Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA VIE SORTANT DE LA MORT

- 1873 -
En vérité, en vérité, je vous le dis : Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté dans la terre, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle.

JEAN XII, 24-25.



Mes Frères,

On l'a souvent remarqué, il y a des analogies profondes entre les lois du monde moral et celles du monde physique. Jésus nous rend attentifs dans notre texte à une de ces analogies; il nous rappelle que, dans le domaine spirituel aussi bien que dans le domaine matériel, la mort est la condition de la vie.

Remarquez en effet l'universalité de cette loi: nous la trouvons partout dans la nature. Le sol que nous foulons aux pieds, qu'est-il autre chose que l'immense cimetière des êtres qui ont existé autrefois à sa surface ? Eh bien! tous ces débris accumulés alimentent sans cesse la vie de nouveaux êtres; la nature est un gigantesque laboratoire où, par suite d'une action continuelle et lente, le travail de décomposition que fait la mort prépare la formation de nouvelles existences. Le contraste des saisons nous rend cette vérité plus sensible encore. Voyez l'hiver : lés arbres sont dépouillés de leur feuillage, les champs sont couverts de neige, les sources sont muettes et immobiles au flanc des montagnes, les semences dorment dans le sein de la terre : le froid de la mort semble avoir suspendu partout le mouvement et le bruit de la vie; mais c'est de cette mort apparente que jaillit au printemps une nature ravissante de jeunesse et de beauté. Les rigueurs et lés glaces de l'hiver nous préparent cette riche parure de feuillages et de fleurs qui charme nos regards. La fleur à son tour doit perdre son parfum et sa beauté, elle doit se faner et mourir pour donner naissance au fruit. Et, pour prendre la comparaison du Sauveur lui-même dans mon texte, voyez ces moissons blanchissantes qui appellent la faucille du moissonneur. D'où viennent-elles? Du grain qui est mort dans le sillon obscur où la main du semeur l'a jeté. Toujours la vie sortant de la mort.

Mes frères, il en est de même dans le monde moral et spirituel. Là aussi la vraie vie sort de la mort. C'est le sens des paroles qui suivent : « Celui qui aime sa vie la perdra, mais celui qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle. » Étudions aujourd'hui cette vérité profonde, en nous attachant simplement à développer l'image du grain de blé sous laquelle.. notre Sauveur nous l'a présentée.

Avez-vous réfléchi quelquefois à cette merveille qu'on appelle un grain de froment? Voilà un petit corps dur, inerte, sans beauté, complètement mort à en juger sur l'apparence. Eh bien, cet être inférieur en contient un autre en germe; il renferme en lui une puissance mystérieuse, une force invisible,. immense, capable de donner naissance à un être nouveau et parfait. De cette semence obscure pourra s'élancer un, jour une plante complète, dont la tige flexible et gracieuse se balancera au souffle du vent et se couronnera d'un épi doré. Il y a donc, cachée dans l'existence rudimentaire et incomplète du grain de blé, la possibilité d'une autre vie, d'un être supérieur; et le grain de blé n'a d'autre raison d'exister, d'autre fin, que la production de cet être nouveau et supérieur dont il contient le germe.

Voilà notre image, mes frères; chacun de nous contient en lui le germe d'un autre être. Il y a, cachée dans les profondeurs de toute âme humaine, la possibilité d'un homme nouveau et parfait. Dans notre état naturel, notre vie est inférieure, incomplète comme celle du grain de blé ; elle n'est pour ainsi dire que l'enveloppe grossière d'une autre vie qui n'est pas encore, qui ne sera peut-être jamais, mais qui peut être, et qui, si elfe commence un jour, se développera sans cesse, et parviendra dans l'éternité à son plein épanouissement.

Ce n'est pas là une théorie de mon invention, c'est un fait qui nous est attesté partout dans l'Écriture et confirmé par notre propre expérience. Nous sentons en nous ces deux êtres, celui que nous sommes en réalité et celui que nous pourrions devenir. Cet homme nouveau dont nous avons le germe en nous est notre véritable moi, et il répond à nos aspirations les plus profondes. Nous le pressentons, nous le voyons, quand nous descendons au fond de notre conscience; car c'est à notre conscience que Dieu a confié la garde de cet idéal sacré, de ce type divin que nous devons réaliser; c'est elle qui a reçu la mission de le placer constamment sous nos yeux. Oui, nous l'avons pressenti dans nos heures de recueillement et de sérieux le coeur généreux et pur qui pourrait battre dans notre poitrine; nous l'avons contemplée de loin cette vie sanctifiée qui pourrait être la nôtre; nous nous sommes abandonnés, - dirai-je à la mélancolie ou au charme? - de cette contemplation. Dieu nous a donné par moments l'avant-goût de cette vie spirituelle et sainte qu'il nous appelle à réaliser, - et nous avons senti que nous ne serions tout entiers nous-mêmes que lorsque cet idéal serait devenu une réalité.

Cet homme nouveau, en effet, est notre véritable moi, et lui donner naissance est la grande tâche de la vie. Oui, réaliser notre être, devenir nous-mêmes, dans le sens profond de ce mot; atteindre la plénitude et la perfection de vie dont nous sentons en nous la possibilité; telle est l'oeuvre que nous avons tous à commencer ici-bas. Le grain de blé d'où ne sort pas une vie nouvelle plus riche, !plus belle et plus complète que la sienne, demeuré seul, dit le Sauveur, c'est-à-dire inutile et stérile. C'est un être qui a manque sa destinée, c'est une existence perdue qui n'a pas atteint la fin pour laquelle Dieu l'avait créée. De même l'homme qui reste ce qu'il est par nature, qui ne se transforme pas en une créature nouvelle, manque sa destinée et perd sa vie. De là le malaise profond qui l'accompagne à travers son existence tout entière. Il souffre, il est malheureux, et même en riant son coeur est triste,, parce qu'il porte partout avec lui une contradiction douloureuse entre ce qu'il est en réalité et cet homme nouveau, spirituel, céleste, qu'il a mission de devenir et qui reste en lui à l'état d'aspiration et de besoin. En vérité, disait Jésus à Nicodème, il faut que vous naissiez de nouveau.

Maintenant à quelle condition cet homme nouveau peut-il naître? à la condition que l'ancien meure. Si le grain de froment ne meurt, il demeure seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup, de fruit. La vie sort de la mort, nous l'avons dit, c'est la loi du monde moral comme du monde physique, - loi douloureuse mais inévitable. Le nouvel homme ne naît pas à côté, mais à la place de l'ancien. Le christianisme est tout rempli de cette pensée. C'est bien la croix qui en est le symbole et le résumé, car elle exprime le fond' de sa morale comme de sa doctrine. Renoncer à soi-même, faire mourir, crucifier le vieil homme avec ses convoitises, être baptisé avec Christ en sa mort pour ressusciter avec lui : toutes ces expressions et une foule d'autres semblables qui se rencontrent si souvent dans le Nouveau-Testament, sont autant de formes différentes de la même vérité, à savoir que la grande crise morale par laquelle il faut absolument passer pour devenir un homme nouveau, c'est la mort de ce qui constitue en nous l'homme naturel ou le vieil homme.

-Nous touchons ici, mes frères, à la différence fondamentale qui existe entre la morale chrétienne et la morale humaine. La morale humaine nous croit capables d'arriver au bien tels que nous sommes, et elle se borne à éclairer le sentier qui doit nous y conduire; la morale chrétienne part d'un principe tout opposé : elle nous montre la loi sans doute, une loi autrement élevée, autrement difficile à accomplir que celle de la morale humaine, car cette loi nous dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Mais elle commence par nous déclarer que nous sommes incapables de l'accomplir tant que nous ne sommes pas devenus des créatures nouvelles. La morale humaine dit au mauvais arbre : « Porte de bons fruits, perfectionne-toi. » La morale chrétienne dit à ce même arbre : « Deviens bon, et tu porteras de bons fruits. Meurs pour renaître. »

Mourir! mais enfin, qu'est-ce à dire? S'agit-il de se retirer du monde et de s'enterrer vivant dans un monastère ? S'agit-il d'empêcher son coeur de battre, son esprit de penser, et ses mains d'agir ? Faut-il s'interdire les joies, les affections, l'activité de la vie présente ? et, de retranchement en retranchement, borner au strict nécessaire sa participation à l'existence ? Non, mes frères, en aucune façon ; et ceux qui ont compris ainsi la vie chrétienne l'ont mal comprise. Jésus-Christ est venu, non pour abolir, mais pour accomplir; non pour détruire ce qui est vivant, mais pour détruire ce qui est mort; non pour restreindre et rapetisser la vie humaine, mais pour l'agrandir dans tous les sens. Ce que nous devons faire mourir en nous, ce n'est pas notre véritable personnalité, c'est au contraire ce qui empêche cette personnalité de naître et de se développer.

Du reste, Jésus-Christ précise lui-même sa pensée dans ces paroles : « Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle. » Remarquez l'opposition de ces deux mots : aimer et haïr. Cette opposition nous montre qu'il s'agit essentiellement d'un changement dans les affections, dans les sentiments. Ce qu'on aimait autrefois, on doit le haïr, - ce qu'on haïssait, on doit l'aimer. Ainsi la conversion, car c'est de la conversion qu'il s'agit ici, est le changement du coeur, le changement des goûts, des dispositions, c'est-à-dire du principe même de la vie.

Celui qui aime sa vie la perdra. Sentez-vous la force de cette expression ? Sa vie, c'est-à-dire une vie dont le centre est le moi naturel, dont le but est la recherche de soi-même, de son bon. heur, de son indépendance ; une vie dans laquelle on veut s'appartenir, qu'on rapporte toute à soi, qu'on a faite sienne, en la subordonnant à sa volonté propre, non à celle de Dieu. Aimer sa vie, c'est donc aimer le péché, car l'essence du péché consiste à vouloir être indépendant de Dieu, à mettre son propre moi au lieu de Dieu, au centre de son existence.

Eh bien! cette vie-là, on la perd en l'aimant et en voulant la conserver. Etant une vie de péché, elle contient un principe de mort en vertu duquel elle se détruit elle-même. Le salaire du péché, c'est la mort. On voulait son indépendance : on perd la vraie liberté, on devient esclave du mal; on cherchait le bonheur. dans le plaisir, dans le bien-être, dans la satisfaction de ses passions: on ne rencontre que souffrance et déception; on voulait s'appartenir, et l'on s'échappe à soi-même, on ne réalise point sa vraie nature, on se condamne à rester inachevé, incomplet; on voulait se sentir vivre, et la coupe des délices, dans laquelle on cherchait cette vie, ne contient qu'un breuvage de mort. « Vous étiez morts dans vos fautes et dans vos péchés. »

La pensée du Sauveur va peut-être plus loin encore; elle dépasse peut-être l'horizon de l'économie présente, et l'on peut se demander si l'âme humaine qui n'est pas née de nouveau, dans laquelle la vie de l'Esprit n'a pas commencé, n'est pas condamnée, en vertu même du principe de mort qu'elle renferme, à s'affaiblir graduellement, à se diminuer toujours plus, et finalement à s'éteindre tout à fait comme une flamme qui n'a plus d'aliment. Cet anéantissement total est peut-être la seconde mort dont il est question dans l'Apocalypse (XX, 6.) Cette hypothèse me paraît assez conforme à l'enseignement des Ecritures qui parlent moins de tourments éternels que de mort éternelle; elle s'accorde aussi avec notre propre nature dont l'essence est la liberté. S'il est notoire que le péché diminue notre liberté, on peut logiquement se représenter un temps où, par suite d'une action prolongée du mal, cette liberté est complètement détruite. Alors l'âme n'existe plus : elle s'est suicidée.

Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, une chose demeure certaine, c'est qu'ici-bas nous voyons s'accomplir la parole du Sauveur, nous assistons à la décadence des âmes qui ont aimé et conservé leur vie. Ce n'est pas seulement le corps qui s'altère et s'affaiblit sous l'influence du mal, c'est l'âme elle-même. Toutes ses facultés s'émoussent; l'intelligence s'obscurcit et s'abaisse; l'imagination se déprave et s'éteint; le coeur s'endurcit et se ferme; la volonté s'enchaîne et tombe dans l'impuissance; la conscience, gardienne de ce sanctuaire, et la dernière debout sur ces ruines, finit, elle aussi, par succomber, et sa voix cesse de se faire entendre. Cet abrutissement graduel, ce progrès dans la destruction, n'est-ce pas le chemin de la mort? Ce chemin, on s'y engage, on le suit, toutes les fois qu'on fait non la volonté de Dieu, mais la sienne, toutes les fois qu'on descend la pente de sa nature au lieu de la remonter. N'en avez-vous pas fait l'expérience, mes chers auditeurs? N'avez-vous pas senti que vous étiez d'autant moins vivants que vous aimiez davantage votre vie?

Ah ! c'est une chose redoutable que d'être un homme ! La liberté qui fait notre grandeur peut faire aussi notre ruine. Dieu a mis en nous la faculté de renaître à une vie supérieure, bienheureuse et infinie, - mais aussi la faculté de descendre la pente du mal et de la mort jusqu'à ce ténébreux abîme où l'on n'entend que des pleurs et des grincements de dents, et d'où l'on ne remonte plus!

Revenons à la pensée dominante du Sauveur dans mon texte. Si nous avons compris ce que c'est qu'aimer sa vie, nous avons compris par là-même ce que c'est que la haïr. Haïr sa vie ! quelle parole ! mes frères, comme elle est énergique, comme elle nous peint d'une manière saisissante le changement profond qui doit s'accomplir en nous si nous voulons parvenir à la vie véritable !

Ce changement, redisons-le, ce n'est pas celui des actes extérieurs seulement, c'est celui des sentiments, des dispositions ; c'est le passage de l'amour à la haine du péché; c'est le renversement du principe même de l'existence; c'est l'amour de Dieu et de sa loi mis à la place de l'amour du moi et de ses convoitises.

Tant que ce changement ne s'est pas produit, le vieil homme n'est pas frappé au coeur, il n'a pas reçu le coup de mort. Nous avons beau le revêtir d'une couche de christianisme, il subsiste tout entier sous cette surface; nous pouvons le contraindre par moments à faire des actes d'obéissance chrétienne, à s'interdire la satisfaction de certains penchants; mais cette obéissance est celle de l'esclave, elle n'est pas celle de l'enfant, celle du coeur, - et par conséquent elle n'est ni facile ni joyeuse. Que dis-je? ni facile, ni joyeuse; elle est insupportable, et elle n'est pas longtemps possible: nous finissons toujours par aller où notre coeur nous mène. Nous ne pouvons pas faire porter au vieil homme les fruits du nouveau. Hélas! c'est pourtant à cette contradiction, à cette impossibilité que nous revenons sans cesse. Notre grande tentation, et je n'en connais pas de plus subtile et de plus dangereuse, c'est de vouloir réaliser la vie chrétienne sans passer par la crise de la conversion. Nous oublions que Jésus-Christ a dit: Il faut que vous naissiez de nouveau. Je dirai toute ma pensée : la doctrine de la conversion a perdu, dans l'Eglise contemporaine, le tranchant qu'elle avait à l'époque du réveil. Ce sel a perdu sa saveur. A cette époque, on considérait peut-être trop la conversion comme un fait isolé, soudain, dont on pouvait marquer le jour et l'heure. Aujourd'hui nous sommes tombés dans l'extrême opposé, et nous considérons trop la conversion comme une amélioration graduelle de notre mauvaise nature.

Entre le nouvel homme et l'ancien, nous avons établi une série de nuances, tandis que la parole de Dieu établit une opposition radicale, semblable à celle qui existe entre la lumière et les ténèbres, entre la vie et la mort; 'à la place de la porte étroite qu'il faut franchir une bonne fois pour entrer dans le royaume des cieux, nous avons mis une infinité de degrés; à la place de la mort du vieil homme, nous avons mis son progrès, son perfectionnement. Alors, par une conséquence naturelle, on se contente de quelques réformes, de quelques améliorations, mais le fond du coeur et de la vie reste le même. On se crie à soi-même: paix! paix! quand en réalité il n'y a point de paix; - et l'on peut ainsi côtoyer toute sa vie la piété chrétienne sans poser décidément le pied sur ce rivage béni. -

0 mes frères, je suis convaincu de poser en ce moment le doigt sur la plaie secrète d'un grand nombre d'âmes. Dites, n'est-ce pas là en effet le mal dont vous souffrez? N'est-ce pas là aussi la cause de votre impuissance et de votre langueur spirituelle.? Vous voulez bien consentir à corriger le vieil homme, à le contenir, à l'améliorer, mais vous ne voulez pas consentir à lui donner la mort. Il en est de vous comme de ce jeune homme sérieux, bien disposé, qui avait accompli les commandements de la loi, qui était fidèle à ses devoirs, mais qui, lorsque Jésus lui demanda de renoncer aux biens où il avait mis son coeur, c'est-à-dire de mourir à lui-même, - ne put y consentir et s'en alla tout triste. Ou bien vous cherchez à installer le nouvel homme à coté de l'ancien. Vaine tentative! vous avez beau la répéter sans cesse, «elle ne peut pas, elle ne pourra jamais aboutir. Dieu ne veut pas d'un coeur partagé, et d'ailleurs nul ne peut servir deux maîtres. Il faut mourir à soi-même, vous dis-je, il faut se donner; 'il n'y a pas d'autre moyen de renaître à la vie, il n'y a pas d'autre ouverture que cette porte étroite pour entrer dans le royaume des cieux.

Comprenez bien ma pensée : je crois certainement qu'un travail intérieur, qu'un progrès lent et graduel précède et amène ordinairement la conversion; - mais ce progrès n'est pas la conversion elle-même, pas plus que le chemin n'est le but. Il faut arriver à un. moment où le coeur est changé, où l'on hait les oeuvres et les convoitises du vieil. homme, où l'on obéit non plus par devoir seulement, mais par amour, où l'on ne s'appartient plus, où l'on peut dire à Dieu avec sincérité et avec joie : Maintenant, Seigneur, je suis à toi, à toi qui m'as aimé d'un amour infini; tu t'es donné à moi en Jésus-Christ, je me donne à toi sans réserve à mon tour. Que veux-tu de moi? Parle, ton serviteur écoute. Je suis prêt, quoi qu'il m'en puisse coûter, à t'obéir en toutes choses, à conformer ma vie à ta volonté telle que je la comprends. - C'est à partir de ce moment que le nouvel homme est né et que la vie commence.

Mourir pour renaître, haïr sa vie pour la conserver; - oui, mais comment y parvenir? ou en trouver la force?

Ici encore la comparaison du Sauveur va nous le montrer. Si le grain, de froment ne meurt après qu'on l'a jeté dans la terre, il demeure seul. Il faut donc que le grain de froment soit jeté dans la terre par la main de l'homme pour que Dieu lui donne la vie. Un double concours, celui de l'homme et celui de Dieu, est la condition nécessaire de sa transformation. Il faut que le laboureur travaille; il faut qu'il ouvre le sillon à la sueur de son front et qu'il y jette la semence avant de recueillir la moisson. Il en est de même dans notre régénération, mes frères. Elle est l'oeuvre de la grâce, une oeuvre divine, surnaturelle, - mais elle est aussi notre oeuvre.

Du côté de Dieu, tout a été fait, tout a été accompli pour nous donner la vie. Il a fait briller sur nous la lumière de sa vérité; nous connaissons l'Evangile : nous savons que les bras de

Dieu nous sont ouverts, que Jésus-Christ est venu dans le monde chercher et sauver ceux qui sont perdus; l'ineffable histoire des compassions de Dieu nous est connue depuis notre enfance.

Plus favorisés que tant d'autres, nos yeux se sont ouverts à la lumière de la révélation chrétienne presque en même temps qu'à la clarté du jour; et depuis, Dieu n'a jamais cessé de nous adresser des exhortations et des appels. Il s'est tenu à la porte de nos coeurs et il ne s'est pas lassé d'y frapper, tantôt par la bénédiction, tantôt par l'épreuve, - pour en solliciter l'entrée. Y a-t-il ici quelqu'un qui puisse dire: Dieu m'a oublié, Dieu m'a laissé dans l'ignorance de la seule chose nécessaire, Dieu n'a pas agi sur mon coeur pour le toucher? Y a-t-il ici une seule âme qui n'ait pas été l'objet des soins et de la sollicitude du Seigneur ? Ah! mes frères, nos coeurs devraient se fondre à la fois de gratitude et d'effroi quand nous pensons aux dispensations de Dieu à notre égard : d'effroi, en nous rappelant qu'il sera beaucoup redemandé à ceux à qui il a été tant donné; de gratitude, en nous rappelant combien ces dispensations ont été pleines de tendresse et de miséricorde. Mais si Dieu a agi et continue d'agir sans cesse, - il faut que nous agissions aussi; il faut que nous soyons ouvriers avec Dieu. Dieu respecte trop en nous sa propre image, je veux dire notre liberté, pour violenter jamais cette liberté; et quand il le voudrait, l'obéissance qu'il obtiendrait ainsi n'aurait aucune valeur morale. Il y a donc dans la conversion un acte de volonté, un sacrifice suprême, que nul ne peut accomplir à notre place. Nous pouvons être amenés par l'éducation chrétienne jusqu'au seuil de la porte étroite, mais ce seuil nous ne pouvons le franchir que par un acte décisif de notre liberté. Dieu nous y conduit, il nous appelle, il vient à notre rencontre, il nous prend par la main. C'est à nous de nous jeter enfin dans ses bras comme l'enfant prodigue dans les bras de son père.

Vous avez remarqué sans doute que, dans la plupart des guérisons que le Sauveur a opérées, il a exigé le concours du malade, avant même sa guérison, - alors que ce concours paraissait impossible. A l'homme qui avait la main sèche, il dit : Étends la main; au paralytique de Béthesda : Emporte ton lit et t'en va dans ta maison; à l'aveugle-né : Va et te lave au réservoir de Siloé. Eh bien, il en est de même dans la guérison de l'âme; elle ne peut avoir lieu sans le concours de notre volonté.

Votre conversion dépend donc de vous, mes frères; Dieu la veut, vous ne pouvez en douter; il vous suffit donc de la vouloir aussi pour qu'elle s'accomplisse, - et qu'avec elle vous commenciez à vivre de la vraie vie, vie de luttes encore, mais de triomphes et de progrès; vie de renoncements, mais de liberté glorieuse; vie crucifiée avec Christ, mais profondément heureuse, toujours plus heureuse, et qui s'épanouira dans la gloire et la félicité du ciel.

Ah! qui de nous n'éprouve le besoin de réaliser cette vie ? Qui de nous ne soupire après elle? Quelle est l'âme sérieuse qui m'écoute en cet instant qui ne puisse se dire intérieurement : Oui, c'est bien là ce qu'il me Lut, c'est dans la vie chrétienne que je trouverai la paix, la satisfaction de mes besoins, l'aliment dont j'ai faim, l'eau vive dont je suis altéré.

Eh bien, cette vie, il ne suffit pas de la désirer, ni de pousser, pour l'obtenir, de stériles gémissements; il faut la conquérir, la demander avec persévérance et travailler à la réaliser; il faut la payer son prix, - et ce prix, encore une fois, c'est l'immolation de sa volonté propre, c'est l'abandon ou plutôt c'est le don joyeux et complet de soi-même.

Tout le christianisme est là, mes frères, c'est une vie qui sort de la mort. Il est là dans tout son sérieux, dans toutes ses exigences, mais aussi dans toutes ses promesses. Ah! que nous voilà loin, n'est-ce pas, de cette piété facile et superficielle dont tant de soi-disant chrétiens se contentent! Que nous voilà loin de nos petites améliorations et de nos faibles efforts ! Il s'agit bien de nos accommodements avec le monde! Il s'agit bien de concessions et de réserves ! Qu'ai-je à faire, pourrait nous dire l'Eternel, de la multitude de vos repentirs et de vos perfectionnements? Qu'ai-je à faire de vos dévotions passagères, de vos émotions stériles, de vos bonnes dispositions qui n'aboutissent jamais? Convertissez-vous. Frappez le vieil homme au coeur; portez-lui le coup décisif; comprenez -qu'il s'agit, non de vous améliorer, mais de renoncer à vous-mêmes, mais de mourir. Venez alors, et je ferai de vous mes enfants, mes héritiers' - et je vous donnerai des trésors de paix et de joie; venez, et je poserai sur vos fronts la couronne de gloire et d'immortalité.

Mes chers auditeurs, écoutez aujourd'hui l'appel qui vous a été adressé de la part de Dieu.* N'endurcissez pas vos coeurs. Saisissez la vie éternelle. Hâtez-vous de la saisir, car le temps est court, les années s'accumulent, - et prenez-y garde! on peut descendre dans la tombe avant d'avoir vécu. Hélas! pourquoi faut-il tant de discours, tant d'efforts, tant d'appels, pour nous persuader d'être heureux, pour nous engager à être libres, à être en paix avec nous-mêmes et avec Dieu, à vivre de la plus belle, de la plus riche, de la plus glorieuse des vies! 0 puissance terrible du péché! 0 fatal aveuglement qui nous fait sacrifier nos intérêts éternels aux misérables intérêts de la vie présente! Seigneur, arrache-nous à cette puissance et à cet aveuglement ! Convaincs-nous toi-même par ton Esprit! Fais-nous sentir à tous le vide, l'insuffisance, le néant d'une vie dont tu n'es pas le principe et le but ! - et que, dégoûtés d'une telle vie, désabusés, malheureux, repentants, - nous consentions enfin à la perdre pour trouver celle qui est seule véritable et éternelle ! Amen.


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