Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

LE PASTEUR DE CAMPAGNE - AUTRES TRAVAUX

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Bouquet - 1780-1794

2 ème partie

 

Joseph-Simon recula devant les exigences qui lui étaient présentées avec tant de droiture et de fermeté. Il fut donc placé dans une maison de commerce d'Uzès où il resta deux ans en qualité de commis. Il prenait pension, comme par le passé, chez sa grand'mère, rue de la Triperie, et continuait à s'instruire. Son père lui adressait périodiquement ses conseils et ses encouragements :

« ... Aimez votre état - lui écrivait-il, à la date du 11 mai 1789 -, travaillez, mais modérément. Le grand point n'est pas d'apprendre par coeur, mais de saisir les idées, de les rappeler souvent, de réfléchir. Par ce moyen, ce que nous avons acquis nous reste et notre science s'accroît insensiblement. Mais il faut commencer par se faire des idées bien justes des choses. J'ai espérance que, dans la suite, vous vous verrez dans une position avantageuse ; cependant, ne vivez pas dans l'avenir ; attendez tout de la Providence. Soyez pleinement persuadé que notre vrai contentement ne peut se trouver que dans notre communion avec Dieu en Jésus-Christ, le Sauveur et l'ami des âmes. A coup sûr, qui se donne à lui sans réserve est heureux, mais une fois qu'on s'est donné à lui, il faut lui demeurer fidèle. Quand nous sommes assurés, dans le fond de notre coeur, que nous avons été reçus en grâce, rien ne peut nous inquiéter, nous sentons parfaitement qu'une seule chose nous suffit ; et cette chose, nous sentons que nous l'avons lors même qu'elle n'est que commencée...

... Adieu, mon enfant : profitez de mes conseils et croyez-moi votre bon papa.

Lombard Pr. »

Joseph-Simon quitta Uzès pour entrer dans un magasin d'Alais. Le surcroît de fatigue l'ayant fait tomber malade, le jeune homme vint se remettre à Bouquet (1).

 

Edit de Tolérance

Entre temps, le 29 janvier 1788, l' « Edit de Tolérance », relatif aux non-catholiques, à l'élaboration duquel Rabaut Saint-Etienne avait travaillé avec tant de dévouement, avait été enregistré au Parlement de Paris.

Les événements politiques du moment ne laissaient pas le pasteur de Bouquet indifférent. Il les suivait et en discutait avec son fils. Ce qui l'intéressait particulièrement, c'était d'établir le rôle que pouvait jouer la religion dans les questions sociales et civiles.

La piété et la vie

Deux écrits du pasteur de Lussan traitent ces questions. Le premier, intitulé « Catéchisme ou instruction du Père Simon à son fils sur l'importance de la Religion et sur les devoirs naturels, positifs et sociaux qu'elle nous prescrit » (2), expose, sous forme d'entretiens philosophiques entre deux hommes, dont le plus jeune manifeste déjà un certain développement intellectuel et un fonds de spiritualité, l'étroite relation qui doit exister entre la piété et la vie pratique.


RABAUT SAINT-ÉTIENNE
(Cliché de la Société d'Histoire du Protestantisme)

Le second, qui a pour titre « Les principes moraux de l'honnête homme, du citoyen et du chrétien » (3), est un court recueil de réflexions détachées sur les devoirs que dicte l'Ecriture Sainte aux différents membres de la famille et de la société.

Mais c'est dans son ministère même qu'il faut voir particulièrement l'intérêt de Simon Lombard pour la question sociale.

Il ne donne pas un nom spécial à la piété active qui, inspirée de l'Esprit même du Christ aimant, s'applique à servir ses frères dans les différents domaines de leur vie journalière, terre à terre ; mais il trouve tout naturel que son christianisme s'extériorise autrement que par des mots,- et, à l'instar de son Maître, il s'occupera aussi bien des corps et des intérêts matériels de ses ouailles, que de leur âme et de leur esprit.

Le Christianisme pratique d'un pasteur de campagne.

Pasteur de campagne, partageant les préoccupations d'une population qui vit du sol, mais ignore souvent le meilleur parti à tirer des éléments par quoi elle subsiste, Simon Lombard s'ingénie à prodiguer à tous les lumières et les conseils. Ne possédant pas toujours, de ces questions pratiques, une connaissance personnelle très approfondie, il ne perd aucune occasion de s'instruire. Il interroge, il observe, il fouille les ouvrages anciens et modernes, puis il note, avec persévérance, les renseignements de toutes sortes qu'il a recueillis et qui peuvent être utiles aux siens, leur donnant, suivant l'inspiration du moment, un tour poétique ou familier, badin ou sentencieux.

« Le Bon Ménage » Pensées

Un certain nombre de règles d'économie et d'agriculture furent ainsi rassemblées dans un opuscule, intitulé « Le Bon Ménage ». Il porte cette mention : « dédié aux gens de bon sens par un patriote campagnard » (4).

Le bon sens est une des qualités maîtresses du pasteur de Bouquet. Il ne le sépare jamais de sa foi. Quelques exemples de ses pensées permettent d'en juger :

« Jamais pour nul ne cautionne, écrit-il,
Et de cette loi sois instruit,
Qu'on expose biens ou personne
Quand on répond du fait d'autrui...
 
Crains Dieu ; sois juste envers les hommes,
Sache modérer tes désirs :
Du siècle pervers où nous sommes,
Fuis tous les dangereux plaisirs...
 
Quiconque, en fait de champs, vend, loin, achète près,
Gagne un temps précieux et s'épargne des frais...
 
Qui trop bâtit n'amasse que des pierres ;
Qui tient trop de valets n'agrandit point ses terres,
Qui trop embrasse mal étreint ;
Qui fait trop peu, ses revenus restreint...
 
Qui laboure trop tard prélude sa misère,
Qui ne laboure point voit dépérir sa terre.
Mais rien, d'un champ fécond, ne gâte plus le sol
Que de le labourer dans le temps qu'il est mol...
 
Si tu veux faire une bonne journée,
Diligemment remplis la matinée...
 
Le travail que de jour aisément tu peux faire,
Ne le fais point la nuit s'il n'est bien nécessaire...
 
Ne fais jamais le mal pour en tirer du bien,
L'un n'est point fait pour l'autre, et du mal, le mal vient. »

Pronostics et Recettes

Une seconde brochure collectionne les « Pronostics ou Signes des changements de temps » (5). Une troisième recueille des recettes de tous genres. Ce dernier ouvrage (6) est sans doute le plus pittoresque de ceux qu'a laissés le pasteur de Lussan.

On y trouve, dans un divertissant pêle-mêle, les traitements - tous plus ou moins inattendus - d'un grand nombre de maladies : plaies diverses, morsures de serpents, panaris, fièvres, entorses, etc., etc. ; toutes les recettes possibles et imaginables, pour la confection d'onguents et de pommades, de poudres et d'emplâtres, et aussi pour la fabrication de l'encre, de la colle, de la pâte dentifrice et... du café « à la Turque ». On y découvre enfin une variété de « trucs » dans le genre de celui-ci : « Pour connaître si un pigeon est mâle ou femelle, prenez-le par les deux jambes, le tenant au-dessus de la main. De l'autre main, tirez en bas le bec du pigeon. Si alors il lève la queue, c'est une femelle, s'il l'abaisse, c'est un mâle », etc., etc...

Tout cela a-t-il une réelle valeur scientifique ?

La question importe relativement peu. Ce qu'il faut retenir surtout, c'est que le pasteur de Bouquet était animé d'une profonde charité chrétienne et qu'il sut la faire rayonner en l'appliquant au service de ses frères.

Cours abrégé de grammaire française »

Mais il ne s'occupait pas seulement des intérêts matériels de ses paroissiens, il voulut aussi coopérer au développement de leur esprit. C'est en pensant aux jeunes gens de Bouquet, dont l'instruction laissait certainement beaucoup à désirer, qu'il composa, en 1791, un « Cours abrégé de Grammaire française » (7).

Il y aurait bien des observations intéressantes à relever dans ce petit volume. Inspiré sans doute de différents auteurs - seul, le grammairien de Walli est cité - il se distingue par une originalité charmante et des qualités pédagogiques remarquables.

Chaque leçon débute par un résumé rapide en quelques vers dont le but est évidemment mnémotechnique.

Des exemples nombreux, pour la plupart empruntés à quelque oeuvre morale ou religieuse, montrent que le pasteur ne veut pas entièrement s'effacer derrière l'éducateur. Il saisit toutes les occasions pour que l'esprit des enfants soit meublé positivement.

Etudie-t-il le superlatif relatif ? Il propose cet exemple typique à ses élèves :

« La religion est, de toutes les sciences, la plus digne de notre étude. Nos livres sacrés sont les plus estimables, les plus respectables et les plus intéressants de tous les livres. »

Ce « Cours abrégé de Grammaire française » n'a pas seulement la valeur d'un livre bien fait et complet, il offre aussi au lecteur une série de renseignements sur l'auteur lui-même. Il lui apprend, entre autres choses, que Simon Lombard connaissait, outre le latin et le grec, quelques éléments d'italien ; qu'il avait un goût prononcé pour l'Histoire Ancienne et les auteurs latins ; qu'il avait une prédilection marquée pour les écrivains du XVIIe siècle, en particulier Racine, Corneille, La Fontaine et Pascal ; qu'enfin Boileau et Vaugelas étaient ses modèles et ses inspirateurs en composition littéraire.

Encore un « Catéchisme... »

Pour achever l'énumération des travaux du pasteur de Lussan, il faut encore citer un nouvel ouvrage d'édification : son « Catéchisme abrégé de l'Ecriture Sainte » (8). Ce Catéchisme n'est pas exclusivement destiné aux jeunes, mais à tous les fidèles qui désirent compléter leur instruction religieuse et développer leur connaissance de la Bible ; l' « Avertissement » qui le précède en montre bien la caractéristique et en dit l'originalité.

« On a vu successivement en usage - écrit S. Lombard - et l'on voit encore épars dans nos Eglises, divers livres élémentaires de Religion, mais aucun dans le genre de celui-ci.


COURS DE GRAMMAIRE FRANÇAISE
écrit par Simon Lombard

 

« Il m'a paru qu'un Catéchisme dans les réponses duquel, à quelque chose près, on trouverait le propre langage de l'Ecriture serait par là plus instructif, plus onctueux, plus efficace, en un mot plus utile que nos catéchismes ordinaires. Tel a été le grand motif de celui que j'offre ici au public. Plusieurs pasteurs ont senti qu'un pareil ouvrage manquait à nos troupeaux et à notre jeunesse. J'aurais aimé qu'un autre, mieux en état que moi, eût bien voulu y mettre la main. Je n'osais d'abord l'entreprendre moi-même, craignant de n'avoir pas actuellement dans la mémoire tous les passages nécessaires, et maintenant, je ne puis me flatter d'avoir employé partout ceux qui pouvaient être les plus convenables, m'étant servi de ceux qui sont venus, comme d'eux-mêmes, se placer au bout de ma plume.

« Je me devais à moi, sans doute, et je devais à mes lecteurs d'indiquer, à la suite de chaque réponse, le livre, le chapitre et le verset de chacun des passages ou de chacune des expressions de l'Ecriture dont elle est composée. C'est ce que j'ai rempli avec exactitude. On trouvera, en lettres italiques, les mots que j'ai substitués pour présenter, amener, lier ou éclaircir, selon le besoin, les paroles divines, paroles qu'on fera bien de lire dans l'Ecriture elle-même, avec ce qui les précède et ce qui les suit, afin d'en mieux saisir le sens et afin de s'habituer à puiser ainsi, dans ce trésor de grâce, la nourriture journalière de son âme (9). »

Ce « Catéchisme abrégé de l'Ecriture Sainte », qui suivait approximativement le plan des premiers ouvrages du même genre, aurait pu avoir une très grande portée pratique. En enseignant aux fidèles, d'une manière relativement naturelle et facile, les principaux textes bibliques établissant d'eux-mêmes les différents faits chrétiens, il devait nécessairement contribuer à former, dans leur esprit, une base d'idées claires et solides et à poser un fondement sûr pour leur foi. Il est certainement regrettable qu'il n'ait pas connu l'impression.

Le ministère de Simon Lombard, dans la paroisse de Lussan, lut marqué par plusieurs incidents ou événements qu'il faut, ici, relater.

Visites

On sait qu'il attachait une importance capitale aux visites, spécialement aux visites d'affligés et de malades, qu'il préparait à l'avance, et quelquefois par écrit, comme en témoigne un petit opuscule ayant pour titre « Exhortation pour un malade » (10).

Pour aller faire ses visites dans les différentes localités de son ressort, qui - on s'en souvient - étaient groupées autour du « Guidon du Bouquet », S. Lombard suivait, à pied ou à dos de mulet, les sentiers déserts et sauvages qui serpentaient, dans les chênes-verts, aux flancs de la montagne.

Incident

C'est au cours d'une de ses, randonnées, le 31 juillet 1783, que, « dans le bois de la Vièle, à un quart de lieue de la pierre de Valérargues », il fut arrêté par un bandit qui, s'élançant soudain à la tête de sa monture, lui fit expressément comprendre qu'il eût à vider ses poches. Force fut au voyageur sans défense de s'exécuter ; il lança au malfaiteur sa bourse de cuir qui « contenait 48 livres » et s'enfuit au galop, trop heureux de s'en tirer à si bon compte (11).

Et pourtant, cette perte lui était d'autant plus préjudiciable que son Eglise le payait fort mal. Ses propres insistances, les avertissements et blâmes des Synodes (12), rien n'y faisait, les arrérages s'ajoutaient les uns aux autres, si bien qu'après dix-sept ans de ministère, Simon Lombard se voyait frustré de la somme rondelette de douze cents livres (13), près de trente mille francs de notre monnaie.

Pendant son séjour à Bouquet, S. Lombard eut encore plusieurs épreuves à subir. Ce fut d'abord la mort de son beau-père Malarte qui lui laissait une succession difficile (14), puis la fin tragique de son jeune frère et filleul, celui-là même à l'éducation duquel il s'était si généreusement dévoué.

Mort de Siméon Lombard

Siméon était alors pasteur en titre des Eglises de Lunel et d'Aubais. Garçon de valeur, il n'avait malheureusement pas une santé robuste, et, loin de la ménager, il l'exposait quelquefois, avec un esprit de sacrifice qui l'honorait d'ailleurs.

Le 2 février 1787, par une nuit glaciale, il se rendait d'Aubais à Congénies lorsque, soudain, il tomba, terrassé par une attaque d'épilepsie. Bientôt, la congestion fit son oeuvre. Quelques heures plus tard, au petit jour, on le trouva, gisant, sans vie, au revers de la route (15). Il n'était âgé que de vingt-huit ans.

Le Synode du Bas-Languedoc, réuni le 24 avril suivant, « pénétré de cette perte », lui donna « des regrets d'autant plus justes qu'on avait tout lieu d'espérer, de ce jeune pasteur et de ses talents, des services distingués » (16).


VALLERARGUES

Mort de P. Roman, mère de S. Lombard

Philise Roman, sa vieille mère, âgée de soixante-quinze ans, et paralysée (17), ne lui survécut que d'un an. Elle s'éteignit le 20 février 1788 et fut inhumée, comme lui, à Vauvert (18).

De la nombreuse famille qu'il avait laissée en Vaunage pour se mettre au service de l'Eglise, il ne restait plus, à Simon Lombard, que deux soeurs trop occupées par leur famille pour penser effectivement à lui, et son frère aîné, dont l'une des premières préoccupations semblait être de le tromper (19)...



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(1) Mss L. « Garrigues », « Souvenirs de J.-S. Lombard ».
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(2) Mss L. Paris, « Mélanges », page 273.
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(3) Mss L. Paris. « Mélanges », page 507. La fin du manuscrit manque.
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(4) Mss L. « Paris », « Mélanges », page 359.
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(5) Mss L. « Paris », « Mélanges », page 377.
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(6) Mss L. « Garrigues », in-12 de 80 pages relié en parchemin.
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(7) Mss L. « Musée du Désert », in-12 d'une centaine de pages.
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(8) Mss L. « Garrigues », Tome IV, page 161.
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(9) Mss L. « Garrigues », Tome IV, page 163.
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(10) Mss L. « Paris », « Mélanges », pages 329 et ss.
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(11) Mss L. « Garrigues », « Souvenirs de J.-S. Lombard », 48 livres, soit 1.200 francs environ de notre monnaie.
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(12) Syn. du D., Tome III, pages 383, 542, 548, 572, 609.
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(13) Mss L. « Garrigues », « Livre de mes honoraires ».
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(14) 5 juin 1783.
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(15) Mss L. « Garrigues », « Souvenirs de J.-S. Lombard ».
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(16) Syn. du D., Tome III, p. 509. Nous avons retrouvé des traces nombreuses du passage de Siméon Lombard aux archives des églises où il exerça, en particulier à Lunel, Vauvert, Aubais et Junas. Nous aurions pu en dire plus long sur ce jeune homme qui promettait un avenir brillant, nous avons intentionnellement écarté ce qui était tout à fait étranger à son frère.
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(17) Mss L. « Garrigues », Lettre de J.-S. Lombard à son père à propos de la mort de sa grand'mère.
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(18) Mss L. « Garrigues », « Souvenirs de J.-S. Lombard ». Le 22 février d'après un autre texte.
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(19) Ibid., « Mémoire des faits de mon frère à mon égard ».
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