Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

DERNIÈRES ÉPREUVES

DERNIERES ANNEES

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Garrigues - 1815-1818

2 ème partie

Il est des hommes qui paraissent être nés pour souffrir. Du berceau à la tombe, ils vont, sans cesse frappés par les coups d'un sort aveugle, sans que rien n'explique jamais le pourquoi de tant de détresses.

Simon Lombard fut un peu de ceux-là.

Persécuté au temps de sa jeunesse, courbé par les épreuves familiales pendant l'âge mûr, atteint par l'adversité à l'heure où l'on commence à donner du prix à la paix, il était dit qu'il connaîtrait encore, au soir de la vie, l'une de ces tempêtes d'où les embarcations les mieux pontées sortent souvent à l'état d'épaves.

Vieillesse

Depuis la mort de sa belle-fille (1), qui laissait deux tout jeunes enfants, il avait pris conscience de son âge. La vieillesse était venue, pour lui aussi, avec son cortège de misères. Sa vue, en particulier, avait sensiblement diminué.

« Je déplore d'autant plus l'état de vos yeux - écrivait-il, le 22 octobre 1813, à Mme Lombard-Lachaux, veuve de son collègue - que les miens ont perdu considérablement, que je n'écris plus qu'à tâtons, et qu'à peine puis-je lire ce que j'ai écrit. Consolons-nous, Madame, dans l'espérance en notre bon Dieu et Sauveur Jésus-Christ (2). »

D'ailleurs, sa vue ne s'était pas seule affaiblie. Sa démarche s'était alourdie, sa mémoire lui faisait davantage défaut ; il craignait déjà de voir apparaître ces petites manies qu'on ne pardonne pas toujours assez aux cheveux blancs ; mais, redoutant d'autant plus de se replier sur lui-même, qu'il vivait seul au Château de Garrigues, il s'efforçait de rester chez lui le moins possible et de conserver un intérêt toujours aussi vif pour une charge qu'il déplorait de ne plus pouvoir accomplir avec le zèle d'antan.

La venue à Garrigues de ses petits-enfants Adrien et Noémie, accompagnés de leur fidèle domestique, Elisabeth Jonquet, lui donnait un nouvel entrain lorsque les circonstances les plus tragiques vinrent troubler la région.

Troubles politiques

L'Empereur Napoléon venait de quitter l'île d'Elbe et de rentrer à Paris. Les volontaires royaux, capitulant devant le flot montant des troupes impériales qu'ils étaient venus combattre, s'en retournaient chez eux.

Mais, tandis que la plupart des Miquelets avaient déposé les armes, un de leurs groupes avait conservé les siennes. Le 11 avril 1815, comme il passait à travers les champs d'Arpaillargues, se rendant de Pont -Saint-Esprit à Nîmes, la panique s'empara des paysans.


LE CHÂTEAU DE GARRIGUES
FACADE OUEST

A la nouvelle qu'une « horde armée se dirigeait vers eux, pillant et dévastant sur son passage », les gens d'Arpaillargues, munis de fourches et de fusils, se portèrent à la rencontre des Miquelets qui, refusant de mettre bas les armes, furent attaqués. Deux d'entre eux furent tués (3).

Retour des Bourbon - Manifestation royalistes

Ces désordres apaisés, un calme relatif régna pendant les Cent Jours, mais, dès le second retour des Bourbons, les troubles recommencèrent avec un redoublement de violence.

Plusieurs manifestations royalistes ayant mis en danger les protestants d'Uzès qui ne formaient qu'un tiers de la population, leurs coreligionnaires de Gardonnenque prirent les armes et vinrent camper sur le Plateau d'Arpaillargues.

Le pasteur Roux

Le vénérable pasteur d'Uzès, M. Roux, ayant réussi à les calmer, l'affaire se serait sans doute arrêtée là si deux gendarmes d'Uzès, accompagnés d'un garde-forestier, équipé lui aussi en gendarme, n'étaient intervenus.

Cernés par un avant-poste protestant au pont d'Arpaillargues, les trois hommes furent conduits au village. C'est là que le déguisement du garde-forestier, Nicolas, excita la méfiance ; pris pour un espion, le malheureux reçut une balle dans la tête.

Ce nouveau meurtre ralluma la fureur des habitants d'Uzès qu'étaient venus renforcer deux mille volontaires royaux. Un massacre général, menaçait les protestants. Ceux de la Gardonnenque, déjà réunis en masse sur le haut plateau d'Arpaillargues, décidèrent alors la marche sur Uzès.

Une seconde fois, le pasteur Roux revient. « Il se jette aux pieds de ses coreligionnaires, pleure, supplie et parvient à les faire rebrousser chemin », évitant ainsi une terrible conflagration (4).

Terreur Blanche

Mais, dès que Louis XVIII eut réintégré les Tuileries et malgré le témoignage de ses bonnes intentions, les passions ultra-royalistes, plus fortes que lui, se déchaînèrent à nouveau, portant, dans toutes les villes du Gard, cette terreur que l'opinion publique flétrit sous le nom de « Terreur blanche ».

A Uzès

A Uzès - plus encore peut-être qu'à Nîmes, où Trestaillons assouvissait à plaisir ses haines religieuses - « l'assassinat, l'incendie, le pillage sévirent avec une égale violence. Graffan, dit « Quatretaillons », y fusillait les protestants deux par deux, au cri de « Vive le Roi ». Bientôt, les moindres villages devinrent le théâtre d'horreurs semblables.

Invasion de Garrigues

Le 28 juillet, vers midi (5), trois ou quatre cents hommes en armes, tous Miquelets catholiques, investirent le village de Garrigues. Ils y venaient, disait-on, désarmer les protestants.

Ceux-ci, au nombre de cent quarante-neuf exactement, y compris les femmes et les enfants, ne possédaient que quelques fusils de chasse, qui leur furent sur-le-champ enlevés et portés à Saint-Chaptes.

Une fois les armes saisies, les bandits, sûrs de l'impunité, s'installèrent à table, insultant grossièrement les femmes contraintes de les servir. Renouvelant les tristes exploits des Dragons de Villars, ils mirent ensuite toutes les maisons au pillage, ravageant les poulaillers, éventrant les armoires, raflant tout, tandis que leurs chefs « imposaient aux seuls protestants, une contribution de trois cent quatre francs que la troupe se partagea ».

Fuite de S. Lombard - Pillage du château

La vieille demeure seigneuriale que Simon Lombard venait d'abandonner, entraînant après lui ses deux petits-enfants, âgés respectivement de treize et dix ans, fut encore plus saccagée que les autres.

Les pillards se vengeaient ainsi de Joseph-Simon, alors greffier en chef du Tribunal d'Uzès, contre lequel l'envie d'un subordonné avait excité les fureurs royalistes et qui leur avait également échappé par la fuite, tandis que l'on fusillait, sur l'Esplanade d'Uzès, son second commis greffier, le jeune Ribot.

Mise à sac de la maison de J.-S. Lombard à Uzès

La maison que J.-S. Lombard possédait, rue de la Triperie, à Uzès, avait d'ailleurs payé pour lui : elle avait été entièrement dévastée. Tout ce que les malfaiteurs n'avaient pu emporter avait été jeté par les fenêtres et brûlé sur l'Esplanade ou fracassé à coup de crosse.

Lui-même, après être resté caché pendant longtemps à Anduze, fut découvert et conduit aux prisons de Nîmes, d'où il ne sortit, après trois mois de captivité, que gravement malade.

Quant au vieux pasteur de Garrigues, poursuivi par les brigands, il s'était réfugié dans les bois de la région où un certain nombre de ses fidèles l'avaient devancé.

L'asile du château de Castelnau-Valence

Après plusieurs jours d'une existence errante, au cours desquels il voyait, avec une terrible angoisse, ses petits-enfants souffrir, sinon du froid, du moins de la faim et de la soif, il fut enfin recueilli au château de Castelnau-Valence (6), par M. Henri Boileau de Castelnau, qui avait déjà offert un généreux asile à son collègue Fromental, pasteur de Saint-Chaptes.

Ayant séjourné cinq ou six semaines dans cette retraite, Simon Lombard, ne voulant pas abuser de l'hospitalité qui lui était si aimablement accordée, se décida à regagner Garrigues, où il lui tardait d'ailleurs de reprendre sa tâche.


BIBLE DE SIMON LOMBARD

Les troubles politiques n'étaient pourtant pas encore entièrement apaisés. C'est ainsi que, le 3 décembre, tandis que l'on célébrait le culte dans une bergerie de Garrigues - c'était M. Fromental qui prêchait, ce jour-là - les fidèles entendirent tomber des pierres sur la toiture et des voix menaçant de la faire écrouler sur la pieuse assemblée qu'on qualifiait d' « attroupement ».

Decazes

Ce n'est qu'un an plus tard, à la fin de 1816, que, sous l'heureuse influence du ministre Decazes, le calme fut rétabli.

A ce moment même, le vieux Président du Consistoire de Saint-Chaptes faiblissait.

Les émotions de sa fuite précipitée, les privations qu'il lui avait fallu endurer, les soucis que lui avaient apportés la captivité, puis la très grave maladie de son fils, dépossédé de ses fonctions par la traîtrise de son commis-greffier et incarcéré à nouveau ; tout cela avait fortement altéré sa santé.

Obligé d'interrompre ses fonctions pastorales, puis de renoncer à se joindre aux assemblées consistoriales (7), dont François Fromental assura dès lors la présidence, il lui fut bientôt interdit de quitter la chambre : il saluait déjà l'aurore du jour bienheureux où, se retrouvant avec le Maître dont il avait tellement souhaité la venue (8), il jouirait éternellement d'un repos que l'existence ne lui avait jamais accordé.

Mort de S. Lombard

« Il s'éteignit doucement, et dans la paix du Seigneur, le 16 septembre 1818, à 5 heures du matin, âgé de soixante-dix-neuf ans, deux mois et deux jours. »

Entre ses mains, osseuses et froides, il tenait la vieille Bible de poche, à fermoir de cuivre, traduite par David Martin, dont il avait fait l'acquisition en 1756.

Quelques jours avant sa mort, il avait écrit, sur la première page du saint livre : « Cette Bible m'a suivi au Désert, dans toutes mes retraites, jusqu'en mai 1763 où je partis pour Lausanne. Qu'elle soit conservée dans ma famille comme un monument de notre tems d'oppression et comme un Livre dont j'ai fait ma première et toujours ma principale étude. »


CHÂTEAU DE CASTELNAU-VALENCE
(Cliché de la Société d'Histoire du Protestantisme)

Attachant peu d'importance à la place que son corps occuperait après sa mort, persuadé qu'il était de retrouver bientôt, auprès de Dieu, les bien-aimés qui lui avaient été ravis, le vieillard n'avait rien dit de sa sépulture dans ses dispositions testamentaires datées du 12 décembre 1813 (9).

Joseph-Simon avait pensé déposer la dépouille mortelle de son père auprès des os de tous les Lombard et Malarte qui dormaient dans le jardin d'Uzès, mais, interdiction ayant été faite aux habitants de la ville de continuer à ensevelir leurs morts dans les cimetières de famille situés intra-muros, il se décida, à grand regret, à inhumer les restes de son père à Garrigues, « dans l'enclos des cyprès... » (10).

A l'occasion de cette cérémonie, présidée probablement par M. Fromental, les protestants de Garrigues et les membres du Consistoire de Saint-Chaptes vinrent en grand nombre apporter l'hommage de leur reconnaissance et de leur souvenir ému à celui qui, pendant de si longues années, les avait servis avec tant de fidélité, de zèle et d'amour (11).


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(1) Le 25 janvier 1812.
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(2) Mss L. « L. L. », Cahier de lettres, 1807 à 1814.
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(3) Ces détails et tous ceux qui suivent, concernant les troubles de 1815, sont empruntés au livre de M. LOMBARD-DUMAS « Garrigues », pages 133 à 143.
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(4) « Le ministère Villèle récompensa le dévouement du pasteur Roux par la Croix de la Légion d'honneur. »
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(5) Plusieurs manuscrits de l'époque font un récit détaillé des événements qui troublèrent Garrigues. LOMBARD-DUMAS, op. cit., page 137).
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(6) C'est au château de Castelnau-Valence que le chef camisard, Roland, dénoncé par un certain Malarte - étranger, pensons-nous, à la belle famille de Simon Lombard - avait été mis à mort.
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(7) Voir Registre du Consistoire de St-Chaptes.
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(8) Mss L. « Garrigues », Tome IV, pages 217 à 309, « Le Règne de Jésus-Christ ».
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(9) Mss L. « Garrigues ». Testament olographe de Simon Lombard.
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(10) Mss L. « Garrigues ». Testament olographe de Joseph-Simon Lombard.
La désignation du lieu de sépulture est ici formelle. Joseph-Simon exprime le désir d'être enterré « auprès de son père »... « dans l'enclos des cyprès »... D'autre part, une tradition orale, appuyée d'ailleurs par un croquis que l'on trouvera reproduit aux « Pièces justificatives », veut que Simon Lombard, ainsi que son fils et son petit-fils, aient été inhumés dans une bergerie située dans la cour de la ferme du château de Garrigues.
Il n'y a qu'une manière - nous semble-t-il -, de concilier les deux relations, c'est que la bergerie en question ait été élevée, après la mort de Joseph-Simon et d'Adrien Lombard, sur l'emplacement même de « l'enclos des cyprès ».
L'hypothèse paraît d'autant plus probable que:
1°Nous n'avons pas pu retrouver à Garrigues -« l'enclos des cyprès ».
2° La bergerie en question ne paraît pas exister, à l'emplacement qu'on lui donne actuellement, sur le croquis du château tel qu'il existait en 1830. (Voir ce croquis, page 231).
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(11) Voir Registre du Consistoire de St-Chaptes.
Un projet de stèle funéraire pour Simon Lombard, qui ne fut jamais mis à exécution, avait été élaboré par son fils, Joseph-Simon. Il était rédigé en ces termes :
Ici repose le révérend S. Lombard, ancien Pasteur de l'Eglise d'Uzès, Pasteur président de la Consistoriale de St-Chaptes, décédé en sa maison de Garrigues, le 16 de septembre 1818, âgé de 80 ans. Fidèle et zélé Serviteur de Christ, il honora par ses talents, autant que par ses vertus, sa longue carrière apostolique. Gloire à sa mémoire, respect à ses cendres.
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