Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ELEVE

« Au Désert » 1756-1761

Suite

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S. Lombard auxiliaire des Pasteurs Encontre et Theyron

Quelques semaines après sa première expérience de la chaire, Simon Lombard fut placé par le Synode « dans l'arrondissement de Montpellier », comme auxiliaire des pasteurs Encontre et Theyron (1).

Ce district était l'un des plus vastes du Languedoc. Il s'étendait de Mauguio à Graissesac, comprenant, outre ces deux localités, celles de Montpellier, Sète, Pignan, Cournon, Valmagne, Faugères et Bédarieux.

C'était aussi l'un des plus: périlleux à desservir puisque Montpellier était le lieu de garnison des troupes royales.

Simon ne l'ignorait pas, et les siens non plus. « Je vais donc maintenant - écrit-il à son père - m'éloigner un peu de vous et de ma bonne mère. Qu'elle ne s'inquiète pas sur moi : la prudence ne me quittera point, et le Seigneur, en qui je mets toute ma confiance, est tout puissant pour me sauver de tous les dangers auxquels je pourrai être exposé. Et puis, n'a-t-il pas sur nous les droits les plus absolus ? Ne peut-il pas disposer de nous selon son bon plaisir ? Il ne suffit pas de nous soumettre à ses volontés connues ; il faut aussi nous soumettre d'avance à ses volontés cachées...

« ... Je n'ai pas besoin de nie recommander à vos prières et à celles de ma tendre mère que j'embrasse, ainsi que vous, dans toute l'effusion de mon coeur (2). »

Stage à Montpellier

Un stage à Montpellier était tout indiqué pour apprendre aux jeunes étudiants l' « esprit du Désert ».

C'est là, en effet, qu'un grand nombre de prédicants avaient été enfermés, puis décapités ou pendus.

Simon Lombard ne voulut pas y passer sans aller faire un pieux pèlerinage à l'Esplanade. Il réussit à décider quelqu'un à l'y mener.

Pèlerinage à l'Esplanade

« Arrivés à l'Esplanade, - raconte-t-il, - je désire voir, et je vois, en effet, la place où nos bienheureux confesseurs MM. Désubas, Teissier-Lafage, Bénézet et autres ont été martyrisés.

« Ce n'est pas tout. Je désire voir la prison où ils ont été détenus. Mon conducteur s'y refuse. Je le prie. Enfin il se rend. En nous avançant vers la citadelle, il me décrit l'appareil dans lequel nos martyrs ont été conduits et suppliciés... Nous voilà dans la cour. Mon conducteur... en me parlant d'autre chose, me donne de la tête le signal convenu ; je fixe mes regards sur un cachot qui pourrait un jour devenir aussi le mien...

« Je ne sais pas ce que le Seigneur fera de moi, mais, relativement aux dangers de notre état, je n'ai pas encore connu la crainte (3). »

Dans la plupart des églises de ce district languedocien, les fidèles faisaient preuve d'autant de zèle et de courage que leur jeune prédicant. Sauf à Faugères et à Bédarieux - qui comptaient d'ailleurs une majorité de catholiques - les cultes s'y célébraient en plein jour.


REPRODUCTION DES PLANS COMMUNIQUÉS
PAR M. LE PROFESSEUR LOUIS PERRIER

Assemblées en plein air

Tandis que des sentinelles sûres prenaient leur poste de garde, les auditoires se formaient, chacun s'installant de son mieux parmi les rochers ou les buissons.

Deux bâtons plantés, entre lesquels on tendait quelque draperie, tenaient lieu de chaire. Le pasteur, revêtu de sa robe, se laçait derrière et le service commençait.

Aventure

Les protestants de Montpellier s'assemblaient à quelque distance de la ville, au lieu dit « La Fontette » (4). Simon y prêcha plusieurs fois. Il lui arriva même, certain jour, -une aventure désagréable qu'il ne manqua pas de raconter à son ami Perrier.

L'étudiant ne mettait pas la robe pour prêcher ; il arrivait donc au lieu du prêche dans son habit noir le plus impeccable.

Un beau dimanche de juin qu'il étrennait justement un vêtement neuf, il arrivait, à dos d'âne, de Pignan, lorsqu'à cent pas de l'assemblée, sa « bourrique » le précipita dans un bourbier d'où il n'avait pas réussi à l'éloigner.

« Je te laisse à penser - dit-il à son ami - dans quel état j'en sortis... L'heure était venue de monter en chaire ; un jeune monsieur très bien mis, en noir, m'offrit gracieusement son habit et voulut bien s'affubler du mien qui le rendait risible (5). »

Ce n'était là, d'ailleurs, qu'un des mille désagréments du métier !

La tâche était rude, parfois, surtout pour un jeune garçon comme Lombard qui était « si fluet, si mince, si délicat ».

Difficulté de la tâche

Il trouvait souvent bien pénible d'avoir des lieues à parcourir pour rejoindre une assemblée et d'avoir ensuite deux services à présider dans la même journée, surtout lorsque, n'ayant « ni chantre, ni lecteur », il lui fallait, en plein air, « lire les chapitres, entonner les Psaumes et prêcher » (6).

Mais tout cela n'était rien tant que la sécurité était assurée.

Or, par deux fois, cette année-là, les assemblées furent surprises et dispersées par « les subdélégués de l'Intendant et les cavaliers de la maréchaussée ».

« Deux amendes considérables >5 furent alors imposées aux malheureuses ouailles de l'étudiant : dix mille francs; à celles de Bédarieux ; mille écus à celles de Montagnac ; et « trois vénérables anciens », porteurs d'un placet à M. de Thomond, commandant de la province, furent emprisonnés, « pendant que l'amende, qui pesait à faire gémir », mettait déjà plusieurs braves gens « dans la rude nécessité de vendre, pour en payer leur contingent, les; grains qu'ils avaient achetés pour semence » (7).

Quant à Simon Lombard, souvent pourchassé, « changeant perpétuellement de retraite », il dut, une fois, au beau milieu de la nuit, s'enfuir à l'approche d'un détachement et se cacher. Accablé de sommeil, il alla s'étendre « à une aire », sous quelques débris de paille, d'où il fut tiré quelques instants plus tard et conduit à une demi-lieue de là. Bienheureux fut-il de pouvoir, en paix, achever sa nuit « sur des pois chiches » (8).

Et quel dédommagement lui offrait-on, pour prix de tant de labeurs et de dangers affrontés ? « La satisfaction de se rendre utile » ... Son père seul pourvoyait à ses besoins.

« Je ne dis pas, là-dessus, tout ce que je pense, écrivait-il à Antoine Perrier ; non que je tienne à l'intérêt, c'est un objet que je regarde pour ainsi dire comme de la boue ; mais j'aime fort ce qui est dans l'ordre, ce qui est convenable et juste. Ne trouves-tu pas que nos Messieurs mettent un peu trop de distance entre eux et nous ? Ils ont été ce que nous sommes, et un jour, s'il plaît au Seigneur, nous serons ce qu'ils sont. Jamais les proposants ni les étudiants n'auront à se plaindre de moi (9). »

En Gardonnenque

Pour tout dire, l'année que le jeune proposant passa dans ce quartier languedocien fut « une année bien fatigante et bien triste », aussi ne fut-il pas fâché lorsque le Synode de 1760 l'envoya en Gardonnenque, auprès des pasteurs Teissier et Saussine. Il devait visiter, là aussi, un assez grand nombre d'églises, parmi lesquelles étaient Saint-Géniès et Quissac, et prêcher à peu près tous les dimanches ; mais il ne composait un sermon qu'à chaque nouvelle tournée et pouvait ainsi consacrer quelques loisirs à l'étude.

« Je suis sur mes livres ... souvent bien avant dans la nuit, écrit-il à son père ... Il faut mettre le temps à profit. Je trouve que j'avance peu. Tout bien compté, depuis que je suis entré dans la carrière du Désert, je n'ai reçu (lue dix ou douze leçons sur les matières de la religion (10). »

Dix ou douze leçons en quatre ans, c'était vraiment peu pour des jeunes gens dont la plupart sortaient de milieux sans culture, surtout si l'on considère que leurs professeurs étaient souvent eux-mêmes des gens fort simples, taillés pour l'action et la lutte, mais que, la science n'encombrait pas.


VALLON-SALAVAS-LAGORCE-LES VANS

On comprend dès lors et l'on peut excuser ces jeunes étudiants qui, bientôt, devaient renoncer à leur rêve ; et l'on peut admirer d'autant mieux ceux qui, à force d'énergie et d'efforts personnels, soutenus par une puissance surnaturelle, parvenaient à leur but avec succès.

Simon Lombard devait être un de ceux-là. Le Synode de 1761 rendit hommage à sa jeune valeur et lui prouva sa confiance en, le chargeant, alors qu'il n'était pas encore proposant attitré, d'un des, districts les plus considérables - et les plus dangereux - de la province, celui de Vallon, en Vivarais, qui s'étendait depuis Villeneuve-de-Berg, jusqu'aux Vans et Peyremale.

En Vivarais

« Ces églises, écrit-il à son père, dès son arrivée, jusqu'ici, n'ont été desservies que par corvées (11)...

« On voulait un service habituel et la résidence d'un sujet qui pût le remplir ; et c'est moi que le Synode a choisi pour ouvrir la tranchée. Eh bien ! me voilà plein de courage et de bonne volonté (12). »

Dans ce « quartier », Simon Lombard déploie une très grande activité ; aussi est-il partout « bien vu, bien accueilli », et se fait-il de vrais amis : en particulier les Bousquet, des Vans, « gens du Bon Dieu », et M. Merle, « ancien très estimable, qui, sous le rapport des talents, des vertus et du zèle, vaut bien un pasteur » (13), celui même dont le prédicant Fayet avait dit : « Ce merle du Vivarais chante mieux que les rossignols du Pays-Bas (14) ! »

C'est au cours de son séjour à Vallon que le jeune homme fut appelé à passer l'examen qui devait lui conférer le grade de « proposant ». Il l'était déjà depuis deux ans, en fait, sinon en droit.

Pour l'obtention du grade de « proposant »

Les Consistoires avaient été chargés d'examiner la conduite des candidats et sept pasteurs, parmi lesquels Paul Rabaut et son ami Jean Pradel, avaient été désignés pour composer le jury qui devait se réunir le 15 juillet (15).

Outre les diverses interrogations auxquelles il lui fallait répondre, chaque étudiant avait à donner, ce jour-là, une prédication sur un texte imposé.

Une dizaine de jours à l'avance - quinze jours plus tard que ses confrères parce qu'il se trouvait plus loin - Simon reçut le texte de son sermon. On lui proposait, comme thème de méditations, ces paroles de Paul aux Ephésiens : « Je vous prie instamment, moi qui suis prisonnier dans le Seigneur, de vous conduire d'une manière digne de la vocation qui vous a été adressée (16). »

Ce beau texte ne l'inspira pas.

« Mon discours est fait depuis hier - écrit-il à M. Merle - ; je n'en suis pas trop content. N'ayant pas eu d'autre secours que, celui de ma Bible, il a fallu tout tirer de mon pauvre fonds.

« J'aurais eu besoin d'être un peu à mon aise ; mais, quoique logé dans une bonne maison de campagne, je n'ai pu travailler que dans une chambre toute imprégnée de l'odeur des cocons qu'on y fait grainer, et dont elle était presque entièrement tapissée (17). »

L'atmosphère d'une « magnanerie » ardéchoise ne doit pas être très favorable à la composition d'un sermon, si l'on en juge d'après celui que Simon Lombard prononça devant son jury d'examen ! ...

L'exorde, évoquant le paganisme des Ephésiens, n'est pas mauvais, mais la plus grande partie du discours, lourde de forme, au plan imprécis, chargée de répétitions, n'a guère pour elle que sa piété ardente...

Vers la fin, le jeune prédicateur, qui, vraiment, cette fois-ci, ne donnait pas sa mesure, semble se retrouver.

Il a même une heureuse idée.

Mettant en relief la triste condition de saint Paul, qui devait être pour les Ephésiens une raison de plus d'être fidèles: à leur vocation, il rappelle à ses auditeurs que la situation de l'apôtre peut, d'un jour à l'autre, devenir celle des prédicateurs du Désert et les invite à une fermeté dans la foi qui puisse être, pour leurs pasteurs, un réconfort dans leurs épreuves.

Mais cette inspiration ne dure pas et la prédication se termine par une application maladroite, charge inattendue contre... l'ivrognerie, dont l'impression pénible est à peine corrigée par une péroraison passable (18).

Si... ordinaire qu'il fût, ce sermon possédait des qualités de fond qui n'échappèrent pas au Synode. Il s'en contenta... « Et, - raconte l'étudiant, - nous voilà sortis de cette première épreuve.

« Dans la seconde, onze bouches nous interrogent tour à tour sur la théologie, sur la morale, sur les' matières de controverse. Cela dure quatre ou cinq heures. Chacun devait être las. On finit par nous dire qu'on nous confère le grade de proposant. On nous félicite, on nous exhorte à faire bien et toujours mieux...

« ... Que sommes-nous de plus ? Proposants, nous étions, proposants nous sommes (19)... »


SIMON LOMBARD
(miniature)


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(1) Syn. du D., Tome Il, page 175.
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(2) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 14.
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(3) Ibid. : lettre 22.
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(4) Des recherches répétées ne nous ont pas permis de situer ce lieu d'assemblées (lue S. Lombard mentionne pourtant de façon formelle.
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(5) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 16.
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(6) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 19. 
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(7) Ibid. : lettre 18.
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(8) Ibid. : lettre 17.
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(9) DARDIER : Op. Cit., lettre 19. 
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(10) Ibid. : lettre 21.
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(11) Une « corvée » était une tournée de visites, une mission de passage.
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(12) DARDIER : op. cit., lettre 24.
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(13) Ibid. : lettre 25.
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(14) DARDIER : op. cit,, lettre 29.
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(15) Syn. du D., Tome Il, pages 220-221. La date du 15 juillet ressort de la lettre 26.
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(16) Ephésiens 4 : 1 ; lettre 25.
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(17) DARDIER : op. cit., lettre 26.
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(18) Nous avons retrouvé ce sermon dans l'un des volumes de la Collection de Garrigues. Il porte la mention « Discours d'épreuve pour le grade de proposant », pas de date ; mais, sans aucun doute, c'est bien celui que S. Lombard prêcha devant le Synode du 15 juillet 1761.
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(19) DARDIER : op. cit., lettre 27.
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