Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA COMPASSION

- 4 Juin 1871 -

SERMON PRÊCHÉ APRÈS LES EVENEMENTS DE LA COMMUNE

Alors Jésus, étant sorti, vit une grande multitude; et il fut touché de compassion envers eux, parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont point de berger.

MARC VI, 31.


Mes Frères,

Il est assez difficile d'aimer l'humanité quand on la connaît. Dans la jeunesse, la confiance est instinctive et le coeur est plein de généreuses sympathies. Mais à mesure qu'on avance dans la vie, et qu'en pratiquant les hommes, on acquiert de l'expérience, on perd bien des illusions, et la confiance fait place à la tristesse; car on découvre que le mal est immense dans le monde, et que l'humanité est profondément pervertie. Cette expérience n'est pas sans danger; le danger, c'est d'arriver peu à peu à mépriser l'humanité. Défiant, on devient aisément pessimiste, puis dédaigneux, et l'on risque de s'enfermer dans un amer découragement ou dans un scepticisme desséchant. Beaucoup en sont là. Il y a dans le monde beaucoup de coeurs flétris, désabusés par les iniquités, les souillures et les lâchetés dont la société est le théâtre ; beaucoup de gens qui sourient de pitié en parlant de la nature humaine, et qui déclarent à qui veut les entendre qu'ils n'ont plus d'illusions, c'est-à-dire, hélas! qu'ils -n'ont plus ni foi, ni enthousiasme; qu'ils ne croient ni à la vertu, ni à l'amour, ni au dévouement.

Et vous-mêmes, mes frères, quand vous avez assisté à quelqu'une de ces explosions soudaines du mal qui mettent à découvert tout ce qui se cache de turpitudes et de mauvaises passions sous le vernis de la civilisation moderne, n'avez-vous pas senti je ne sais quelle amertume secrète, je ne sais quel dégoût des hommes, envahir et empoisonner votre coeur?

Eh bien ! ce sentiment n'est pas chrétien. Il est naturel, mais il est malsain, il est coupable, et nous ne devons pas lui donner accès dans nos coeurs. Notre Seigneur Jésus-Christ ne l'a jamais éprouvé. Il n'a jamais méprisé l'humanité; il l'a toujours respectée, au contraire, et aimée d'un ardent amour. Et cependant, qui l'a connue mieux que lui? Et à qui le mal parut-il jamais plus repoussant, plus détestable? Mais si Jésus-Christ a condamné le péché avec une inflexible sévérité, il a eu compassion du pécheur et il l'a aimé jusqu'à la mort. Cette compassion se retrouve à toutes les pages de son histoire. Il a pleuré sur Jérusalem, en s'écriant avec une indicible tristesse : ( Oh! si tu avais connu les choses qui regardent ta paix, mais maintenant elles sont cachées à tes yeux! » A la vue de la multitude ignorante, grossière et abusée, il était ému de compassion parce qu'ils étaient errants et dispersés comme des brebis sans berger. Il a été jusqu'à laver les pieds d'un Judas et jusqu'à l'appeler « mon ami, » au moment même où l'infâme lui donnait le baiser de la trahison. Il a prié pour ses bourreaux sur la croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » On peut dire que la compassion était le fond même de son coeur, le trait dominant de son caractère, en même temps que la plus sainte douleur de sa vie.

Chrétiens, voilà l'exemple que je viens proposer à votre imitation. Si la vue du mal excite dans vos âmes une répulsion profonde, une sainte indignation, que la vue du pécheur y excite une tendre compassion ! Hélas ! jamais cette compassion nous fut-elle plus nécessaire ? Nous venons d'assister à un épouvantable déploiement de la puissance du mal et des ténèbres, et nos âmes en sont encore tout ébranlées. Après la plus odieuse guerre des temps modernes, guerre de pillage, de vengeance et de conquête; véritable attentat au droit, à la civilisation et à l'humanité; il nous était réservé d'assister dans nos murs au triomphe insolent d'une bande de malfaiteurs, conjurés pour renverser l'ordre social. Il nous a fallu subir, pendant plus de deux mois, impuissants et indignés, leur honteuse tyrannie. Il nous a fallu les entendre verser chaque jour l'injure et la calomnie sur notre vaillante armée et sur l'homme éminent et dévoué qui, en ces jours difficiles, a accepté la tâche de relever le pays de ses ruines. Il nous a fallu les voir fouler à leurs pieds l'une après l'autre toutes nos libertés et toutes nos gloires, et de leurs mains criminelles creuser le tombeau de la patrie, sous l'oeil de ses envahisseurs. Il nous a fallu - ô scènes d'horreur qui ne s'effaceront jamais de notre mémoire! - voir l'incendie allumé par eux dans leur rage impuissante, dévorer çà et là des maisons, des rues entières, et plusieurs de ces édifices magnifiques qui sont l'orgueil de notre ville, les monuments de notre génie, ou les souvenirs de notre passé !

A ce hideux spectacle, un frémissement de colère a passé comme un vent de tempête dans toutes les âmes et les a soulevées contre de tels monstres. Cette colère a eu son heure, et elle a été sanglante !... La justice a la sienne en ce moment. Eh bien, que la compassion ait aussi sa place dans ces jours funèbres! Oui, la compassion, - la compassion pour la multitude égarée ; la compassion pour le pauvre peuple si malheureux, si ignorant et tant de fois trompé. Ah! si elle devait être bannie de ce siècle de fer et de feu, qu'elle trouve du moins un dernier asile dans le coeur des disciples de Celui qui était ému à la vue de la foule errante et dispersée comme un troupeau sans pasteur!

Comprenons-le bien, mes frères, la compassion pour le pécheur n'est pas l'indulgence pour le péché. Elle n'est pas non plus cette sensibilité facilement excitée, ce vulgaire attendrissement, qui réclame l'amnistie du coupable pour lui épargner le châtiment. Elle ne cherche point à émousser le glaive de la justice. Elle n'atténue pas le péché; elle s'allie au contraire à la haine la plus vigoureuse du mal. La véritable compassion , celle qu'on apprend à l'école de l'Évangile, est celle qui nous fait souffrir avec le pécheur. « Compassio est passio, » a dit Origène. Oui, la compassion est une douleur, la douleur du péché sentie et partagée avec le pécheur. Loin d'être le sentiment affaibli du péché et de la justice, elle ne peut naître que dans les coeurs qui connaissent la gravité du péché, qui savent combien Dieu l'a en abomination, et quelles souffrances il entraîne à sa suite. Aussi bien la compassion est-elle une vertu essentiellement chrétienne. Le monde plaint l'innocent opprimé, mais il ne plaint pas le coupable. Et cependant n'est-ce pas le coupable qui est le plus malheureux? L'auteur du mal n'en est-il pas aussi la première victime ? L'innocent persécuté a deux asiles qui ne peuvent lui manquer: Dieu et sa conscience. Mais le coupable n'ose pas se réfugier auprès de Dieu qu'il a offensé et dont il se sent éloigné; et quand il descend dans sa conscience, il y entend la voix qui le condamne, et il y rencontre le remords. Il ne lui reste donc pour dernier asile et pour dernière consolation que notre compassion. Ah! qu'il s'ouvre donc bien large cet asile à tous nos frères coupables! Faisons-leur sentir que si nous haïssons leurs forfaits, nous avons pitié de leurs âmes et voulons en guérir les plaies.

A l'exemple de Jésus-Christ, cette compassion, nous la devons à la multitude égarée, à ce peuple des pauvres et des travailleurs dont les instincts sont généreux, mais dont il est si facile, - nous ne l'avons que trop vu, - de soulever les mauvaises passions, d'attiser les haines, - ,et qui se laisse alors entraîner à toutes les violences. Hélas! le plus souvent, ce peuple, dans ses fureurs, n'est qu'un instrument aveugle entre les mains des ambitieux et des habiles! Ne l'oublions pas si nous ne voulons pas porter sur lui des jugements dont la sévérité serait de l'injustice. Rappelons-nous plutôt tout ce qui peut développer dans nos coeurs , pour la classe qui travaille et qui peine, une ardente charité, une pitié généreuse. Aimons-la, si nous voulons la comprendre et la juger avec équité. Elle a péché., - mais elle souffre et elle pleure. Ah ! ne maudissons pas! approchons-nous d'elle avec sympathie, recherchons les causes qui l'ont égarée; - et qui sait si, en les énumérant, nous n'aurons pas plus d'une fois à mêler des larmes de repentir et d'humiliation à celles de notre compassion ...

Songez d'abord, mes frères, aux souffrances de cette multitude qui se presse dans nos grandes villes. A combien de privations n'est-elle pas condamnée? Des familles nombreuses sont obligées de s'entasser dans d'étroites demeures, dans des rues tristes et malsaines. Là s'écoule leur pauvre et rude existence, sans poésie, sans variété, sans sécurité pour le lendemain, toujours courbée sous le travail. Et quel travail souvent? Vous êtes entrés quelquefois dans ces vastes manufactures ou dans ces usines où se réunissent des centaines d'ouvriers, au milieu d'une atmosphère embrasée ou fétide. Là, vous avez vu l'ouvrier, penché sur sa machine ou sur sa pièce. Il est là du matin au soir, jour après jour, année après année, surveillant les mêmes rouages, faisant les mêmes mouvements, obligé à une attention soutenue, quelquefois à une activité fiévreuse et dévorante. Quelle tyrannie! quelle fatigue que ce labeur incessant et monotone ! Encore si ce travail était largement rémunérateur! Mais non, il suffit à peine à l'entretien de la famille si elle est nombreuse. Et quand il vient à manquer, par suite de maladie ou de chômage prolongé, c'est la misère, l'affreuse misère, ce résumé de tous les maux, dont le spectre livide vient s'asseoir au foyer; ce sont les enfants qui ont faim, qui ont froid, qui n'ont plus de vêtements; c'est la mère épuisée de fatigue et de soucis, qui dépérit faute de soins; c'est le père obligé de prendre le chemin de l'hôpital, du mont-de-piété ou du bureau de bienfaisance! Quelles angoisses que celles-là! La situation de l'ouvrière est plus malheureuse encore. Une plume éloquente nous en a tracé, il y a quelques années, l'émouvant tableau et nous ne l'avons pas oublié. Pour gagner un chétif et insuffisant salaire et rester honnête, - nous n'ignorons pas qu'il ne faut rien moins à l'ouvrière de nos grandes villes qu'un persévérant héroïsme; -oui, l'héroïsme des longues veilles dans la mansarde sans feu, - l'héroïsme des privations de toute nature, préférées au luxe de la honte. Et quelle place y a-t-il dans de telles existences pour la vie du coeur, pour les doux épanchements de l'affection, ,pour les joies paisibles de la famille, pour les lectures qui rafraîchissent l'âme. et la fortifient? pour ces moments de loisir et de recueillement dont on a besoin pour se détendre, pour se retrouver soi-même, et reprendre courage au milieu des tristesses de la vie ?

Ah! mes frères, qui osera dire que tant de ,souffrances sont inévitables, et que tout est pour le mieux dans la société? Non, non, il y a là d'immenses problèmes à résoudre, des questions menaçantes qui s'imposent; et puisse l'épouvantable catastrophe que nous venons de traverser avoir du moins cette utilité d'appeler sur ces questions la plus sérieuse attention des hommes de coeur ! Car il y a un lien entre la souffrance et la révolte. La misère donne et accueille de mauvais conseils. A la longue aussi, elle abrutit 'l'homme, elle dégrade et aigrit le caractère, et dans certains moments, elle souffle au coeur de funestes tentations et des haines criminelles. Cette misère a-t-elle ému votre coeur ? Avez-vous souffert des souffrances du pauvre? Y avez-vous compati? et êtes-vous complètement innocents de tous les malheurs dont ces souffrances ont été, sinon la cause, du moins le prétexte et l'excitant ? Vous qui avez une vie agréable et facile, des appartements confortables, une table abondante, des enfants heureux et bien élevés, un lendemain assuré, - savez-vous vous mettre à la place de celui qui n'a rien de tout cela, - et qui est pourtant votre frère, - et qui a un coeur comme le vôtre et les mêmes besoins que vous? Avez-vous fait tout ce qui dépendait de vous pour atténuer, à force de charité, les inégalités sociales? ou plutôt n'avez-vous pas contribué à les faire ressortir par le luxe de vos demeures ou de vos toilettes ? Ah ! malheur à celui qui n'aurait pas entendu au fond de sa conscience, pendant la tempête furieuse à laquelle nous venons d'échapper, le reproche que le divin représentant du pauvre adressera un jour aux égoïstes: « J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire; j'étais nu, et vous ne m'avez pas vêtu. »

A coté de la misère, c'est l'ignorance qui doit provoquer notre compassion pour la multitude coupable. Hélas! vous avez si elle est grande dans notre pays! On est confondu de cette ignorance quand on prête l'oreille aux conversations de la place publique sur les affaires du pays. Que de préjugés! Que d'idées fausses ou chimériques! Que de jugements absurdes! Quelle crédulité ! Quelle absence presque totale d'éducation soit politique, soit religieuse! Et comment n'en serait-il pas ainsi? Qu'a-t-on tenté de vraiment sérieux pour l'instruction des masses ? Quels sacrifices notre pays a-t-il faits pour éclairer ceux qui ont pourtant à décider de ses destinées?

Quand donc comprendrons-nous que la première chose à faire pour nous régénérer, c'est de sortir de notre ignorance! Tant que l'école ne sera pas la pierre angulaire de notre édifice social, n'espérez pas qu'il puisse jamais avoir de stabilité! On ne fonde pas sur le néant! Un peuple sans instruction est nécessairement un peuple sans principes, c'est-à-dire la mobilité et l'inconstance mêmes. Rien de plus facile, on le comprend, que détromper un tel peuple, et de le fanatiser tantôt dans un sens tantôt dans un autre.

Mais n'est-ce pas précisément à cause de cette ignorance du peuple, qu'il est si humiliant, si douloureux de constater, que nous devons être pleins d'indulgence et de compassion pour lui? Ali ! n'oublions pas que la responsabilité morale n'est pas égale pour tous; que le serviteur qui a connu la volonté de son maître, sera battu de plus de coups; c'est-à-dire que la culpabilité s'accroît en raison directe des lumières qu'on possède. Certainement, il y avait parmi les malheureux qui ont levé l'étendard de l'insurrection des gens infâmes; mais il y en avait aussi un grand nombre, c'est incontestable, qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient, ou plutôt ce qu'on les contraignait à faire; et combien d'autres qui croyaient se dévouer à la plus noble des causes ! Qui donc à ceux-là voudrait refuser sa pitié ?

Regardez enfin, mes frères, quels ont été les conducteurs de notre peuple, quels hommes il a eu depuis longtemps pour le gouverner ou pour l'inspirer, et votre compassion sera plus grande encore qu'à la vue de sa misère et de son ignorance.

Je ne veux faire ici aucune personnalité, mais il est bien permis de dire que les hommes qui, pendant longtemps, ont gouverné notre pays, l'ont démoralisé, les uns systématiquement pour le mieux enchaîner; les autres, par l'exemple pernicieux de leur servilité ou le. scandale de leurs moeurs. On a semé le vent, nous avons moissonné la tempête. Quand l'immoralité est en haut, vous étonnerez-vous qu'elle soit en bas? Quand les hommes qui sont, par leur position sociale, le plus en évidence, donnent le triste spectacle de l'avilissement du caractère et de la soif des jouissances, comment voulez-vous trouver chez le peuple des vertus viriles? Quand les chefs d'une nation se laissent aller à l'arbitraire, à l'injustice, à l'abus de la force, quoi d'étonnant que la foule, maîtresse à son tour, s'y laisse aller elle-même? Le mal auquel je touche en ce moment est immense et général. La politique a été jusqu'ici un ténébreux domaine, où la morale la plus vulgaire est presque une inconnue. N'a-t-on pas vu l'homme d'État dont la triste gloire remplit aujourd'hui toute l'Europe, pratiquer cyniquement la maxime: « La force prime le droit » et la consacrer par une série de brutales victoires? Qui serait surpris après cela des progrès de cette démoralisation sociale qui vient d'aboutir à cette explosion infernale de passions et de haines qui est une des plus lugubres pages de notre histoire?

Et que dire maintenant des conducteurs religieux de notre peuple? Que dire de cette église catholique sur les genoux de laquelle nos générations sont élevées ? Ah! nous respectons les hommes, car nous les croyons sincères, bien qu'ils nous étonnent parfois par la souplesse de leur conscience; et nous les respectons d'autant plus aujourd'hui qu'ils viennent de souffrir une odieuse persécution; mais quel coeur chrétien n'est brisé de douleur en pensant au mal que le catholicisme a fait et continue à faire encore à la France? Ah! nous qui aimons l'Évangile, nous qui avons le bonheur de le connaître dans sa pureté; nous qui savons qu'il est le remède, le seul remède qui guérirait nos plaies et nous rendrait la santé et la force, comment ne souffririons-nous pas cruellement de le voir mutilé, défiguré, empoisonné par le catholicisme ? Comment ne pleurerions-nous pas des larmes amères sur le sort d'un peuple élevé à une pareille école? étouffé dans une pareille atmosphère ? saturé dès l'enfance de ces mensonges, de ces erreurs et de ces superstitions qui, plus tard, à l'âge où l'enfant devient un homme et réfléchit, se transforment le plus souvent en indifférence ou en incrédulité?

Comment ne tremblerions-nous pas sur l'avenir de notre chère patrie, quand nous voyons tous les peuples catholiques en proie à une dissolution intérieure contre laquelle ils se débattent impuissants !

Nous, protestants, nous avons de grands devoirs à remplir aujourd'hui. Il nous faut parler haut et courageusement. Il nous faut dire la vérité à nos concitoyens; il faut leur montrer en toute occasion l'erreur qui les tue et qu'on leur offre sous le nom de christianisme. Plus de timidité, plus de lâches réticences, plus de ménagements coupables! L'heure du péril. est celle de la franchise. N'ayons pas honte de l'Évangile du Christ qui est la puissance de Dieu en salut à tout croyant et à toute nation!

Et puis, il faut en finir avec nos luttes intestines qui ont dévoré trop longtemps le meilleur de notre activité et de nos ressources, et offrir à nos concitoyens le spectacle d'une Église forte, unie, croyante, riche en bonnes oeuvres, et toujours en marche vers la perfection.

Notre compassion ne doit pas se borner à une émotion passagère et stérile, elle doit élargir notre coeur et se manifester par les actes d'une charité puissante.

Le peuple souffre, vous ai-je dit. Eh bien, ne vous contentez pas de gémir sur sa misère. Donnez-nous les moyens de la soulager, de créer des asiles pour toutes les misères, des consolations pour toutes les infortunes. Notre caisse des pauvres est vide : remplissez-la! L'orphelinat de notre Église est fermé : permettez-nous de le rouvrir bientôt (1) !

Le peuple est ignorant. Eh bien, si vous avez quelque compassion de cette ignorance, mettez-vous à l'oeuvre , cil commençant par relever nos écoles. Hélas! elles sont bien tombées ; elles sont dans un triste état. Elles n'ont ni le personnel suffisant, ni le matériel indispensable, ni les fonds nécessaires. Sera-t-il dit que des écoles protestantes demeurent longtemps dans cette infériorité humiliante? Ah! si je pouvais faire passer dans vos âmes l'ambition de la mienne pour nos écoles! Je les voudrais nombreuses, je les voudrais splendides ! Je voudrais que rien ne leur manquât; que nos enfants y reçussent l'enseignement le plus complet et le plus soigné. Je voudrais qu'elles fassent citées partout comme des modèles, et qu'elles fussent l'honneur de nos Églises, en attendant qu'elles en fussent le salut! Et qui donc parmi vous ne le voudrait aussi? Est-ce donc là un rêve impossible à réaliser? Ce que d'autres peuples ont fait, pourquoi ne pourrions-nous Pas le faire à notre tour ?

Enfin, si vous avez quelque compassion de ces multitudes qui ressemblent, selon la parole de Jésus-Christ, à des aveugles conduits par d'autres aveugles, aidez-nous à leur prêcher Celui qui est le chemin, la vérité et la vie; - à le leur prêcher dans leur langue et sous les formes les plus diverses, par des conférences, par de bons livres, par des journaux populaires. Ne laissez pas tomber nos oeuvres d'évangélisation, mais qu'après les terribles secousses qui en ont arrêté pendant quelque temps le développement, elles reprennent toutes une nouvelle et vigoureuse impulsion!

L'oeuvre est immense sans doute, mais est-elle au-dessus de la puissance de la foi? Non, mes frères, car toutes choses sont possibles à celui qui croit, et faciles à celui qui aime! Ce qu'il nous faut aujourd'hui, c'est l'apostolat de la compassion. C'est lui seul qui fermera nos blessures, qui rapprochera les coeurs et qui trouvera la solution pratique et immédiate des questions sociales.

O notre Dieu, apprends-nous toi-même cet apostolat de la charité! Toi qui es amour, apprends-nous à aimer, apprends-nous à compatir, apprends-nous à donner; - brise à jamais notre égoïsme; - et qu'à l'exemple du Maître qui a mis sa vie pour nous, nous sachions joyeusement mettre notre vie pour nos frères! Amen.


1) Il l'a été depuis.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant