Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'Intercession

Sur tes murailles, Jérusalem, j'ai placé des sentinelles; ni le jour, ni la nuit, jamais elles ne se tairont. 0 vous qui faites appel au souvenir de l'Eternel, ne prenez aucun repos. Ne lui laissez point de repos jusqu'à ce qu'il ait rétabli Jérusalem et qu'il en ait fait la gloire de toute la terre.

Esaïe 62. 6-7


C'est un rempart que notre Dieu ! Oui certes, la promesse que Dieu fait à son Eglise, que sa lumière et sa justice un jour éclateront sur toute la terre, cette promesse est l'invincible muraille qui garde Jérusalem contre tous les désespoirs, toutes les tentations et tous les déchaînements du monde. Nous sommes membres de l'Eglise du Christ, cela veut dire que nous habitons la cité à laquelle Dieu a déclaré : « Je me souviendrai de toi, je reviendrai vers toi, je te sauverai moi-même. Comme la fiancée fait la joie de son époux, tu feras la joie de ton Dieu. Souviens-toi seulement de ma promesse et attends-moi.» Pour le peuple qui la reçoit, cette promesse est un rempart absolument inébranlable mais non pas, prenons-y garde, le rempart de sa sécurité et de son sommeil. Ce n'est pas un rempart derrière lequel on s'endort et se repose. Et ceux qui font de la Parole de Dieu le refuge douillet de leur spiritualité s'exposent à un mauvais réveil. Ceux pour qui la Parole de Dieu est vraiment une muraille, ceux là sont postés dessus et non dormant derrière. Ceux-là crient et ne se taisent point. Ceux-là protestent et ne consentent pas.

Les hommes auxquels le Dieu trois fois saint a déclaré : «Je me souviendrai de toi », sont entraînés dans une singulière aventure. Par la puissance de cette promesse, par cette Parole qui les tient, ils sont postés aux frontières de l'Histoire, aux frontières du Monde. Ils sont devenus les sentinelles de l'Eternité, dans un monde qui semble bien avoir été à jamais oublié par l'Eternel. Ils font appel au souvenir de l'Eternel. Le Monde dort profondément, le monde souffre, le monde meurt derrière cette muraille; mais les sentinelles guettent, elles appellent, elles se passent l'une à l'autre le mot d'ordre, elles se rappellent l'une à l'autre la promesse. «Ni le jour, ni la nuit, jamais elles ne se tairont.» Ni le jour, ni la nuit, ni pendant la paix, ni pendant la guerre, ni durant les périodes de prospérité, ni durant celles de misères, ni dans le temps de la joie, ni dans le temps de l'épreuve. Jour et nuit, les sentinelles crient. Elles ont à crier de deux côtés, elles ont à combattre de deux côtés. Elles ont à se tourner vers les hommes pour leur parler de Celui qui vient, pour leur dire la Parole de Dieu: «Fils de l'Homme, dit Esaïe, je t'ai établi pour servir de sentinelle à la Maison d'Israël; écoute la Parole de ma bouche et avertis les Israélites de ma part!» Il y a ce combat-là pour les sentinelles, ce combat livré au sommeil des hommes, à leur sécurité, à leur injustice, au nom du Soleil de Justice qui va se lever bientôt. Nous aurons certes l'occasion de revenir sur ce côté de la bataille. Mais il n'est pas question de lui dans notre texte. Il est question de l'autre côté seulement, de l'autre front.

Les sentinelles crient, mais c'est vers Dieu. Elles sont tournées vers le jour qui se lève. Elles combattent, mais c'est avec celui qui tarde à venir et laisse encore son peuple dans la détresse. Certes l'Eglise est là pour empêcher les hommes de se reposer dans leur égoïsme, dans leurs turpitudes, dans leurs armistices. Mais elle est là tout autant pour empêcher Dieu de se reposer, de se retirer du monde, et de l'abandonner à son mensonge, à ses illusions, à ses violences. L'Église est là pour se battre contre le Monde, certes, mais tout autant pour se battre contre Dieu. Elle est là pour arracher les hommes à leur sommeil, mais tout autant pour arracher Dieu à son sommeil, et le sommeil de Dieu, c'est sa colère; c'est Dieu qui, dégoûté de nous, écoeuré de notre infamie, s'est détourné de nous et a cessé de s'occuper des affaires de ce monde. Oui, nous avons continuellement cette bataille à livrer, nous ne pouvons cesser d'être aux prises avec la juste colère de Dieu, ou alors nous sommes morts, nous sommes tombés dans le repos du monde. Ne prenez aucun repos; ne laissez à l'Eternel aucun repos. Cette bataille porte un nom, elle s'appelle l'intercession. C'est la bataille par excellence que Jésus est venu livrer et ne cesse de livrer pour nous devant la face de son Père. C'est la bataille qu'en Lui nous ne pourrons cesser de livrer nous-mêmes. Une Eglise qui intercède, c'est une Eglise aux prises avec son Seigneur, c'est une Eglise qui garde le contact, qui ne laisse pas Dieu se retirer: «Je ne te laisserai pas aller que tu ne m'aies béni», dit Jacob.

Mais que demandent au juste les sentinelles dans leur intercession ? « Ne lui laissez pas de repos jusqu'à ce qu'il ait fait de Jérusalem, la gloire de toute la terre ! » Qu'est-ce que cela veut dire Jérusalem, c'est l'Eglise. L'Eglise doit-elle vraiment demander cela ? N'est-ce pas d'une singulière présomption ? Evidemment, si nous n'avions pas compris d'où vient la gloire de l'Eglise et dans quel sens Dieu lui promet d'être la lumière du monde. Cette prière serait un comble d'orgueil s'il s'agissait tant soit peu d'une gloire venant de nous, et d'un rôle que nous aurions à jouer. Mais Jérusalem n'a pas d'autre lumière que celle de Jésus-Christ, pas d'autre justice que celle de Jésus-Christ, pas d'autre miséricorde que celle de Jésus-Christ. Demander que Jérusalem soit faite la Gloire de toute la Terre, c'est demander que Jésus-Christ soit glorifié sur toute la Terre, que sa grâce et sa justice soient connues, que toute la terre se soumette à sa volonté, et pas autre chose. L'Eglise n'est que la messagère, le support de cette lumière; aussi une telle demande, loin d'être présomptueuse, est au contraire la demande de l'humilité et de la charité. Car pour intercéder ainsi il faut que l'Eglise ait compris qu'elle n'est pas là pour elle-même, mais pour la Terre entière; qu'elle n'a droit à aucun repos avant que la terre entière soit entrée dans le repos de Dieu et soit soumise à Jésus-Christ. Cette lumière s'éteint quand elle veut la garder pour elle.

Ce sont là des paroles dures pour nous tous, et terribles, car nous sommes des paresseux qui ne songeons qu'à nous asseoir dans notre foi, à nous cantonner dans notre obéissance, à nous sentir bien à l'abri dans les murailles de Jérusalem, à chanter la justice de Jésus-Christ cependant que l'injustice se déchaîne au dehors, et à remercier Dieu de ce que nous ne sommes pas comme le reste de la Terre. Mais le prophète nous dit : «Point de repos avant que tout soit accompli. » Point de repos, ni pour toi, ni pour ton Dieu avant que Jésus-Christ ne gouverne toutes les nations.

Point de repos avant que toute larme ne soit séchée, que toute faim ne soit apaisée, que toute oppression ne soit ôtée, que tout orgueil ne soit détruit. Point de repos avant que la gloire de Jésus-Christ ne se dresse seule, incomparable, éternelle sur la poussière de nos idoles et de nos succès. Une foi qui consentirait à l'incrédulité des autres, ne serait plus la foi chrétienne. Une obéissance qui consentirait à la désobéissance des autres ne serait plus l'obéissance chrétienne. Une justice qui consentirait à l'injustice ne serait plus la justice de Jésus-Christ, la justice des justifiés. Renoncer à Jésus-Christ pour les autres, c'est y renoncer pour nous-mêmes.

Dès que nous prenons notre parti d'un mal qui se commet, dès que nous consentons à la raison du plus fort et à la détresse des plus faibles, dès que nous acceptons une paix fondée sur la violence ou un ordre social basé sur Mammon, ou sur l'oppression, ou sur la délation, nous prenons le repos défendu et nous laissons à Dieu le repos défendu, le repos que Satan souhaite, car un condamné ne souhaite qu'une chose, c'est que le juge prenne des vacances. Pendant que l'Eglise se repose et pendant que Dieu se repose, le Malin s'en donne à coeur joie et ravage la Création. Non, un croyant, une sentinelle ne peut pas prendre son parti de l'iniquité du monde et l'abandonner à la colère de Dieu, c'est-à-dire l'abandonner à son propre péché, l'abandonner au Malin. C'est pourquoi il ne renonce pas à la grâce de Dieu pour le Monde, il ne renonce pas à la vérité pour qui que ce soit et dans aucun domaine. Et pourtant le Malin le pousse sans cesse à y renoncer. Il tourne autour de lui en lui répétant : « Occupe-toi du salut de ton âme : c'est ton affaire. Quant à la politique, aux choses de la Terre, c'est mon affaire. Les journaux c'est mon affaire. L'honneur du pays, je sais mieux que toi ce que c'est. Il y a cent feuilles qui distillent le mensonge et la calomnie et empoisonnent l'âme de ce peuple, dis-tu. Qu'est-ce que cela peut te faire ? Cela ne t'empêchera pas de sauver ton âme, occupe-toi de tes affaires et laisse-moi la paix! Ici la Parole de Dieu, la gloire de Jérusalem, ici la Vérité et la Justice de Jésus-Christ ne passent pas!» - Mais intercéder, c'est supplier Dieu que sa lumière passe partout.

Je pense à cet ecclésiastique qui, il y a quelques mois, venait de prendre une décision politique grave et à qui l'on demandait: « Mais, monsieur, et la foi chrétienne là dedans ?» et qui répondait naïvement : «Eh, mon pauvre ami, ce n'est pas le moment d'y penser!» Le brave homme allait sans doute le lendemain au culte ou à la messe pour essayer de sauver son âme, car c'était alors le moment d'y penser (1).

Occupe-toi du salut de ton âme!

C'est un conseil que le Diable nous donne assez volontiers pour se débarrasser des chrétiens qui pourraient le gêner. Trouvez-vous que les prophètes, les apôtres, les Réformateurs s'occupent du salut de leur âme ? Pas le moins du monde. Ils ne s'occupent que d'une chose: faire de Jésus-Christ la gloire de toute la terre, la lumière de tous les moments des hommes. Par leur témoignage et par leur intercession, ils sont les sentinelles de Jérusalem, qui crient nuit et jour sur les remparts de la ville, et il n'y a point de repos pour eux, ni pour vous, ni pour Dieu, et il n'y a point de salut pour eux, ni pour nous, tant que la gloire de la Ville sainte n'a pas éclairé toutes les nations et renversé toutes les frontières que le Diable veut installer. Il n'y a ni repos ni salut jusqu'à ce que vienne le Seigneur pour prendre en mains le gouvernement du monde et faire de Jérusalem la gloire de toute la Terre. L'exaucement d'une telle prière et sa fin ne sauraient être autre chose que le retour de Jésus-Christ.

La grande tentation pour l'Eglise, c'est de se replier sur elle-même pour avoir la paix et prendre du repos, oubliant peu à peu l'indicible souffrance du monde qui oublie Dieu et que Dieu oublie. Aussi rien ne nous est plus salutaire qu'une vibrante intercession. Pour bien la faire, nous devons vraiment sortir de nous-mêmes, vouloir le salut du monde et intervenir en sa faveur auprès de Dieu. L'intercession, c'est l'acte de résistance absolue à la forme mauvaise de ce monde, et l'acte d'amour absolu pour ce monde que l'on veut arracher à la puissance des ténèbres, et dont on sait qu'il lui manque une seule chose, c'est de laisser tout pour suivre Jésus-Christ.

Oui, la tentation est forte de nous replier sur nous-mêmes en nous disant que nous n'y pouvons rien, que nous n'avons qu'à laisser faire! Nous pouvons toujours quelque chose. Nous pouvons toujours intercéder. Nous pouvons toujours parler de tout à Dieu, et faire appel à son souvenir, et arracher de ses mains son secours et son pardon et sa consolation pour tous ceux qui ne le connaissent pas. Nous sommes seuls à le pouvoir, et c'est pour cela que nous sommes dans l'Eglise. C'est pour cela que nous sommes des sentinelles sur les remparts de Jérusalem.

Ne prenez aucun repos ! Ne laissez pas de repos à Dieu jusqu'à ce que votre lumière soit celle de toute la terre, de tous les hommes sur la terre et de tous les moments des hommes sur la terre.


1) Il s'agit de ceux qui votèrent « oui » à l'assemblée de Vichy en été 1940.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant