Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES COEURS PURS

- 1874 -
Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu

MATTH., V, 8.


Ils verront Dieu ! Quelle promesse magnifique que celle-là, mes frères! Se peut-il qu'un être aussi misérable, aussi souillé que l'homme, soit un jour appelé au privilège de voir Dieu, de contempler Celui qui est la source de la vie, Celui qui est la beauté et la sainteté mêmes ?... C'est dans le ciel que nous verrons Dieu. Mais comment ? Sera-ce des yeux de la chair ? Notre corps glorifié possédera-t-il quelque organe, quelque sens nouveau qui nous permettra de voir Dieu ? Ou bien y aura-t-il quelque part, dans l'immensité des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, je ne sais quelle lumière, quel éclat, quelle manifestation glorieuse, qui nous rendra sensibles la présence et la majesté du Très-Haut ? Non, mes frères, car Dieu est un pur esprit. Il habite et il habitera d'éternité en éternité une lumière inaccessible que nul homme n'a vue, ni ne peut voir.

Sera-ce alors des yeux de l'esprit que nous verrons Dieu ? Notre intelligence, affranchie des liens du péché et de la matière, nous permettra-t-elle de sonder la nature de Dieu, de découvrir quelque chose du mystère de son être ? Je crois qu'en effet nous pourrons soulever un coin du voile qui nous cache la personne divine; je crois que Dieu nous permettra d'avoir une notion plus exacte et plus complète de ce qu'il est, et de savoir moins imparfaitement prononcer son nom adorable. Mais jamais le voile ne sera entièrement levé; jamais Dieu ne se révélera à nous dans l'abîme de son Etre; jamais notre intelligence ne pourra saisir, embrasser, comprendre Celui qui n'a pas eu de commencement, Celui qui est l'Infini dans tous les sens. Un poète l'a dit:

Pour savoir ce qu'est Dieu, il faut être lui même.

Que veut donc dire cette expression : « Ils verront Dieu?» Un jour Moïse dit à l'Eternel: «Fais-moi voir ta face,» et l'Éternel lui répondit: « Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre; mais je ferai passer devant toi toute ma bonté » (Ex. XXXIII, 19, 20). - Quinze siècles plus tard, l'apôtre Philippe, exprimant ce même besoin profond de l'humanité de voir Dieu, disait à Jésus: « Montre-nous le Père et cela nous suffit. » - Et Jésus lui répondit: « Philippe, celui qui m'a vu, a vu le Père. Comment donc dis-tu : Montre-nous le Père ? »

Voir Dieu, voir le Père, c'est donc le contempler, non dans son essence, mais dans sa bonté, dans sa nature morale. Si Jésus-Christ a pu dire: « Celui qui m'a vu a vu le Père, » c'est qu'Il nous a révélé de Dieu tout ce que nous pouvons savoir de Dieu; il nous l'a montré non dans son essence, car en Jésus-Christ la divinité était cachée dans l'humanité; non dans sa toute-puissance, car Jésus-Christ a déclaré lui-même que ses disciples feraient de plus grandes choses que lui; non dans sa toute-science, car Jésus ne savait pas toutes choses; mais il nous l'a montré dans son amour et dans sa sainteté, c'est-à-dire dans les deux attributs qui constituent le fond même de sa nature morale.

Dieu est saint, c'est-à-dire séparé de tout ce qui est mal, absolument étranger à toute injustice et à toute souillure : c'est là le coté négatif de sa perfection. Et en même temps il est amour, c'est-à-dire qu'il veut constamment le plus grand bien de ses créatures, - qu'il appelle sans cesse de nouveaux êtres à la gloire et à la joie de l'existence, - qu'il est perpétuellement Créateur et Rédempteur : c'est là le coté positif de sa perfection.

Nous verrons Dieu, c'est-à-dire que l'amour et la sainteté de Dieu se découvriront un jour à nos regards dans leur plénitude et leur magnificence. Oui, nous contemplerons, au sein de la lumière éternelle, l'immensité des perfections morales et des compassions de Dieu. Nous les verrons éclater dans toutes ses oeuvres, dans la Création comme dans la Rédemption, dans les destinées de l'humanité comme dans notre propre vie, dans le monde qui nous est connu et sans doute aussi dans une multitude d'autres mondes dont nous n'apercevons ici-bas que le scintillement lointain. Tandis que maintenant nous ne voyons Dieu qu'à travers un verre obscur, comme dit saint Paul, nous le verrons un jour face à face ; l'absolue beauté se découvrira à nos regards et nous causera des ravissements dont nous ne pouvons nous faire aucune idée.

Ah ! mes frères, les paroles humaines sont impuissantes à décrire une pareille félicité, impuissantes même à nous la faire pressentir. Dieu est la vérité, la beauté et la sainteté parfaites. Quand vous avez pour la première fois compris une grande vérité, quand un rayon de lumière est venu pour la première fois vous révéler une des lois du monde physique ou du monde moral, - vous souvenez-vous de la joie qui vous a fait tressaillir dans les profondeurs de votre être ? Quand il vous a été donné de contempler une beauté exquise, soit dans la nature, soit dans un des chefs-d'oeuvre de l'art, vous souvenez-vous des transports et de l'enchantement de votre âme ? Ou bien enfin, quand vous avez pu admirer un grand acte de dévouement et d'héroïsme, un beau caractère, une vie vraiment noble et pure, - vous souvenez-vous de l'émotion qui vous a saisis, du bonheur que vous avez éprouvé? Eh bien, réunissez, si possible, dans une seule émotion, ces sentiments divers; rassemblez en un seul faisceau les joies que procure la vue de la vérité, de la beauté et de la sainteté ; prenez dans ces joies ce qu'elles ont de plus profond, de plus pur et de plus doux, - et dites-vous que ce que vous éprouverez en voyant Dieu sera une joie de même nature, - mais d'une intensité infiniment plus grande, et que cette joie remplira votre âme pendant l'éternité tout entière.

Nous verrons Dieu. Par là un des besoins les plus intimes de notre nature sera satisfait. Il ne l'est pas ici-bas. Nous ne voyons Dieu que confusément. Hélas! tant de choses nous cachent encore son amour et sa sainteté ! Il faut que nous marchions par la foi, non par la vue. Quand on regarde ce qui se passe sur la terre; quand on pense à toutes les infamies qui s'y commettent ; quand on songe à toutes les injustices, à toutes les lâchetés, à toutes les oppressions que chaque soleil, vient éclairer; et aussi à toutes les souffrances auxquelles tant d'innocents sont en proie, - on se surprend à penser : S'il y a un Dieu, pourquoi permet-il toutes ces iniquités? Pourquoi, puisqu'il est bon, ne, supprime-t-il pas toutes ces douleurs ? Puisqu'il est juste, pourquoi souffre-t-il toutes ces injustices ? C'est ce sentiment qu'a exprimé admirablement un grand poète de notre siècle, quand il s'est écrié:

Pourquoi donc, ô Maître suprême!

As-tu créé le mal si grand,

Que la raison, la vertu même,

S'épouvantent en le voyant.,

 

Comment, sous la sainte lumière,

Voit-on des actes si hideux,

Qu'ils font expirer la prière

Sur les lèvres du malheureux.

(MUSSET. L'Espoir en Dieu).

Non, nous ne voyons pas Dieu. Si nous affirmons qu'il est sage et qu'il est bon, c'est par cette foi qui est une démonstration des choses qu'on ne voit point. Mais le jour vient où tous les voiles seront levés, où la foi sera changée en vue, - où Dieu nous apparaîtra enfin dans toute la majesté de sa justice et dans toute la splendeur de sa bonté.

Nous verrons Dieu, mais à une condition, c'est que nos coeurs soient purs. La vue de Dieu, cette félicité suprême, n'est promise ni à l'intelligence, ni à la science, ni au génie, - mais à la pureté du coeur. C'est là, remarquez-le, une condition toute morale; il devait en être ainsi pour que tous les hommes pussent la remplir.

Remarquez aussi que cette condition n'est pas arbitraire, mais qu'elle est fondée sur la nature même des choses, sur la loi de toute connaissance. Quelle est cette loi ? C'est que le semblable est perçu par le semblable. Ainsi les objets matériels sont perçus par quelque chose de matériel comme eux, par nos sens; les lois de la géométrie ou de l'algèbre sont perçues par la raison; les charmes et les harmonies de la nature ou de l'art sont perçues par le sens du beau; les vérités du monde moral sont perçues par quelque chose de moral, par la conscience et par le coeur. Chaque ordre de connaissances a sa méthode particulière, - son organe spécial, - et cet organe est de même nature que l'objet qu'il s'agit d'atteindre. Si donc, comme nous l'avons dit, Dieu est amour et sainteté, c'est par ce qu'il y a en nous de semblable à lui, que nous pouvons le voir, c'est-à-dire par l'amour et la sainteté. Or ces deux choses sont Précisément ce qui constitue un coeur pur. Le mot pur exprime la sainteté, l'éloignement du mal; le mot coeur exprime l'amour.

Nous entendons généralement Par un coeur par, un coeur candide, que certaines souillures n'ont pas encore atteint, qui les ignore même, ou qui, les connaissant, n'en éprouve que du dégoût et de l'horreur; mais, dans la bouche du Sauveur, cette expression a un sens beau coup plus complet et plus profond. Il s'agit ici de la pureté absolue.

L'eau est pure, l'air est pur, quand ils ne contiennent aucun élément qui leur soit étranger; l'or est pur, quand le feu a consumé tout ce qui n'appartient pas à sa substance ; le diamant est pur, quand il ne renferme aucune parcelle, aucun atome de matière différente de la sienne. De même le coeur est pur, quand il est ce que Dieu a voulu qu'il fut, c'est-à-dire sa propre image; quand il n'aime que ce que Dieu aime et ne veut que ce que Dieu veut. Alors il reproduit, comme un miroir fidèle, l'image du Créateur. Semblable à un lac aux eaux paisibles et limpides, dans lequel se reflètent les magnificences d'un ciel étoilé, ~ le coeur pur réfléchit l'amour et la sainteté du Seigneur.

Hélas! ce coeur pur, où est-il? Qui le possède, L'avez-vous jamais rencontré? Vous avez contemplé avec bonheur le petit enfant dans son innocence; vous avez baisé avec attendrissement « ses petites mains joyeuses et bénies qui n'ont point fait mal encore; » mais dans cet être charmant, il y a déjà le germe du péché, et dans quelques jours, ce germe aura porté ses premiers fruits; pères et mères, vous avez suivi, d'un regard plein d'orgueil et de bonheur, la jeune fille qui grandissait à votre foyer, parée de toutes les grâces de son âge et de sa pureté ; mais, même dans ce chaste coeur, l'égoïsme, la vanité ou les convoitises du monde ont déjà mis bien dus souillures. Non, aucun coeur humain n'est pur aux yeux de Dieu, - et nous devons répéter avec l'auteur de Job :

« Voici, les étoiles ne sont pas pures à ses yeux; « Combien moins l'homme qui n'est qu'un ver; « Le fils de l'homme qui n'est qu'un vermisseau. » (Job, XXV, 5, 6.)

La promesse de Jésus-Christ dans mon texte est-elle donc trompeuse ? Cette parole n'est-elle donc destinée qu'à nous faire sentir notre impuissance et notre misère, en nous montrant le but que nous ne pouvons pas atteindre, le sommet glorieux que nous ne devons jamais gravir ? Non, mes frères, non, car ce que Jésus-Christ nous demande, il nous l'offre; ce qu'il réclame de nous, il nous le donne; les besoins que sa parole éveille en nous, il les satisfait. La pureté du coeur, nous pouvons l'obtenir par la foi en lui. Cette foi, en effet, nous unit à Jésus-Christ, l'être pur par excellence ; elle fait de nous une même plante avec lui, et nous rend ainsi participants de sa sainteté et de sa vie. Nous rencontrons ici, sous une forme particulière, la grande doctrine de la grâce qui remplit tout l'Évangile. La pureté du coeur est tout entière dans la foi comme la plante dans son germe; cette foi, parce qu'elle nous unit à Jésus-Christ, est le principe, le moyen de notre transformation, le canal par lequel l'Esprit de Jésus-Christ se répand dans notre âme. Et si nous devons un jour être reçus en présence de Dieu avant d'avoir atteint la sainteté parfaite, c'est à cause de Jésus-Christ en qui nous nous trouvons par la foi, - et qui représente devant Dieu l'humanité croyante toute entière.

Nous ne verrons Dieu, nous ne serons assis avec Abraham, Isaac et Jacob, au banquet céleste, que si nous sommes revêtus de la robe blanche des rachetés, - que si nous sommes couverts et cachés sous le royal manteau des justices et des vertus du Sauveur. «Ceux qui sont vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où sont-ils venus?- Ce sont ceux qui sont venus de la grande tribulation, et qui ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau. » (Apoc. VII, 13, 14.)

Nous verrons Dieu dans le ciel, et nous venons de dire comment et à quelle condition.

Mais la promesse du Sauveur dans mon texte commence à se réaliser dans une certaine mesure sur la terre. Oui, déjà ici-bas, les coeurs purs voient Dieu, ce Dieu qui est présent partout et qui se révèle autour de nous de tant de manières. Je veux dire que le sens du divin, l'intelligence des choses saintes, appartient avant tout aux coeurs purs, - en vertu de cette loi dont nous parlions tout-à-l'heure qui fait que le semblable est perçu par le semblable. -

Dieu est vérité, et, comme tel, il se révèle surtout dans sa parole, dans l'Evangile. Eh bien, je dis d'abord que ce sont les coeurs purs qui savent le mieux l'y découvrir. Ni la science, ni l'intelligence ne suffisent pour sentir la divinité du Christianisme. Il faut avoir un coeur sincère, qui cherche sérieusement le bien et le vrai. « Je te loue, 0 Père, s'écriait un jour Jésus-Christ, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. » - Aux enfants, c'est-à-dire aux coeurs purs. On l'a souvent dit, mais il importe de le répéter : il y a un rapport intime entre l'intelligence des choses divines et les dispositions du coeur. Ce sont les Nathanaël, les âmes droites et sincères qui vont à Jésus-Christ, qui sentent sa grandeur et son autorité. Ceux qui sont de la vérité entendent sa voix.

D'où vient que tant d'hommes instruits, intelligents, ne reconnaissent pas dans le Christianisme une doctrine divine et par conséquent une autorité? Quelques-uns sans doute peuvent être arrêtés par les difficultés que la foi présente à la raison; mais la plupart ne sont pas convaincus parce qu'ils ne veulent pas l'être, - et qu'alors ils n'examinent pas même sérieusement les preuves du Christianisme, ou qu'ils s'arrêtent non sur ce qui pourrait les persuader, mais sur ce qui leur parait inacceptable. La foi est essentiellement un fait moral, une détermination de la conscience, un élan du coeur. S'il n'en était pas ainsi, elle ne pourrait pas nous être commandée comme un devoir, et l'Écriture ne nous déclarerait pas que l'incrédulité vient de l'endurcissement du coeur. Les vérités de l'ordre moral et religieux ne nous sont pas indifférentes; elles nous lient, elles nous obligent, elles veulent régler notre vie. Pour les accepter, il faut donc consentir à se laisser gouverner par elles; sans ce consentement préalable qu'un coeur pur peut seul donner, on cherche toutes les raisons possibles pour les rejeter, etl'on ne manque pas d'en trouver. Un coeur charnel a tout intérêt à ce que la Bible ne soit qu'un tissu de fables ou de légendes, et Jésus-Christ un pauvre pécheur comme vous et moi. Les idées dépendent plus qu'on ne pense des inclinations, des désirs, et en général de l'état moral de l'homme. «L'intelligence est vénale; elle fournit des prétextes à toutes les convoitises du coeur.» (Luthardt). Si personne ne doute des vérités mathématiques, c'est que personne n'a intérêt à en douter. Un audacieux philosophe du siècle dernier, Fichte, a été jusqu'à faire cet aveu : « Nos systèmes ne sont bien souvent que l'histoire de notre coeur. Toutes mes convictions, ajoute-t-il, sont déterminées par mon caractère, et non par ma raison. C'est en améliorant son coeur qu'on arrive le plus sûrement à la vraie sagesse. »

Oui, améliorer son coeur, c'est épurer l'oeil intérieur. Travaillez donc à vous sanctifier si vous-voulez comprendre la vérité chrétienne et y faire des progrès. Plus vous vous rapprocherez de l'idéal moral, plus vous vous rapprocherez de Jésus-Christ, en qui il s'est incarné. Développez en vous la puissance d'aimer, élargissez votre coeur, cherchez le bonheur dans l'oubli de vous-mêmes, dans le dévouement, - et vous comprendrez toujours mieux les pensées et les actes de celui qui est amour. Purifiez votre coeur de toute souillure, de tout sentiment bas et mesquin, - et vous verrez toujours plus distinctement celui qui est la sainteté même. « Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. »

Ils le verront aussi dans la nature, car il se révèle dans le monde extérieur. « Les perfections invisibles de Dieu, dit saint Paul, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l'oeil depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. » (Rom. I, 20).

La nature ne tient pas le même langage tous. Ce langage n'est le plus souvent que l'écho de la parole que nous entendons dans le fond de nous-mêmes. Nous voyons la nature à travers nos impressions personnelles, - nous lui prêtons les sentiments qui nous animent. Ayez en présence de la nature des sentiments purs et délicats, et la nature vous dira : Je suis divine, je suis l'enfant de Dieu, écoute le chant d'amour que je fais monter vers lui. Ayez au contraire l'âme remplie de convoitises et de mauvaises passions, la nature ne vous tiendra plus le même langage, elle sera dangereuse pour vous, elle donnera plus d'intensité au mal qui est en vous. Les jouissances qu'elle nous procure sont de l'ordre le plus élevé, ou bien elles sont inférieures et sensuelles, selon que notre coeur est attaché aux choses d'en haut. ou aux choses d'en bas. La nature ne nous laisse pas indifférents : elle si belle! elle est remplie de tant d'harmonies! Sous ses aspects ou sévères ou gracieux, elle remue si profondément notre âme ! mais, je le répète, le spectacle de ses beautés est corrupteur ou bienfaisant, il nous élève ou nous abaisse, suivant les dispositions dans lesquelles nous nous trouvons quand nous le contemplons.

Qui de nous n'en a fait plus d'une fois l'expérience ? Rappelez-vous les heures de solitude et de recueillement que vous avez passées en présence de la nature, et. dites-moi si ces heures n'ont pas été d'autant plus douces et plus bénies que votre coeur était mieux disposé ? Quand la nature vous a-t-elle dévoilé ses secrets les plus intimes ? Quand vous a-t-elle parlé de la présence et de la bonté du Père céleste? Quand vous a-t-elle consolés et fortifiés ? Est-ce quand votre coeur était rempli de pensées malsaines, ou troublé par de mauvaises convoitises ? Non, non, c'est quand il était pur. L'âme ravagée par la sensualité, par la haine ou par de coupables ambitions, n'entend pas la voix de Dieu dans la nature ; cette voix est couverte par la passion. Le temple est toujours là, mais le Dieu qui l'habite n'y révèle plus sa présence; les cieux sont toujours là avec leur brillante armée, mais ils ne racontent Plus la gloire du Dieu fort et l'étendue ne donne plus à connaître l'ouvrage de ses mains; toutes les grâces, toutes les splendeurs, toutes les harmonies aimables ou grandioses de la nature sont là, mais les harpes invisibles ne font plus entendre un cantique d'amour et d'adoration. Il faut du calme, le calme d'un coeur pur, pour comprendre la nature. « L'âme agitée par la passion se nourrit d'elle seule en se dévorant. Mais plus on a travaillé sur soi-même pour se purifier, plus on a cultivé dans son âme la beauté morale, - plus aussi la nature est riche, profonde, divinement éloquente pour celui qui vient chercher auprès d'elle la consolation ou l'apaisement. » (Vinet).

La nature a occupé une grande place dans les pensées et dans les enseignements de notre Sauveur. Elle était pour son coeur absolument pur une révélation continuelle de Dieu, un livre constamment ouvert, qui lui parlait de la. sagesse et de la bonté du Père; elle était pour lui comme un miroir limpide où se réfléchissait le monde moral. Aucun homme n'a eu un sentiment aussi juste et aussi profond de la nature que Jésus-Christ. Les oiseaux de l'air, le lis des champs, les moissons, le vent, tout dans le monde extérieur lui parlait des réalités spirituelles, et lui fournissait, pour les exprimer, de vivantes images.

Revêtons-nous de l'esprit de Jésus-Christ, et la nature non-seulement aura pour nous tous ses charmes, mais elle exercera sur notre âme l'influence bénie qu'elle est destinée a exercer ; sa voix puissante et douce nous racontera la grandeur et la bonté de notre Dieu, et elle contribuera ainsi au développement de notre foi et de notre piété.

Dieu est vérité, et il se révèle dans l'Évangile; Dieu est beauté, et il se révèle dans la nature. Disons enfin qu'il est sainteté, - et qu'il se révèle au sein de l'humanité par tout ce qui est empreint de noblesse, de bonté et de grandeur morale.

Voir Dieu, c'est donc encore découvrir son image en l'homme, - c'est savoir discerner chez nos semblables ce qui est divin; c'est apercevoir, au milieu des ruines et des misères de la nature humaine, ce que cette nature a conservé de noble et de bon..

Heureux ceux qui savent ainsi voir le bien chez leurs semblables ! Il y a là une source de vives jouissances. Malheureusement ces jouissances sont rares. Que de gens s'en vont à travers la vie, se plaignant sans cesse de tout le 'monde' et de toutes choses ! A les croire, ils n'auraient rencontré partout que perfidie et corruption, qu'ingratitude chez les pauvres, qu'orgueil et, égoïsme chez les riches. On décore souvent ce pessimisme du nom d'expérience et de sagesse. Pauvre sagesse que celle qui inspire le mépris de l'humanité, ou dégénère en un scepticisme railleur ! Je ne connais rien de plus triste, rien qui dessèche davantage le coeur, que cette disposition a ne voir que le mal chez les autres et dans le monde.

Ce n'est pas dans les coeurs vraiment purs qu'on rencontre cette disposition. Ah ! sans doute la vertu inspire l'horreur du mal, mais l'horreur du mal n'est pas toujours en raison directe de la sévérité des jugements. Voyez Jésus-Christ ; nul assurément n'eut une plus grande aversion pour le mal ; nul non. plus n'en connut mieux l'étendue et les ravages ; et cependant jamais Jésus-Christ ne méprisa les hommes, jamais il ne désespéra des plus grands pêcheurs. Ceux qui soupçonnent et découvrent partout le mal ; ceux qui sont portés à attribuer des motifs bas et mesquins à toutes les actions, donnent une triste idée de leur propre coeur. Car, on l'a remarqué mille fois, ce que nous découvrons le plus promptement et le plus sûrement chez les autres, ce sont les péchés dans lesquels nous tombons le plus souvent nous-mêmes. Celui qui suspecte ordinairement l'hypocrisie chez les autres ne doit pas avoir lui-même beaucoup de franchise ; celui qui ne voit que souillure dans les pensées et dans les actes du prochain ne doit pas avoir lui-même un coeur bien pur.

Au contraire, une âme honnête, simple et droite, - voit le bien partout où il se manifeste. Elle le voit, parce qu'elle veut le voir, parce qu'elle le cherche, parce qu'elle l'aime, parce que sa plus grande joie est de le découvrir. - Toutes choses sont pures, dit saint Paul, a ceux qui sont purs; et cela est vrai, non-seulement des choses, mais des personnes. Un coeur pur purifie tout autour de lui il attire à lui tout ce qui lui est semblable, comme l'aimant attire les parcelles du fer. Il y a autour de certaines personnes une telle auréole de pureté ; dans certaines âmes, une telle délicatesse de sentiments, qu'en leur présence les natures les plus vicieuses, les gens les plus pervertis en sont comme purifiés; le mal qui est en eux, est refoulé, il n'ose se montrer, tandis qu'au contraire, tout ce qu'ils ont encore d'honnête et de bon se manifeste au dehors. Ainsi le coeur pur devient un foyer d'attraction pour ce qui est pur comme lui, et une force de répulsion pour ce qui est impur. Tel fut Jésus-Christ. La vertu qui rayonnait de son caractère et de toute sa personne faisait en quelque sorte sortir de tous ceux qui l'approchaient ce qu'il y avait de meilleur en eux. Il en a été de même, à des degrés divers, de tous ceux qui ont marché sur ses traces et se sont pénétrés de son esprit. Il y a des chrétiens dont l'aspect seul est bienfaisant; il y a des âmes dont le rayonnement est sanctifiant; il y a des regards tellement limpides qu'on n'oserait avoir devant eux des pensées basses ou impures. Purifiez donc votre coeur, - et vous verrez ce qui est pur, ce qui est noble, ce qui est divin chez les autres, - parce que vous le forcerez de se produire au dehors. Ayez un coeur aimant et large et vous verrez vos semblables à la lumière de votre charité, non point dans ce qu'ils ont de mauvais, mais sous leurs grands côtés. Avez-vous remarqué les éloges que saint Paul ne manque jamais d'adresser aux Églises auxquelles il envoie ses épîtres? Il y avait beaucoup de mal, beaucoup de petitesses, beaucoup de misères dans ces Églises, il ne l'ignore pas; il voit toutes ces misères,- il les signale, il les flétrit avec sévérité; mais comme son grand coeur sait voir aussi le bien ! Comme il découvre tous les progrès de ses frères ! Comme il s'en réjouit ! avec quelle promptitude il se plaît à les remarquer et à en bénir Dieu !

Cultivons cette disposition qui, je le répète, est la source de tant de joies. Cultivons-la, lion pas en nous mettant volontairement un bandeau sur les yeux, et en nous refusant à constater le mal, - mais en nous rendant toujours plus capables, par la pureté et l'élévation de nos sentiments, de découvrir le bien partout où il se montre ou seulement s'essaye. Nous exercerons ainsi partout où nous passerons une influence aimable et bienfaisante. Nous porterons sur tout et sur tous, non point un jugement sévère, un regard attristé, un sourire dédaigneux, mais un regard bienveillant, sympathique et encourageant ; Dieu sera avec nous, et si j'ose ainsi dire, nous l'apporterons partout avec nous.

Tel est le bonheur des coeurs purs. Ce bonheur est-il le notre? Verrons-nous Dieu dans les demeures de la gloire éternelle ? Aurons-nous en partage cette félicité suprême de nous approcher du Seigneur, de vivre près de lui, de contempler ses perfections et sa beauté? Et déjà ici-bas, voyons-nous Dieu, sentons-nous sa présence dans sa parole, dans la nature et dans l'humanité ?

Ah! mes frères, faisons tous nos efforts pour obtenir un tel bonheur. Il ne vaut pas la peine de vivre pour autre chose. Travaillons avec persévérance, avec sincérité, à la purification de notre coeur, et pour cela, veillons et prions; - ne nous contentons pas de la pureté extérieure ; - éloignons-nous de tout ce qui peut souiller notre âme; - veillons sur l'homme intérieur, sur nos pensées, sur nos sentiments, sur nos dispositions habituelles. Et surtout, vivons en communion intime avec Jésus-Christ , avec le seul bon et le seul pur. Nous l'avons dit, c'est par la foi en lui que nous nous pénétrerons de l'esprit qui l'a animé, que nous croîtrons dans la sanctification, que nous lui deviendrons chaque jour plus semblables, - et que nous atteindrons dans un monde meilleur, la stature de l'homme parfait.


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