Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

L'ELEVE

« Au Désert » 1756-1761

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On sait qu'après avoir manifesté le désir de s'enrôler au service de l'Eglise, les jeunes chrétiens devaient être agréés par le Synode qui les confiait alors aux soins d'un pasteur, chargé de les initier à la pratique du ministère.

Aucun acte des Synodes ne parle de Simon Lombard avant 1759 et pourtant il est certain que, répondant enfin à son attente, « la Compagnie des Pasteurs » avait bien voulu s'occuper de lui, déjà trois ans plus tôt.

Simon Lombard « prend le Désert »

« J'eus la consolation et la joie, dit-il lui-même, de prendre le Désert à l'âge de dix-sept ans. Ce fut vers la fin du mois de septembre 1756 (1). »

Simon Lombard fut d'abord envoyé auprès du pasteur Jean-Pierre Lafon, qui se trouvait alors à Ners, sur le Gardon, au sud d'Alais.



Il quitta Vauvert le 19 septembre au matin. Son paquet sur l'épaule, le bâton de voyageur à la main, il prit la route de Mmes, tandis que ses parents, qui n'avaient pu le retenir, le regardaient, le coeur gros, s'éloigner au détour du chemin.

Certes, la persécution de 1752 s'était quelque peu modérée ; mais les Réformés étaient encore loin de tenir la liberté qu'ils désiraient et réclamaient tous avec tant de persévérance et d'ardeur. Les soldats du roi pourchassaient toujours les assemblées et les pasteurs. Simon Lombard, en prenant le Désert, se mettait sous le coup des « ordonnances ». Voilà à quoi pensaient ses parents en le voyant partir, et voilà pourquoi l'inquiétude étreignait leur coeur.


LE GARDON A NERS

Il arriva le soir même à Ners, ayant couvert la première partie du trajet à pied et la seconde sur une monture obligeamment offerte par quelque connaissance. Son « directeur » le reçut « bien froidement ».

Sous les ordres du Pasteur Lafon

« J'abordai Ners - écrivait-il le lendemain même a son père - ...par une pluie à laquelle je fus encore exposé pendant une grosse demi-heure -, en attendant une réponse de M. Lafon. « Demain, je le verrai », dit-il. Mais, comme on lui représenta le désir et l'empressement que j'avais de le voir, il consentit à me recevoir le soir même et ce fut alors que j'eus l'honneur de me présenter devant lui. « On m'a chargé (le vous, m'a-t-il dit, on aurait pu me dispenser (le cela ; je vous ferai bien courir.. » Voilà mon commencement ; il n'est pas tout à fait gracieux. Mais tout cela n'est rien... pourvu que j'aie le bonheur d'arriver à mon but (2). »

Le pasteur Lafon eut Simon Lombard sous sa direction jusqu'à la fin du mois de novembre, mais il ne le vit que très peu. Outre les assemblées à présider, il lui fallait visiter une paroisse très étendue et, craignant un peu que la vue médiocre de son élève « ne l'expose au danger », il l'abandonnait généralement à lui-même, l'engageant à travailler seul, dans les différentes retraites qui lui étaient offertes. Les livres, une fois de plus, devenaient les plus fidèles compagnons du jeune homme et ses auxiliaires les plus précieux.

« J'en trouve dans toutes mes retraites - écrit-il - et c'est dans ces livres que je cherche à m'instruire. M. Lafon ne m'a donné encore qu'une leçon... une leçon de philosophie... Je ne le vois, ordinairement, que le dimanche. Il me demande où j'ai été et ce que je fais, voilà tout. Il m'a déjà dit bien des choses décourageantes ; mais je suis inébranlable dans mes sentiments. Il me semble néanmoins qu'on devrait encourager les élèves plutôt que de chercher à les décourager. « Un tel, me disait-il hier, a renvoyé son disciple ; un tel se propose aussi de renvoyer le sien ; ces jeunes gens ne seront pas les seuls à retourner chez eux. » Il me dit peut-être tout cela pour m'exciter au travail, à l'humilité et à la sagesse. Dans ce cas, ses vues sont bonnes, mais ses moyens sont bien rudes (3). »


NERS

Au fond, il semble bien que le pasteur ne cherchât qu'une occasion pour se débarrasser de son élève. Ce dernier faisait pourtant de son mieux pour le satisfaire.

« Il n'est pas apparent que M. Lafon me garde auprès de lui - écrit-il à la fin d'octobre. - Il me donna, il y a quatre jours, un sermon de M. Galatin à apprendre par coeur. Ce matin, il a paru dans la maison où je suis logé, mais sans dessein de s'y arrêter. Il a demandé à mes hôtes comment je me comportais. On lui a répondu que j'étais toujours dans ma chambre et que je m'appliquais beaucoup, Sur cela, il est monté et il m'a demandé brusquement si j'avais appris quelque chose du discours. « Oui, Monsieur, lui ai-je dit, je l'ai appris en entier. - Voyons. » Il me le fit réciter et je le récitai mot à mot, bien coulamment... Je croyais le voir satisfait de ma mémoire puisqu'en trois jours, j'avais appris un discours fort long, il m'a tenu (cependant) des propos fort décourageants, dont la conclusion a été : « Vous pouvez vous retirer ; nous ne voulons pas: de mazette au Désert. » Il m'a paru que j'étais frappé de la foudre.

« Mais, lui ai-je dit, si vous ne croyez pas que j'aie assez de talents pour parvenir au Ministère, je me retirerai et j'embrasserai un autre état. - Vous vous rendrez à tel endroit », m'a-t-il dit. Et sur cela, il m'a quitté. Bon Dieu, quel homme (4) ! »

Simon Lombard ne fut d'ailleurs pas renvoyé. Paul Rabaut et Pierre Encontre, qui devaient connaître la rudesse de leur collègue, lui recommandèrent plus de bienveillance à l'égard de son élève. Ce dernier y gagna quelques attentions... et même « une leçon sur l'existence de Dieu ». C'était la seconde en deux mois (5).

S. Lombard change de Directeur

M. Lafon ayant été, peu après, envoyé en Vivarais, son « disciple » fut confié au pasteur Teissier, exerçant alors aux alentours de Lédignan. Celui-ci connaissait beaucoup Jacques Lombard et reporta sur son fils l'estime qu'il avait pour l'Ancien de Vauvert. Il l'accueillit « très gracieusement », et s'il n'eut pas énormément de temps à lui consacrer, il l'encouragea dans son labeur personnel et lui manifesta beaucoup d'affection. Après une épreuve orale consistant dans « l'explication verset par verset » du « chapitre VIII de l'Evangile selon saint Matthieu », il l'admit à la Sainte Table (6).

Dès ce moment, Simon commença à prendre une part un peu plus active au ministère de son « directeur ». Il le suivit dans ses courses, commença à visiter les malades et à faire l'explication du catéchisme à de jeunes catéchumènes (7). Cela lui plaisait beaucoup. Il voyait déjà son rêve prendre quelque apparence de réalité.

Cependant, tout n'était pas facile, et à côté des dangers côtoyés, il fallait supporter des humiliations, des rebuffades.

Messieurs les pasteurs n'étaient pas particulièrement tendres pour leurs élèves. Ils étouffaient quelquefois des vocations sincères pour des motifs qui, de nos jours, paraîtraient futiles et même injustes (8).

Mais c'était le Désert.... le ministère « sous la Croix ». Les Eglises exigeaient de leurs chefs des personnalités de forte envergure ; ces personnalités lie pouvaient être frappées qu'au sceau de la mort à soi-même. C'est l'épreuve qui les formait.

« M. Teissier lui-même - écrit Simon - qui, dans le fond, n'est ni rigide, ni sérieux à mon égard, affecte quelquefois de l'être. Il s'oppose, dans certaines occasions, aux politesses qu'on me fait et qu'il a lui-même dictées. Quand nous partons ensemble pour aller un peu loin, on sort ordinairement deux montures. « Pourquoi les deux montures ? dit le bonhomme. - Pour vous et pour NI. Lombard. .Allons ! allons ! c'est gâter les jeunes gens, enfermez une de ces montures. - Monsieur, puisqu'elle est dehors, il faut que M. Lombard en profite. - J'y consens, pour cette fois. » Et puis on me dit : « C'est M, Teissier lui-même qui a demandé une monture pour vous, » Cela est arrivé plusieurs fois ; mais autant de fois j'ai saisi ilion homme et ri sous cape (9). »

Cependant, l'Eglise connaissait, à cette époque-là, une période de tranquillité, de « bonasse », comme disait Lombard.

Fondation d'une Ecole Théologie

Aussi le Synode de mai 1757 eut-il l'idée de fonder une Ecole de Théologie qui grouperait, sous la direction d'un pasteur un peu mieux rétribué que les autres, les jeunes gens qui se destinaient au ministère.

Le pasteur Puget, qui avait passé deux ans au Séminaire de Lausanne, fut désigné (10).

Nouvel Aristote, il devait parcourir, avec une douzaine de jeunes élèves, les diverses communes de la Vaunage tout en leur enseignant quelques principes de grammaire, de géographie... et les premiers éléments de la théologie.

Cette année 1757 fut, pour Simon Lombard, particulièrement agréable. Il se trouvait en effet à proximité de Vauvert et pouvait ainsi souvent rencontrer les siens, et puis, il jouissait beaucoup de la compagnie (lu pasteur Puget, dont il avait, par son sérieux et son travail, gagné l'estime et les faveurs. « Lorsqu'il avait à s'absenter pour un ou deux jours - raconte l'étudiant - c'était toujours moi qu'il chargeait de faire réciter aux autres leurs leçons ; et cela n'était pas sans faire naître un peu de jalousie... (11). »

Cependant, M. Puget, avant « mieux aimé reprendre ses fonctions pastorales », le Séminaire fut dissous par le Synode de 1758. Simon Lombard le regretta fort.

Au cours de cette assemblée, ses camarades et lui étaient passés, comme il dit, « par le creuset d'un fidèle rapport et d'un sérieux examen », et plusieurs de ces malheureux « apprentis ministriers » avaient été « finalement congédiés ».

« Quant à nous, mon cher frère - écrit peu après Simon à son ami, Antoine Perrier - continuons à mettre notre temps à profit, et redoublons d'affection et de zèle pour l'état que nous avons embrassé. »

« Nous avons plusieurs fois ouï dire à nos Messieurs qu'ils avaient bientôt commencé de prêcher ; et nous, mon cher Perrier, quand ferons-nous retentir les échos du son de notre voix évangélique ? Il me semble que je te vois, en chaire, comme un petit ange, endoctrinant d'une voix douce et faisant pleurer tout le monde. J'aime de voir pleurer un auditoire : c'est une marque touchante qu'il comprend et qu'il sent ce qu'on lui prêche (12). »

Simon Lombard ne devait pourtant pas faire entendre sa voix en public avant plusieurs mois encore.

Le Synode de mai 1758 l'avait « placé sous la direction de M. Saussine », pasteur de Vauvert. Il fut donc à proximité de sa famille jusqu'au début de 1759.

Il l'avait quittée depuis peu, lorsqu'une lettre de son père vint lui annoncer la naissance d'un frère. Siméon, son cadet de près de vingt ans, dont il devait être le parrain.

Dans sa réponse, datée du 29 mars, Simon relate à son père ses débuts de prédicateur.

Première prédication

« J'ai à vous annoncer, lui dit-il, que le 25 du courant, j'ai fait ma première prédication. Je m'étais essayé devant M. Teissier, dans le bois de Combeverine, et il sentit bien, tout comme moi, que je pourrais sans crainte occuper la chaire. C'est près de Canaules, au château des Gardies, que j'ai fait mes débuts, et je l'ai fait le plus heureusement du monde. Une femme, jasant pendant que je prêchais, je m'interrompis pour la rappeler à son devoir, et je repris le fil de mon discours sans aucune peine. « ... Je sais, continue-t-il, que, par les fonctions de la chaire, je me suis mis sous la rigueur des ordonnances ; mais ce n'est pas dès à présent que j'ai voué nia vie au Seigneur. C'est par cet humble sacrifice que j'ai commencé nia carrière. La volonté du Seigneur soit faite (13). »

Simon Lombard avait fait son « sermon sur les souffrances et sur la mort de Jésus-Christ, pour la préparation à la communion de Pâques ». Il avait pris pour texte l'affirmation de l'apôtre Pierre - « Jésus-Christ a souffert une fois pour les péchés, lui juste pour les injustes, afin de vous amener à Dieu » (14).


LE CHÂTEAU DES GARDIES

En quelques pages simples, sans recherche ni grande originalité, mais qui manifestent sa volonté de toucher et de convaincre, et respirent déjà un très sincère amour des âmes, le jeune prédicateur expose les souffrances rédemptrices du Christ, et l'insondable mystère de la croix, sublime révélation de la charité divine qui acquiert au pécheur le salut dont il a' besoin.

Il n'a eu, pour l'inspirer, que la Parole de Dieu, cette « petite Bible de Martin » qui lui « a coûté quatorze livres » et dont il disait à son père : « elle me suivra dans toutes mes retraites. et je vais la dévorer » (15).

Dans son discours, c'est à elle qu'il revient sans cesse. C'est en elle qu'il a puisé toutes ses idées, c'est sur elle qu'il les appuie toutes ; en un mot, c'est de son autorité qu'il se couvre, et voilà pourquoi, lui qui n'a pas vingt ans, il trouve le courage - la hardiesse - d'affirmer avec force le salut pour les uns, la perdition pour les autres, la grâce pour tous.

« Maintenant donc, s'écrie-t-il, le péché est expié... le ciel réconcilié avec la terre, le Dieu immortel avec les hommes mortels...

« Réjouissez-vous donc... vous qui appartenez véritablement au Seigneur, vous en qui Sa grâce a mis la repentance, la foi, la charité et l'esprit de sanctification, car il n'y a maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, lesquels ne marchent point selon la chair, mais selon l'Esprit. »

« Espérez... vous qui sentez vivement votre corruption naturelle et soupirez après la grâce d'eu être lavés dans le sang du Sauveur, car Il vous dit lui-même : « Je ne mettrai point dehors celui qui viendra à moi... »

« Mais vous, pécheurs aveugles qui ne croyez pas avoir besoin du sang de Jésus-Christ pour être lavés de vos offenses, qui vous reposez orgueilleusement sur votre honnêteté, sur votre probité, sur la régularité de vos moeurs et sur vos bonnes oeuvres... ;

« et vous, incrédules, que des hommes pervers ont égarés, vous qui, prêtant l'oreille aux discours sacrilèges de l'impie, avez pris l'ignorance pour le savoir, la déraison pour la sagesse et le vice pour la vertu ; vous qui avez délaissé l'Evangile du Salut pour l'affreux système des libertins et des profanes...


LA BIBLE DE SIMON LOMBARD

« Si votre conscience vous accuse devant cette justice redoutable, si la corruption de votre coeur, vos fautes, vos péchés, vous font craindre son jugement, qu'attendez-vous pour retourner à Jésus-Christ ?

« Attendez-vous un autre Sauveur que Lui, un autre sacrifice que le sien, une autre grâce que celle qu'Il nous a méritée, un autre salut que celui qu'Il vous a acquis ?

« Apprenez qu'il n'y a point de salut en aucun autre que ce divin Jésus... »

Et, se radoucissant : « Ah ! pécheurs égarés, - supplie-t-il, - si vous n'êtes pas encore entièrement endurcis, revenez à vous-mêmes, revenez à Dieu, revenez à Jésus-Christ dont le sang demande grâce et peut sauver pleinement tous ceux qui approchent de Dieu par Lui.

« Allons tous, mes chers frères, à ce Dieu Rédempteur.... l'auteur et le dispensateur... du salut,..

« Sondons nos coeurs, tâchons de bien connaître et de bien sentir l'étendue de nos misères spirituelles, le besoin absolu que nous avions d'un Sauveur tel que Jésus-Christ, le besoin que nous avons d'être... couverts par Sa justice et conduits par son Esprit de grâce. Embrassons-le par la foi la plus vive et donnons-lui véritablement notre coeur comme à Celui qui l'a formé par Sa puissance, qui l'a racheté par Son sang, qui petit le remplir d'une joie ineffable et faire à jamais sa félicité... (16). »

Ces paroles ne manquent ni de. puissance ni de ferveur. Elles firent certainement bien augurer de l'avenir du jeune prédicateur.

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(1) Mss L. L.L. - MÉMOIRES.
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(2) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 1.
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(3) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 2.
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(4 ) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 4.
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(5) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 5.
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(6) Ibid. : lettre 6.
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(7) Ibid. : lettre 8.
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(8) Ibid. : lettre 6.
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(9) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 8.
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(10) Syn. du 1). Tome II, page 112.
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(11 ) DARDIER : Lettres de S. L, lettre 11.
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(12) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 12. 
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(13) Ibid. : lettre 13.
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(14) 1 Pierre 3 :18.
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(15) DARDIER : Lettres de S. L., lettre 6.
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(16) Nous avons retrouvé ce sermon dans l'un des volumes de la collection des manuscrits de Garrigues. Il porte la mention :
« Fait au désert, en 1759, revu et retouché en 1771 et 1808. S. Lombard. Pr. Pdt. » Nous savons par ailleurs (lettre manuscrite) que S. Lombard prêcha pour la 1ére fois le 25 mars 1759. Cette date précédant de, peu la fête de Pâques et ce sermon étant un sermon de « préparation à la Communion de Pâques » on peut à coup sûr affirmer que ce fut bien là son premier.
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