Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Serviteurs inutiles

Qui de vous, ayant un serviteur employé à labourer ou à faire paître les troupeaux, lui dira, à son retour des champs : Viens tout de suite te mettre à table ? Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi à souper, ceins-toi pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu; et après cela tu mangeras et tu boiras. Saura-t-il gré à ce serviteur d'avoir fait ce qui lui était commandé ? Vous aussi de même quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles. Ce que nous avons fait, nous devions le faire

Luc 17. 7-10


Le début de ce texte se rattache à l'histoire du figuier maudit. Nous y voyons un serviteur qui, après une pleine journée de labeur, pourrait se croire quitte envers son maître, et estimer qu'il l'a suffisamment servi, que ces heures du soir lui appartiennent maintenant; un serviteur, qui, tout comme le figuier, pourrait bien penser qu'il y a une limite à tout et un temps pour tout et que c'est assez d'une saison pour porter des fruits et que c'est assez de donner à Dieu une partie, une bonne partie même de son existence.

« Non ! dit le Maître, tu rentres de labourer, mais ta saison n'est pas finie : prépare-moi à souper ! Ceins-toi pour me servir ! Je n'ai pas fini, je n'ai jamais fini d'attendre de toi quelque chose. » Le service que Dieu nous demande est illimité. Notre appartenance à Dieu est illimitée. Il n'y a aucune frontière à l'acceptation de ce que Dieu nous demande d'accepter. Et pourtant nous aurions bien des excuses comme le serviteur de cette parabole. Après la dure journée de peine, après la dure lutte d'où l'on rentre fourbu, après les heures de bataille, ne pourrait-on pas, le soir, se reposer, se laisser aller un moment à côté de la volonté du maître, et se servir soi-même ? Non, dit le Maître, ton travail n'est pas terminé. Ensuite, quand j'aurai soupé, ensuite au jour du jugement et de la résurrection, tu te reposeras éternellement dans ma gloire; ensuite, après le temps de ce monde; mais jusqu'à la fin du monde, mais jusqu'à mon retour, c'est le temps de combattre, c'est à toutes les minutes le temps de porter des fruits d'amour, de justice et d'espérance, dans le monde de l'injustice et du désespoir.

Le serviteur a compris. Peut-être, vous aussi, avez-vous compris la totalité de l'obéissance chrétienne. Peut-être savez-vous que toute votre vie appartient à votre Seigneur et qu'il n'est plus de saison ni de compartiment possible dans l'existence d'un chrétien. Oui, peut-être le miracle s'est-il produit, la Parole de Dieu a-t-elle germé en vous et fait de votre vie l'arbre qui porte des fruits en toutes saisons. Vous êtes bien, je veux le croire, ce serviteur qui appartient sans réserve à son maître et qui fera jusqu'au bout tout ce qu'il lui demande.

Reste-t-il quelque chose à dire encore ? Ne sommes-nous pas quittes enfin ? Notre obéissance totale ne nous libère-t-elle pas du Maître ? Je veux dire : ne nous donne-t-elle pas un droit, un tout petit droit à sa reconnaissance ? Quand vraiment nous aurons fait tout ce que Dieu nous commande, quand nous aurons obéi totalement, quand nous aurons porté des fruits toute l'année, quand nous serons parfaitement sanctifiés comme il est nécessaire que nous le soyons pour entrer dans le Royaume de Dieu, Dieu nous saura gré de cette obéissance, il nous devra quelque chose, nous l'aurons tellement obligé, nous lui aurons rendu tant de services ! Nous aurons apaisé sa faim, nous lui aurons servi à manger, nous l'aurons entretenu avec notre peine et avec notre argent pendant toute notre vie. Il nous en saura gré, tout de même, de toutes ces figues ! C'est quelque chose d'utile que nous avons fait là. Mais le Maître, une fois de plus, interrompt nos réflexions pour nous faire part des siennes. Dites: «Nous sommes des serviteurs inutiles. Ce que nous avons fait, nous devions le faire ! ce qui signifie: «Dans tout ce que tu peux faire pour moi, dans l'obéissance la plus absolue, la plus sublime, la plus humble, il n'est rien que tu ne me doives, toi, et par conséquent rien pour quoi je te devrais, moi, quelque chose. Ton service est entièrement et uniquement le gré que tu me sais et non le gré que je te sais. Si tu comptes sur ma reconnaissance, où donc est ta reconnaissance ? Si tu penses que je te dois quelque chose, qu'as-tu fait de ce que je t'ai donné, et pourquoi me sers-tu ? Pour faire l'important, pour recevoir des éloges, pour que je te loue ? Et moi qui croyais que ton service était une louange de ma grâce. Je croyais que tu voulais simplement me louer. Mais non ! tu voulais que je te loue ! »

Quand vous aurez fait toute la volonté de Dieu, dites : « Nous sommes des serviteurs inutiles.» Il n'est peut-être rien dans toute la Bible et dans toute notre vie de si important à comprendre que cette inutilité de notre obéissance. Il faut que nous saisissions maintenant cette parole si sévère, si dure. Sévère ! dure ! Elle n'est dure qu'à notre convoitise. Elle est douce, merveilleusement douce à notre foi, à notre amour. Car elle établit avec une force étonnante, avec une rigueur absolue, le fait que le service tout entier que nous devons à Dieu, c'est le service de la reconnaissance, c'est une louange de la grâce qu'il nous a faite, et, rien, mais absolument rien d'autre. Vouloir que Dieu nous sache gré, c'est déjà ne plus lui savoir gré. Si notre Maître, c'est celui qui nous a rachetés et pardonnés, si c'est par sa grâce qu'il est devenu notre Maître, si de pouvoir le servir, c'est justement la grâce qu'il nous fait, se peut-il que nous songions à dépasser cette grâce, à faire plus que de lui rendre grâce, à faire autre chose que de lui dire merci. Il n'y a rien de plus important ni de plus simple. Est-ce que nous travaillons pour dire merci à Dieu ou pour qu'il nous dise merci ? Ou encore, y a-t-il dans notre travail une sorte de frontière telle qu'à un certain moment nous puissions quitter le merci que nous disons à Dieu pour entrer dans le merci que Dieu devrait nous dire.

Est-ce qu'en somme ce que nous pourrions appeler les heures supplémentaires de notre travail, ces fruits que nous portons hors de la saison, ne seraient pas, eux, utiles, c'est-à-dire sortant du cadre de la reconnaissance. Nous avons vu qu'il fallait briser tous les cadres, toutes les saisons, tous les compartiments pour obéir dans tous les domaines à tous les moments. Mais cette obéissance même pourrait-elle briser le cadre de la reconnaissance, nous élever jusqu'à un mérite ? Cette question nous paraît toute naturelle, et pourtant, le seul fait de la poser, c'est avoir déjà tout oublié, c'est avoir déjà sombré dans l'abîme de sa propre justice, c'est déjà mépriser la grâce, c'est déjà ne plus être devant Lui, ne plus savoir qui nous sommes et qui Il est. Car jamais tout le travail que Dieu nous demande, tout notre dévouement ne pourra être autre chose qu'un tout petit merci pour la bonté dont il use envers nous; jamais dans le temps et dans l'éternité, nous ne pourrons faire plus que de le louer pour sa grâce. Rien que supposer autre chose, rien que prétendre qu'il nous sache gré, c'est déjà s'exclure du Royaume de Dieu qui ne sera jamais qu'une louange du Seigneur. Dépasser la reconnaissance, c'est sortir du Royaume de Dieu. Tout effort de l'homme pour se faire louer de Dieu est un effort démoniaque, un effort inventé par l'homme. Car tout ce que Dieu nous demande, c'est de le louer. Si nous voulons, ne fût-ce qu'un peu, nous faire louer, nous cessons d'obéir. Prenons garde de ne jamais renverser les rôles, de ne jamais attendre de Dieu la louange qu'Il attend de nous. C'est si facile. Voyez comme le danger est proche, comme il faut veiller, et comme Luther avait raison de noter qu'il se cache dans nos coeurs un vilain moine qui veut toujours être justifié par ses oeuvres, un moine qui veut obliger Dieu par sa moinerie.

Avons-nous bien compris ? Le serviteur inutile, c'est celui qui ne peut pas dire à Dieu plus que : «Merci », et dont tout le service ne sert à rien d'autre qu'à exprimer ce merci, et qui jamais ne pourra savoir autre chose que ce merci, parce qu'il ne connaîtra jamais Dieu autrement que dans sa grâce. L'obéissance d'un chrétien est parfaitement inutile, tout aussi inutile que ce vase de parfum...

Tout ce qu'il fait, tout ce qu'il donne, ce n'est pas pour recevoir (ce qui serait utile), c'est pour rendre un tout petit peu... non, même pas. C'est seulement pour montrer qu'il a bien reçu, qu'il a tout reçu, qu'il a compris. C'est pour louer la grâce de son Maître. C'est donc strictement l'inutilité de notre service qui en fait un service chrétien, le service de Dieu et non pas d'une idole. C'est l'inutilité de notre obéissance qui en constitue l'unique valeur devant Dieu. C'est cette inutilité qui montre que notre obéissance est celle de la foi et non de l'incrédulité, qu'elle a pour fondement la grâce de Dieu et non la convoitise humaine. Cette inutilité marque l'obéissance qui prend naissance à la Table sainte.

Peut-être avez-vous jusqu'à aujourd'hui servi Dieu utilement, et pensé qu'il vous en savait gré. Nous n'avons qu'une chose à faire, c'est de nous convertir immédiatement, c'est-à-dire de chasser au loin cette utilité pour recevoir de la Table sainte le don parfait de Dieu, qui rendra notre service parfaitement inutile. Si vraiment nous recevons le Fils de Dieu, c'est-à-dire absolument tout ce que Dieu pourra jamais nous donner, il est impossible qu'en regard de ce don, à partir de cette grâce, notre vie devienne autre chose qu'un service inutile de toutes les parties de notre être et de tous nos instants.


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