Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA CHARITÉ ESPÈRE TOUT

- 19 Novembre 1871 -
Elle (la charité) espère tout.

I. Cor. XIII, 7.


Mes Frères,

De tous les biens qu'il nous est donné de connaître ici-bas, je ne sais si l'espérance n'est pas le plus précieux. Que serait la vie sans espérance? Quel est celui d'entre nous que le passé n'ait déçu, et que le présent n'attriste plus ou moins? -Que deviendrions-nous s'il ne nous restait pas l'avenir, l'avenir qui nous promet, qui nous sourit, qui nous console ? L'espérance est la compagne, l'amie sur laquelle nous avons besoin de nous appuyer pour faire le voyage de la vie. Si elle nous abandonne, la lumière s'éteint sur notre sentier, et nous n'avons plus ni joie ni courage. Dans notre condition présente, en face d'une réalité qui ne peut pas nous satisfaire pleinement, que dis-je ? qui excite plutôt qu'elle n'apaise notre soif de jouissances, l'espérance est le vrai nom du bonheur. Quelque faible qu'elle soit, tant qu'elle subsiste, on n'est pas complètement malheureux. Aussi le poète a raison qui met cette inscription au-dessus de la porte de l'Enfer : « Vous qui entrez ici, quittez toute espérance. »

Si nous avons besoin d'espérance pour être heureux, nous n'en avons pas moins besoin pour agir. Il n'y a pas d'activité féconde sans une certaine confiance dans le succès. On n'entreprend rien quand on n'espère rien. Le cultivateur ne se donnerait pas la peine de labourer et d'ensemencer son champ, s'il ne comptait pas sur la moisson. C'est l'espérance qui provoque l'esprit d'initiative, qui nourrit l'ardeur, qui entretient la persévérance.

Mes Frères, après les douloureux événements que nous venons de traverser, l'espérance nous est plus nécessaire que jamais, car nous avons besoin et d'être consolés et d'être pleins de courage pour l'action. Notre tâche est immense, comme notre douleur. Bien des ruines se sont accumulées autour de nous: nous avons à les relever ; la puissance du mai et des ténèbres s'est manifestée avec une intensité formidable: nous avons à lui opposer la puissance du bien et de la lumière. Toutes les plaies de notre malheureuse patrie ont été mises à nu : nous avons à les guérir. Dieu met aujourd'hui devant nous une grande oeuvre de relèvement moral à accomplir. Il nous appelle, nous chrétiens, nous protestants surtout, à répandre l'instruction dans notre pays, à lui faire connaître le pur Evangile, à travailler, en un mot, de toutes nos forces à sa régénération morale et religieuse.

Or, pour remplir cette tâche, pour l'essayer même, - il faut espérer, il faut avoir confiance dans la possibilité de cette régénération. L'avons-nous? Avons-nous foi en l'avenir? Hélas! nous avons perdu bien des illusions; nous avons assisté à un déchaînement de mal auquel nous ne nous attendions pas, et qui a dépassé les prévisions des plus pessimistes; nous avons frémi en voyant tout ce qui se cache encore de haine et de barbarie sous le vernis brillant de notre civilisation. Aussi l'inquiétude est dans bien des coeurs, les découragés et les pessimistes ne manquent pas, et rien n'est plus rare que d'entendre aujourd'hui l'accent de l'espérance. Eh bien, mes frères, c'est cet accent que je voudrais vous faire entendre aujourd'hui. S'il doit retentir quelque part, n'est-ce pas du haut de la chaire chrétienne? Oui, c'est une, parole d'espérance et d'encouragement que j'ai à coeur de vous apporter. Je voudrais vous montrer que notre premier devoir, dans la situation actuelle, est d'espérer, d'avoir confiance en l'avenir; ou plutôt, fidèle à mon texte, j'essayerai de vous montrer que l'amour est la source de l'espérance ; que ce rameau, plein d'une sève généreuse et chargé de si belles fleurs, c'est le tronc puissant de la charité qui le porte et le nourrit.

La charité espère tout, dit l'apôtre. L'espérance, en effet, est un des privilèges de la charité, une qualité qui lui est inhérente, qui lui appartient en propre. Ce sont là deux vertus qui ne se séparent pas. L'amour appelle l'espérance, comme la cause appelle l'effet. Il faut, pour être enclin à l'espérance, une chaleur, un élan, une générosité, et, disons le mot, un optimisme que la charité seule peut communiquer à l'âme. Ce n'est pas dans les coeurs secs, dans les âmes froides, que l'espérance peut jeter de profondes racines. C'est une plante qui ne pousse qu'au soleil, au chaud soleil de la sympathie et de l'affection. Elle est une des formes de la joie, de cette joie saine et bonne dont l'amour chrétien ouvre la source dans l'âme.

Mais entendons-nous bien. Il ne faudrait pas confondre l'optimisme qui vient de la charité avec celui qui naît du tempérament. Il y a des gens, - vous en connaissez sans doute, qui ont une disposition naturelle à voir tout en beau, à ne douter de rien, à ne s'inquiéter d'aucun péril. Mais ce flegme vulgaire, je devrais dire charnel, qu'on décore parfois dans le monde du nom de philosophie, n'a rien de commun avec l'espérance, dont l'Écriture a fait une vertu, et qu'elle a placée entre la foi et l'amour.

Ne la confondons pas non plus avec l'optimisme de parti pris. Il est facile de bien espérer de toute chose quand on est résolu à fermer les yeux à la réalité, à nier systématiquement le mal, et à déclarer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Hélas! nous ne le connaissons que trop dans notre pays, cet optimisme « au coeur léger » qui étouffe la voix austère de la vérité, toutes les fois qu'elle s'élève pour signaler des abus et des fautes. C'est lui qui a entretenu si longtemps parmi nous les illusions les plus grossières, hélas! et les plus funestes sur l'état réel de notre pays, - et a dissimulé l'abîme qui allait s'ouvrir soudain sous nos pas. L'espérance qui naît de la charité n'a besoin , pour exister, d'aucune illusion, d'aucun mensonge. Elle ne cherche ni à dissimuler le mal, ni à exagérer le bien; elle est assez forte pour supporter le regard de la vérité.

Mes frères, si la charité espère tout, c'est d'abord parce qu'elle voit tout. Elle voit le mal, je l'ai dit, - mais elle voit aussi le bien; elle le voit, parce qu'elle cherche à le voir, parce qu'elle est habile à le comprendre, à le deviner, à en découvrir les plus faibles manifestations, les plus légers symptômes.

Et voyant le bien, - elle connaît tous les sujets d'encouragement, tous les motifs de confiance, comme complètement perdu le fils prodigue qui,. loin de vous, a vécu dans la dissipation et dans le mal? Ah! celui qui pourrait le croire ne connaîtrait pas votre coeur! Non, vous aimez, - et le regard de votre tendresse voit tout ce qu'il y a encore de nobles instincts, de généreuses aspirations dans celui que la foule indifférente a déclaré peut-être totalement perverti. Vous aimez, et seules vous apercevez l'étincelle cachée que le souffle d'en-haut pourra vivifier un jour; - et vous espérez contre toute espérance.

Au contraire, quand on n'aime pas, - on ne voit que le mal, et le mépris finit par tuer l'espérance. L'expérience ne le prouve que trop souvent. Nous sommes en général plus frappés du mal que du bien. Nous trouvons même un détestable plaisir à le signaler, à le faire ressortir, à l'exagérer. C'est une remarque qu'on a souvent faite, qu'il nous est plus facile de décrire le mal et la souffrance que le bien et le bonheur, - les héros du vice que ceux de la vertu. Qui n'a observé d'ailleurs combien l'esprit critique est développé dans la conversation; et qu'est-ce que l'esprit critique, sinon la disposition à voir le mal plutôt que le bien, et à le juger sans miséricorde?

Laissez grandir cette disposition naturelle, au lieu de la combattre par la charité; laissez-la s'accroître en s'exerçant, - et vous deviendrez pessimiste et dédaigneux en croyant devenir observateur et positif; vous vous accoutumerez tellement à voir le mauvais coté des hommes et des choses que vous ne verrez plus que celui-là, et que vous soupçonnerez le mal là même où il n'existe pas. Le dénigrement vous deviendra alors une habitude et presque un besoin. Quand on en est là, on n'espère plus rien, on se résigne, et on s'éteint!

Vous en avez rencontré sans doute de ces résignés, de ces positifs, de ces sceptiques. Ils ont appelé naïves vos espérances; ils vous ont dit que vous étiez bien jeunes! - ils ont accueilli avec un sourire de pitié votre foi au progrès, à l'avenir, à l'humanité. Mais si vous avez mis votre main sur leur coeur, je doute que vous l'ayez trouvé bien chaud.

Ah! quand nous saurons jeter sur l'humanité, non le regard d'un juge sévère, - mais celui d'un frère compatissant, - nous saurons voir tout ce qu'elle a d'aimable et de bon; nous ne serons pas frappés seulement de ses misères, nous serons attentifs aussi à ses grandeurs , à ses aspirations généreuses, à ses progrès incontestables; - et nous ne désespérerons pas d'elle. Après tout, les grands principes de l'Évangile, la justice, la liberté, la fraternité ne sont-ils pas de plus en plus respectés dans le monde? Les fers de plusieurs millions d'esclaves ne viennent-ils pas de tomber aux États-Unis, et ne vont-ils pas tomber dans l'Amérique du Sud? Les serfs de la Russie ne sont-ils pas affranchis ? La guerre et la conquête ne sont-elles pas de plus en plus maudites et abhorrées? Et vit-on jamais pour en soulager les maux', - un plus magnifique déploiement de charité que celui dont nous venons d'être les témoins? N'est-on pas plus préoccupé que jamais de soulager les souffrances des classes pauvres, d'améliorer leur sort, de dissiper leur ignorance? Y a-t-il quelque part, dans quelque coin reculé du monde, une iniquité commise contre laquelle ne s'élèvent pas aussitôt des protestations nombreuses et souvent écoutées ?

Niera-t-on que la conscience de l'humanité ne soit aujourd'hui plus éclairée et plus large qu'elle ne l'était il y a un siècle, et que de grands progrès moraux n'aient été accomplis durant ce laps de temps?

Sans doute le progrès ne suit pas une marche continue, régulière, certaine. Il n'est pas fatal. Il y a des époques néfastes où l'humanité s'arrête ou recule, comme il y a dans la vie de chacun de nous des moments de lassitude et de défaillance. Mais, à tout prendre, la volonté de Dieu s'accomplit, le plan. de la Rédemption du monde se poursuit, et l'humanité se rapproche du but glorieux qui lui a été assigné. Tenez-vous au bord de l'Océan, à l'heure de la marée montante, Voyez! le flot arrive sur la plage en écumant, puis il recule; vous diriez que ces mouvements sont égaux, que ce balancement est régulier, - et que ce que le flux gagne, le reflux le lui fait perdre. Mais revenez au bout de quelque temps, et vous verrez que la masse entière s'est avancée, et que la mer couvre toute la plage. Voilà l'image du progrès. La causé du bien et de la vérité a ses défaites momentanées comme elle a toutes les ressources sur lesquelles on peut compter, toutes les forces qui peuvent amener la délivrance ou le triomphe désiré.

Oui, la charité espère parce qu'elle sait voir des points lumineux dans la situation la plus sombre, parce qu'elle sait trouver chez l'homme ou chez le peuple le plus dégradé, de bons désirs , des germes de vertu , des points d'appui pour son relèvement. Il en est de l'amour comme du soleil : tout est moins triste à la clarté de ses rayons. Semblable à l'aiguille aimantée qui se tourne sans effort vers le pôle, la charité se tourne instinctivement vers le bien. Elle se plaît à faire ressortir les qualités et les beautés de son objet, non ses défauts et ses faiblesses; et si elle couvre la multitude des péchés, comme dit un apôtre, c'est parce qu'elle sait apercevoir aussi la multitude des vertus.

Je vous le demande, avez-vous jamais désespéré, par exemple, de la conversion d'une âme qui vous est chère? Avez-vous jamais cru, ô mères, qu'il n'y avait plus rien à attendre de cet enfant égaré pour lequel vous avez tant de fois prie en vain. jusqu'ici? Avez-vous abandonné ses triomphes. Il y a des heures où elle semble à jamais vaincue, Ne craignez rien! c'est le reflux qui emporte un instant la vague en arrière : la même vague va revenir bientôt, et elle s'élancera plus loin que jamais sur le rivage. --

Ce que je dis de l'humanité en général, je le dis de notre patrie. Aimez-la et vous ne désespérerez pas d'elle. Savent-ils l'aimer, ceux qui la dénigrent sans cesse, ceux qui oublient ses vertus,- oui ses vertus , - pour ne raconter que ses misères et ses vices, qui la représentent comme tellement gangrenée qu'elle est désormais impuissante à se relever? Ah! ils ne se doutent pas du mal qu'ils lui font, du découragement qu'ils sèment partout sur leurs pas! Les pessimistes font tomber les armes des mains. A quoi bon faire des efforts? A les entendre, c'est peine inutile. Le mal est sans remède, la corruption générale tout décline, tout s'écroule, tout se précipite vers une ruine inévitable. Conclusion : enfermons-nous dans notre égoïsme et laissons aller les choses!

Ah! chrétiens, comprenons mieux le vrai patriotisme ! Aimons la France et nous nous garderons bien de ces paroles décourageantes qui énervent les âmes, qui paralysent les efforts, qui tuent les initiatives. Nous n'avons pas aujourd'hui de devoir plus immédiat, laissez-moi dire plus sacré, que celui de fortifier chez tous l'espérance, par nos paroles et par notre exemple. L'espérance a sa contagion. A nous de la répandre cette contagion bienfaisante ! L'espérance est une impulsion; à nous de la communiquer! L'espérance est une lumière et une consolation; à nous de la faire briller au milieu de nos tristesses!

D'ailleurs, cette espérance n'est pas une généreuse illusion que nous avons à déposer comme une offrande, j'allais dire comme une aumône, sur l'autel de la patrie, c'est un acte de simple équité. Autant il serait puéril de nous dissimuler la gravité de notre situation, autant il serait injuste de ne pas reconnaître que cette situation s'améliore, que la France se connaît mieux qu'autrefois, qu'elle sent mieux ses fautes et son ignorance qu'elle a un désir plus sérieux de s'en corriger, que son patriotisme s'est réveillé, qu'elle vaut enfin mieux qu'avant ses malheurs, ne serait-ce que parce qu'elle sent le besoin d'une complète régénération,

Nous ne nous découragerons donc point! Oui, nous voulons espérer, nous espérons en toi, ô notre patrie bien-aimée! nous croyons que tu sortiras purifiée du creuset de l'affliction ; nous croyons que tu accepteras l'Évangile quand tu le connaîtras tel qu'il est; nous croyons que ta mission n'est pas achevée dans le monde, et que le jour vient où ton génie lumineux et sympathique, éclairé par la vérité, retrempé par le malheur, brillera d'un éclat plus glorieux que jamais. Au 'fond de la coupe de nos douleurs, nous avons retrouvé l'espérance, parce que nous avons retrouvé l'amour pour toi, un amour dont nous ne soupçonnions ni la force ni la tendresse!

Si la charité espère tout, c'est, en second lieu, parce qu'elle peut tout. Elle est à elle-même sa raison d'espérer, car elle sent sa force, et cette force est immense. Rien ne lui résiste en ce monde. L'amour est plus fort que la mort, dit l'Ecriture. Et si cela est vrai d'un amour souvent égoïste et charnel, combien plus cela ne l'est-il pas de l'amour chrétien qui a son principe en Dieu? Où sont ses bornes en effet? Où sont les obstacles qu'il ne puisse pas renverser? Où sont les maux qu'il ne puisse pas soulager, sinon guérir? Comme la foi, dont elle est la fille, la charité transporte les montagnes. Qui dira sa puissance dans le monde? L'histoire des oeuvres qu'elle a accomplies, serait, à vrai dire, celle de la civilisation elle-même. Tous les grands progrès moraux que l'humanité a réalisés ont été dus à la charité. Avant d'être inscrits dans les lois et de passer dans les moeurs, la charité les avait pressentis et réclamés. C'est elle qui a toujours porté le premier coup à toutes les iniquités sociales. N'est-ce pas dans un coeur chrétien qu'a commencé l'émancipation des esclaves? Et aujourd'hui encore, sur quelle force pouvons-nous compter pour continuer le progrès dans le monde, pour apprendre la civilisation aux peuples qui ne la connaissent pas encore? A coup sûr, ce n'est pas sur celle de la violence et de la conquête. La force brutale peut détruire, mais elle ne peut rien fonder. Les conquêtes morales ne sont dues qu'à la force morale. Ce n'est pas non plus la puissance des intérêts matériels, le développement du commerce, les ressources de l'industrie moderne, qui peuvent faire sortir les peuples d'une dégradation ou d'un assoupissement de plusieurs siècles. Croyez-vous que les négociants européens qui vont établir leurs comptoirs sur les plages lointaines de l'Océanie, de l'Inde ou de l'Afrique, y apportent avec eux la civilisation? Hélas! ils n'y apportent souvent que nos vices. La puissance de civilisation, savez-vous où elle est? Elle est dans le coeur de ce pieux missionnaire qui a quitté ses parents, ses amis, sa patrie, pour aller, au péril de sa vie, instruire quelque peuplade sauvage. C'est un amour dévoué et persévérant qui seul allumera, au milieu des ténèbres du paganisme, l'étincelle d'une vie supérieure, qui jettera les bases d'un peuple nouveau, et qui arrachera à la longue un pays tout entier à l'ignorance et à l'abrutissement.

Et chez nous, dans notre vieille Europe, quelle est la grande puissance de moralisation et de progrès sur laquelle nous pouvons compter? Ce n'est pas sur celle de la loi. La loi réprime le mal, mais elle ne le guérit pas. La société frappe le coupable, mais elle ne le change pas, et souvent, au contraire, la répression ne sert qu'à le rendre pire. C'est le coeur qu'il faut atteindre pour améliorer, puisqu'en lui sont les sources de la vie, et l'amour seul le peut.

Suivez-moi par la pensée dans un des quartiers les plus misérables et les plus mal famés de Londres. Voici un simple laïque, un ouvrier pieux peut-être, qui, en pleine rue, groupe autour de lui quelques passants, quelques pauvres femmes, et qui leur parle de Dieu, de leur âme immortelle, du salut qui est en Jésus-Christ. Voici l'agent d'une société de tempérance qui pénètre avec courage dans les cabarets et les lieux les plus immondes pour y recruter des adhérents, - c'est-à-dire pour persuader aux ivrognes de s'engager par serment à s'abstenir de toute liqueur forte, de toute boisson excitante. Voici une femme de la Bible, une grande dame peut-être,- qui gravit l'escalier obscur et tortueux d'une misérable maison, pour aller lire et expliquer à quelques pauvres ignorants les paroles de l'espérance et de la vie éternelle. Voici l'agent d'une autre société qui recueille les enfants déguenillés des faubourgs et qui les réunit dans un vaste établissement où on les habille, où on les soigne, où on les instruit, où on leur apprend le travail, l'ordre et l'économie.

Les voilà, mes frères, les vrais ouvriers du progrès ! c'est dans l'armée de la charité qu'on les rencontre. Voilà les dévouements obscurs qui font avancer le règne de Dieu et qui régénèrent le 'monde. Tandis que les uns font de belles théories et rêvent une société nouvelle dans laquelle on décrétera l'abolition de la pauvreté et du vice, - et tandis que d'autres déclament contre la corruption générale, - les chrétiens agissent, - et ils espèrent, parce qu'ils aiment. Ils fondent des sociétés innombrables de bienfaisance et d'évangélisation; ils n'oublient aucune des classes souffrantes de la société; ils vont à la découverte de toutes les misères pour les soulager, de tous les vices pour les combattre. A toutes les formes de la dégradation et du malheur ils savent opposer toutes les formes de cette charité ingénieuse,

Qui cherche la douleur comme on cherche un trésor, pour employer l'heureuse expression d'un de nos cantiques. C'est l'amour qui a sauvé le monde, c'est l'amour qui continue à le sauver. Aussi bien, mes frères, la question sociale qui est le grand problème et le grand péril de notre époque, - c'est la charité chrétienne qui a seule l'espérance de la résoudre, parce que seule elle en a la puissance. Ce noeud gordien ne sera tranché que par l'épée de l'amour. Sans doute la science peut éclairer de ses lumières ce sujet si délicat et si complexe; sans doute les législateurs et les économistes peuvent réaliser d'utiles réformes dans ce domaine, et amener une répartition plus équitable des fruits du travail ; mais en attendant ces améliorations nécessairement très lentes, n'est-ce pas une sympathie généreuse, intelligente et bonne qui opérera le plus efficacement le rapprochement des classes, qui consolera les pauvres et qui améliorera leur sort ?

Oui, la charité espère tout, parce qu'elle essaye tout et qu'elle peut tout. Les découragés, les pessimistes, ce sont ceux qui ne font rien, ceux qui savent critiquer, mais qui ne savent pas agir; ceux qui restent tranquillement chez eux au lieu de chercher à se rendre utiles; ceux qui s'enferment dans le petit cercle de leurs intérêts, de leurs affaires ou de leur bien-être, sans se donner jamais la peine de prendre une généreuse initiative dans une bonne oeuvre. C'est cet égoïsme, soyez-en sûrs, qui nous a plongés dans l'abîme où nous sommes.

Nous n'en sortirons que par le dévouement. Ce qu'il nous faut aujourd'hui pour relever la France, c'est l'apostolat de la charité. Lui seul guérira nos plaies morales et nos plaies matérielles. Eh bien, mes frères, nous y sommes tous appelés, quelque position que nous occupions dans la société. Que chacun donc, sans attendre d'autrui l'impulsion, se mette à l'oeuvre. Que chacun se dise: J'ai quelque chose à faire, j'ai quelque chose à donner; j'ai une part de temps, de force, de talent ou d'argent que je peux et que je dois consacrer à l'instruction et à l'évangélisation de mon pays, et nous ferons de grandes choses, car ce qu'un seul peut faire est incalculable !

Combattons l'esprit chagrin et pessimiste en combattant l'égoïsme. Car c'est l'égoïsme qui est la source cachée de nos découragements : il nous dessèche, il nous paralyse, il nous dévore moralement. Voulez-vous garder le secret des belles ambitions et des généreux enthousiasmes? Voulez-vous conserver cette faculté d'espérer qui est la jeunesse de l'âme? Voulez-vous, au milieu des tristesses et des amertumes du présent, sentir votre coeur ferme, confiant, animé d'un souffle puissant ? Apprenez à aimer, apprenez à donner, apprenez à vous oublier pour les autres. 0 mes frères, que ne puis-je faire passer dans vos coeurs la conviction qui remplit le mien en ce mo. ment! Quand je songe à ce qu'est la vie humaine, à cette vie qui. s'écoule si rapidement, à cette nuit qui se hâte dans laquelle personne ne pourra plus travailler à ces réalités solennelles du jugement dont nous sépare la fragile cloison de l'existence matérielle, je sens avec une étrange intensité qu'après tout il n'y a qu'une seule chose vraiment bonne ici-bas, une seule chose qui ne laisse point de regrets, une seule qui puisse nous satisfaire et nous consoler, c'est d'aimer; et qu'au jour où toutes les illusions s'évanouiront,et ce jour vient!- nous n'estimerons n'avoir réellement vécu ici-bas qu'à proportion que nous aurons aimé. Oui, dans le naufrage de la mort, ce qui surnagera de notre existence, c'est ce que nous aurons donné à la charité, c'est le bien que nous aurons fait, ce seront nos efforts pour avancer le règne de Dieu autour de nous. Tout le reste sera englouti dans l'abîme. 0 mes frères, développons-nous donc dans la charité, travaillons à élargir nos coeurs! mais comment? Qu'y a-t-il à faire pour grandir dans l'amour? Il faut tout d'abord le demander à genoux. Il faut supplier Dieu qu'il nous apprenne à aimer. La charité est d'essence divine; la charité est une grâce surnaturelle; il faut que ce soit Dieu qui en dépose le germe dans nos âmes. Et pour l'obtenir, il faut le lui demander. Et puis, la charité s'accroît par les sacrifices mêmes qu'elle inspire. Si vous voulez grandir dans l'amour, faites aujourd'hui un acte d'amour, faites quelque chose qui vous coûte, et demain un nouveau sacrifice vous sera plus facile et plus doux. Jour après jour, nous avons ainsi à faire l'éducation de nos murs et à devenir plus aimants. Cette éducation, c'est la tâche même de la vie. Heureux celui qui a compris cette tâche et qui la remplit !


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