchuménat de Félix Neff et sur celui d'Oberlin, p. 111
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Quelques répliques
3. On pourrait multiplier les répliques de ce genre, citons encore celles-ci :
Un jour qu'il exhortait une personne à se convertir au Seigneur, elle répondit :
« Sans doute qu'il y aura de petits péchés auxquels je n'aurai pas fait attention.
- Ah ! répondit-il, que parlez-vous de petits péchés ! Ils sont tous abominables au Seigneur ! Ses yeux sont trop purs pour voir le mal. Cherchez dans la Bible si vous y trouvez de plus petit péché que celui d'Adam et d'Eve ; ils n'ont fait que manger un fruit ils n'ont pas offensé leur prochain, puisqu'ils étaient seuls et cependant ce petit péché a perdu le genre humain ; il a fallu une bien grande victime pour l'expier. »
« Vous ne savez pas que vous êtes enfant d'Adam, dit-il à une femme, et que vous n'avez pas besoin de vous perdre, car vous êtes perdue de votre nature. Vous êtes brave, selon le monde, je le crois ; vous ne tuez pas ; vous ne volez pas ; vous n'êtes pas une femme de mauvaise vie aux yeux des hommes. Mais il n'en est pas ainsi aux yeux du Seigneur, qui sonde les coeurs et les reins, et qui connaît vos pensées les plus secrètes. Priez-le qu'il vous donne son Esprit de lumière pour vous faire connaître votre perdition. Si vous étiez là-haut, sur ce rocher, avec un bandeau sur les yeux, vous tomberiez infailliblement dans le précipice : et si quelqu'un avait pitié de vous et vous ôtait le bandeau, dans quel effroi ne seriez-vous pas 1 Vous saisiriez aussitôt quelque pointe de rocher ou quelque arbre, s'il s'en trouvait, pour prévenir votre chute... Eh bien ! Vous êtes dans le même cas pour votre âme. Quand vos yeux seront ouverts par l'Esprit, vous vous verrez sur le bord de l'abîme éternel : alors vous crierez au Seigneur Jésus, qui est l'arbre de vie, le rocher de notre salut ! »
« Vous avez soif, dit-il à une femme, du pardon de vos péchés ? Mais pour être désaltérée, il faut vous baisser ; car la fontaine est bien basse. Si je le pouvais pour vous, votre âme serait déjà inondée des eaux jaillissantes en vie éternelle; mais ne croyez pas que je sois un Sauveur. Je ne suis qu'un Jean-Baptiste, pour vous dire : « Voilà l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ! » Allez à lui telle que vous êtes et vous trouverez en lui un Sauveur parfait ! »
« Ah ! que je me réjouis, disait-il, quand je trouve quelqu'un qui pleure sur ses péchés ! mais, hélas ! ils sont bien rares dans ce pays, ceux qui savent le faire ! Quel sujet d'affliction pour moi ! Les âmes périssent, et l'on ne veut pas y croire. Je puis comparer les hommes de cette génération à celle dont parle le Sauveur : ils ressemblent aux enfants qui sont assis sur une place, et qui crient les uns aux autres : « Nous avons joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé ; nous nous sommes lamentés et vous n'avez point pleuré » ; car je leur ai annoncé la bonne nouvelle du salut, et ils ne s'en sont point réjouis ; je leur annonce maintenant que la colère de Dieu pèse sur leur tête, et ils ne s'en affligent pas ! Ils se plaignent que je les frappe trop fort ; que je leur annonce des paroles dures; mais je ne puis faire autrement. Quand je suis dans la chaire et que je jette les yeux sur mon auditoire, je vois ces pauvres gens remplis de l'amour du monde, avec la joie mondaine peinte sur leur visage ! Je ne puis m'empêcher de leur annoncer leur triste situation !»
Un dimanche, après avoir prêché sur la parabole des noces, il annonça que l'après-midi il tiendrait une réunion. Quelle ne fut Pas son affliction lorsque en arrivant, au lieu de trouver ses paroissiens réunis pour la prière, il les trouva réunis pour le bal, et qu'ils l'invitèrent même à prendre part à leur plaisir: « Je les laissai, dit-il, après leur avoir parlé de ceux qui périrent dans le désert, et m'en allai chercher une âme que j'avais lieu de croire bien disposée pour de véritables joies. Mais si vous saviez combien cela m'a affligé, et combien de soupirs j'ai poussés en traversant la montagne ! ... »
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4. D'après A. Bost : Visite.... p. 83 et L. Pestalozzi : La Vie Chrétienne.
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5. On lira avec profit, Appendice VII, l'émouvante correspondance de Neff et d'André Blanc
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