Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE Il

Activité en Suisse.

(1819-1821)

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D'un caractère vif et résolu, d'un esprit très clair, dès qu'il eut reconnu de quel côté était la vérité, « Neff sous l'habit militaire, parcourut diverses localités de notre canton pendant les jours de liberté que lui laissait son service, et annonça avec un pieux entrain les miséricordes du Seigneur » (1).

Evangéliste itinérant

Neff préside souvent les « assemblées d'appel » que les membres de la « Petite Eglise » (Bourg-de-Four) organisent dans les environs de Genève. Mais cette activité est encore trop restreinte pour lui. Il rassemble dans quelques fermes hospitalières les campagnards qu'il rencontre et leur annonce l'Evangile avec simplicité et force, en illustrant ses enseignements d'images empruntées à la vie des champs et à l'art militaire.

Il fut libéré le 5 mars 1819. Sur son congé, le capitaine de sa compagnie lui rend le meilleur témoignage : « J'ai été très satisfait du sus-dit sergent, surtout pour sa moralité, et il a mérité l'estime de tous ses supérieurs pendant tout le temps qu'il a servi dans ma compagnie (2). »

Dans les prisons

Appelé à visiter, dans les prisons du canton voisin, un meurtrier, il eut la joie de l'amener aux pieds de Jésus (3). Cette circonstance le mit en rapport avec plusieurs pasteurs de ce même canton, qui réclamèrent son assistance dans l'accomplissement de leur oeuvre et dont quelques-uns ont longtemps béni sa mémoire (4).

Ailleurs, il pénétrait dans les cures sans autre introducteur que lui-même (5).

Certains pasteurs étaient effrayés de l'audace de ce jeune évangéliste qui venait prêcher à leurs paroissiens la corruption radicale de l'homme et le besoin de la conversion. Et pourtant la politique de Neff était toute de conciliation et plusieurs de ses adversaires devaient en convenir (6).

A ceux qui l'accusent d'être une cause de trouble, il répond :

« Ceux qui recherchent le ciel, leur vraie patrie, font profession d'être étrangers et voyageurs sur la terre, à laquelle ils ne s'attachent nullement. Oui, à ceux-là, il est dit : « Soyez en paix entre vous. » Mais quant à la paix avec les enfants du monde, avec ceux qui, n'ayant pas le Fils, n'ont pas la vie, et sur qui la colère de Dieu demeure, qui vivent selon la chair, et recherchent avant toutes choses la gloire du monde, l'estime des hommes et les biens de la terre, la paix avec ceux-là (quoiqu'on doive pour l'obtenir faire tout ce qui dépend de nous), on ne doit pas l'acheter en refusant de confesser la vérité ou en appelant le bien mal, et le mal bien. »

Cependant Neff doit gagner sa vie, il travaille comme ouvrier chez des particuliers, puis, en mars 1820, à la construction de la chapelle du Témoignage, de César Malan.

Dans les cantons voisins

Franchissant bientôt les limites du canton de Vaud, Neff alla prêcher l'Evangile dans celui de Neuchâtel, dans le Jura Bernois, et jusque dans le canton de Bâle (7).

Partout il tient des réunions et exerce une influence profonde sur ceux qu'il rencontre.

On le vit gravir le Jura dans sa partie la plus escarpée, pour visiter un pauvre berger, originaire des vallées du Piémont, qui manifestait, à travers une écorce épaisse et grossière, quelques étincelles de vie religieuse (8).

« J'ai tenu, écrit-il de Moutiers-Grand-Val, en novembre 1820, déjà treize assemblées publiques dans sept villages différents, et souvent elles étaient composées de plus de la moitié de la population du lieu. Dans les intervalles, je visite chez eux les chrétiens déclarés ou ceux qui s'acheminent, et je tâche de les affermir dans la foi, les excitant à prêcher aussi l'Evangile, et leur recommandant surtout ce qui leur manque, l'amour fraternel et les relations chrétiennes entre eux. Les âmes vraiment converties s'empressent d'appeler les tièdes ou les froides aux assemblées. »

Hostilité du clergé

Ce genre de réunions dépourvues de toute forme, où régnait la plus grande liberté, suscita l'opposition des pasteurs officiels. En novembre 1820, son ami F.-A. Matthey écrit à Neff :

« La Compagnie des pasteurs a défendu toutes les assemblées religieuses, après quoi plusieurs pasteurs ont demandé s'ils ne pourraient prendre leur Bible avec eux en se rendant chez leurs paroissiens. Chose effarante ! On a été environ une heure en délibération pour décider. » *

Le 4 décembre 1820, Gonthiers écrit à Neff qu'il est sous le coup d'une expulsion et ajoute : « Fais tout ce que tu pourras avant qu'on te chasse. »

Un pasteur, écrit Neff lui-même, « avait défendu à ses catéchumènes d'assister à nos réunions, sous peine d'être renvoyés d'un cours ». Ailleurs, on me donna « à entendre, dit-il, que le pasteur ne voyait pas de bon oeil les assemblées, et que celles que j'avais tenues avaient beaucoup fait crier, surtout parce que quelques-unes des personnes qui y ont assisté paraissent tristes et rêveuses depuis, et que l'on craint que cela ne tourne les têtes ou ne cause des divisions » (9).

Un ecclésiastique défendait à un fermier « tout rassemblement dans la paroisse ». Mais, écrit Neff : « comme il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, nous avons continué ce soir et nous avons eu beaucoup de monde ». Dans cette église de Moutiers, où Bost avait été pasteur, il fonde, sous l'influence des Moraves (10), une Société d'Amis de jeunes gens qui devaient se réunir tantôt dans un village, tantôt dans un autre.

« Il y a ici des chrétiens, écrit Neff, dont le zèle, l'humilité et l'amour me font honte, et qui ont bien autrement d'expérience qu'aucun de nous ; aussi je profite à leur école. » Neff, profita si bien qu'il imita ensuite les « diasporas » des Moraves, en organisant partout où il le put des réunions d'édification mutuelle, outil que Dieu bénit merveilleusement entre ses mains.

D'une réunion de jeunes filles, il écrit :

« Nous passâmes l'après-midi à chanter des cantiques, et en conversations édifiantes. Elles s'attendaient bien à être tancées d'importance au retour, quand on saurait d'où elles venaient : leurs frères sont les plus acharnés contre elles, aussi bien que les autres jeunes gens de la commune. Ce qui anime ainsi les garçons de ces villages, c'est de voir se convertir des jeunes filles, qui sont alors perdues pour le bal et les soirées champêtres (11). » « Quelques-uns sont réveillés, mais la plupart dorment. Nos assemblées de Bôle continuent quand même et deviennent de jour en jour plus nombreuses. Hier, chambre et cuisine, tout plein. Priez le Seigneur qu'Il fasse pleuvoir sur cette semence... Chers frères ! Priez le Seigneur qu'il entretienne et augmente Lui-même son feu. Priez-le aussi qu'Il me délivre des ennemis, afin que la porte ne me soit pas fermée dans ce pays-là, car j'espère qu'un beau réveil s'y prépare. »

Il travaillait ainsi, conduit par Dieu seul. « Quand on me demande où je serai demain et ce que je ferai, je réponds souvent que ce ne sont pas mes affaires et qu'il faut le demander au Maître. »

Il dut bientôt quitter le Jura, fatigué par un exercice continuel de prédications, de conversations et de chants.

Zèle et pondération

Au milieu de novembre il est à Berne, puis retourne à Neuchâtel en janvier 1821, d'où il écrit : « Je suis affadi par le christianisme des ménagements. Nous vivons ici parmi les chrétiens du Nationalisme, du Mysticisme, du Moravisme et surtout du PRUDENTISME. »

Il termine cette lettre à Bost par ces lignes :

« Oui, cher ami, je sens toujours plus qu'il faut se garder des maximes mondaines, qui se revêtent des dehors de piété, comme du chant des sirènes, et s'y rendre sourd, sans cela on se laisse lier les bras et on abandonne sans s'en douter l'oeuvre du Seigneur. Marchons donc courageusement, dussent tous nos frères nous renier et se joindre au monde pour nous abreuver d'opprobre... Mais attachons-nous plutôt à établir le Royaume de Dieu qu'à frapper sur celui du Diable. » *

Neff revient à Genève en mai, remplace Guers et Gonthier qui vont en Angleterre demander la consécration. Mais le caractère officiel de sa tâche lui pèse, aussi écrit-il à Guers, le 12 juillet : « J'attends avec impatience votre retour afin de vous voir ; mais surtout pour me sauver d'ici, sentant que dans le fond j'y suis inutile, tandis qu'ailleurs une oeuvre à laquelle je suis plus propre me demande ; cependant si les âmes ne peuvent qu'y perdre, moi j'y gagne de bonnes leçons de patience et d'humilité (13). »

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1. GUERS, Op. Cit., P. 232.
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2. D'après une note de Daniel Benoît.
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3. Il lui parla non en juge, mais en frère, il ne lui montra pas l'horreur de son crime... « Je lui dis que s'il n'y avait pas de grâce pour lui, il ne saurait y en avoir pour moi, quoi qu'aux yeux des hommes je puisse paraître juste et innocent. » (A. Chatoney, op. cit, p. 22).
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4. GUERS, op. cit., p. 263.
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5. J. CART, op. cit., 1, 163.
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6. A. CHATONEY, op. cit., p. 27, 28
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7. GUERS, op. cit., p. 263.
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8. Notice de Toulouse, p. 12.
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9. Il justifie sa méthode en faisant avant tout appel à l'Ecriture pour démontrer déjà la nécessité de ces assemblées qui seront, où qu'il aille, la clef de voûte de son oeuvre.
« Exhortez-vous les uns les autres, et édifiez-vous mutuellement ; nous vous prions, mes frères, de reprendre ceux qui sont déréglés, de consoler ceux qui ont l'esprit abattu. »
« Ailleurs, il est ordonné aux chrétiens en général d'avertir comme un frère celui qui, par sa mauvaise conduite, s'était fait chasser de l'Eglise. Saint Jacques dit : « Confessez vos fautes les uns aux autres ; si quelqu'un d'entre 'nous s'égare du chemin de la vérité, et que quelqu'un le redresse, qu'il sache que celui qui aura ramené un pécheur de son égarement, sauvera une âme de la mort, et couvrira une multitude de péchés.»
On lit dans un autre endroit : « Mes frères, si un homme est surpris en quelque faute, vous qui êtes spirituels, redressez-le avec un esprit de douceur ; portez les fardeaux les uns des autres. » Et Pierre dit : « Que chacun, selon qu'il a reçu quelque don, l'emploie au service des autres, comme bon dispensateur des différentes grâces de Dieu. » Il était même recommandé à tous de « rechercher les dons spirituels, et cela pour l'édification de l'Eglise ». « Si quelqu'un parle, qu'il parle selon les oracles de Dieu. Que votre discours soit toujours assaisonné de grâce et de sel, propre à l'édification de ceux qui vous écoutent. Que la parole de Christ habite en vous avec abondance pour toute sorte de sagesse, vous enseignant et vous exhortant les uns les autres. » Il était « permis à tous de parler dans l'Eglise, car vous pouvez prophétiser l'un après l'autre. » Il était même permis « d'interrompre celui qui parlait, si l'on avait une meilleure révélation ».
« Vous faites des objections contre les assemblées, en disant qu'elles sont trop publiques, et prolongées trop avant dans la nuit. Je vous répondrai qu'une ville située sur une montagne ne peut être cachée ; et que la chandelle n'est point allumée pour être mise sous le boisseau. Et quant au prolongement dans la nuit nous voyons Paul passer une nuit entière en exhortations avec l'Eglise ; nous voyons que les disciples étaient assemblés en prières dans une maison, lorsque au milieu de la nuit Pierre, délivré de ses fers par l'ange, vient heurter à la porte. David devançait l'aurore pour chanter des louanges à l'Eternel : et Paul disait aux pasteurs d'Ephèse, en les quittant : « Je n'ai cessé, durant trois ans, nuit et jour, de vous avertir. »
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10. En 1828 Neff rendra encore ce témoignage aux Moraves
« Nous avons ici, à Genève. écrit-il aux Vaudois du Piémont, un Vaudois nommé Gonin... converti dans sa jeunesse par les Frères-Unis (Moraves), il était resté presque seul, comme un charbon sous la cendre, pendant les longues années d'incrédulité et de mort qui ont précédé le temps actuel de réveil religieux : quatre ou cinq personnes, réunies à ce fidèle disciple de Christ ont formé pendant plus de trente ans le seul foyer de vie chrétienne qu'il y eût à Genève. C'est à cette petite lampe, luisant en un lieu obscur, que s'est, en grande partie du moins, rallumé le zèle qui s'est développé parmi nous et qui, d'ici, a été reporté chez vous. »
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La mondanité
11. Neff dénonçait la mondanité avec énergie : Dans un salon près de Bôle, « je fis tomber la conversation sur l'inconséquence du monde, qui, tout en permettant de croire à la Bible ne permet pas qu'on en soit pénétré, ni qu'on agisse d'après ses principes ».
« La femme de X. (un pasteur), non seulement n'est pas convertie, mais elle paraît tenir beaucoup au monde ; et j'ai pu apercevoir qu'elle donne beaucoup d'ouvrage à son mari dont elle combat moins encore les principes que les actions. Priez le Seigneur qu'il la convertisse afin qu'il puisse travailler sans empêchement au règne de son Maître... Il est triste de voir combien souvent les chrétiens choisissent mai en mariage ; je suis à chaque instant appelé à déclamer contre cette infidélité ; elle m'apparaît en quelque sorte comme un adultère ; et j'exhorte ceux qui sont déjà ainsi liés à n'envisager aucune convenance humaine contraire à l'Evangile, mais à se rendre libres dans leur action, malgré leurs femmes et leurs familles. Je ne me rends pas ainsi ami des dames ; mais comme je me soucie fort peu de leur affection hors de Christ, j'en suis tout consolé. »
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13. GUERS, op. cit., p. 264.
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