L'Intercession
Sur tes murailles,
Jérusalem, j'ai placé des sentinelles; ni le jour, ni
la nuit, jamais elles ne se tairont. 0 vous qui faites appel au
souvenir de l'Eternel, ne prenez aucun repos. Ne lui laissez point de
repos jusqu'à ce qu'il ait rétabli Jérusalem et
qu'il en ait fait la gloire de toute la terre.
Esaïe 62. 6-7
C'est un rempart que notre Dieu ! Oui certes,
la promesse que Dieu fait à son Eglise, que sa lumière
et sa justice un jour éclateront sur toute la terre, cette
promesse est l'invincible muraille qui garde Jérusalem contre
tous les désespoirs, toutes les tentations et tous les
déchaînements du monde. Nous sommes membres de l'Eglise
du Christ, cela veut dire que nous habitons la cité à
laquelle Dieu a déclaré : « Je me souviendrai de
toi, je reviendrai vers toi, je te sauverai moi-même. Comme la
fiancée fait la joie de son époux, tu feras la joie de
ton Dieu. Souviens-toi seulement de ma promesse et attends-moi.»
Pour le peuple qui la reçoit, cette promesse est un rempart
absolument inébranlable mais non pas, prenons-y garde, le
rempart de sa sécurité et de son sommeil. Ce n'est pas
un rempart derrière lequel on s'endort et se repose. Et ceux
qui font de la Parole de Dieu le refuge douillet de leur
spiritualité s'exposent à un mauvais réveil.
Ceux pour qui la Parole de Dieu est vraiment une muraille, ceux
là sont postés dessus et non dormant derrière.
Ceux-là crient et ne se taisent point. Ceux-là
protestent et ne consentent pas.
Les hommes auxquels le Dieu trois fois saint a
déclaré : «Je me souviendrai de toi », sont
entraînés dans une singulière aventure. Par la
puissance de cette promesse, par cette Parole qui les tient, ils sont
postés aux frontières de l'Histoire, aux
frontières du Monde. Ils sont devenus les sentinelles de
l'Eternité, dans un monde qui semble bien avoir
été à jamais oublié par l'Eternel. Ils
font appel au souvenir de l'Eternel. Le Monde dort
profondément, le monde souffre, le monde meurt derrière
cette muraille; mais les sentinelles guettent, elles appellent, elles
se passent l'une à l'autre le mot d'ordre, elles se rappellent
l'une à l'autre la promesse. «Ni le jour, ni la nuit,
jamais elles ne se tairont.» Ni le jour, ni la nuit, ni pendant
la paix, ni pendant la guerre, ni durant les périodes de
prospérité, ni durant celles de misères, ni dans
le temps de la joie, ni dans le temps de l'épreuve. Jour et
nuit, les sentinelles crient. Elles ont à crier de deux
côtés, elles ont à combattre de deux
côtés. Elles ont à se tourner vers les hommes
pour leur parler de Celui qui vient, pour leur dire la Parole de
Dieu: «Fils de l'Homme, dit Esaïe, je t'ai établi
pour servir de sentinelle à la Maison d'Israël;
écoute la Parole de ma bouche et avertis les Israélites
de ma part!» Il y a ce combat-là pour les sentinelles, ce
combat livré au sommeil des hommes, à leur
sécurité, à leur injustice, au nom du Soleil de
Justice qui va se lever bientôt. Nous aurons certes l'occasion
de revenir sur ce côté de la bataille. Mais il n'est pas
question de lui dans notre texte. Il est question de l'autre
côté seulement, de l'autre front.
Les sentinelles crient, mais c'est vers Dieu.
Elles sont tournées vers le jour qui se lève. Elles
combattent, mais c'est avec celui qui tarde à venir et laisse
encore son peuple dans la détresse. Certes l'Eglise est
là pour empêcher les hommes de se reposer dans leur
égoïsme, dans leurs turpitudes, dans leurs armistices.
Mais elle est là tout autant pour empêcher Dieu de se
reposer, de se retirer du monde, et de l'abandonner à son
mensonge, à ses illusions, à ses violences.
L'Église est là pour se battre contre le Monde, certes,
mais tout autant pour se battre contre Dieu. Elle est là pour
arracher les hommes à leur sommeil, mais tout autant pour
arracher Dieu à son sommeil, et le sommeil de Dieu, c'est sa
colère; c'est Dieu qui, dégoûté de nous,
écoeuré de notre infamie, s'est détourné
de nous et a cessé de s'occuper des affaires de ce monde. Oui,
nous avons continuellement cette bataille à livrer, nous ne
pouvons cesser d'être aux prises avec la juste colère de
Dieu, ou alors nous sommes morts, nous sommes tombés dans le
repos du monde. Ne prenez aucun repos; ne laissez à l'Eternel
aucun repos. Cette bataille porte un nom, elle s'appelle
l'intercession. C'est la bataille par excellence que Jésus est
venu livrer et ne cesse de livrer pour nous devant la face de son
Père. C'est la bataille qu'en Lui nous ne pourrons cesser de
livrer nous-mêmes. Une Eglise qui intercède, c'est une
Eglise aux prises avec son Seigneur, c'est une Eglise qui garde le
contact, qui ne laisse pas Dieu se retirer: «Je ne te laisserai
pas aller que tu ne m'aies béni», dit Jacob.
Mais que demandent au juste les sentinelles
dans leur intercession ? « Ne lui laissez pas de repos
jusqu'à ce qu'il ait fait de Jérusalem, la gloire de
toute la terre ! » Qu'est-ce que cela veut dire
Jérusalem, c'est l'Eglise. L'Eglise doit-elle vraiment
demander cela ? N'est-ce pas d'une singulière
présomption ? Evidemment, si nous n'avions pas compris
d'où vient la gloire de l'Eglise et dans quel sens Dieu lui
promet d'être la lumière du monde. Cette prière
serait un comble d'orgueil s'il s'agissait tant soit peu d'une gloire
venant de nous, et d'un rôle que nous aurions à jouer.
Mais Jérusalem n'a pas d'autre lumière que celle de
Jésus-Christ, pas d'autre justice que celle de
Jésus-Christ, pas d'autre miséricorde que celle de
Jésus-Christ. Demander que Jérusalem soit faite la
Gloire de toute la Terre, c'est demander que Jésus-Christ soit
glorifié sur toute la Terre, que sa grâce et sa justice
soient connues, que toute la terre se soumette à sa
volonté, et pas autre chose. L'Eglise n'est que la
messagère, le support de cette lumière; aussi une telle
demande, loin d'être présomptueuse, est au contraire la
demande de l'humilité et de la charité. Car pour
intercéder ainsi il faut que l'Eglise ait compris qu'elle
n'est pas là pour elle-même, mais pour la Terre
entière; qu'elle n'a droit à aucun repos avant que la
terre entière soit entrée dans le repos de Dieu et soit
soumise à Jésus-Christ. Cette lumière
s'éteint quand elle veut la garder pour elle.
Ce sont là des paroles dures pour nous
tous, et terribles, car nous sommes des paresseux qui ne songeons
qu'à nous asseoir dans notre foi, à nous cantonner dans
notre obéissance, à nous sentir bien à l'abri
dans les murailles de Jérusalem, à chanter la justice
de Jésus-Christ cependant que l'injustice se
déchaîne au dehors, et à remercier Dieu de ce que
nous ne sommes pas comme le reste de la Terre. Mais le
prophète nous dit : «Point de repos avant que tout soit
accompli. » Point de repos, ni pour toi, ni pour ton Dieu avant
que Jésus-Christ ne gouverne toutes les nations.
Point de repos avant que toute larme ne soit
séchée, que toute faim ne soit apaisée, que
toute oppression ne soit ôtée, que tout orgueil ne soit
détruit. Point de repos avant que la gloire de
Jésus-Christ ne se dresse seule, incomparable,
éternelle sur la poussière de nos idoles et de nos
succès. Une foi qui consentirait à
l'incrédulité des autres, ne serait plus la foi
chrétienne. Une obéissance qui consentirait à la
désobéissance des autres ne serait plus
l'obéissance chrétienne. Une justice qui consentirait
à l'injustice ne serait plus la justice de
Jésus-Christ, la justice des justifiés. Renoncer
à Jésus-Christ pour les autres, c'est y renoncer pour
nous-mêmes.
Dès que nous prenons notre parti d'un
mal qui se commet, dès que nous consentons à la raison
du plus fort et à la détresse des plus faibles,
dès que nous acceptons une paix fondée sur la violence
ou un ordre social basé sur Mammon, ou sur l'oppression, ou
sur la délation, nous prenons le repos défendu et nous
laissons à Dieu le repos défendu, le repos que Satan
souhaite, car un condamné ne souhaite qu'une chose, c'est que
le juge prenne des vacances. Pendant que l'Eglise se repose et
pendant que Dieu se repose, le Malin s'en donne à coeur joie
et ravage la Création. Non, un croyant, une sentinelle ne peut
pas prendre son parti de l'iniquité du monde et l'abandonner
à la colère de Dieu, c'est-à-dire l'abandonner
à son propre péché, l'abandonner au Malin. C'est
pourquoi il ne renonce pas à la grâce de Dieu pour le
Monde, il ne renonce pas à la vérité pour qui
que ce soit et dans aucun domaine. Et pourtant le Malin le pousse
sans cesse à y renoncer. Il tourne autour de lui en lui
répétant : « Occupe-toi du salut de ton âme
: c'est ton affaire. Quant à la politique, aux choses de la
Terre, c'est mon affaire. Les journaux c'est mon affaire. L'honneur
du pays, je sais mieux que toi ce que c'est. Il y a cent feuilles qui
distillent le mensonge et la calomnie et empoisonnent l'âme de
ce peuple, dis-tu. Qu'est-ce que cela peut te faire ? Cela ne
t'empêchera pas de sauver ton âme, occupe-toi de tes
affaires et laisse-moi la paix! Ici la Parole de Dieu, la gloire de
Jérusalem, ici la Vérité et la Justice de
Jésus-Christ ne passent pas!» - Mais intercéder,
c'est supplier Dieu que sa lumière passe partout.
Je pense à cet ecclésiastique
qui, il y a quelques mois, venait de prendre une décision
politique grave et à qui l'on demandait: « Mais,
monsieur, et la foi chrétienne là dedans ?» et qui
répondait naïvement : «Eh, mon pauvre ami, ce n'est
pas le moment d'y penser!» Le brave homme allait sans doute le
lendemain au culte ou à la messe pour essayer de sauver son
âme, car c'était alors le moment d'y penser
(1).
Occupe-toi du salut de ton âme!
C'est un conseil que le Diable nous donne assez
volontiers pour se débarrasser des chrétiens qui
pourraient le gêner. Trouvez-vous que les prophètes, les
apôtres, les Réformateurs s'occupent du salut de leur
âme ? Pas le moins du monde. Ils ne s'occupent que d'une chose:
faire de Jésus-Christ la gloire de toute la terre, la
lumière de tous les moments des hommes. Par leur
témoignage et par leur intercession, ils sont les sentinelles
de Jérusalem, qui crient nuit et jour sur les remparts de la
ville, et il n'y a point de repos pour eux, ni pour vous, ni pour
Dieu, et il n'y a point de salut pour eux, ni pour nous, tant que la
gloire de la Ville sainte n'a pas éclairé toutes les
nations et renversé toutes les frontières que le Diable
veut installer. Il n'y a ni repos ni salut jusqu'à ce que
vienne le Seigneur pour prendre en mains le gouvernement du monde et
faire de Jérusalem la gloire de toute la Terre. L'exaucement
d'une telle prière et sa fin ne sauraient être autre
chose que le retour de Jésus-Christ.
La grande tentation pour l'Eglise, c'est de se
replier sur elle-même pour avoir la paix et prendre du repos,
oubliant peu à peu l'indicible souffrance du monde qui oublie
Dieu et que Dieu oublie. Aussi rien ne nous est plus salutaire qu'une
vibrante intercession. Pour bien la faire, nous devons vraiment
sortir de nous-mêmes, vouloir le salut du monde et intervenir
en sa faveur auprès de Dieu. L'intercession, c'est l'acte de
résistance absolue à la forme mauvaise de ce monde, et
l'acte d'amour absolu pour ce monde que l'on veut arracher à
la puissance des ténèbres, et dont on sait qu'il lui
manque une seule chose, c'est de laisser tout pour suivre
Jésus-Christ.
Oui, la tentation est forte de nous replier sur
nous-mêmes en nous disant que nous n'y pouvons rien, que nous
n'avons qu'à laisser faire! Nous pouvons toujours quelque
chose. Nous pouvons toujours intercéder. Nous pouvons toujours
parler de tout à Dieu, et faire appel à son souvenir,
et arracher de ses mains son secours et son pardon et sa consolation
pour tous ceux qui ne le connaissent pas. Nous sommes seuls à
le pouvoir, et c'est pour cela que nous sommes dans l'Eglise. C'est
pour cela que nous sommes des sentinelles sur les remparts de
Jérusalem.
Ne prenez aucun repos ! Ne laissez pas de repos
à Dieu jusqu'à ce que votre lumière soit celle
de toute la terre, de tous les hommes sur la terre et de tous les
moments des hommes sur la terre.