Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

INTERRUPTION DE MINISTÈRE

TRAVAUX D'ATTENTE

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Bouquet. - Uzès - 1789-1800

2 ème partie

 

La « Jhalësade »

Pendant les loisirs, forcés que lui laissa la Terreur, Simon Lombard composa un poème en patois languedocien qui montre bien la sincérité et l'ardeur de ses sentiments républicains. Il a pour titre la « Jhalësade » et retrace les péripéties de la tentative, heureusement avortée, d'une réaction royaliste et catholique, connue dans l'histoire sous le nom de « Fédération de Jalès ».

« Le but des fédérés était de marcher sur Pont Saint-Esprit, de s'emparer de l'artillerie et des munitions de la citadelle, et, après avoir réduit successivement Uzès et Alais, d'attaquer Nîmes avec leur sept mille hommes. Ces bandes, à la tête desquelles se tenaient des curés fanatiques, commencèrent leurs exploits par le pillage des maisons huguenotes et elles revinrent par trois fois à la charge en août 1790, février 1791 et juillet 1792, sur les confins de la Lozère et de l'Ardèche ; elles ne furent dispersées que par les efforts réunis des patriotes et des gardes nationales de la contrée (1). »

Les cinq chants de la « Jhalësade » ne sont pas d'égale valeur ; les deux premiers sont les plus remarquables. « Il y a là des alexandrins de grande allure » qui montrent que l'auteur s'était nourri de littérature classique. « Les récits sont vivement enlevés, et, malgré leur forme poétique, l'histoire est parfaitement respectée (2). »

A titre de curiosité littéraire, il vaut la peine de reproduire les premiers vers du premier chant

« Cante l'attroupamen de sep mille sebès (3)
De la Ligue d'Uzès et don camp de Jhalès,
I gnourens et groussiès, pillars ou fanatiques,
Rassemblas et counduis par de chefs frënëtiques
Vëndus à d'aoutres chefs oun germou toutes mâous,
Et tigres alteras don sang das hëganaous.
Muse don Peïs d'Oc, ënspire mé, pécayre !
Sans tus, ma fëble voix anarié tout de cayre (4)
Per anima mous chans, preste mé toun caliou (5)
Et de la vérita fay me tëne lou fîou (6).
Despiey lou jhour fatal que lous sebës de Nîmes
Voulien s'assadoula de carnage et de crimes
Animas par de chefs cousis per Lucifer
Ouverte avié resta la porte de l'enfer,
Et d'aquel sombre traôu mille fës redoutable
D'aôutres chefs de sebës consultâvou lou Diable.
« Mous enfants - lus digué - nostes fiors ënemis
Que soun don cousta gaôuche aou sëna de Paris,
Volou fayre lou bên... lou bonhur de la France...
Vive enfer ! Noun faran (7) ! N'ën jhure ma puissance !
 
Coussi ! Pus de tyrans, ni prëmiés, ni segouns,
Gouvernurs, commandans, ïntandans arpagouns ?
Pus de Grans ïnsoulèns, de courtisans ïnfames,
De ministres pervers, de conseilliés sans âmes ?
Pus d'avesques moundains, ni d'abbés déréglas,
Ni de prious fëneans, ni de piètres curas ?
Pus de brigans Etats, de fripouns gens d'affayres,
De sëndis rapinurs, ni tant d'aôutres manghayres ?
Pus de nobles enflas, ni de sëgouns escros,
Ni d'abus sur abus, ni d'impos sur impos ?
Pus d'aquëles fermiés, grands mangeurs de la France,
Ni pus de Parlamëns sans pudou, sans balance
Ouf ! Estouffe de rage... »

Le poète ajouta plus tard à la « Jhalësade » une dernière page où il fait apparaître le grand « Nostradamus » qui apaise tous les esprits en prédisant à la France des jours heureux.

« Pierre de Miremont... »

Outre la « Jhalësade », il écrivit quelques autres pièces de vers dont l'une des plus dignes d'intérêt est une petite poésie patoise intitulée : « Pierre de Miremont, carbougné de Tardre, à Mathiou Bouscaren, carbougné dou Serre de Gaffe » (8).

Elle fut imprimée, à l'insu de son auteur, par l'un de ses amis. C'est une épître populaire dans laquelle le poète, résumant les premiers grands événements de la Révolution, laisse éclater sa joie et son enthousiasme.

Activité civique de S . Lombard

« Ses sentiments, à cet égard, étaient bien connus des membres de son Eglise ; aussi jouissait-il, auprès de tous, d'une grande estime et fut-il appelé, comme malgré lui, aux charges les plus honorables. Pendant les seize années qu'il demeura à Bouquet, il remplit successivement les fonctions de conseiller politique, d'officier municipal, de notable, de commandant de la garde nationale, d'assesseur du juge de paix et de secrétaire greffer de la commune (9). »

Discours politique

Cette activité politique fut marquée par un « Discours sur les droits naturels de l'homme et du citoyen » qu'il prononça à Bouquet, le 11 novembre 1794 (10), et où il s'attachait à mettre en relief, avec autant de fermeté que de modération, le parti que l'homme peut tirer de la liberté dont il jouit, aussi bien dans le domaine politique que sur les terrains individuel et social. Il est permis de penser, sinon d'affirmer, que, si la tranquillité régna généralement dans la commune de Bouquet, ce fut en partie grâce à l'influence pacifique de son pasteur.

Directoire

Le 23 brumaire, an IV, comme le « Directoire » venait d'être instauré, Simon Lombard eut à signer un nouveau « serment civique » en présence des officiers municipaux d'Uzès.

Serment civique

« Je reconnais, déclara-t-il, que l'universalité des citoyens français est le Souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République (11). »


SERMENT CIVIQUE DE SIMON LOMBARD

C'est peu après cet événement, le 31 janvier 1796., que son épouse Anne Payan, malade depuis plusieurs mois, décéda. Quittant alors le séjour de Bouquet, auquel plus rien ne le retenait, il alla s'installer à Uzès où son fils, Joseph-Simon, venait d'être nommé Commissaire de police:

Coup d'Etat du 18 Fructidor

C'est là qu'il se trouvait lorsque survint le coup d'état du 18 Fructidor, au lendemain duquel fut votée la nouvelle loi, relative aux émigrés et aux ministres des cultes, qui enjoignait à ces derniers de « prêter serinent de haine à la royauté et à l'anarchie », sous peine de se voir interdire tout exercice de leurs fonctions (12).

Cette loi, laissant entendre que toute liberté était accordée aux ecclésiastiques assermentés, Simon Lombard se hâta de prêter le serment exigé, exprimant au surplus le désir de reprendre ses fonctions (13). 

S. Lombard reprend ses fonctions à Uzès

C'est « dans la ci-devant Eglise des Capucins » qu'il fit l'ouverture d'un culte « interrompu et proscrit depuis environ un an et demi par la plus horrible impiété » (14).


SERMENT CONSTITUTIONNEL DE SIMON LOMBARD

Pendant près de deux ans, il se remit au service de son ancienne paroisse, « non plus comme pasteur officiel et rétribué, puisque les cultes n'étaient pas encore rétablis, mais en simple citoyen, remplissant toutefois, à titre gratuit, toutes les fonctions pastorales... Par son dévouement et sa persévérance, il eut le privilège de donner une seconde fois à cette Eglise le mouvement et la vie » (15).


UZÈS, GARRIGUES, SAINT-CHAPTES

De son activité paroissiale à cette époque, quelques témoignages ont été conservés qu'il vaut la peine de reproduire. Telle cette lettre, datée du 26 juillet 1799 et adressée, vraisemblablement, à quelque noble émigré :

« Monsieur,

Ancien Ministre de l'Eglise d'Uzès, et Pasteur de Madame de Bargetton de Quad ... t, votre fille, j'ai été prié, de sa part, de vous écrire pour elle, et je le fais avec d'autant plus de zèle et de confiance que je puis vous donner, de ses sentiments, le témoignage le plus avantageux.

Il y a plusieurs mois que nous avons l'avantage de l'avoir ici ; elle assiste régulièrement à notre culte : sa piété simple et modeste, autant que pure et solide, est en édification à toute l'église. Elle vit retirée et dans une conduite à la fois grave, douce et véritablement exemplaire. Plus on a l'honneur de l'approcher, et plus on est édifié de ses principes religieux et de la pureté de sa conscience.

M. de Bargetton, son mari, comme ancien noble, tenait beaucoup à son rang ; il est du nombre de ceux qui ont été déportés : et depuis, Madame s'est retirée, avec son aimable et chère fille, auprès de Madame de Bargetton, sa bonne et digne belle-mère. Elles vivent ensemble, et dans une considération bien distinguée, chez une tante dont la fortune a été moins frappée que la leur, mais qui a néanmoins beaucoup baissé. La différence de religion n'altère en rien leur aimable société.

Si M. de Bargetton de Massargues, aïeul du mari de Madame, n'eût pas épousé une demoiselle catholique, d'ailleurs bien rigoureux contre nous, cette branche de la maison de Bargetton serait encore protestante comme les autres (16). Et peu s'en faut qu'elle ne le soit, du moins en la personne du mari et de la belle-mère de Madame, lesquels, si Dieu lui donne d'autres enfants, même des fils, verront sans aucune peine qu'elle les élève dans les principes de sa religion, comme elle y élève actuellement sa fille. Je lui ai donné un Catéchisme pour cette aimable enfant, et pour elle d'autres livres de religion et de piété, dont elle fait journellement usage dans ses dévotions particulières.

Il faut vous le dire, Monsieur, ces exercices de piété, si utiles à son salut, lui sont d'ailleurs bien nécessaires pour adoucir l'amertume de son coeur. Elle m'a fait l'honneur de me confier ses peines, elles sont grandes à tous égards, très grandes. Mais celle qui lui pèse le plus, qui la fait le plus soupirer, c'est le souvenir et le sentiment habituel de vous avoir manqué et d'être dans votre disgrâce.

Voulez-vous bien, Monsieur, me permettre là-dessus quelques réflexions que je soumets d'avance à votre raison éclairée des lumières de la foi ?... Je conçois que Madame de Bargetton doit vous avoir manqué ; il faut même qu'elle l'ait fait d'une, manière grave, puisque votre coeur paternel et votre piété vous ont pu permettre de faire peser sur elle une longue froideur ; mais soit par cette froideur, qui est pour elle un châtiment bien rude, soit par le vif repentir qu'elle a porté et qu'elle porte dans son coeur, il me paraît qu'elle a bien expié ses torts ; et je vous crois trop juste, Monsieur, pour faire encore durer la peine après que l'offense a été pleinement expiée. Vous le savez, le vrai culte consiste principalement dans l'imitation : et en effet, il est naturel de régler sa vie sur la nature de l'objet qu'on adore. Or, notre bon Père céleste pardonne à ceux qui se repentent sincèrement. Et là-dessus, que nous dit l'Evangile ?... Soyez les imitateurs de Dieu comme ses enfants bien-aimés. Madame de Bargetton a véritablement fait servir à sa propre sanctification le châtiment que vous lui avez infligé, si sévère de sa nature et surtout par sa durée : elle en a donc retiré tout le fruit que vous désirez ; et puisque cela ne peut que vous faire plaisir, combien ne doit-il pas vous adoucir à son égard ?

Je n'oserais, Monsieur, vous présenter d'autres réflexions : vous êtes si bien en état d'en faire vous-même que c'est surtout de vos propres pensées, de votre coeur bien fait, et de vos vertus que j'espère, en faveur de la respectable et très infortunée Madame de Bargetton, le retour de votre bienveillance.

Salut et respect.

Lombard père.

P.-S. - Si vous voulez bien, Monsieur, m'honorer d'une réponse, mon adresse est : Au Citoyen Lombard père M., à Uzès, département du Gard, rue près de la porte de la Barrière, à Uzès, France (17).

Le ministère de S. Lombard à Uzès était d'autant plus utile qu'une vague de corruption déferlait à ce moment-là sur le pays. C'était du moins l'opinion de son fils au début de 1799.

« Les mouvements révolutionnaires, l'ambition, l'esprit de parti - écrivait-il à Rabaut-le-Jeune - ont tout changé, tout bouleversé, surtout depuis le 18 Fructidor et c'est presque partout l'ignorance, l'immoralité et le Jacobinisme qui ont pris, dans les fonctions publiques, la place des lumières, de la vertu et du vrai patriotisme. Je ne sais quelle est l'intention du Gouvernement en autorisant de pareils changements, mais je sais bien que rien n'est plus funeste à la chose publique et n'aliène plus les coeurs déjà si ulcérés (18). »

Simon Lombard lui-même sentait bien passer ce souffle d'impiété puisqu'il se crut appelé, à cette époque, à reprendre, sous une forme différente, un travail qu'il avait entrepris quelques années auparavant sur la Morale chrétienne (19).

La Morale chrétienne

Il intitula son nouvel ouvrage : « La loi de Dieu, ou la Morale de l'Ecriture Sainte » (20).

Ce recueil conserva exactement le même plan que le précédent, la première partie traitant de « la Morale en général », c'est-à-dire des droits de Dieu sur l'homme et des relations de l'homme avec Dieu ; la seconde de « la Morale en particulier », ou des différents devoirs de l'homme envers Dieu, envers lui-même et envers son prochain.


RUE DE LA TRIPERIE
A DROITE, LA MAISON LOMBARD

Mais, tandis que celui-là se présentait sous la forme d'un traité, où prédominait le raisonnement logique, celui-ci ne conserve plus qu'une armature d'idées, un plan squelette, dans l'ossature duquel viennent se placer des séries de paroles bibliques, d'ailleurs fort bien enchaînées et harmonisées.

Cet ouvrage fait le pendant du « Catéchisme abrégé de l'Ecriture Sainte ». Son originalité ne le cède en rien à l'intérêt capital qu'il présente pour le lecteur assidu et méthodique de la Bible.

S. Lombard à Vauvert

Son frère, Simon, l'ayant invité à venir passer l'hiver avec lui, le pasteur d'Uzès se rendit à Vauvert où il n'eut malheureusement pas à se louer de la conduite de son aîné à son égard (21).

Coup d'Etat du 18 Brumaire

Il s'y trouvait encore lorsque le coup d'Etat du 18 Brumaire, mettant soudain en vedette la personnalité de Bonaparte, inaugura le Consulat.

« La France... ne parut pas émue de cette violation de la loi. Depuis dix ans que le despotisme avait été renversé, elle avait oublié les maux qu'il entraîne après lui ; elle souffrait maintenant de l'anarchie, que beaucoup d'esprits superficiels confondaient avec la liberté, et demandait un bras qui la tirât du désordre, ce bras fût-il celui d'un maître (22). »


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(1) DARDIER : Lettres île S.L., page 99.
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(2) C'est l'avis même de M. François Bouvière, auteur de l' « Histoire de la Révolution française dans le département du Gard », qui publia la « Jhalësade », en 1890, sans en connaître l'auteur.
D'après lui, le patois de Simon Lombard n'est pas d'une pureté absolue, mais possède de grandes qualités d'expression (Préface de la « Jhalësade », 1890, Nîmes. Librairie Ancienne).
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(3) Les « sébës » (mangeurs d'oignons) désignent les royalistes catholiques par opposition aux « gorjho nëgro » (gorges noires), mot injurieux qui désignait les protestants.
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(4) « Sans toi, ma faible voix, irait tout de travers ».
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(5) « Prête-moi ton soleil ».
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(6) « Et de la vérité, fais-moi tenir le fil ».
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(7) « Ils ne le feront pas » (le bonheur de la France).
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(8) Tardre et Serre de Gaffe sont deux collines boisées des environs de Bouquet.
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(9) DARDIER : « Lettres de S. L. », page 103.
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(10) Mss L. « Garrigues », Tome IV, pages 233 et ss.
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(11) Mss L. « L. L. ». Acte officiel.
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(12) Mss L, « Garrigues ». Lettre de J.-S. L., alors « commissaire » du canton de Navacelles aux agents municipaux des communes.
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(13) Mss L. « L.L. ». Extrait des Registres de l'Administration municipale de la commune d'Uzès.
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(14) Mss L. « Garrigues ». « Livre de mes honoraires ». Cette Eglise, maintenant désaffectée, sert de garage, à proximité de l'Hôtel de Ville, mais il n'est pas absolument sûr que ce soit bien celle où S. Lombard ait recommencé à prêcher. L'actuel temple d'Uzès était anciennement l'église des Cordeliers. On peut supposer que S. Lombard a confondu les deux noms.
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(15) DARDIER : « Lettres de S. L. », page 104.
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(16) Dans « Un gentilhomme huguenot au temps des Camisards, le Baron d'Aigaliers », par Mme la Baronne de Charnisay, page 211, nous trouvons la mention d'un « Jacques de Bargeton, seigneur de Blauzac », descendant d' « Ambroise de Bargeton, premier médecin de François 1er ».
« Jacques de Bargeton..., qui était resté à Uzès (à la Révocation), se convertit. Mais il fut accusé de favoriser les camisards et emprisonné dans la citadelle de Montpellier. Un descendant de Jacques de Bargeton fut exhorté à la mort dans sa maison d'Arpaillargues par le sieur Lombard, ministre d'Uzès; on fut la nuit l'enterrer dans un enclos, derrière les murs du village. »
Il convient de rapprocher ce fait de la démarche de Simon Lombard auprès du père de Mine de Bargeton, que nous rapportons nous-même.
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(17) Mss L. « L. L. », Lettres diverses.
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(18) Mss L. « Garrigues », Lettres de J.-S. Lombard.
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(19) Ibid., Tome IV, page 417. De ce premier travail, composé vraisemblablement aux environs de 1790, n'a été conservée que la 21 partie dont la fin manque d'ailleurs.
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(20) Ibid., Oeuvres détachées.
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(21) Mss L. « Garrigues », « Mémoire des faits de mon frère à mon égard ». Il devait se défaire quelques années plus tard, en 1804, de ses propriétés de Vauvert. Il les vendit à Daniel Encontre pour 6.500 livres. Mss L. LL., Lettre de son cousin Sanier.
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(22) AMMANN et COUTANT : « Cours normal d'Histoire », Paris, Nathan, 1886.
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