Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

LE « PROPOSANT »

« Au Désert » 1761-1763

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Au Séminaire de Lausanne

1763-1764

 

Le 15 juillet 1761, Simon Lombard et cinq autres de ses condisciples, avaient donc été élevés au grade de « proposants ».

L'examen qu'ils avaient passé n'était guère plus qu'une formalité, la reconnaissance officielle d'un état de fait.

Réflexions sur un nouveau titre

« Comment te trouves-tu, mon ami, de ta nouvelle dignité ? écrit Lombard à Antoine Perrier. Ne t'a-t-elle pas acquis une plus grande considération ? Ici, mes gens ne se sont pas aperçus que je fusse un, iota de plus... Au pays étranger, l'on est proposant aussitôt qu'on étudie en théologie et qu'on est exercé à rendre des propositions. Mais, parmi nous, on suit la marche des arts et métiers, où l'on commence par être apprenti, puis on devient successivement compagnon et maître : qu'avons-nous été dans les deux ou trois ans que nous avons occupé la chaire tous les dimanches ? Des compagnons non compagnons, des proposants non proposants. Et maintenant, que sommes-nous ? Des proposants à titre, mais encore au-dessous d'un savetier qu'on vient de recevoir ancien, et qui, dès ce moment, a dans le Consistoire voix délibérative (1). »

Le raisonnement de Simon Lombard ne manquait pas de justesse. Il y avait, dans cette manière de procéder, un vice de forme : il n'était évidemment pas normal que les avantages attachés au grade en question ne fussent accordés aux étudiants qu'à une date arbitraire, alors qu'on leur en faisait supporter les responsabilités et les inconvénients beaucoup plus tôt.

La crise des vocations

L'erreur était, au fond, d'imposer de trop bonne heure à ces jeunes gens d'aussi lourdes charges... Mais la crise des vocations était là, talonnant les églises et, dès qu'un Synode discernait chez quelque élève une solide étoffe de ministre, il se laissait aller - c'était bien naturel - à user et abuser, quelquefois, de sa bonne volonté.

Par son nouveau titre, Simon Lombard voyait sa situation sociale légèrement améliorée. Il y gagnait le modeste traitement de soixante francs... et voix propositive aux assemblées synodales, ce qui ne manquait pas de froisser légèrement son sens aiguisé de la justice.

Quant à son activité, elle n'en fut en rien modifiée ; peut-être lui fallut-il, plus encore que par le

passé, mener l'existence errante et inconfortable du proscrit qui risque sa vie à toute heure.

Existence de proscrit

« Dans le pays où je suis, écrit-il à son ami Perrier, il faut user de beaucoup de mesure... parce qu'il est comme enclavé dans un pays tout catholique. Je change très souvent de retraite, je ne marche que de nuit, et je ne me fais jamais accompagner, en sorte qu'il n'y a que les gens de la maison où je suis logé qui sachent où je suis. »


LE PONT D'ARC

La prudence qu'il observe ne lui évite pourtant pas tous les dangers et lui laisse endurer bien des peines.

Un soir, vers onze heures, sur les bords de l'Ardèche, il est poursuivi par un soldat. Il ne doit son salut qu'à une fuite précipitée à travers champs (2).

Un autre soir, en plein mois de janvier, par une pluie glacée, on lui refuse l'hospitalité. Il la trouvera, lui dit-on, au hameau voisin. Rentrant la tête dans les épaules, arrondissant le dos sous l'averse, pataugeant dans les flaques de boue, l'honorable vagabond se remet en marche. En traversant à gué la rivière, il glisse sur une pierre branlante et tombe à l'eau. Tout trempé, il parvient à la ferme indiquée. Il frappe. On fait la sourde oreille. Il frappe plus fort. Toujours rien. Grelottant, il retourne alors vers ceux qui, une première fois, l'ont éconduit. A force de parlementer, on finit par l'introduire.

« Mais où ?... Dans une basse cave où l'on apporte à souper sur le fond d'une cornue... » et où, mouillé jusqu'aux os, il se mettra au lit, ayant « pour compagnons, un milliard de puces » (3).

L'hiver suivant, après quatre ou cinq heures passées dans une pièce glacée, où il a dû rester immobile pour ne pas éveiller l'attention des personnes suspectes qui occupent l'appartement au-dessus, on le trouve « quasi-mourant » (4).

Quelques semaines plus tard, alors qu'il cherche une cachette dans une maison amie, il est découvert par le nouveau domestique de ferme, qui, le prenant pour un voleur, se précipite sur lui. Il ne doit qu'à son adresse d'éviter un coup de fourche (5).

Vaillance

Et pourtant, soumis, vaillant, il accepte tout cela sans faiblir.

« Il faut convenir, écrit-il à M. Merle, que, dans notre état, nous sommes exposés à bien des choses. Que faire ? Nous sommes sous la Croix ; il faut patiemment endurer nos épreuves (6). »

« Tel est notre état, dit-il encore, tantôt bien, tantôt mal. Il faut du courage, et, grâces à Dieu, je n'en manque pas (7). »

Non, les dangers ne lui font pas peur. Il semble même, qu'apportant une satisfaction à son goût marqué pour les aventures, ils ne fassent que fortifier son affection pour le genre de vie que sa vocation et la force des événements lui ont imposé.

Jamais il n'a connu plus de périls que dans ces paroisses du Vivarais, et c'est pourtant celles auxquelles il s'est le plus attaché.

Les circonstances l'en éloignent-elles ? Il faut entendre les termes dont il se sert pour exprimer ses regrets. L'occasion lui est-elle offerte d'y revenir ? sa joie déborde.

C'est qu'aussi... l'Ardèche, les Vans ! ... Ne sont-ils pas l'écrin richement ouvragé qui abrite les plus purs joyaux de son coeur ?

Les Vans

Les Vans.... c'est cette petite bourgade, accrochée au flanc boisé d'une colline, qui domine la riante vallée du « Chassezac » ... ce sont les enchantements du Bois de Paiolive... c'est la hauteur de Saint-Eugène, avec son point de vue unique sur la contrée... c'est « Champ-Fougou » (8), le seul lieu d'assemblées où le jeune proposant « prêche sous des châtaigniers, dont l'ombre est si agréable dans la belle saison » ...

Amitiés

... et puis, c'est l'endroit où résident ses meilleurs amis, les Bousquet, les Merle, confidents de ses travaux, de ses lassitudes, de ses espérances.... de ses amours, peut-être. Car il y a aussi, aux Vans, une certaine Mlle du Roure, qui - bien que son aînée, sans doute - n'est sûrement pas sans inspirer au jeune homme une sympathie particulière, encore que très naturelle pour un coeur de vingt-trois ans.

« Je me dispose, lui écrit-il de Vallon, à la date du 30 avril 1762, à partir pour le Synode. Je souhaiterais bien de passer par les Vans, et je le ferais, en effet, si j'étais seul, ou si notre député voulait consentir à faire ce petit circuit.

« Le désir qui m'anime le plus en ce moment, c'est qu'on veuille bien me continuer dans cette église. Le Consistoire en fait la demande avec force dans son mémoire. Peut-être ne sera-t-elle pas sans succès. Où qu'on me place vous y serez avec moi, car je vous porte en mon coeur, vous, le bon papa, la bonne mère (9) et le vénérable M. Merle.

« Si les églises de ce quartier me sont attachées, je les paie bien de retour ; elles me seront toujours chères. Et vous concevez quelle part distinguée ont, dans mes sentiments, ceux en qui je vois à mon égard une vraie et bonne amitié. On pourrait me placer au bout de l'univers, je ne vous ferais pas moins, en esprit, de fréquentes visites ; et dans le cas où je sois assez à portée, vous me verrez, de temps en temps, éclore comme un champignon.


CHAMP FOUGOU
vue sur le Chassezac

« Mais vous le savez déjà : quelques-uns de mes confrères et moi, nous tenons fort à l'intention et au désir d'aller avancer et perfectionner nos études au Séminaire. On nous a refusé cet avantage l'année dernière, à cause de la pénurie des sujets, et nous appréhendons bien qu'on ne fasse valoir encore cette considération. Quoi qu'il en soit, Vauvert et les Vans occupent, après Dieu, la meilleure place dans mon, coeur (10) ... »

Cette lettre - qui, d'ailleurs, ne fut peut-être jamais envoyée - n'est pas compromettante ; elle manifeste pourtant une amitié décidée que plusieurs autres missives, adressées soit aux Bousquet, soit à M. Merle, viennent confirmer.

Le proposant s'enquiert souvent auprès d'eux de Mlle du Roure ; il lui fait don d'un jeune épagneul (11).

N'est-ce pas un peu à cause d'elle qu'avec le jeune Rabaut Saint-Etienne, alors qu'il est en service à Uzès, il se permettra, à l'insu de Pradel, son Directeur, une escapade de huit jours aux Vans (12) ?

Escapade

N'est-ce pas en pensant à elle qu'il exprime à qui veut l'entendre sa joie de pouvoir y retourner bientôt (13) ?

Sans doute. Mais qui songerait à lui en faire un grief ? Poursuivi par tant d'opposition, par tant de haine, n'est-il pas naturel qu'il laisse s'épanouir les fleurs d'une amitié vraie pour ceux qui, sans arrière-pensée, lui ouvrent les entrées d'un coeur aimant et chaud ?

Cette amitié, que des circonstances plus ou moins précises empêcheront d'évoluer, demeurera toujours égale à elle-même.

De longues années plus tard, elle jettera encore ses rayons de lumière sur l'obscurité des épreuves et des douleurs.

Pour l'instant, le jeune homme n'en jouit pas en égoïste.


BOIS DE PAIOLIVE
Le lion et l'ours

Il la considère comme une aide morale, comme un réconfort que le ciel lui offre pour qu'il aille, avec plus de vaillance et de joie, au rude assaut des erreurs de son peuple.

C'est à Dieu même qu'il en rend grâces

« Béni soit la divine Providence, écrit-il à son père, qui allège nos travaux et soulage nos peines par tant de douceurs ! »

Le Synode dont Simon Lombard parlait à Mlle du Roure se réunit au début du mois de mai 1762.

Le proposant eût pu être flatté de la considération qu'on lui témoigna à cette Assemblée.

En effet, non seulement le Consistoire de Vallon demandait avec instance à le conserver, mais Paul Rabaut et Jean Pradel, les deux pasteurs les plus en vue du Bas-Languedoc, exprimaient l'un et l'autre le désir de lui confier la desserte d'une partie de leurs paroisses de Nîmes et d'Uzès.

« Pour accorder le tout, - écrit-il, - on m'a placé pour six mois à Nîmes et à Uzès, où je dois alterner, et pour les autres six mois, dans mon cher quartier du Vivarais (14). »

Le même Synode, à la demande réitérée de Simon Lombard et de ses compagnons, décidait de les envoyer, l'année suivante, au Séminaire de Lausanne (15).

En attendant, ils continuèrent à exercer leurs fonctions dans les districts nouvellement assignés.

Entre Nîmes et Uzès

Bien qu'il eût encore à observer quelques règles de prudence, comme l'atteste une lettre qu'il écrivait à ses parents, le 7 juin 1762, sous la signature anagramme de « Dombral », Simon Lombard garda un bon souvenir des différents séjours qu'il fit à Nîmes et à Uzès au cours de l'été 1762.


LES VANS

Dans chacune de ces villes, se trouvaient des troupes en garnison, mais elles n'exerçaient pas, à ce moment, une surveillance très active ; aussi les pasteurs n'étaient-ils pas assujettis à d'incessants changements de retraite et pouvaient-ils convoquer des assemblées « nombreuses et brillantes ».

Des sentinelles, sur la vigilance desquelles on pouvait compter, étaient toujours prêtes à donner l'alerte, mais il arrivait parfois que la foule, sans attendre leur avertissement, fût prise de panique.

C'était alors une débandade échevelée, accompagnée de cris et d'appels, et souvent le pasteur se retrouvait seul, avec quelques anciens, devant une sorte de champ de bataille où gisaient, pêle-mêle, « parasols cassés », « chaises et sellettes » ...

S'il en était capable, le ministre se hâtait alors d'entonner un Psaume, et bientôt, « à ce signe rassurant », il voyait apparaître, surgissant des bosquets, un auditoire presque aussi compact que le premier, mais tout penaud d'avoir si inconsidérément « décampé » (16).

Simon Lombard assista plusieurs fois à des scènes de ce genre, aussi bien à Uzès qu'à Nîmes. Mais une fausse alerte n'amenait pas toujours la fuite.

« J'ai vu, raconte-t-il, des assemblées entières se lever promptement, à la vérité, mais ne pas quitter la place. Une fois, une douzaine de femmes entourèrent ma chaire avec des pierres dans les mains en me disant d'un ton bien assuré : « Monsieur, soyez tranquille, nous sommes là ! » Hélas'! qu'auraient-elles fait si la troupe était venue ? (17). »

Préparatifs de départ pour Lausanne

Cependant, un nouveau printemps était arrivé. La brise de mai chantait dans les jeunes pousses d'un vert doré encore translucide. C'était le moment, longtemps attendu, de gagner la terre voisine où l'Eglise de la Réforme, libre et florissante, en communiquant aux futurs ministres de France un peu de sa science et de sa foi, leur imprimait un nouvel élan, accroissait leur puissance et étendait leur champ d'action.

Simon Lombard, quittant l'Ardèche, retourna à Vauvert faire ses préparatifs de voyage et prendre congé des siens.

Ce fut bientôt l'heure des adieux.


LE PONT SAINT-NICOLAS, SUR LE GARDON
ENTRE NIMES ET UZÈS

Près de sept ans s'étaient écoulés depuis le jour où, presqu'un enfant, il avait pris la route de Nîmes pour affronter le Désert. Il était un homme, à présent. Et pourtant, sa mère le regardait s'éloigner avec la même tendresse attristée que naguère.

Le souvenir lui revenait, brûlant, à l'esprit, des douloureux événements qui, quelques mois plus tôt, avaient encore endeuillé l'Eglise : les martyres de Jean Calas, du pasteur Rochette, et surtout de ces trois héroïques frères Grenier, gentilshommes Verriers du Comté de Foix, qui avaient été si farouchement conduits à l'échafaud et décapités pour avoir voulu prêter main forte à leur ami en péril (18).

Son fils bien-aimé échapperait-il à la mort ?

Tristesse

Simon lui-même, en quittant Vauvert, s'était efforcé de paraître fort. Mais, lorsque arrivé à Nîmes et près de quitter son père, qui était venu l'accompagner, il vit s'ouvrir devant lui cette route inconnue qui, traversant les montagnes lointaines, devait l'amener au pays étranger, il eut également un serrement de coeur.

C'est à son plus cher ami, le « Papa Bousquet », des Vans, qu'il fait part des sentiments qui l'étreignent :

« MM. Gachon et Valentin, sont déjà partis, - lui écrit-il, de Nîmes, le 27 mai 1763, - je ferai le voyage avec M. Bétrine et une dame de cette ville.

« J'ai pris congé de ma famille ; tout est prêt. Mon père est ici avec moi. Je vais l'embrasser pour longtemps (19). Je ne sais pourquoi mon coeur est si plein. Oui, c'en est fait ; je vais m'éloigner de vous. Jamais, autant qu'en ce moment, je n'ai senti combien vous m'êtes chers. Ah ! mes chers parents, mes chers amis, si j'étais dans vos coeurs, je vous emporte bien dans le mien. Recevez tous mes adieux et mes embrassements les plus tendres. Souvenez-vous de moi dans vos saintes prières. Donnez-moi souvent de vos chères nouvelles. Le Seigneur soit toujours avec vous (20). »

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(1) DARDIER : op. cit.. lettre 28.
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(2) DARDIER : op. cit., lettre 29.
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(3) Ibid., lettre 30.
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(4) Ibid., lettre 37.
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(5) Ibid. : lettre 38.
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(6) DARDIER : Op. Cit., lettre 37.
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(7) Ibid., lettre 30.
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(8) On dit aujourd'hui « Champ-Fagou ».
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(9) M. et Mme Bousquet.
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(10) DARDIER :op. cit., lettre 31.
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(11) Ibid., lettres 36 et 38.
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(12) Ibid., lettre 34.
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(13) Ibid., lettres 35 et 36.
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(14) DARDIER : op. cit., lettre 32.
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(15) Cette décision fut enregistrée au Synode suivant qui eut lieu le 10 novembre 1762. (Syn. du D., Tome II, page 261).
« L'Assemblée informée qu'on est décidé à admettre quatre de nos candidats au Ministère dans le Séminaire de Lausanne et voulant profiter de cet avantage, elle a arrêté d'y envoyer les sieurs Lombard, Gachon et Valentin, proposants, et sieur Jean Bétrine, étudiant, à la charge de revenir dans le sein des Eglises lorsqu'ils en seront requis. Elle exhorte les premiers d'avoir l'oeil sur le dernier et fait des voeux pour qu'ils fassent les plus rapides progrès afin qu'ils soient plus tôt utiles aux Eglises. »
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(16) DARDIER : op. cit., lettres 33 et 34.
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(17) Ibid., lettre 34.
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(18) Peyrat, Tome Il. Livre XI, Chat). V et VI.
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(19) Simon Lombard ne devait pas revoir son père qui mourut, alors qu'il était encore à Lausanne, le 27 mars 1764. 
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(20) DARDIER : op. cit., Lettre 39.
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