Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PARABOLE DES TALENTS

- 1872 -

SERMON POUR LES ENFANTS

Lisez Math., XXV, 14 à 30.


Mes chers enfants, ceux d'entre vous qui sont quelque peu avancés en arithmétique savent ce que c'est qu'un capital; mais, comme vous n'en êtes pas tous encore à la règle d'intérêt, je vais vous expliquer ce qu'on entend par ce mot. Un capital, c'est une valeur quelconque qui peut rapporter un intérêt. Ainsi un champ qu'on cultive est un capital; l'intérêt c'est la moisson, ce sont les beaux épis dorés chargés de grains qui se balancent au souffle du vent. - Une usine avec ses machines, ses fourneaux, ses outils de toute sorte est un capital; l'intérêt, c'est le prix des marchandises qu'on y fabrique et qu'on vend. L'argent est aussi un capital, parce qu'avec l'argent, on petit établir un commerce ou entreprendre une industrie qui rapporte des gains plus ou moins considérables. Voilà pourquoi quand on emprunte de l'argent, il est juste que celui qui emprunte paye un intérêt à celui qui prête.

Dans la parabole que j'ai choisie pour texte, Jésus-Christ nous parle d'un homme qui, s'en allant en voyage, appela ses serviteurs et remit à chacun une somme d'argent, un capital, pour le faire valoir. Ils étaient trois. Au premier il remit cinq talents, à l'autre deux, et au troisième un seul, à chacun selon ses forces, - puis il partit. Qu'avaient-ils donc à faire? Quel était leur devoir? Leur devoir, c'était d'employer l'argent de leur maître de manière qu'il put rapporter un intérêt. Les deux premiers le comprirent, et quand le maître revint, après une longue absence, l'un avait gagné cinq nouveaux talents et l'autre deux, c'est-à-dire que chacun avait réussi à doubler la somme qui lui avait été remise. Aussi le maître en fut-il très-satisfait et il dit à chacun : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de chose, je t'établirai sur beaucoup; entre dans la joie de ton Seigneur. »

Quant au troisième, ne voulant se donner aucune peine, il alla creuser un trou dans la terre, et il y cacha l'argent de son maître. Le capital qui lui avait été confié n'avait rapporté aucun intérêt. Le serviteur, appelé à rendre compte, le remit à son maître en lui disant : « Voilà, tu as ce qui est à toi. » Aussi vous savez quelle sentence sévère fut prononcée contre lui : « Méchant et paresseux serviteur! » lui dit le maître; - et il ajouta : « Otez-lui son talent, et jetez le serviteur inutile dans les ténèbres de dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. »

Que signifie cette parabole? Je vais vous le dire. Le maître, c'est Dieu; les serviteurs, c'est nous; les talents, ce sont les forces et les biens que Dieu nous confie pour que nous les fassions valoir. Le jour où le maître revient de voyage et appelle ses serviteurs à rendre compte, c'est le jour du jugement. Dieu nous fera comparaître alors devant lui et nous demandera les intérêts des capitaux qu'il nous a confiés. A celui à qui il aura été beaucoup donné, il sera aussi beaucoup redemandé. Le maître dira à celui qui aura fait valoir ses talents - Cela va bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur. Il repoussera au contraire loin de lui, loin du ciel, le serviteur méchant et paresseux.

Maintenant, mes chers enfants, je vais m'efforcer de vous appliquer à vous-mêmes l'enseignement que le Sauveur nous donne dans cette parabole, car il s'applique aux enfants aussi bien qu'aux grandes personnes.

Et d'abord, mes chers enfants, persuadez-vous bien que vous êtes tous de petits capitalistes'. Vous ne vous en doutiez peut-être pas, et cependant rien n'est plus vrai. Vous n'avez pas sans doute de grandes sommes d'argent à votre disposition; mais je vous l'ai dit, il n'y a pas que l'argent qui soit un capital; tout ce qui peut rapporter un gain, un intérêt, est un capital. Eh bien, Dieu vous a confié de riches capitaux à faire valoir. Je vais vous les citer, non pas tous, car je n'en viendrais pas à bout, vous êtes trop riches, - mais je vais vous en citer quelques-uns et vous montrer comment vous pouvez leur faire porter intérêt.

Il y a d'abord le temps. On en est riche à votre âge. On a du temps pour tout, pour s'amuser, pour ne rien faire, pour travailler. Votre vie n'est pas remplie, encombrée, chargée comme elle le sera plus tard ; et puis, vous l'avez toute entière devant vous; vous avez de longues années à espérer. Plus tard, ces années seront derrière vous, elles seront passées ; à mesure qu'on avance dans 'la vie, le temps devient toujours plus court; mais aujourd'hui, je le répète, vous avez beaucoup de temps, vous avez à peine entamé ce capital immense. C'est un trésor encore intact que vous possédez là, et que beaucoup vous envient. Ah! mes enfants, si vous pouviez en sentir tout le prix ! si vous saviez tout ce qu'il vaut! tout ce qu'on peut en tirer! On a dit du temps qu'il est l'étoffe dont la vie est faite. Cela est vrai. Quand on gaspille son temps, on gaspille la vie, on la perd; quand, au contraire, on emploie bien son temps, quand on force chacun des rapides instants dont il est composé à porter intérêt, c'est-à-dire à produire quelque chose de bon pour les autres ou pour nous-mêmes, on se fait une vie riche et féconde.

Il faut vous pénétrer, mes chers enfants, de cette pensée que le temps est une chose extrêmement précieuse, infiniment plus précieuse que l'or, - et que vous devez en être plus qu'économes, - avares. Vous savez ce que c'est qu'un avare : c'est un homme qui n'aime pas dépenser son argent, qui le garde, qui veille sur son trésor avec soin, qui a toujours peur qu'on vienne le lui ravir. Eh bien, il y a une chose dont il est permis d'être avare, c'est le temps. Il y a à l'hôtel des monnaies une salle qu'on appelle la chambre de l'or. C'est là qu'on recueille et qu'on prépare tous les lingots d'or qui doivent être fondus et convertis en pièces de monnaie. Le parquet de cette chambre est entièrement recouvert d'une espèce de grille en bois. Cette grille a pour but d'empêcher les ouvriers qui travaillent dans cette chambre d'emporter, mêlées à la poussière de leurs chaussures, les parcelles d'or que la lime détache des lingots... De temps en temps on enlève les grilles, on en essuie soigneusement les bords et on balaye le parquet, - et toute cette poussière d'or qu'on recueille ainsi forme à la fin de l'année de quoi faire plusieurs milliers de francs. Mes enfants, il faut agir ainsi à l'égard du temps, qui est beaucoup plus précieux que l'or; il faut en recueillir les moindres parcelles, les plus petites miettes, et nous serons confondus de la richesse de nos épargnes. En général, on perd beaucoup de temps, beaucoup plus qu'on ne l'imagine; on en perd dans l'oisiveté, dans des occupations inutiles, dans des conversations frivoles ; on en perd par manque d'ordre ou d'exactitude; quand on fait l'addition de tous les petits moments (je ne parle que des petits moments) qu'on perd dans une seule Journée, on en est véritablement confondu. Il y a peu d'hommes qui ne perdent pas de cette manière au moins deux heures par jour, ce qui fait soixante heures par mois, n'est-ce pas? A supposer que la journée de travail soit de dix heures, cela fait six jours de travail par mois, et en un an soixante-douze jours, presque deux mois et demi. Vous voyez comme les petites quantités souvent répétées font vite de grandes sommes!

Habituez-vous de bonne heure, mes enfants, à bien utiliser les petits moments, ce qu'on appelle avec trop de raison les moments perdus. La plupart des hommes qui ont fait de grandes choses dans ce monde, qui ont laissé un nom dans l'histoire, avaient contracté, dès leur plus tendre enfance, l'habitude de ne pas laisser s'écouler une minute sans l'employer de leur mieux. Mme de Genlis, gouvernante d'une princesse de la famille royale d'Orléans, était souvent obligée d'attendre pendant une demi-heure l'arrivée de son élève à l'heure de la leçon. Aussi elle avait soin de se munir à l'avance de crayons et de papier, de manière à pouvoir composer et écrire dans l'intervalle. De là sont sortis trois ou quatre volumes qui comptent au nombre de ses meilleurs ouvrages.

Je pourrais aussi vous citer l'exemple d'un forgeron américain, Élie Burrit, qui, tout en frappant sur son enclume et en faisant jouer le soufflet de sa forge, a réussi à apprendre convenablement quarante langues ou idiomes, je dis quarante , en réservant pour l'étude tous les petits moments de la journée qu'il pouvait' arracher à son travail. N'est-ce pas admirable? Eh bien, il ne faut pas se contenter de l'admirer, il faut l'imiter, mes enfants. Il ne faut jamais dire qu'il ne vaut pas la peine de se mettre au travail ou à la lecture pour un quart d'heure, pour cinq minutes. Les minutes accumulées font des heures, et les heures des journées, et pendant toute une vie, des années. J'ai toujours été frappé de ce mot de Franklin : « Si vous veillez sur les sous, les écus veilleront sur eux-mêmes. » C'est là un excellent principe d'économie que je vous recommande en passant. Eh bien, je l'applique au temps, et je vous dis: Ne perdez pas vos minutes, et vos heures seront toujours bien remplies, - et vous ferez produire à ce grand capital, à ce grand talent que Dieu vous a confié, le temps,des intérêts immenses, dont vous serez vous mêmes étonnés.

Un second talent qui vous a été confié, mes enfants, c'est l'intelligence, c'est cet esprit dont l'Ecriture sainte dit qu'il est une lampe divine. Vous savez à quoi sert une lampe. Elle sert à éclairer. Eh bien, Dieu a muni chacun de nous d'une lampe, lampe merveilleuse, que nous portons partout avec nous et dont nous avons partout besoin pour nous conduire dans la vie. Cette lampe, c'est notre esprit. Mais vous savez tout ce qu'il faut pour qu'une lampe marche bien, pour qu'elle donne une belle lumière; il ne suffit pas qu'elle ait une mèche, il ne suffit pas non plus que la lampe soit jolie extérieurement, qu'elle ait des formes élégantes; il faut y mettre de l'huile. Qu'arrive-t-il quand l'huile manque dans une lampe? elle fume, elle ne jette qu'une lueur faible et incertaine, et elle ne sert plus à grand'chose. Eh bien, il en est de même de notre esprit. C'est la lampe, mais il faut y mettre de l'huile, et cette huile, c'est l'instruction, ce sont les connaissances que l'on acquiert. Plus la provision est grande, plus la lumière a d'éclat et de durée. Les hommes qui ont beaucoup appris, beaucoup étudié et réfléchi, ressemblent à de brillants flambeaux; ce sont eux, les savants, les génies, les inventeurs, qui éclairent la route de l'humanité, qui lui montrent le but vers lequel elle doit se diriger.

Ils sont comme les phares de la société. Ceux d'entre vous qui ont été au bord de la mer, savent ce que c'est qu'un phare. C'est une grande lumière placée au sommet d'une tour au bord de la mer, à l'entrée du port ou sur les écueils qu'il doit éviter. Quand la nuit arrive, et qu'elle étend ses voiles sur l'immensité des flots, le phare s'allume comme une étoile et les navigateurs peuvent l'apercevoir de très-loin. Il se dresse dans la nuit, semblable à une sentinelle vigilante qui crie aux matelots: Prenez garde ! voici le rocher où votre navire pourrait se briser; ou bien : voici le port où il trouvera la sécurité. Eh bien, les hommes dont je parle sont, dans le monde, les lumières, les phares qui indiquent aux autres le chemin qu'ils doivent suivre pour arriver à bon port. Ceux au contraire qui ne savent rien, qui n'ont pas été à l'école, ou qui n'y ont rien appris, ne sont que de mauvais lumignons fumants qui ne suffiraient pas à éclairer une cabane.

Il faut donc vous instruire, mes enfants, il faut faire provision d'huile pour que votre lampe soit bien alimentée pendant le voyage de la vie. C'est à l'école qu'on la vend, cette huile précieuse, ou plutôt qu'on la donne gratuitement. Il faut prendre la peine d'aller l'y chercher et d'en emmagasiner autant qu'il vous sera possible. Plus vous en prendrez au marchand, plus il sera heureux. Vous êtes à l'âge de la provision; - plus tard ce sera l'âge de la dépense. Acquérez aujourd'hui; demain vous ne le pourrez plus, vous n'en aurez pas le temps, ni même peut-être l'occasion.

Votre mémoire est un magasin où il vous faut recueillir tout ce que vous entendez de bon, tout ce que vous lisez et tout ce que vous apprenez. Instruisez-vous dans toutes les branches de la connaissance; pénétrez dans tous les domaines du savoir. Partout où vous irez, dans quelque carrière que vous entriez , vous emporterez avec vous les provisions que vous aurez amassées peu à peu dans votre esprit; et peut-être un jour, telle chose que vous aurez apprise longtemps auparavant vous reviendra à la mémoire, juste au moment où vous en aurez besoin. Ceci me rappelle l'histoire du grand missionnaire des îles de l'océan Pacifique, John Williams.

Quand il avait votre âge, il était garçon de magasin chez un quincaillier, ce qui ne l'empêcha pas de devenir un homme fort distingué. Et savez-vous pourquoi? c'est qu'il avait la passion de s'instruire; il avait la bonne curiosité, non pas celle qui écoute aux portes, mais celle qui veut tout savoir et se rendre compte de tout. Au fond de la boutique où il servait les clients, il y avait un atelier de forgeron où un certain nombre d'ouvriers fabriquaient différents articles en fer. C'est là que le jeune William accourait aussitôt qu'il avait un moment à lui. Il regardait les ouvriers travailler, il leur aidait, - et bientôt il devint lui-même un si habile ouvrier que lorsqu'il y avait quelque pièce difficile à faire, c'était lui seul qui pouvait s'en charger. Quelques années plus tard, ayant fait des études et s'étant consacré à l'oeuvre missionnaire, nous le retrouvons sur un navire en route pour les mers du Sud, bien loin, si loin qu'il fallait alors plusieurs mois pour y arriver. Que faire pendant ce temps ? John Williams s'instruit. Il interroge les matelots, il se fait montrer tous les coins du navire et veut savoir comment il est fait ; il interroge le charpentier sur la manière de construire un bâtiment, de l'équiper, de le réparer, et il emmagasine toutes ses connaissances dans sa mémoire. Le voici dans l'île de Rarotonga, après plusieurs années de labeur. Les sauvages ont brisé leurs idoles et se sont convertis à l'Évangile. Le missionnaire se sent appelé dans son coeur à passer dans d'autres îles païennes pour y porter la bonne nouvelle d'un Sauveur crucifié pour expier nos péchés. Mais il n'y a aucun moyen d'effectuer la traversée. Pas de navire! comment faire? Il prie et réfléchit longtemps. Enfin il se décide à en construire un lui-même. Quelle entreprise gigantesque pour un seul homme! N'est-ce pas folie de la tenter dans un pays où il n'y a ni bois de construction, ni outils suffisants, ni ouvriers spéciaux pour l'aider? Et pourtant il se met à l'oeuvre et n'a pas un moment de repos qu'il n'ait achevé, frété et lancé à la mer sa goélette, le « Messager de paix , » qui le conduit dans des parages où n'avait jamais retenti la voix d'un serviteur de Dieu. Voyez-vous de quelle utilité furent pour lui tous ces lambeaux de connaissances réunis peu à peu soit dans l'atelier, soit auprès des matelots, et comme ils contribuèrent à étendre le champ des missions chrétiennes !

Mes amis, ne négligez donc aucune occasion d'augmenter votre trésor de connaissances; lisez beaucoup, écoutez beaucoup, instruisez-vous; tout ce que vous apprendrez vous servira plus tard, soyez-en sûrs ; rien ne sera inutile.

Je veux vous dire maintenant quelques mots d'un talent que vous avez tous le bonheur de posséder, et qui joue un grand rôle dans l'activité humaine et dans la société. Je vais vous le montrer. Le voyez-vous, ce merveilleux instrument qu'on appelle la main ? Quel outil admirable! l'outil qui fait tous les autres! le mieux fait, le plus ingénieux qui soit au monde; d'une souplesse, d'une adresse et d'une force étonnantes, et capable d'accomplir de véritables prodiges. Eh bien! cette main est un capital, mes enfants, un capital vivant; c'est le seul que possèdent bien des gens, le seul peut-être que vous posséderez jamais. Mais pour que ce capital rapporte intérêt, il faut le faire travailler, il faut l'armer d'un marteau, d'une aiguille ou d'une plume. Le Maître a donné ce capital à tous ses serviteurs; - mais parmi ces serviteurs, il y en a qui l'enfouissent où? dans leur poche, et qui l'y laissent dormir comme le serviteur paresseux de la parabole avait enfoui son talent dans la terre. C'est là l'explication de beaucoup de misères sociales, la source de bien des pauvretés. Il ne faut pas les imiter, mes enfants. Il faut de bonne heure habituer vos mains au travail, il faut les rendre laborieuses. Quand elles ont des devoirs à faire à l'école ou des services à rendre à la maison, il faut qu'elles s'y mettent avec ardeur. Que j'en ai vu de petites mains paresseuses, lentes, qui ne travaillent qu'avec mollesse et en s'arrêtant à chaque instant! Que j'en ai vu qui, au moindre prétexte, laissent de côté le livre ou l'aiguille! Je me dis alors : « Quel dommage! Voilà un talent qui ne produit rien, voilà un capital perdu !» Et je me rappelle ce verset du livre des Proverbes : « La main paresseuse appauvrit; mais la main des diligents enrichit. » (Prov., 10, 4.)

Vous sauriez tous, j'espère, me montrer sur une carte d'Europe la Russie. C'est le plus grand état du monde pour l'étendue de son territoire. Il y a juste deux cents ans, il y avait à la tête de cet état un homme très remarquable, dont vous avez peut-être entendu parler, le czar Pierre 1er. Ce prince avait compris l'importance du capital dont je vous parle en ce moment; il avait compris qu'une main habile et laborieuse est un des plus sûrs fondements de la prospérité des états. Et savez-vous comment il s'y prit pour enseigner à son peuple la manière de se servir de ce capital? Il ne fit ni décrets, ni discours; il fit mieux, il prêcha d'exemple. Il se fit ouvrier lui-même. La main qui tenait le sceptre voulut tenir la scie et le marteau. Il alla en Hollande s'établir dans un petit village qu'on appelle Saardam, et là, il se fit inscrire sur le rôle des ouvriers charpentiers, sous le nom de Pierre Mikailov. Il commença par acheter une barque, à laquelle il fit un mât de ses propres mains; ensuite il travailla à toutes les parties de la construction d'un vaisseau, menant la même vie que les ouvriers, s'habillant, se nourrissant comme eux, travaillant dans les forges, dans les corderies, dans les moulins, - apprenant comment on scie le sapin et le chêne, comment on fait l'huile et le papier. Il acheva de ses mains un vaisseau de soixante canons et le fit partir pour Archangel. Il continua ainsi pendant deux ans ses travaux de constructeur de vaisseau, d'ingénieur et de physicien. On montre encore aujourd'hui à Saardam la maisonnette de planches qu'il occupait ; - je l'ai vue et visitée moi-même. Il voulut même apprendre le métier de forgeron. Il eut bientôt réussi, - et quelques jours avant son départ, il forgea quelques barres de fer, puis il se fit payer ce travail par le maître de forges à sa juste valeur et employa cet argent à acheter des souliers. Il se plaisait à les porter et à dire : « Voilà des souliers que j'ai gagnés à la sueur de mon front. » - C'est ainsi, mes enfants, que le czar Pierre commença à faire d'une nation barbare, une nation civilisée. « La main des diligents enrichit. »

Mes enfants, vous n'êtes pas encore à l'âge où le travail de vos mains peut vous enrichir; mais il y a un autre intérêt que vous pouvez faire dès maintenant rapporter à ce capital; vous pouvez rendre vos petites mains utiles aux autres. Utiles, notez bien ce mot. Le grand but de la vie, c'est d'être utiles, c'est de servir. Pourquoi le serviteur de la parabole qui avait caché son talent dans la terre fut-il puni si sévèrement ?

Ce n'est pas parce qu'il avait volé son maître ; non, il lui avait remis fidèlement la somme qu'il avait reçue de lui; - il fut puni parce qu'il avait été inutile. Jetez le serviteur inutile dans les ténèbres de dehors. C'est la même sentence que nous trouvons dans une autre parabole contre le figuier sans fruit: « Coupe-le, pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? » - Il faut donc bien nous pénétrer de cette pensée, mes enfants, que nul ne doit vivre pour lui-même, en égoïste; - que nous sommes ici-bas non pour être servis, mais pour servir. Les hommes utiles, - on commence à le comprendre aujourd'hui, méritent la reconnaissance et l'admiration de l'humanité beaucoup plus que les grands hommes qui n'ont cherché que la gloire et l'éclat des conquêtes. « L'utile vaut mieux que le brillant. » Et ceci me rappelle une toute petite histoire que je vais vous conter.

Un gentilhomme visitait l'un de ses amis. Il s'était brillamment paré et portait une bague où étaient enchâssées deux pierres fines d'une grande valeur. Il ne manqua pas de les montrer et d'en tirer vanité. Son ami lui dit : - « A quoi te servent ces pierres, et quel profit en retires-tu ? » - « Aucun, répondit le gentilhomme.» - « Eh bien ! mon ami, je suis plus heureux que toi, car j'ai deux pierres précieuses qui sont utiles à bien des gens et avec lesquelles je gagne plus de mille francs chaque année. » Le gentilhomme voulut voir ces pierres, - et son ami le conduisit devant les meules de son moulin.

Mes chers enfants, apprenez de bonne heure à être utiles dans vos familles, à rendre à vos parents tous les petits services que vous pouvez rendre; - ces services sont nombreux. Quand il m'arrive de sortir de bonne heure, - je rencontre quelquefois en chemin des enfants utiles. - tantôt c'est un petit garçon qui porte un seau d'eau ou un gros pain de quatre livres sous le bras, tantôt une petite fille qui tient une boite de lait ou un panier de légumes; - et cette vue me réjouit. Mettez-vous gaiement et de bonne grâce au service des autres; - je dis gaiement, car je sais qu'il y a bien des enfants qui se plaignent, qui murmurent, quand on les envoie faire une commission ou quand on leur demande les plus légers services. Ah! il faut combattre l'égoïsme, mes enfants, - et de bonne heure, et tous les jours ; c'est notre grand ennemi, - et si on ne l'attaque pas aussitôt qu'il se montre, il s'établit dans notre coeur comme dans une place forte. Ne perdez pas une occasion d'être complaisants, de faire plaisir aux autres, de leur rendre service. Soyez bons, soyez dévoués dans les petites choses, et vous le serez plus tard dans les grandes; - et la somme de bien que vous pourrez faire ainsi dans votre vie sera immense.

Il y a un dernier talent qui vous a été confié, mes enfants, dont il me reste à vous parler, - et celui-là est le plus précieux de tous, c'est la vérité chrétienne, c'est l'Évangile. Oui, ce talent vous a été confié. Vous connaissez la bonne nouvelle de l'Évangile, vous savez ce qu'est Dieu, et ce qu'il demande de nous; vous avez entendu parler du Seigneur Jésus : vous savez qu'il est venu du ciel chercher et sauver ceux qui sont perdus; - vous savez que si on l'aime, si on croit en lui, et si l'on marche sur ses traces, on sera recueilli auprès de Dieu dans un monde meilleur, resplendissant de gloire et de beauté, et que là on jouira d'une félicité éternelle et parfaite. - Eh bien ! mes enfants, connaître ces choses, c'est avoir un trésor immense, un trésor plus précieux que tous les trésors de la terre; mais à une condition, c'est de vous servir de cette connaissance, - c'est de la faire valoir. Je suppose que l'on vous dise ceci: « Un homme extrêmement riche qui habite dans un pays lointain vous a fait son héritier. Il vous laisse un château magnifique, un parc immense, et une fortune de plusieurs millions. Hâtez-vous d'aller recueillir cet héritage, Mais faites bien attention au chemin que vous devez prendre pour y parvenir! Il n'y en a qu'un, un seul, et encore il n'est pas facile, - c'est un petit sentier étroit. » Eh bien! je vous le demande, à quoi vous servirait-il de connaître ce chemin si vous ne le suivez pas?... si, voulant faire à votre fantaisie, vous en prenez un autre qui vous égare - et qui finit par vous conduire dans un abîme affreux ?

Eh bien! mes enfants, cette supposition est une réalité. Un roi, le roi des rois, Dieu, vous a fait ses héritiers. Il tient pour vous en réserve le plus beau des palais, la plus splendide des *demeures, le ciel, et il vous a fait connaître le chemin qui y conduit. Il vous a envoyé son fils unique pour vous servir de guide, pour vous prendre par la main. Jésus-Christ a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Ah! mes enfants, bénissez Dieu de vous avoir fait connaître le bon chemin, le chemin du salut et de la vie éternelle; - profitez de cette connaissance, suivez ce chemin... Il -n'a jamais trompé personne, je peux vous l'affirmer. Jamais aucun de ceux qui s'y sont engagés ne s'en est repenti. Suivez-le donc, mes chers enfants, - entrez par la porte étroite, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent; mais la porte étroite et le chemin étroit mènent à la vie, et il y en a peu qui le trouvent.

Encore un mot avant de finir. Vous voyez, mes chers amis, combien j'avais raison de vous dire que vous êtes de riches capitalistes ; vous voyez que de privilèges Dieu vous a accordés, que de bénédictions, que de moyens de grâce et d'instruction ! - Tout cela, et beaucoup d'autres choses que je ne vous ai pas nommées, ce sont les talents que vous devez faire Valoir. Dieu vous en demandera compte un jour. Ah! puissiez-vous alors lui montrer, comme les bons serviteurs de notre parabole, de nouveaux talents gagnés avec ceux qu'il vous a confiés, afin que chacun de vous entende sortir cette parole de la bouche du maître : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur. »


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