Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PATIENCE

- 1874 -
Possédez vos âmes par votre patience.

Luc; XXI 19.


Possédez vos âmes. N'est-ce pas, au premier abord, une étrange recommandation que celle-ci.? Qu'y a-t-il qui soit davantage à nous que notre âme? Nous ne pouvons pas toujours librement disposer de notre corps : ce corps appartient au monde matériel et il est soumis à toutes ses lois; nous ne pouvons pas le soustraire aux accidents, aux maladies, à la décadence et à la destruction. Nous ne pouvons pas non plus* le soustraire toujours à la violence de nos semblables. Mais l'âme n'échappe-t-elle pas, par son essence qui est spirituelle, à tous ces esclavages? N'en avons-nous pas toujours la possession? Ne sommes-nous pas maîtres de nos pensées, de nos sentiments et de nos déterminations ?

Eh bien, non, mes frères, nous n'en sommes pas naturellement les maîtres. Cette âme qui est nous-même, nous échappe de mille manières; elle est la proie la plus disputée; elle est le champ de bataille où les puissances les plus redoutables sont aux prises, et la vie humaine se résume tout entière dans une lutte tragique dont l'âme est le prix. Ces puissances rivales qui se disputent notre âme, ce sont celles de la vérité contre celles de l'erreur et du mensonge, celles du bien contre celles du mal, celles de la souffrance et de la mort contre celles de la joie et de la vie. Donnons aux adversaires leurs vrais noms : c'est Dieu d'une part, c'est Satan de l'autre. L'âme qui s'appartient, c'est celle qui fait pencher la victoire du côté de Dieu; se posséder soi-même, c'est se livrer à la vérité et au bien. La victoire de Dieu dans l'âme, c'est l'affranchissement, c'est la liberté !

Est-il besoin de le dire devant un auditoire chrétien ? Cette liberté intérieure ne nous est pas naturelle : nous naissons esclaves. L'esclavage est la condition de tout homme qui n'est pas régénéré. Croyons-en là-dessus l'humiliant aveu de l'apôtre Saint-Paul, qui n'est autre que' celui de la conscience humaine dans tous les temps. « Je ne fais pas, s'écrie-t-il, le bien que je voudrais, mais je fais le mal que je ne voudrais pas. Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l'homme intérieur, mais je vois une autre loi dans mes membres qui combat contre la loi de mon esprit et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Misérable que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort? » (Rom., VII, 19 à 24-)

Nous ne devons pas rester sous cet esclavage; nous devons lutter contre tout ce qui asservit notre âme, contre tout ce qui nous là ravit; au fond, l'oeuvre de notre salut, le travail de notre sanctification, consiste à prendre et à reprendre sans cesse possession de nous-mêmes. L'enfant de Dieu, le racheté de Jésus-Christ peut seul y réussir. « C'est la loi de l'Esprit de vie qui est en Jésus-Christ, » pour emprunter encore le langage de saint Paul, « qui nous affranchit de la loi du pêche et de la mort. » (Rom., VIII, 2. Mais en dehors de cette grande victoire qui pré cède et qui permet toutes les autres, et qui s'appelle la conversion, il y a encore pour le chrétien bien des combats à livrer. Il ne peut posséder son âme que par une vigilance continuelle, car l'ennemi rode sans cesse autour de lui, cherchant' à pénétrer dans cette âme et à s'en emparer. Heureux celui qui reste vainqueur, c'est-à-dire libre! Il *a la vraie grandeur, selon cette belle parole des Proverbes : « Celui qui est maître de son coeur est plus grand que celui qui prend des villes. »

Mes frères, ce ne sont pas seulement les passions qui nous ôtent la possession de nous-mêmes, c'est la douleur sous toutes ses formes : la souffrance physique, l'inquiétude, la tristesse, la vue de l'injustice. Sous l'empire de ces influences diverses, l'âme perd facilement la domination d'elle-même. Son jugement s'obscurcit, son énergie s'éteint, sa foi se trouble, sa sérénité l'abandonne, ses espérances s'évanouissent, - et elle risque de tomber dans un état d'irritation ou de découragement qui la livre désarmée aux assauts du Tentateur. Comment résister victorieusement à ces influences diverses et rester maître de soi-même? Par la patience, nous dit Jésus-Christ. Possédez vos aines par votre patience.

La patience, le mot l'indique, c'est la faculté de souffrir, - mais elle n'est pas une vertu purement négative, comme on pourrait le croire : elle ne consiste pas uniquement à subir en silence les coups du malheur, à s'offrir. en victime résignée aux rigueurs de l'adversité, à se courber sous la main de fer des événements, dans le sentiment qu'on n'a rien de mieux à faire, qu'il est inutile de C'est là la patience, telle que l'enseignaient et la pratiquaient les stoïciens.

Elle n'est pas sans grandeur assurément, - mais elle endurcit l'âme, elle l'enorgueillit, et ne la soustrait ainsi à un esclavage que pour la soumettre à un nouveau. La vraie patience, la patience chrétienne, est active. Elle développe toutes les énergies de l'âme, - elle ne supporte pas seulement la souffrance, elle la porte. Elle n'abîme pas l'âme dans une résignation morne, stupide et aveugle : elle fait appel à toute sa foi et à tout son amour ; elle ne nous roidit pas contre l'épreuve: elle nous adoucit sous l'épreuve et nous donne de l'accepter de bon coeur.

Le rôle de la patience est immense dans la vie, - immense hélas! comme la douleur. N'avez-vous pas été souvent frappés de la somme de patience qui est nécessaire dans la plupart des existences humaines? Voyez, par exemple, dans le domaine des choses matérielles, que de patience il faut apporter dans le travail. Sous sa forme moderne, le travail de l'ouvrier est tout autre qu'autrefois. La production s'est tellement développée qu'il a fallu introduire dans l'industrie le principe de la division du travail. La confection du plus petit objet est l'oeuvre, non plus d'une seule main, mais souvent d'une centaine. Un ouvrier ne fait qu'une seule des pièces qui composent l'objet ; aussi la fait-il plus vite et mieux qu'autrefois. Mais quelle monotonie écrasante dans ce labeur incessant et rapide ! Combien le travail est devenu machinal, dénué d'intérêt, abrutissant! Vous avez visité quelquefois les immenses ateliers ou filatures de l'industrie moderne, où des milliers d'ouvriers ou d'ouvrières sont à l'oeuvre du matin au soir. Chacun est là à son poste, penché sur la même machine, faisant les mêmes mouvements, surveillant les mêmes rouages, et cela tous les jours, pendant des années, pendant la vie tout entière, - si bien que l'homme finit par devenir comme un rouage inconscient de la machine qu'il a devant lui. Quelle souffrance dans ce travail ingrat, souvent peu rémunérateur! Et que de patience il faut pour en supporter le poids !

Le travail intellectuel est soumis à cette même loi de la patience. La science ne s'acquiert qu'au prix de longs efforts , d'un incessant labeur.

Quand on lit l'histoire de ces découvertes merveilleuses qui, appliquées à l'industrie, nous procurent aujourd'hui tant de jouissances, on est confondu d'admiration devant la patience d'investigation, de recherches, d'essais sans cesse renouvelés, qui a été nécessaire pour arriver à ces découvertes. On ne l'est pas moins à la vue des gigantesques travaux littéraires ou philosophiques des moines du moyen âge. Leur patience a élevé de véritables monuments d'érudition qui ont préparé le grand mouvement de la Renaissance et de la Réformation. Oui, la patience est l'âme de l'étude, et l'on a été jusqu'à dire, avec un peu d'exagération peut-être, qu'elle est le nom même du génie.

Si les oeuvres de la patience sont admirables dans le domaine matériel' et dans le domaine intellectuel, elles le sont plus encore dans le domaine moral. La patience a été un des traits saillants du caractère de notre Sauveur, une des marques les plus authentiques de sa grandeur morale. L'apôtre saint Pierre nous exhorte à souffrir avec patience en nous proposant l'exemple de Jésus-Christ : « Lui, nous dit-il, qui lorsqu'on lui disait des outrages n'en rendait point, et qui, lorsqu'on le maltraitait, ne faisait point de menaces, mais se remettait à celui qui juge justement. » (I Pierre, 1, 23.)

La patience du Maître s'est retrouvée dans ses disciples fidèles de tous les temps. Elle a éclaté surtout à l'époque des persécutions. Elle a été la force de l'Église naissante, elle a été l'arme invincible qui lui a donné la victoire sur le monde. Par elle, les martyrs ont lassé leurs bourreaux, changé leur acharnement en compassion, leur haine en admiration, et souvent leur incrédulité en foi. Oui, dans la patience, dans la faculté de tout souffrir avec amour, il y a un courage tranquille qui domine les Plus superbes résistances de l'orgueil ou de la vengeance; il y à une douceur qui subjugue toutes les colères; il y a une majesté sereine qui impose à toutes les violences.

Cette faculté de souffrir n'est pas seulement nécessaire à l'enfant de Dieu dans des circonstances exceptionnelles, aux époques de crise et de persécution, elle lui est nécessaire - qui ne le sait ? - dans la vie de tous les jours, au milieu des circonstances les plus ordinaires. Elle est au nombre de ces vertus domestiques dont l'exercice doit être continuel. Sans parler en effet de ces mille contrariétés et de ces mille soucis inhérents à une existence aussi fragile et aussi compliquée que la nôtre, et qui touche par tant de côtés à la souffrance, la société de nos semblables, de ceux même que nous aimons le plus, - n'est-elle pas parfois un exercice de patience ? Hélas oui, il faut supporter les défauts du caractère, les brusqueries, les manques d'égards les petits froissements, quelquefois des paroles dures ou injustes, quelquefois des fautes graves. Aussi la patience est-elle une des pierres angulaires du bonheur domestique. Sans elle la vie de famille n'aurait ni charme ni douceur, et elle pourrait devenir parfaitement. insupportable.

La joie du foyer est une plante délicate qui demande des soins assidus et qui ne petit croître et se développer qu'au doux soleil dune affection réciproque, pleine de support, de bonté et de patience. C'est avec patience que tout doit être accepté et conduit dans une famille chrétienne; avec patience que la femme doit se plier aux exigences multiples, aux soins sans cesse renaissants, à l'activité prévoyante et infiniment diverse que réclame la sage direction de sa maison; avec patience que le mari doit vaquer à son travail souvent monotone. et assujettissant ; avec patience que tous deux doivent s'occuper de l'éducation des enfants. J'aurais bien des choses à dire sur ce dernier point; je crois que c'est vis-à-vis de nos enfants surtout qu'il importe de posséder nos âmes par notre patience. « Pères, n'aigrissez pas vos enfants, » nous dit la parole de Dieu. Ah! comme nous avons besoin de nous rappeler ce précepte dans nos rapports avec nos enfants! Que de fois dans nos paroles ou dans nos actes, nous nous laissons aller à des impatiences ou à des vivacités qui nous rendent injustes et qui diminuent notre autorité! La patience est bonne partout; elle est la goutte d'huile, qui adoucit tous les frottements, qui facilite tous les mouvements et qui, chose essentielle , supprime beaucoup de bruit. Pénétrez dans un intérieur où chacun se laisse aller à son impatience naturelle sous prétexte qu'on n'a pas à se gêner vis-à-vis des siens, - et vous verrez combien souvent l'impatience y dégénère en irritation et en aigreur. Vous y sentirez quelque chose de contraint et de tendu ; vous y entendrez des plaintes et des récriminations. - S'aime-t-on dans un pareil intérieur 5 C'est possible; mais en tout cas on n'y est pas heureux comme on pourrait l'être, car le bonheur du foyer domestique est fait de paix et d'harmonie.

Dans ce que nous avons dit jusqu'à présent, et dans les applications que nous avons faites au travail et à la famille, nous vous avons montré qu'être patient, c'est savoir supporter. J'ajoute maintenant : c'est savoir souffrir. Savoir souffrir ! Grande et difficile leçon que nous avons tous, hélas! ou que nous aurons tous à apprendre. Eh bien, il y a trois choses qui peuvent nous enseigner à souffrir avec patience.

Il y a d'abord la pensée de la brièveté du temps. « Tout ce qui finit est bien court », a-t-on dit. Cela est vrai. Si le temps est rapide pour nos joies, il l'est aussi pour nos épreuves:

Encore quelques jours sur la terre,

Encore quelque peu de misère,

comme dit un de nos cantiques, - et nous serons recueillis, si nous sommes enfants de Dieu, dans un monde meilleur. Et que sont les souffrances du temps présent comparées au poids éternel de gloire qui nous attend là-haut? Ah! ce qui est affreux, c'est de souffrir quand on n'a pas d'espérance, quand on n'a pas la certitude d'habiter un jour la patrie céleste. Mais nommez-moi une douleur, un deuil, une amertume, - que la foi en une vie éternelle et bienheureuse ne puisse adoucir, et qu'elle n'aide par conséquent à supporter avec patience. - 0 vous qui souffrez, vous qui pleurez, comptez les quelques jours qui vous séparent des rassasiements de joie qui vous sont réservés à la droite de Dieu, et reprenez courage! Si nous vivions davantage en présence de l'éternité, avec cette pensée qui n'a rien d'exagéré, que nous y touchons, qu'un rien nous en sépare, que nous nous en rapprochons tous les jours plus rapidement; que demain, ce sera la délivrance, demain la joie, demain le revoir de ceux qui nous ont devancés, - je vous le demande, est-ce que nous serions si prompts au murmure? - est-ce que nous ne serions pas patients ?

En second lieu, il faut nous dire que nos épreuves, quelque douloureuses qu'elles soient, sont méritées, - et que si Dieu nous traitait selon nos iniquités, nous souffririons plus encore. Oui, même quand Dieu nous châtie, il nous épargne; même. quand sa main s'appesantit sur nous, il a compassion. Je ne connais rien qui rende plus patient dans la souffrance qu'un retour sérieux sur soi-même. On se voit alors tel qu'on est, avec toutes ses misères, avec toutes ses souillures, avec toutes ses révoltes, et l'on s'étonne non pas d'être frappé, mais de l'être si légèrement. Si vous n'avez pas fait ce retour sur vous-mêmes, hâtez-vous de le faire. Vous avez péché, vous avez transgressé tous les commandements de la loi de Dieu, sinon dans la lettre, du moins dans l'esprit; vous avez méprisé, et combien de fois! les appels de sa grâce; vous avez dit, vous aussi, dans votre orgueil et votre folle indépendance : nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous! Et vous vous étonnez de souffrir! - et vous voulez que Dieu vous comble toujours de ses bénédictions, qu'il vous donne une vie heureuse et facile, qu'il vous épargne dans votre famille, dans votre santé et dans vos biens! - et vous vous plaignez de l'écharde qui déchire votre chair ! Ah, ce n'est pas le châtiment qui est anormal dans la vie d'un pécheur, - c'est la bénédiction. Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, sentez vos misères et vous serez patients,- et vous mettrez comme Job votre main sur votre bouche pour ne pas murmurer.

Et cependant, si l'épreuve est un châtiment, elle est aussi un moyen d'éducation spirituelle; si elle est une manifestation de la justice de Dieu, elle est aussi une manifestation de son amour; - et c'est en l'envisageant à ce dernier point de vue que nous apprendrons encore à posséder nos âmes par notre patience.

Oui, il faut arriver à nous dire qu'il nous est bon de souffrir, que l'épreuve que Dieu nous a envoyée nous est nécessaire et qu'elle est une marque de son amour. Cela est difficile, j'en conviens; cela demande beaucoup de foi. On admet bien en théorie et d'une manière générale que la douleur nous est nécessaire; - mais n'est-il pas vrai que la croix que Dieu nous demande de porter est presque toujours la seule que nous n'aurions pas choisie? Nous ne comprenons pas, nous ne voyons pas le rapport qui existe entre la souffrance que Dieu nous envoie et l'état de notre âme; il nous semble même parfois qu'il nous arrive précisément le contraire de ce qui devrait nous arriver, et notre pauvre sagesse est confondue par les voies de Dieu. Et cependant ce rapport existe. Ce n'est pas la main du hasard, ce n'est pas une aveugle fatalité qui nous dispense l'épreuve, - c'est un, père miséricordieux et souverainement sage qui nous connaît, et qui choisit pour nous le genre de souffrance qui nous est le plus nécessaire. Mais il faut que nous marchions là comme dans beaucoup d'autres choses par la foi et non par la vue. Il y a quelque chose de mystérieux, d'inexplicable dans la plupart des épreuves que Dieu nous fait traverser. Il s'élève du fond de nos souffrances, de nos deuils, de nos chagrins connus ou inconnus des autres, un pourquoi auquel nous ne trouvons pas de réponse.

Voici un père de famille dont le travail était nécessaire pour élever ses enfants. Il est soudain frappé, Dieu le rappelle à lui, et sa mort laisse ses enfants et sa femme dans la détresse. Pourquoi?

Voici une noble intelligence, un grand coeur, une nature d'élite, - qui promettait une carrière utile et distinguée. La maladie survient ; elle brise ce magnifique instrument et le condamne à l'inaction et au silence. Pourquoi?

Voici un coeur admirablement préparé pour les joies si douces et pour les dévouements plus doux encore de la vie de famille; - un coeur riche, d'affection qui ne demandait qu'à s'ouvrir et à répandre autour de lui des trésors. Il est incompris, méconnu, isolé. Pourquoi?

Ne nous étonnons pas de cette ignorance. Remarquez que Jésus lui-même a dit - Pourquoi? Il a fallu que, lui aussi, homme comme nous, sujet comme nous à toutes les conditions de l'humanité, il obéit sans comprendre et marchât par la foi, - car du haut de la croix, nous l'entendons s'écrier au milieu des ténèbres : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?),

Plus tard, sans doute, tous les voiles seront levés; plus tard nous comprendrons; plus tard, quand nous jetterons un regard sur notre existence terrestre, nous admirerons toutes les voies de Dieu à notre égard ; - mais aujourd'hui, je le répète, il faut marcher par la foi. La grande oeuvre de la vie humaine c'est de croire, c'est de faire triompher l'invisible sur le visible, c'est d'affirmer la sagesse et l'amour du Père, alors même qu'ils semblent démentis par les réalités présentes". La foi est l'arbre divin dont la patience est le fruit. Luttons et prions jusqu'à ce qu'il ait jeté dans nos âmes des racines si profondes qu'aucun vent d'orage ne puisse le renverser !

Savoir supporter et savoir souffrir, est-ce là toute la patience? Non, mes frères, elle consiste encore à savoir attendre.

L'attente a toujours occupé une grande place dans la vie des enfants de Dieu. Elle a toujours été une des principales tâches que Dieu leur a donné à accomplir. Sous l'ancienne alliance, vous le savez, l'attente était la forme même de la foi et de la piété. Israël a été par excellence le peuple de l'attente, depuis le patriarche Jacob qui s'écrie sur son lit de mort, résumant dans cette parole l'oeuvre de toute sa vie : 0 Éternel, j'ai attendu ton salut! - jusqu'au pieux vieillard Siméon, dont il nous est dit qu'il attendait la consolation d'Israël.

Voyez aussi quelle place. l'attente a occupée dans la piété de l'Église primitive. Les premiers chrétiens attendaient le retour prochain du Sauveur. Le Nouveau-Testament est rempli de cette pensée. Saint Paul y revient constamment dans ses épîtres et en fait l'objet de nombreuses exhortations. On ne se trompait pas sur le fait, c'est-à-dire sur le retour de Jésus-Christ, qu'il a annoncé de la manière la plus positive; mais on se trompait sur l'époque de ce retour, - époque que le Sauveur n'a jamais indiquée, puisqu'il ne la connaissait pas lui-même. « Personne ne le sait, répond-il un jour qu'on l'interrogeait sur ce sujet, pas même le Fils. »

Quoi qu'il en soit, Dieu a voulu que ses enfants vécussent dans l'attente, et qu'ils fussent patients dans cette attente. « Attendez patiemment l'avènement du Seigneur », dit saint Jacques; - et saint Paul - « Dieu veuille conduire vos coeurs à attendre patiemment Jésus-Christ. » (2 Thess. III, 5).

Et nous, mes frères, qu'attendons-nous? Nous attendons la réalisation du royaume de Dieu sur la terre, le triomphe de la vérité et de la justice dans le monde en général,- dans notre patrie, - et dans notre Église.

Eh bien, dans cette attente, nous avons besoin de posséder nos âmes par notre patience. Il y a une certaine impatience du succès qui aboutit souvent au découragement et à l'inaction, et dont nous devons nous garder. Est-ce à dire que nous devons prendre aisément notre parti de la lenteur du progrès; nous résigner froidement aux défaites de la vérité et de la justice, aux reculs de l'humanité dans sa marche vers le but? Non, sans doute, mais cette lenteur, ces défaites, ces reculs mêmes ne doivent pas lasser notre espérance, décourager nos coeurs, affaiblir notre foi. L'apôtre saint Pierre nous déclare qu'il viendra des moqueurs qui diront : « Où est la promesse de son avènement ? car, depuis que nos pères sont morts, toutes choses demeurent dans le même état où elles étaient au commencement de la création. » (2 Pierre, III, 4.) Eh bien, il n'y a pas que les moqueurs qui tiennent ce langage, il y a les impatients, les pessimistes, les sceptiques. « Depuis. que nos pères sont morts, toutes choses demeurent dans le même état. » Que de fois nous l'avons entendue cette parole découragée! L'humanité est toujours la même, l'Evangile ne fait plus de conquêtes, la corruption est plus grande que jamais. Et alors on nous montre les six cents millions de païens qui n'ont pas encore entendu parler de Jésus-Christ; on nous montre les peuples soi-disant chrétiens en proie à l'incrédulité, dévorés par le matérialisme, retournant à la barbarie, à la force brutale, par l'excès même de leur civilisation ; on nous montre la France inerte, endormie, que ses châtiments n'ont pas réussi à relever et qui semble quelquefois pencher vers sa ruine; on nous montre le protestantisme déchiré, 'affaibli, sans force d'expansion, et notre Église autrefois grande et glorieuse, aujourd'hui consumant toute son énergie dans une lutte intérieure qui va aboutir infailliblement à un schisme douloureux Eh sans aucun doute, l'erreur et le mal sont encore armés d'une redoutable puissance; et cependant je crois que le monde marche, je crois au progrès général de l'humanité et de l'Église chrétienne. Depuis le commencement de ce siècle, le christianisme a déployé une activité missionnaire véritablement prodigieuse, et il est aujourd'hui peu de rivages, quelque lointains qu'ils soient, où la bannière de l'Évangile n'ait pas été déployée. L'alliance évangélique a été fondée et elle a fait faire de grands pas à l'unité spirituelle de toutes les fractions de la chrétienté. Le vieil édifice du pouvoir temporel s'est effondré, et le souffle généreux d'une nouvelle réforme vient ébranler l'antique immobilité du catholicisme,,

Depuis le commencement de ce siècle, l'Amérique a brisé les fers de millions d'esclaves, la Russie a affranchi ses serfs et l'Espagne elle-même a aboli l'esclavage dans ses colonies. Depuis le commencement de ce siècle, notre Église a conquis sa place, son existence légale dans notre patrie; sa piété a passé par un magnifique réveil; elle a fondé une foule d'oeuvres d'évangélisation et de bienfaisance; et après une longue lutte, elle vient de retrouver, avec ses vieilles institutions synodales, l'ordre, l'autonomie et un instrument de progrès. - Ce sont là des faits, - et j'en aurais bien d'autres à citer si je ne devais pas me borner à ceux qui touchent uniquement à la religion. Non, nous ne sommes pas stationnaires ; nous avançons lentement sans doute, trop lentement, - mais enfin nous avançons; et nous ne devons pas nous laisser aller à cette impatience, à cet esprit de dénigrement et d'aigreur, qui voit tout en noir, qui exagère le mal et qui sème le découragement dans les coeurs. Possédons nos âmes par notre patience, c'est-à-dire après tout, par notre foi. Ayons le calme de la force, ayons la certitude de la victoire. Cette victoire nous est promise. La cause de l'Évangile, qui est celle de toutes les libertés, de toutes les justices et de tous les progrès, triomphera. « Ne crains pas, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. » Et quand bien même il serait vrai que, dans la petite fraction de l'humanité à laquelle nous appartenons, la cause du bien et de la vérité fût momentanément vaincue, - soyons patients, - et ne cessons pas de croire et d'espérer. Pans une armée victorieuse, tous les régiments ne sont pas également heureux. Il est peut-être tel d'entre eux, battu et dispersé par l'ennemi, qui croit la journée désastreuse; et cependant c'est à son drapeau que la victoire est restée. Il en est de même dans l'humanité : tous les peuples qui la composent ne marchent pas d'un pas égal dans la voie du progrès; - mais la masse avance, - et les retardataires la rejoindront un jour.

Sachons donc attendre, sachons être patients; la patience est une condition du succès; elle est l'âme même de la force. L'impatience, au contraire, crée l'agitation, et l'agitation est stérile.

Je n'ai pas épuisé, tant s'en faut, - ce grand et beau sujet de la patience que j'ai pro. posé aujourd'hui à vos méditations. J'ai essayé toutefois de vous montrer combien cette vertu nous est nécessaire pour supporter, pour souffrir et pour attendre, - ces trois tâches que nous rencontrons tous si souvent sur notre chemin dans la vie. Oh! que Dieu nous apprenne à être patients. Qu'il nous apprenne à aimer et à pardonner, à accepter avec douceur toutes les tribulations et toutes les épreuves, et à compter sur l'accomplissement de toutes ses promesses. Dans les temps troublés que nous traversons, nous avons besoin que la paix de Dieu. garde nos coeurs et nos esprits; nous avons besoin de sérénité. La patience nous donnera cette paix et cette sérénité. Elle est l'ange céleste qui doit cheminer toujours à nos côtés dans le voyage de la vie, pour nous aider à en porter tous les fardeaux, à en gravir tous les rudes sentiers, jusqu'au jour où, pèlerins fatigués, mais remplis d'une ineffable joie, nous verrons blanchir l'aurore des cieux nouveaux et de la terre nouvelle où la justice habite, et franchirons le seuil de cette Jérusalem d'en haut, dans laquelle il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni travail.


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