Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

Enfance et Jeunesse. - Conversion.

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Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira (Jean VIII, 32).

Ses parents

Félix Neff (1) naquit à Genève le 8 octobre 1797. Son père avait joué un rôle de premier plan lors de la tourmente révolutionnaire à Genève à la fin du XVIIIe siècle, mais découragé par la tournure des événements, il quitta sa patrie et mourut à Paris, conservateur de l'Ecole des Arts et Manufactures (2).

L'éducation de Félix reposa tout entière sur sa mère. « Je suis une triste exception, écrit-elle elle-même à Ami Bost, à la remarque qu'on a faite sur presque tous les serviteurs de Dieu distingués, savoir qu'ils ont eu des mères chrétiennes. Votre ami n'a pas eu cet avantage. Je marchais avec le siècle ; et mon union avec un homme rempli d'esprit et d'incrédulité m'amena bientôt à n'être plus, comme lui, que déiste, et à vivre sans culte. Il n'en fut pas de même de mon enfant ; bien jeune encore, il prit beaucoup de goût pour les saintes assemblées ; non seulement il n'en manquait point, mais il se faisait remarquer par son recueillement... Quand il savait toutes ses leçons, il lui arrivait d'apprendre encore un Psaume pour avoir une bonne note de plus... »

Caractère tranché

Très jeune, l'enfant manifeste une intelligence très vive, et surtout une droiture absolue. « Jamais, écrit encore sa mère, ses petits camarades n'ont pu lui faire peur des revenants ou d'autres idées semblables... Je ne me rappelle pas l'avoir jamais entendu mentir, ni jamais non plus prononcer une seule mauvaise parole ni aucun jurement... »

L'enfant ne reçoit qu'une instruction imparfaite, mais il étudie lui-même : botanique, histoire et géographie.

Jardinier

A treize ans, le pasteur Diodati lui donne quelques leçons de latin et lui prête des livres. On lui achète de petits outils, il se place comme jardinier et son patron fait entendre à sa mère qu'il facilitera son entrée au Jardin des Plantes de Paris. Sorti de chez ce cultivateur, il travailla chez plusieurs fleuristes partout on fut content de son travail.

Il revient chez sa mère et compose à seize ans un traité déjà remarquable par l'ordre, la précision et l'esprit d'observation, « Sur la culture des arbres de haute futaie ».

Il continue son latin, s'occupe de mathématiques il lit Plutarque - « La Vie des hommes illustres » lui donne le goût des grandes actions - et Rousseau, qui lui enseigne le mépris des spectacles.

Il manifeste des convictions arrêtées : « L'âge de son cours de religion arrivé, il me déclara, dit sa mère, qu'il aimait mieux ne jamais communier s'il fallait qu'il le fît avec le régent du village, qui était un homme immoral, méprisé de tout le monde. »

C'est pourquoi ils viennent tous deux se fixer à Lancy, où il fait son instruction religieuse, probablement avec M. Perret, qui, discernant sa valeur, se fait remplacer par Neff quand il est indisposé.

Artilleur

La situation financière de la famille devenant de plus en plus difficile, sa mère l'adresse au pasteur Moulinié, qui ne tarde pas à l'apprécier. Il essaie vainement de lui faire accepter une place d'aide-pharmacien, et, le temps pressant, il l'engage à entrer dans la garnison, ce qu'il fit à l'âge de dix-sept ans. Neff apprend comme en se jouant ce qu'il lui fallait de mathématiques pour sa nouvelle profession, et il monte bientôt au grade de sergent. Il mettait la main à tout. « Mais vous ne laissez rien faire aux soldats, lui disait son capitaine, vous ne savez pas commander ! » - « C'est la meilleure manière de commander », répondit-il. Parole admirable, éminemment applicable au christianisme, et prédiction touchante des travaux futurs du missionnaire.

Les exercices de l'artillerie ne contribuèrent pas moins que les travaux de la campagne à endurcir son corps à la peine, et à le préparer pour des fatigues plus utiles et plus glorieuses. Pendant ces années qui sembleraient perdues, il acquit des connaissances pour lesquelles le temps lui avait manqué. Une mémoire et une intelligence rares lui rendaient l'étude facile. Il s'exprimait d'une manière brève et pleine de justesse : ses comparaisons étaient parfaites ; il disait beaucoup, très bien et en peu de mots.

Tourmenté dans son âme

Au milieu de ces événements, les préoccupations religieuses continuent à tourmenter Neff ; il relit ses auteurs favoris : Plutarque et Rousseau. Il ne trouve pas dans les formes du christianisme en usage autour de lui, la tranquillité, la paix dont il a besoin. L'esprit d'analyse et de justesse qui le caractérisait lui découvre le fond des actions les plus voilées, et lui fait voir les siennes propres dans toute leur nudité. Forcé de reconnaître que ses meilleures oeuvres et toute sa morale n'avaient au fond pour cause et pour but que le moi, il se trouble ; et son angoisse augmente encore par son incrédulité. Croire et s'humilier devant Dieu devint un besoin pressant ; il faisait alors une prière qu'il a plusieurs fois répétée en racontant sa conversion : « 0 mon Dieu, quel que tu sois, fais-moi connaître ta vérité ; daigne te manifester à mon coeur ! »

La Genève religieuse

Genève était alors en pleine crise religieuse. L'église indépendante du Bourg-de-Four, née du Réveil, était attaquée par la Vénérable Compagnie des pasteurs ; les esprits restaient surexcités, des bagarres avaient lieu, la force armée dut souvent rétablir l'ordre. La compagnie de Neff doit un jour s'opposer à un mauvais coup préparé contre les « momiers », et Neff, plongeant son sabre dans le talus du rempart, s'écria hors de lui : « Comme j'enfonce mon sabre dans cette herbe, ainsi je l'enfoncerai dans le ventre du premier qui ira au secours de ces gredins (3). »

L'oeuvre d'un traité

Il fallut cependant que, bon gré, mal gré, il marchât à leur secours. Ceci se passait le 7 juillet 1818. Un mois après, jour pour jour, le 7 août, Neff était avec Gonthier et Guers dans l'arrière-magasin du père de ce dernier, alors libraire à la Cité, et leur disait avec effusion : « Messieurs, je vous avais méconnus, maintenant je suis des vôtres ! (4) » Neff s'était, en effet, mépris sur le compte de la nouvelle église et la confondait avec les visionnaires et les fanatiques.

Que s'était-il passé entre temps ? Neff le rappellera lui-même ainsi : « M. Malan avait été par la grâce de Dieu l'instrument de ma conversion en ce qu'il s'était donné la peine de venir me chercher au corps de garde pour me donner des traités qui, me trouvant déjà fort occupé de mon âmes (5), m'avaient en peu d'heures fait connaître le grand mystère de la Rédemption. » *

Le Traité

Le traité qui bouleversa Neff fut : Le Miel découlant du rocher (6).

« C'est un ouvrage, en écrira Neff (7), retraçant sa conversion, peu intéressant pour quiconque veut lire pour se récréer ou orner son esprit. Tout ce qu'il contient est folie pour la sagesse humaine, et cependant nulle part je n'ai vu la doctrine évangélique présentée d'une manière plus franche, plus entière. Il n'est pas un vrai croyant qui ne puisse affirmer, après l'avoir lu et relu, que tout son contenu renferme la vérité et qu'il n'existe aucun autre chemin que celui qu'il indique.

« Quiconque ne sent pas la réalité de ces choses, qui les trouve ou exagérées ou obscures, est encore lui-même environné de profondes ténèbres. Il fut un temps où j'eusse peut-être jeté ce livre avec indignation, comme le font encore bien des docteurs en Israël, méconnaissant la ruse et la profonde malice de mon coeur orgueilleux et rebelle ; je n'eusse pu supporter une doctrine qui abaisse l'homme au-dessous du néant et veut qu'il regarde comme de l'ordure ce qu'il trouve de plus estimable en lui. Mais lorsqu'une longue et triste expérience m'eut appris à connaître ma faiblesse et mon indignité, lorsqu'après mille voeux inutiles et mille efforts infructueux, je sentis enfin qu'en moi n'habite aucun bien (Rom. VII, 18), et que malgré ma résistance j'étais entraîné vers la perdition par une force invincible ; quand il me fut possible de ne plus douter qu'avec toutes mes prétentions et mes vertus, je n'étais au fond qu'un vil esclave du péché, un enfant de colère et de rébellion, aussi indigne qu'incapable de goûter les délices du royaume de Dieu, je m'estimai bien heureux de trouver un livre qui, dépeignant avec la plus exacte vérité le misérable état de mon coeur, m'indiquait un remède gratuit et le seul efficace. Je le compris à la seconde lecture. Il me sembla alors que Dieu même l'avait dicté tant il s'adaptait parfaitement à ma situation. Je reçus avec joie la bonne nouvelle qu'il annonçait, savoir que nous devons aller à Christ avec toutes nos souillures, toute notre incrédulité et notre impénitence.

« Je me hâtai de suivre ce salutaire conseil, et, dès la première fois, j'en éprouvai toute l'excellence. A partir de ce moment, je n'ai plus eu besoin de beaucoup de conseils. En annonçant les richesses incompréhensibles de la grâce qui est en Jésus-Christ, j'ai pu dire avec assurance, comme Saint Jean :

« Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons entendu de nos oreilles, ce que nos mains ont touché et que nous avons contemplé de la Parole de vie, nous vous l'annonçons. » (I Jean I, 1). »

Insistons sur la simplicité de ces expériences spirituelles initiales, sur l'absence presque complète d'influences humaines, au point que Neff pouvait dire sans injustice envers personne : « La Bible et l'Esprit de Dieu ont été mes seuls professeurs de théologie.... je n'ai étudié que dans trois livres : la Bible, mon coeur, la nature (8). »

Neff, arrivé à la connaissance du salut, s'unit à l'église qui se réunissait alors à Bourg-de-Four. Il reçut beaucoup de Pyt, de Guers et de Gaussen. Il appelait ce dernier une « lampe ardente et brillante à la lumière de laquelle je me suis si souvent réjoui».

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1. La famille est d'origine zurichoise ; le nom, primitivement orthographié Näf, lut changé en Naef et Neff, pour la prononciation. L'orthographe « Neff » fut définitivement adoptée après les séjours en France de plusieurs membres de la famille.
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2. Au point de vue religieux, « il n'adopta jamais les conclusions de son fils Félix avec lequel il était resté en relations lointaines. Mais sa vieillesse laisse voir la trace d'un retour positif vers le Christianisme ». (François NAEF, « Ma Famille », inédit).
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3. J. CART, Histoire du mouvement religieux, 1, 161. Guers, in Le premier Réveil, p. 149, écrit : « dans le coeur du premier qui oserait prendre la défense de ces misérables. »
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4. Guers. Le premier Réveil, p. 149.
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Sa conversion
5. En ce qui concerne le travail intérieur de l'âme de Neff avant sa conversion, M. Chatoney écrit : « Il était fier, fier de lui et de la manière dont il avait déjà lutté dans la vie, fier de son attitude morale et de son sérieux. ...Et ainsi, croyant être près de son Dieu il s'en éloigne en ne voulant pas renoncer à lui-même et en la confiance en ses propres vertus... la religion n'avait abouti au fond, chez lui, qu'à une forme plus élevée, sans doute, mais combien dangereuse du culte du moi. Il avait, en effet, laissé son égoïsme naturel pénétrer sa vie spirituelle et empoisonner les sources... Il sentit qu'il fallait changer... Il comprit que le grand obstacle était son orgueil et il chercha à s'humilier devant Dieu. »
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6. (Le miel découlant du Rocher) Petit traité de Thomas Wilcock dont il avait paru une édition française à Strasbourg en 1762. Il présentait essentiellement la doctrine du salut par la foi, par la grâce. (Ce document est à disposition dans la bibliothèque "Regard))
En voici quelques passages : 
« Vous faites profession d'être chrétien, vous assistez au culte divin, vous participez aux saints sacrements ; tout cela est bon. Mais savez-vous qu'en faisant tout cela, vous pouvez être le plus malheureux des hommes ?
« Pouvez-vous vous souvenir du moment auquel Jésus se soit approché de votre coeur pour demeurer si bien présent à vos yeux, que vous préféreriez cet unique objet à tout ce qu'il y a de perfections, de beautés et de vertus dans le monde ?
« Tout ce que vous présumiez avoir fait de bon est-il réputé de votre part comme de l'ordure devant la majesté du Seigneur ? Tout cela est-il abaissé devant la majesté de sa perfection, de sa grâce et de son amour?
« Ne mettez pas les dons que vous avez reçus en balance avec ceux des autres, mais examinez-les sur la véritable pierre de touche qui est la parole de Dieu. »
Neff ne cessa de lire ce livre, de le distribuer autour de lui. A son lit de mort il le lira, le soulignera.
Sur la première page il écrivit : « Christ est ma vie et la mort m'est un gain ! » Neff souligna et signa plusieurs passages, entre autres les lignes suivantes (p. 52) précédées de ces mots : Redoublez d'attention, Félix Neff : « Vous direz peut-être : « Si seulement je pouvais croire, mais je n'ai pas même une vraie contrition ni une vraie componction de coeur à la vue de mes péchés. » Mais sachez que dès là-même que vous n'avez que péché et que misère, vous êtes dans le cas où Jésus peut d'autant mieux signaler sa grâce Allez seulement à Lui avec toute votre impénitence et votre incrédulité pour recevoir de lui le don de la repentance et de la foi. Par là. vous lui ferez honneur. Dites-lui : « Seigneur, je ne t'apporte ni justice, ni don, pour t'engager à me justifier. Ce sont tes dons que je viens te demander. C'est ta justice indispensablement nécessaire que je réclame. » Nous ne pouvons pas nous défaire de la démangeaison de vouloir apporter quelque chose au Sauveur ; cependant il n'y a rien de si déplacé, les plus brillants talents de la nature ne valent pas la monnaie d'un denier dans le ciel.
« Quant au Sauveur, il n'exige absolument rien de l'âme pour sa justification, mais l'âme voudrait à toute force l'obliger à recevoir quelque chose d'elle (à titre d'achat). »
Dans la marge de ce dernier passage Neff, sur son exemplaire, avait écrit : « J'ai trouvé la paix, là, dans ces deux pages. »
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7. Cité par Louis Brunel in Les Vaudois des Alpes françaises, 1890, p. 171.
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8. Dans le premier (qui, par la grâce de Dieu lui avait appris à étudier les deux autres), il avait connu les perfections et les desseins d'un Dieu saint, juste et bon ; dans le second, il avait senti tout le poids du péché, les ruses de Satan, le malheur et les besoins de sa nature déchue ; dans le troisième, il puisait toutes ses comparaisons.
N. B. - Nos lecteurs ne voudront pas manquer de lire Le Miel découlant du rocher. A cet ouvrage Neff dut non seulement sa conversion, mais sa formation religieuse elle-même. C'est assez dire la valeur de cet opuscule. (Se le procurer : Librairie des Bons-Semeurs, Paris, 56, rue Vauvenargues, franco, 2 fr. 76).
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