Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE PASTEUR DE VILLE

Premières épreuves - Premiers travaux

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Uzès - 1769-1780

2 ème partie

 

Consécration de David Roux

Le 15 août 1771, le pasteur d'Uzès procéda, pour la première fois, à la consécration d'un jeune collègue : David Roux. Le candidat venait d'être appelé par l'Eglise de Vallon, c'est là qu'eut lieu la cérémonie.

La liturgie de poche de Simon Lombard, écrite de sa propre main sur un carnet in-8°, dont la couverture effritée et les pages cornées attestent les longs séjours qu'elle dut faire dans les basques de son habit, donne l'ordre complet de ce service de consécration. Il vaut la peine d'en noter le détail et quelques caractéristiques intéressantes.

Allocution de consécration

L' « ordination » eut lieu à l'issue d'un culte qui ne se différenciait des autres que par une prédication spéciale. Développant le texte de Paul aux Corinthiens (1 Cor. 4 : 1) : « Que chacun nous tienne pour ministres de Jésus-Christ et pour dispensateurs des Mystères de Dieu ; au reste, il est requis que chacun des dispensateurs soit trouvé fidèle », Simon Lombard avait exposé d'une façon magistrale, pleine d'autorité, les « devoirs réciproques des pasteurs et des fidèles ». Appuyant chaque idée d'une citation biblique parfaitement choisie, il avait soutenu que la dignité et l'excellence de la charge pastorale, ses difficultés et ses épreuves dictaient tout naturellement les devoirs de l'Eglise à l'égard de ses conducteurs : son respect, son affection, son aide. S'inspirant ensuite de tous les enseignements de saint Paul, il avait mis en relief la physionomie du vrai pasteur, s'appliquant, pour être un « juste dispensateur des mystères de Dieu », à la fidélité la plus stricte.

Il l'avait montré « fidèle à l'esprit du Christ, ne recherchant dans le ministère d'autre fin que la gloire de Dieu », « l'édification et le salut des âmes »... ; fidèle dans « l'emploi de son temps », ne négligeant jamais l'étude ; fidèle « à la doctrine », en gardant scrupuleusement « le précieux dépôt... sans en rien retrancher, sans y rien ajouter, sans l'altérer ni l'affaiblir » ... fidèle dans l'exercice de ses fonctions, s'intéressant particulièrement à la jeunesse et multipliant les visites ; fidèle dans l'observance des règlements ecclésiastiques ; et, par-dessus tout, fidèle dans l'exemple à donner aux siens.... « modèle de son troupeau » et vivant « comme il prêche » (1).

Cérémonial

Le discours terminé et l'assemblée ayant chanté un Psaume, la cérémonie de consécration proprement dite commença. Debout devant la chaire, encadré des pasteurs Fromental et Ricour, David Roux écouta la lecture des recommandations de l'apôtre Paul à Timothée et à Tite. Les engagements pris, il s'agenouilla avec l'assemblée pour la prière d'intercession que le pasteur consacrant prononçait en sa faveur. La prière terminée, les fidèles se relevèrent ; alors, tandis que tous se tenaient respectueusement debout, Simon Lombard imposa les mains au candidat, toujours à genoux devant la chaire, en disant : « Au nom et en l'autorité du Dieu vivant, Père, Fils et Saint-Esprit, et en vertu de la commission qui m'a été donnée par le Synode de cette Province, je vous établis Ministre de Jésus-Christ et de son Saint-Evangile. Je vous donne le pouvoir de prêcher la Parole de Dieu, d'administrer les Sacrements de l'Alliance de grâce, de bénir les mariages, d'exercer la discipline ecclésiastique, d'annoncer aux pécheurs repentants la rémission de leurs péchés par le mérite infini de Jésus-Christ, notre Sauveur, et de remplir toutes les autres fonctions du Ministère Evangélique, partout où vous serez légitimement appelé.

« Dieu veuille avoir pour agréable et ratifier, dans son ciel, cette consécration. Dieu veuille, frère bien-aimé, bénir votre personne et votre ministère. Je vous reconnais maintenant pour mon compagnon de service, en l'oeuvre de notre Grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ. Et en cette qualité, je vais vous embrasser et vous donner la main d'association. »

Ce fut alors l'accolade traditionnelle des collègues du nouveau pasteur, et l'assemblée termina la cérémonie en chantant un Psaume de circonstance (2).

Sobriété, solennité, tels sont bien, semble-t-il, les deux caractères qui font la grandeur de cette cérémonie. On aime particulièrement à se représenter cette foule de fidèles se levant ensemble, comme soulevés par un même élan de respect, mêlé à la fois d'amour et de crainte, au moment, combien doux et grave, où, par le geste à l'autorité divine, le serviteur de Dieu qui se donne va recevoir le sceau de l'approbation de l'Eglise et renouveler son assurance de la présence souveraine de son Maître.

En 1774, Simon Lombard fut élu secrétaire adjoint au Synode (3). L'année suivante, l'Assemblée ayant été convoquée dans un des districts extrêmes de la région, il ne put y arriver à temps. Sur sa demande, il fut décidé que, dorénavant, l'église chargée de la convocation du Synode s'efforcerait de le réunir dans une localité centrale (4).

Instruction de la jeunesse - Catéchismes du temps

Cette même année 1775, le pasteur d'Uzès, soucieux de l'instruction de sa jeunesse, se mit en quête d'un catéchisme à placer entre ses mains.

Les ouvrages de cette sorte se multipliaient à cette époque. Il y avait, entre autres, celui de Gal-Pomaret, de Ganges (5). Celui de Jacob Vernes (6) était peut-être le meilleur, mais, au moment de sa parution, Paul Rabaut éditait un « Précis du Catéchisme d'Ostervald », et c'est ce dernier, d'ailleurs très incomplet, qui prévalut en Languedoc. Simon Lombard se rendait compte de ses défectuosités, mais les bonnes relations qu'il entretenait avec le pasteur de Nîmes l'obligèrent à choisir le sien. Il en reçut une vingtaine d'exemplaires à « six s(ols) pièce » en juillet 1775 (7).

Les questions d'argent se sont toujours posées au sein des églises... Ce n'est pas d'aujourd'hui que les chrétiens ont du mal à délier les cordons de leur bourse... A chaque Synode, il fallait parler à nouveau des « taxes mortes » et encourager les fidèles à payer régulièrement leurs pasteurs.

A l'Assemblée de 1776, sur la « réquisition » de Simon Lombard et de quelques autres de ses collègues, il fut décidé qu'un nouveau pasteur ne pourrait « percevoir ses émoluments que, préalablement, son prédécesseur n'ait reçu son entier honoraire ». En outre, chaque annexe se vit imposée en raison de sa population (8).

Discipline ecclésiastique

C'est de cette époque que date un des premiers écrits de Simon Lombard (9). Il est intitulé : « Dialogue entre un Pasteur et un Ancien au sujet de cette question, savoir : si les Anciens ont le droit et la pleine autorité de donner congé à leur Pasteur et d'en établir un autre en sa place, contre le gré de, leur Eglise ou sans son consentement. »

Il serait difficile de dire quelle raison détermina Simon Lombard à composer cet écrit. Ce ne fut en tous cas pas une raison personnelle, car rien ne permet de supposer qu'il ait jamais eu de démêlés avec les membres de son consistoire d'Uzès. Il est probable que la question lui fut soumise par quelque collègue en difficulté qui le savait assez à cheval sur la discipline ecclésiastique pour pouvoir lui donner une réponse définitive.

« Dialogue entre un Pasteur et un Ancien... »

Ce dialogue est d'ailleurs très habilement mené. Invoquant tour à tour les actes des Synodes, les arrêtés des colloques, les délibérations du Consistoire, les actes de réception des Anciens ; reprenant les différents articles de la « discipline » qui traitent de l'installation des ministres, le pasteur démontre à l'Ancien que son autorité personnelle ne peut prévaloir qu'en cas extrême et qu'il n'est, le plus souvent, que le porte-voix de l'Eglise. Il termine en ces mots : « ... Contentons-nous, Monsieur, de notre juste et légitime autorité, et vivons en paix (10). »

Mais l'activité pastorale de Simon Lombard ne se réduisait pas à étudier et à fixer des points de discipline ecclésiastique. Il est intéressant de le voir aux prises avec les âmes, comme peut l'être un pasteur dont le plus grand souci est le salut et la vie sainte de ceux qui lui sont confiés.

Corriger, reprendre, instruire, ramener dans la bonne voie ceux qui se sont égarés, tel est le but vers lequel tendent ses efforts.

La lettre suivante, adressée à une dame d'Uzès, dont le nom reste secret, en fait foi :

 

« Madame,

Désirant de vous parler et n'ayant pas occasion de vous voir, n'étant pas sûr de vous trouver chez vous, j'ai pris le parti de vous écrire.

Il m'est revenu de très bonne part, et à n'en pouvoir douter, que vous aviez tenu, au sujet de la Religion, même plus d'une fois et sans rougir, les propos les plus indécents, et les plus libres. Ce n'est point dans votre maison paternelle ni dans les respectables sociétés où vous paraissez alternativement que vous avez appris à parler de la sorte. Je n'ai encore vu, ou connu, dans cette ville, que deux personnes, dont vous êtes la seconde, qui ayent voulu passer pour être sans Dieu et sans âme. Voilà une façon de penser qui annonce un bel esprit et un coeur bien noble !... En vain me diriez-vous que ce n'est point la vôtre, et que ça été uniquement pour vous amuser que vous avez fait semblant quelques fois de l'avoir adoptée.

Apprenez, Madame, qu'on ne fait point un sujet d'amusement des choses les plus graves, les plus sérieuses et les plus sacrées. Apprenez à respecter le seul lien qui peut vous unir à votre Créateur, et vous mettre à couvert de sa justice ; apprenez que ce lien, cette Religion divine, aux dépens de laquelle les profanes et les libertins exercent un esprit satirique est la chose la plus vénérable qu'il y ait au monde, celle qui tient le plus au coeur de tous les gens de bien et qui est en effet la base de leurs espérances. Adopter et semer des opinions directement contraires aux grands principes qu'elle enseigne, ce n'est pas seulement fouler aux pieds le bon sens, la prudence, l'honnêteté, c'est être un mauvais membre de la société, pour ne pas dire quelque chose de plus fort ; c'est s'attirer l'indignation de Dieu et le mépris des personnes sages.

Il faut vous instruire, Madame. Si vous ne l'êtes point et si vous avez des doutes, il vous sera facile de trouver des gens qui pourront vous les éclaircir, et vous faire connaître ce que vous devez croire. Un coeur sans Religion est un coeur sans frein. C'est elle qui doit régler nos mouvements intérieurs, et toutes nos actions, et quand elle le fait, nos voyes sont droites, et les plaisirs purs y naissent en foule. Quiconque se pique de noblesse dans les sentiments doit aimer la Religion. Rien n'est si beau, si grand, si auguste que ses principes, si sage que ses maximes. Elle seule peut véritablement embellir nos facultés, ennoblir, élever nos âmes, et nous donner cette pureté, cette délicatesse, et cette grandeur de sentiments, qui, dans l'Eglise et dans la société civile, forment le plus beau lustre que l'on puisse avoir. Je vous conjure, Madame, de ne faire d'autre usage de ma lettre que celui de la lire et d'en faire votre profit.

En cela, vous la rapporterez à sa véritable destination, vous épargnerez au Consistoire le désagrément de se plaindre contre vous, et, en faisant votre bien propre, vous fairez la joye d'un pasteur qui vous considère, et vous est sincèrement attaché.

C'est avec ces sentiments que j'ai l'honneur d'être, Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Lombard, Pr (11).

 

Le Synode de 1777 était convoqué pour le 22 avril. La « demoiselle Bousquet » étant morte le 20, Simon Lombard se trouva seul avec sa fille malade et ne put s'y rendre. Il y envoya trois de ses anciens (12).

Démêlé avec l'autorité civile

L'année suivante, une fâcheuse histoire faillit lui arriver. Le local mis à sa disposition pour y tenir les assemblées se trouvant trop exigu, le pasteur d'Uzès s'était décidé à y faire ajouter « quelques pans de muraille ». L'autorité s'était relâchée dans sa surveillance ; il pensait ne courir aucun risque. Il se trompait. L'agrandissement était en cours, lorsqu'il reçut de Paul Rabaut la lettre suivante (13)

Lettre de Paul Rabaut

« Monsieur et cher frère,

Vous êtes instruit qu'on avait porté des plaintes à M. le C(omte) de Périgord, au sujet de quelques pans de muraille d'un local où vous tenez vos assemblées. L'on s'était flatté que, sur le rapport qui fut fait à ce Seigneur, que c'était une bagatelle, la plainte tomberait et n'aurait point d'autres suites.

Cependant il la renouvelle et veut absolument ou qu'on abatte, mais sans délai (14), ce qui a été ajouté à la muraille, ou qu'on change de local. Le dernier me paraît préférable au premier. Ce n'est point sur un ouï-dire que je vous rapporte cela, je l'ai vu écrit de la propre main de ce seigneur et je suis chargé de vous en informer, ainsi que Messieurs vos anciens, à qui je présente mes très humbles salutations. Votre sûreté et la leur demande qu'on obéisse ; heureusement, il ne s'agit pas de quelque chose qui intéresse la conscience, auquel cas il faudrait, sans contredit, obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

J'ai eu l'occasion de voir évidemment, par les diverses commissions dont j'ai été chargé, qu'on ne veut point d'innovation, si petite qu'elle soit ; surtout on ne veut souffrir aucune bâtisse qui paraisse avoir pour objet notre culte, on veut absolument que nous ne puissions le célébrer qu'à découvert... »

Relatant ensuite à son ami les poursuites auxquelles les pasteurs Bertézène et Marsoo avaient eu la chance d'échapper quelques jours plus tôt, Paul Rabaut terminait ainsi sa missive :

La prudence est toujours de rigueur

« Vous voyez par tous ces événements, Monsieur et cher frère, et par quantité d'autres que je n'ai pas le temps d'ajouter, que nous avons besoin de prudence plus que jamais. Il ne manque pas de gens qui voient avec chagrin la tranquillité dont nous jouissons et qui seraient charmés de trouver quelque prétexte pour la troubler ; il est de notre intérêt de ne point leur en fournir. En attendant la réponse dont vous voudrez m'honorer, je suis avec cordialité,

Monsieur et cher frère,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Paul Rabaut.

Nîmes, ce 3e avril. 1778.

 

A quel parti le pasteur d'Uzès se résolut-il ? Il est impossible de le dire. Cependant, la question n'ayant pas été remise sur le tapis, on peut supposer qu'il suivit le conseil de son collègue.


SIMON LOMBARD

 

Les Synodes de 1778 et 1779 députèrent Simon Lombard au Synode de Provence (15).

« Catéchisme familier... » de S. Lombard

Il travaillait alors à la rédaction d'un « catéchisme familier à l'usage des jeunes gens et particulièrement des catéchumènes qui ont le moins de mémoire ».

Avait-il été déçu en quelque manière par le « Catéchisme abrégé d'Ostervald » ? C'est certain. L' « Avertissement » " dont il fait précéder le sien l'exprime assez clairement :

Avertissement

« J'ai eu souvent occasion de remarquer, dit-il, qu'un catéchisme court, familier, bien à la portée des enfants, manquait à nos églises. Ceux dont elles ont fait ou continuent de faire usage sont excellents, mais ils fatiguent trop la mémoire. Aussi trouve-t-on peu d'enfants et même de catéchumènes qui en sachent un tout entier.

C'est ce qui m'engage à produire celui-ci que je n'avais destiné d'abord qu'à ma seule famille. Je me suis appliqué à le rendre complet autant que les autres et plus facile à retenir. La simplicité du style, la brièveté des réponses, un plan qu'on saisit au premier coup d'oeil m'ont paru les meilleurs moyens de ne point rebuter les enfants et d'encourager les catéchumènes qui ont le moins de mémoire. Je souhaite que cet ouvrage soit utile : le désir de contribuer à la gloire de Dieu, à l'édification des adultes, et au salut de mes jeunes frères est le seul motif qui me détermine à le mettre au jour (16). »

Qualités de l'ouvrage

L'étude, tant soit peu minutieuse de ce petit in-8° de soixante pages manuscrites, suffit à se faire une opinion, non seulement sur la valeur intellectuelle et spirituelle de Simon Lombard, sur ses qualités de pédagogue et de psychologue, mais aussi et surtout sur le positivisme de sa doctrine.

Réflexions sur la position doctrinale des pasteurs du XVIIIe siècle

On a trop souvent affirmé que le Protestantisme du XVIIIe siècle, subissant l'influence des philosophes de l'époque, avait perdu toute sève évangélique. Dans ce domaine, comme en bien d'autres, généraliser était une erreur.

Certes, il est vrai que des hommes comme Antoine Court lui-même n'ont eu qu'un souci modéré pour les questions doctrinales. On sait que le restaurateur du Protestantisme insistait pour qu'on n'obligeât aucun candidat au Saint-Ministère à signer une Confession de foi.

Influence des philosophes

Il est vrai aussi que bien des Réformés, pleins d'une admiration et d'une reconnaissance, d'ailleurs fort légitimes, pour Voltaire, champion de la tolérance, s'étaient laissé prendre aux côtés attrayants de sa philosophie (17).

Il est vrai également que plus d'un pasteur se contenta de « prêcher une morale sans grandeur et sans action sur les âmes » (18), réalisant ainsi la définition que donnera plus tard de lui Joseph de Maistre : « un homme en habit noir qui dit des choses honnêtes » ...

Emploi du vocabulaire des Encyclopédistes

Il est vrai enfin que la plupart des prédicateurs, empruntant dans leurs discours la terminologie des Encyclopédistes, parlèrent surabondamment de l' « Etre suprême », de « l'Architecte de l'univers », du « Grand Etre » et soutinrent même l'idée d'une « Religion naturelle ».

Tout cela est-il aussi général et aussi profond que nombre de penseurs protestants l'ont prétendu ? C'est discutable.

Les Synodes

Il suffit de compulser les actes des Synodes pour s'assurer qu'une forte majorité des pasteurs et des anciens de 1780 tenaient encore beaucoup au côté doctrinal de la Religion.

Pensée de Paul Rabaut

Pour ne citer qu'un exemple, voici Paul Rabaut. Lui aussi parle d' « Etre suprême » et de « Religion naturelle » ; cela ne l'empêche pas d'écrire, avec une sincérité qu'il ne saurait être question de mettre en doute : « Si les théologiens ont entrepris d'expliquer ce qui est inexplicable et par là donné prise à une saine philosophie, tant pis pour eux... Mais les fidèles, et à plus forte raison les pasteurs, ne doivent pas prendre pour règle de leur foi les décisions des théologiens, mais bien celles de la Parole de Dieu ; et c'est là, Monsieur, mon ancre et ma boussole... je ne rejetterai point un mystère par la seule raison qu'il est incompréhensible (19)... »

On n'a pas assez vu, peut-être, que la raison majeure pour laquelle les pasteurs « fin du XVIIIe siècle » se servaient du vocabulaire des philosophes est une raison d'intérêt pratique ; ils en usaient comme d'un « système d'accrochage ». Que leur importait d'utiliser tel ou tel mot - fût-il de Voltaire - si ce mot pouvait trouver un écho dans l'âme du fidèle intéressé par la philosophie ?

« Etre suprême », « Architecte de l'univers », ne sont pour eux que des appellations diverses de Dieu, du Dieu unique ; leur temps les a adoptées, pourquoi se feraient-ils des scrupules de les employer, puisqu'elles sous-entendent toujours pour eux l'éternelle réalité ?


Pensée de S. Lombard

MAISON DE PAUL RABAUT A NIMES

Ainsi en était-il pour Simon Lombard. Au premier abord, on peut être tenté de croire qu'il se laissa aller aux courants d'idées de son époque. En l'étudiant de plus près, on doit arriver à la conclusion qu'il n'y entra que très superficiellement et les remonta toujours.

Esprit chercheur, curieux, amateur de connaissance, il est certain qu'il s'intéressa à la philosophie de son temps. il suffit de jeter un coup d'oeil sur les rayons de sa bibliothèque pour s'en assurer (20).

Sa bibliothèque

On y trouve le « Dictionnaire de l'Académie », l' « Esprit des lois », « la Henriade », l' « Essai sur l'entendement humain », de Locke, « Les droits de la nature et des gens », de Pussendorf, « Les devoirs de l'homme et du citoyen » du même auteur, etc... Mais, voisinant avec ces volumes, marqués au coin du rationalisme, se trouvent aussi des ouvrages d'inspiration janséniste, donc opposée : les « Pensées » de Pascal, « La logique de Port-Royal », « Le mépris du monde », d'Isaac Arnaud, les « Lettres des Juifs portugais contre Voltaire »..., sans parler de toutes les oeuvres du classicisme. Or, c'est de cette littérature-là que Simon Lombard est pénétré et, toute sa vie, il restera fidèle aux idées qu'elle défend parce qu'il sent bien qu'elles s'accordent mieux que celles de ses contemporains avec sa foi qui, fondamentalement, est biblique.

Une foi biblique

Une foi biblique ! Malgré les apparences, serait-il possible d'en avoir une autre pour un homme que sa vocation a appelé à être un messager de Dieu et qui n'a eu, pendant de longues années, pour toute formation que la lecture de sa Bible ?

En 1812, peu d'années avant sa mort, Simon Lombard faisait un nouvel inventaire de sa bibliothèque.

Un seul livre retint assez son attention pour qu'il ne pût s'empêcher de faire suivre son relevé d'une remarque appréciative : c'est la Bible de Martin, ce petit in-8°, première de ses acquisitions, en prenant le Désert.

« Cette Bible portative, écrit-il, m'a suivi dans toutes mes retraites, au Désert. Elle m'est très précieuse (21). »

Ce fait est symptomatique. A qui serait tenté, dès sa première rencontre avec une expression... « voltairienne », d'accuser Simon Lombard d'hérésie, ou tout au moins d'infidélité doctrinale, il suffirait à montrer qu'il importe essentiellement de juger la pensée des derniers pasteurs du Désert autrement que sur des mots.


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(1) Mss L. Garrigues, Sermons non reliés.
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(2) Mss L. Garrigues. Liturgie pastorale de S. Lombard.
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(3) Syn. du D., Tome III, page 92.
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(4) Ibid., Tome III, page 133.
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(5) RABAUT : Lettres à divers, Tome II, page 158.
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(6) Ibid., page 159.
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(7) Ibid. : page 195. Cette lettre de Paul Rabaut à S. Lombard est en manuscrit autographe dans les Mss L.
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(8) Syn. du D., Tome Ill, p. 164.
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(9) Cet écrit ne porte aucune date, mais il est facile de le dater d'après l'écriture en le comparant avec les sermons datés.
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(10) Mss L. Garrigues, Tome IV, p. 265.
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(11) Mss L. LL, Lettres diverses.
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(12) Syn. du D., Tome III, p. 193.
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(13) Mss L. « Léon Lombard », Lettres de Paul Rabaut. L'autographe de cette lettre a été envoyé à la Soc. d'Histoire. Restent deux copies.
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(14) « ... sans délai » et non pas « sans éclat », comme cela a été publié. (DARDIER : Rabaut, lettres..., Tome 11, p. 236).
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(15) Syn. du D., Tome Ill, p. 232 et 262.
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(16) Mss L. Paris, « Mélanges », page 5.
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(17) Voir CHAMPENDAL : Voltaire et les Protestants de France.
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(18) D. BENOÎT: Du caractère huguenot et des transformations de la piété protestante, p. 47.
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(19) RABAUT : Lettres à divers, Il, p. 157.
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(20) Les Mss L. « Garrigues » contiennent deux mémoires différents portant chacun un inventaire de la bibliothèque de S. L. Le premier, celui que nous mentionnons ici, date de 1770, le second est de 1812. 
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(21) Mss L. « Garrigues », Mémoire, inventaire de 1812.
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