Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES HUMBLES

L'Eternel enseigne sa voie aux humbles.
(Ps. XXV, 9.)
Lorsqu'on lit les moralistes païens, on rencontre chez eux une lacune qui devrait frapper tout observateur attentif. Ils ont des pages admirables, bien propres à nous étonner; ils se font souvent de notre vie et de nos devoirs l'idée la plus noble et la plus élevée; ils décrivent avec éloquence toutes les vertus humaines : la droiture, la pureté, la fermeté d'âme, la mansuétude, la charité même. Mais il en est une que toujours ils oublient, c'est l'humilité. Vous chercherez en vain , dans l'antiquité tout entière, chez tous les philosophes, et dans les meilleurs livres, une seule exhortation à l'humilité. Ce mot lui-même n'existait pas pour eux, car le terme d'humilité, avant le christianisme, désignait toujours dans leur langue ce qui est bas, méprisable et vil; toujours il était pris dans le plus mauvais sens. Le christianisme a transformé le mot en nous donnant la chose, et ce qui n'était jusqu'alors une vertu que dans la Bible, est entré comme une nouvelle vertu dans la morale universelle.

D'où vient donc, mes frères, cette lacune étrange ? En y réfléchissant, nous en comprendrons la cause. L'humilité ne peut venir que de la connaissance de soi-même, et l'homme ne s'est vraiment connu que lorsqu'il s'est étudié à la lumière du Dieu saint. Tant que l'homme se compare à l'homme, tant qu'il se mesure à lui-même, il peut avoir sur sa valeur morale les illusions les plus naïves et les plus complètes, et, tout en avouant certaines faiblesses inséparables, pense-t-il, de la nature humaine, il peut être tellement satisfait de lui-même, que l'humilité lui paraît un non-sens. Mais dressez devant lui l'image du Dieu saint. Qu'il s'examine à cette pure lumière, alors il voit s'évanouir l'éclat de ses qualités vantées, alors il distingue, au fond de ce qu'il appelait ses vertus, des misères, des traces d'orgueil et de vanité qu'il ignorait jusque-là. Plus la lumière augmente, plus il voit pâlir cette bonté naturelle à laquelle. il croyait, plus il voit apparaître, au contraire, sous le vernis superficiel de l'honnêteté mondaine, ces convoitises secrètes, ces mouvements honteux d'envie, de haine ou d'égoïsme que recèle toute âme d'homme. L'illusion lui devient impossible, il s'est vu tel qu'il est, il comprend qu'en présence de Dieu, la seule attitude qui lui convienne, c'est l'humilité. Ainsi le Juif de l'ancienne alliance, qui connaissait le Dieu véritable, pouvait déjà connaître l'humilité; cependant c'est avec Jésus-Christ qu'elle a vraiment fait son entrée dans le monde.

Jésus-Christ, en effet, ne nous a pas seulement révélé ce qu'est Dieu. Il nous a montré ce que doit être l'homme. « Voici l'homme! » disait Pilate aux Juifs, et il ne savait pas le sens profond, éternellement vrai que devait revêtir cette parole de lâche abandon. Oui, voici l'homme, tel qu'il doit être, tel que Dieu l'a voulu; le voici, plus grand que ne l'ont espéré les prophètes, et que ne l'a jamais rêvé l'imagination des peuples; le voici pur et sans tache, fidèle à la vérité dans son langage et dans sa vie; le voici tout brillant d'une sainteté immaculée, soumis à Dieu, faisant sa volonté, mettant l'obéissance là où le premier Adam avait mis la révolte, reflétant purement l'image même du Père sans la voiler, ni l'affaiblir; le voici aimant comme Dieu aime, aimant toujours, aimant jusqu'à la fin. Voici l'homme, j'en appelle à la conscience humaine qui s'incline devant cette image, en' y reconnaissant une majesté qui la domine et qui s'impose à tous. Rassemblez toutes les grandeurs de la terre, toutes les vertus humaines, mettez-les en sa présence, et la tête divine du Crucifié s'élèvera rayonnante de splendeur au-dessus de tout ce que les hommes admirent Voici l'homme, mes frères, et en voyant ce qu'il aurait dû toujours être, nous voyons ce que nous sommes, et nous mesurons du même coup la profondeur de l'abîme dans lequel le péché nous a plongés.

C'est là ce qui nous explique pourquoi l'humilité date de Jésus-Christ. Au pied de Jésus-Christ, au pied de celui que saint Jean appelle la Lumière, les vertus mondaines pâlissent et s'effacent, comme s'efface auprès des feux d'un pur diamant, l'éclat des joyaux les plus habilement imités. C'est là, mes frères, une vérité d'expérience. Il y a dans cette assemblée des personnes qui, avant de devenir sérieusement chrétiennes, menaient la vie la plus pure et la plus honorable au point de vue du monde. Elles-mêmes étaient tranquilles, se complaisaient dans l'estime et la considération dont elles jouissaient, et quand il leur arrivait d'ouvrir, par distraction, quelque livre religieux, où elles rencontraient les aveux d'une âme humiliée et repentante, les cris d'angoisse d'un pécheur troublé, volontiers elles y voyaient des exagérations pieuses auxquelles il leur semblait impossible de s'associer. Que s'est-il donc passe, pour qu'aujourd'hui leur manière de voir ait si complètement changé ? Elles se sont approchées de Jésus-Christ, elles se sont examinées à sa lumière. Dès lors, que de découvertes dans leur vie passée et dans leur vie présente! Que de péchés oubliés qui sont ressortis au grand jour! Que de misères, que de hontes dont elles n'avaient pas le souvenir! Que de tentations caressées pour la réalisation desquelles il n'a manqué qu'une occasion favorable! Que de tiédeur, d'indifférence pour le bien; que d'égoïsme et de lâches complaisances! Viennent maintenant les flatteries mondaines; elles les repousseront avec énergie. Viennent les discours artificieux d'un complaisant prédicateur qui relève leurs qualités, voile habilement leurs défauts, et cherche à leur inspirer une. sécurité charnelle. Elles ne voudront plus les entendre. Ce qu'il leur faut, c'est la vérité, car c'est la vérité qui sauve. Elles en savent trop pour vouloir d'une religion qui rabaisse Dieu au profit de l'homme; ce qu'il leur faut, c'est une parole franche et ferme qui les trouble et qui les humilie, mais à laquelle leur conscience soit forcée de donner un assentiment complet.

Cependant, mes frères, pour produire l'humilité, il y a quelque chose de plus efficace encore que la vue de la perfection de Jésus-Christ, c'est la vue de son amour. Quand un pécheur, qui a appris à se connaître, à distinguer tout ce qu'il y a cri lui de souillures et de misères, se voit l'objet de l'amour de Dieu, et d'un amour tel que celui que nous dépeint l'Evangile, il est impossible que le sentiment de cette miséricorde ne l'accable pas. Montrez-lui un Dieu qui l'abatte et le foudroie, il courbera la tête dans le sentiment qu'il n'y a rien là qu'il ne mérite; mais montrez-lui un Dieu qui vienne à lui, qui l'aime et lui pardonne; oh! alors, tout l'orgueil de son coeur est brisé. Certes, il était humilié l'enfant prodigue, lorsque, saisi de remords, il se leva pour aller à son père en lui disant : « Mon père, J'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils; » mais que dut-il éprouver lorsqu'il se vit pressé sur ce coeur qu'il avait fait saigner, et qu'il sentit tomber sur lui les larmes de son père ? Certes, ils devaient être humiliés les péagers, les Zachée, les Marie-Madeleine, quand ils contemplaient Jésus-Christ et que la vue de sa sainteté répandue dans son expression, dans son regard, dans tous ses discours, faisait d'autant mieux ressortir leur propre misère; mais que durent-ils sentir quand Jésus entra dans leur demeure, quand ils comprirent qu'ils étaient les objets de son amour, de sa tendre sollicitude? Et, nous-mêmes, qui avons vu sa croix, nous qui croyons que cette merveilleuse histoire ne nous est pas étrangère, nous qui croyons à l'amour rédempteur, nous qui savons que c'est pour nous aussi qu'est venu le Sauveur, ne nous sentirons-nous pas accablés par la grandeur de cette miséricorde, hésiterons-nous à apporter à Dieu le sacrifice d'un coeur brisé ? J'ai entendu souvent l'incrédule se récrier à cette orgueilleuse pensée des chrétiens qui croient que les cieux se sont ébranlés pour leur salut, et que le Fils de Dieu même a dû souffrir à leur place. Mais vous qui croyez à ce sacrifice, dites-nous si ce que la croix vous enseigne et vous inspire, ce n'est pas l'humilité. Ah! mes frères, c'est au pied de la croix que l'humilité est née, c'est de la terre arrosée du sang du Christ qu'elle est sortie cette fleur divine, ignorée jusque-là du monde. C'est là son sol natal. Ailleurs elle ne peut que dépérir et se dessécher.

Nous comprenons maintenant pourquoi, en dehors du christianisme, l'humilité a été ignorée. Hélas! il ne s'ensuit pas que tous les chrétiens la connaissent. C'est ce que nous serons forcés d'avouer en rappelant les traits qui la distinguent.

L'humilité chrétienne, mes frères, doit pénétrer notre être tout entier. Puisque toutes les parties de notre être ont participé à la révolte du péché, il faut que toutes viennent courber la tête devant Dieu. Il faut tout d'abord que notre intelligence soit humble. Voilà ce que nous risquons trop d'oublier dans notre âge de critique et de discussion, nous surtout chrétiens 'protestants, appelés par notre position à sauvegarder le rôle de l'examen individuel vis-à-vis de la foi traditionnelle de l'Eglise. Ce n'est pas que je veuille que l'intelligence oublie sa mission qui lui vient aussi de Dieu; mais ce que je demande, c'est que toutes ses recherches soient empreintes d'humilité, c'est qu'en maniant les questions religieuses, elle ne les profane jamais comme faisaient pour les instruments du culte et les vases du sanctuaire ces prêtres de Lévi que punit l'Eternel. Ce que je demande, c'est que jamais la raillerie, ni le ton de dédain ne se mêle aux discussions qu'elle aborde. Ce que je demande, enfin, c'est que nous nous souvenions que, si nous cherchons la vérité religieuse, c'est pour mieux adorer et pour mieux obéir. Je comprends qu'avant de l'avoir reconnue, nous l'examinions en juges, mais le jour où nous la possédons, il faut nous incliner devant elle. Il est écrit que la vérité nous affranchit, oui, mais c'est à condition de faire de nous ses esclaves volontaires; si nous brisons les formules des hommes, c'est pour mieux obéir à Dieu. Une grande chrétienne a dit: « J'aime encore mieux l'ombre du côté de Dieu, que la lumière du côté des hommes. » Eh bien! il est bon pour l'âme de s'asseoir à cette ombre, de respirer l'air des mystères qui nous humilient et qui nous sanctifient. Il y a, mes frères, une piété raisonneuse, qui toujours, et sous toutes les formes, ne veut qu'enseigner. Est-ce elle qui fait le plus de bien ? Est-ce elle qui exerce l'influence la plus communicative et la plus sympathique? Je ne le pense pas, et, pour ma part, je ne sais pas de plus beau spectacle que celui d'une grande intelligence qui devant Dieu adore et s'humilie.

L'humilité de l'intelligence ainsi comprise se confond avec l'humilité du coeur. A vrai dire, elles devraient être inséparables, mais elles ne le sont pas toujours. On peut faire profession de soumettre entièrement son intelligence à Dieu, lui sacrifier sa raison, vanter une foi aveugle et abriter dans son coeur tout un monde d'orgueil. On peut encore croire par l'intelligence que le salut est une grâce, et n'en être pour cela pas plus humble devant Dieu. Que dis-je? On peut se faire un mérite de ne pas croire au mérite, se reposer pour son salut sur un raisonnement, et conserver dans son coeur le levain du pharisaïsme. De l'homme qui met sa confiance en ses oeuvres ou de l'homme qui met sa confiance en son orthodoxie intellectuelle, quel est le plus pharisien, je vous prie? N'est-il pas évident qu'entre ces dispositions-là et l'humble dépendance du pécheur qui n'espère qu'en la grâce divine, il y a une incommensurable distance, la même distance, hélas! qui sépare le cerveau du coeur et la foi de tête de la foi qui sauve ? Ainsi, tant que l'humilité n'aura pas atteint et dompté notre coeur, elle n'est encore qu'une théorie, qu'un mot de plus dans le vocabulaire de notre christianisme, et il est à craindre que nous n'ayons pas compris l'Evangile.

Mais, cette humilité du coeur, elle doit passer dans la vie; on doit la reconnaître à la manière même dont nous acceptons la volonté divine. Dieu nous avertit par les événements tout aussi bien que par sa parole; c'est cette double voix qu'il faut entendre et à laquelle il faut obéir. Que nous servirait-il, je vous le demande, de porter au pied de la croix un coeur brisé, de nous y offrir en vivant sacrifice, pour nous relever ensuite, tout désireux d'aller accomplir nos desseins et notre volonté, tout pleins, en un mot, de l'orgueil de la vie ? Non, non, l'humilité doit se retrouver jour par Jour, heure par heure, dans le courant de l'existence; elle est dans cette docilité du coeur qui accepte l'enseignement que porte avec lui chaque événement; elle est dans cette attitude respectueuse du croyant qui attend les signes de la volonté divine, redoutant d'y opposer la sienne; elle est dans l'accomplissement des devoirs ignorés et sans éclat qu'elle choisit de préférence; elle est dans l'acceptation sans murmure des épreuves, des dispensations douloureuses. On la voit parfois, mes frères orner d'une beauté suprême la fin des carrières les plus éminentes; il arrive, dans l'Eglise, que des hommes auxquels Dieu avait départi les dons les plus beaux vont, à mesure qu'ils avancent en âge et en expérience, progressant dans l'humilité. Semblables à ces rameaux qui se courbent d'autant plus vers la terre qu'ils sont chargés de fruits, eux aussi, plus ils abondent en oeuvres, plus ils s'inclinent devant Dieu; chez eux, rien de cette âpre censure, rien de cette morosité sombre qui trahit l'orgueil spirituel. On les voit s'amoindrissant, si je puis dire, à mesure qu'ils avancent; détournant d'eux les regards, et disant comme le Précurseur : « Il faut que le Christ croisse et que pour moi je diminue. »

Quel grand enseignement, mes frères, que ce progrès dans le dépouillement! Il y a là un charme secret qui nous attire et nous subjugue. Comme les hautes sommités des Alpes qui paraissent moins belles sous les feux du milieu du jour que lorsque le soleil couchant les revêt d'une teinte délicate et mystérieuse, ainsi ces vies chrétiennes ont moins d'attrait pour nous au jour de leur activité la plus puissante que lorsqu'au terme de la lutte, Dieu vient les couronner d'humilité.

Voilà l'humilité chrétienne,, mes frères; en voilà du moins quelques traits, car la dépeindre est impossible; on la sent plutôt qu'on ne la voit. Il nous reste à considérer la promesse que Dieu lui fait dans mon texte : « L'Eternel enseigne sa voie aux. humbles. »

La voie de l'Eternel! J'aime ce mot, mes frères, car il relie la terre au ciel. Il y a donc ici-bas une voie qui conduit à Dieu, une voie où l'on marche avec Dieu; au milieu de toutes ces routes qui s'entre-croisent et qui conduisent presque toutes à la vanité, il y a une voie qui, elle, n'aboutit à aucun abîme, et qui traverse victorieuse la vallée de l'ombre de la mort. Elle aborde aux rivages de l'éternité. Elle nous conduit à la terre du repos, de la lumière et de la justice, où sont parvenus et où nous attendent ceux qui l'ont parcourue avant nous. Heureux qui connaît cette voie, car comme nous le chantons dans un de nos cantiques, la suivre est le salut; mais cette voie, comment la trouver? La Parole divine nous répond que Dieu l'enseigne aux humbles.

Laissez-moi vous appliquer cette parole, vous, mes frères, qui cherchez cette voie par tous les efforts de votre intelligence, et qui ne l'avez point encore trouvée. Montrez-nous donc, vous dirai-je, dans l'histoire entière, un seul homme qui soit arrivé, par la seule force de sa raison, à trouver la voie qui conduit à Dieu? Dieu a laissé le monde ancien discuter pendant quarante siècles. « Quelle est la voie de la vérité? » s'est-on demandé sous tous les cieux. Avec quelle ardeur n'a-t-on pas cherché à résoudre cette question! Quelles études! quelle profondeur d'esprit! quelles facultés éminentes ! quelles merveilleuses investigations! Surpassera-t-on jamais, à cet égard, les penseurs anciens ? Verra-t-on des esprits plus patients ou plus pénétrants que les leurs? Et pourtant si, dans les temps les plus beaux de la pensée antique, vous fussiez entré dans une de ces écoles pour demander qu'on vous enseignât la voie qui conduit à Dieu, quelle réponse en auriez-vous tirée ? quelle lumière aurait pu jaillir de tant d'opinions contradictoires? Cependant, à la même époque, si vous aviez interrogé en Judée ce fils d'Isaï, ce berger de Bethléhem qui s'appelait David, il vous aurait parlé de Dieu dans le langage le plus simple et le plus magnifique qu'ait jamais employé l'homme, il vous aurait montré cette voie que la sagesse ancienne cherchait en vain, et dans laquelle nous sommes entrés nous-mêmes trente siècles après lui. L'Eternel enseigne sa voie aux humbles. N'en a-t-il pas été ainsi de tout temps? Ne sont-ce pas des humbles qui ont toujours été les témoins de Dieu sur la terre? N'étaient-ils pas des humbles, ceux qui sont venus pour la première fois adorer le Sauveur dans la nuit de Bethléhem ? N'étaient-ils pas des humbles, ceux qui ont écouté Jésus-Christ, pendant que les grands et les sages le fuyaient ou le méprisaient ? N'étaient-ils pas des humbles, ceux qui ont entonné les premiers à sa louange, au jour de son modeste triomphe à la porte de Jérusalem, cet alléluia qui désormais n'aura plus de fin, et qui retentira d'un monde à l'autre aux siècles des siècles ? N'étaient-ils pas des humbles, ceux qui confessèrent les premiers sur la terre Celui que nous confessons tous aujourd'hui ? N'est-ce pas par des humbles qu'il a vaincu les forts ? Quelle est donc la page de l'Evangile ou de l'histoire où nous ne trouvions le commentaire de cette parole: « L'Eternel enseigne sa voie aux humbles ? »

Aujourd'hui , mes frères , l'intelligence de l'homme a pris en elle-même une immense et superbe confiance; elle a foi en ses forces, elle croit qu'elle viendra à bout de tous les problèmes, qu'elle surmontera tous les obstacles. Et, en effet, combien de voies impossibles n'a-t-elle pas déjà ouvertes ! Elle a creusé, dans les profondeurs de la terre, ces routes qui conduisent à des richesses sans fin; elle a jeté sur notre globe ce réseau de fer qui va l'enserrant de plus en plus, et, dépassant la terre, elle suit dans l'immensité des cieux la voie des astres; elle calcule, sans s'y méprendre, leur volume et jusqu'à leur pesanteur. Vraiment l'homme est le roi de la nature. Mais, au milieu de ces gigantesques découvertes, a-t-il su trouver la voie qui conduit à Dieu ? Il a cru la découvrir par la force de son génie. Sans cesse quelques nouveaux rêveurs nous annoncent qu'ils l'ont entrevue, et notre esprit s'amuse parfois à suivre leurs systèmes, mais quand, oppressés par le doute et par la souffrance, effrayés de nos ténèbres et las de nos égarements, nous cherchons cette voie, à qui allons-nous, mes frères? Nous allons à l'école de ces petits de la terre qui entendirent le Sauveur en Galilée ; nous méditons leur parole, et seule elle nous donne la satisfaction et la paix. Mettez à côté de leurs quelques pages vos systèmes, les plus récents comme les plus anciens! Nommez-m'en donc un seul qui puisse remplacer l'Evangile? Ah! quand on nous annonce l'insuffisance du christianisme, je me demande où est la voie nouvelle qui conduira à Dieu d'une manière plus directe et plus sûre, et je suis tranquille, car chaque système qui s'écroule vient, en prouvant l'insuffisance de la sagesse humaine, montrer une fois de plus que l'Eternel enseigne sa voie aux humbles.

Nous reprochera-t-on, mes frères, d'exalter ici l'ignorance, la médiocrité d'esprit, et de rabaisser la raison ? Loin de nous cette pensée! Ne savons-nous pas d'ailleurs que ni l'ignorance, ni la médiocrité d'esprit ne donnent l'humilité ? Fort souvent, au contraire,* on les voit enfanter l'orgueil. Que l'intelligence grandisse et se développe, qu'elle s'étende dans ses libres recherches, et nous nous en réjouirons; ce que nous lui demandons, c'est de reconnaître avec simplicité ce qu'elle ignore, c'est de ne jamais oublier la dépendance où elle est de Dieu. Il est du reste impossible de ne pas observer ici, une fois de plus, combien en matière religieuse l'intelligence est solidaire de l'état moral. Chez Saul persécuteur de l'Eglise et chez Paul apôtre, la vigueur de l'intelligence est la même. A quoi tient donc la distance immense qui sépare ces deux hommes ? A ce fait que le coeur de Saul a été humilié. Ainsi donnez-moi un homme qui sente profondément et sa dépendance vis-à-vis de Dieu, et sa misère naturelle, je ne craindrai point que sa raison l'égare, car, quand cette raison aurait le vol d'aigle de Bossuet, de Newton ou de Pascal, je sens qu'elle se laissera enseigner de Dieu.

Voilà le plan de Dieu, mes frères; Dieu ne le changera point aujourd'hui. Voulez-vous connaître la voie qui conduit à lui? Soyez humbles. Si vous ne cherchez la vérité religieuse qu'en critique ou qu'en amateur; si vous n'en voulez que pour disserter sur elle, pour en faire un piédestal à votre esprit pénétrant, ne croyez pas qu'elle vous soit jamais donnée. Mais si vous la cherchez, désireux avant tout de lui soumettre votre coeur et votre vie, au nom du Dieu vivant, je vous déclare que vous la trouverez, car la chercher ainsi, c'est l'avoir déjà trouvée en quelque mesure. On raconte qu'un grand et pieux prédicateur du moyen âge rencontra un jour sur sa route un jeune homme sorti récemment des écoles, et qui, pour lui montrer sa pénétration d'esprit, se mit à disserter subtilement sur Dieu. Le vieillard l'écouta quelque temps en silence, puis, plaçant la main sur son épaule : « Lève les yeux, lui dit-il, et regarde le soleil. » Le jeune homme tourna ses regards en haut, mais, aveuglé par cette lumière éblouissante, il dut courber la tête. « Insensé, lui dit le vieillard, tu ne peux regarder le soleil visible, et tu veux pénétrer Dieu qui est le soleil des âmes! » Il disait vrai, mes frères. L'orgueil veut voir Dieu face à face, et son éclat l'aveugle. L'humilité s'incline devant lui, et voit son sentier tout inondé par sa lumière. L'Eternel enseigne sa voie aux humbles.

Je viens de parler des doutes de l'intelligence. Mais ils ne sont jamais que le partage du petit nombre, car peu de gens raisonnent leur incrédulité. Quand je demanderais à la plupart des hommes s'ils connaissent ce que la Bible appelle la voie de l'Eternel, ils me répondraient qu'ils ne l'ont jamais vue, et qu'il est impossible qu'elle existe dans le dédale de la vie. Le spectacle de la vie et du monde, tels que le péché les a faits, voilà l'origine la plus fréquente de l'incrédulité. Comment croire à la voie de l'Eternel, quand tout a l'air de marcher au hasard, quand le juste est châtié comme l'inique, quand la mort frappe brutalement à droite et à gauche, quand les prières restent sans réponse, et que les événements s'entre-croisent dans un désordre qui nous confond? Cette tentation-là, mes frères, le chrétien la connaît surtout quand il traverse l'épreuve. C'est alors qu'il faut que Dieu lui enseigne sa voie, et n'est-il pas évident que si vous pouviez la distinguer clairement, cette voie divine, la voir resplendir au sein de vos ténèbres, sentir que vous y avancez, et que chaque épreuve vous y fait marcher et mieux et plus vite, vous puiseriez dans cette pensée une immense consolation ?

Eh bien, pour que Dieu vous l'enseigne, cette voie par laquelle il vous conduit, savez-vous ce qui vous manque peut-être ? L'humilité. L'humilité qui accepte tout ce que Dieu envoie, et qui ne conteste pas avec lui. Oh! la révolte, nous nous la figurons toujours superbe et menaçante, mais elle sait se dissimuler, elle se réfugie dans des coeurs brisés en apparence; elle se cache sous la résignation morne, elle s'abrite sous des vêtements de deuil. Il y a des coeurs qui, ne veulent pas être consolés de Dieu, et qui ne lui pardonnent pas d'avoir renversé leurs plans, détruit leur bonheur, brisé leurs affections. Prenez-y garde! On ne veut pas avouer qu'on résiste à Dieu, mais au fond on le brave, on le défie. Et savez-vous ce qui arrive ? Plus on résiste, moins on comprend les desseins de Dieu; plus, au contraire, on s'aveugle, plus les ténèbres s'épaississent, plus la vie devient un inextricable chaos. Que faudrait-il donc pour que le rayon d'en haut l'illumine, et que la voie de l'Eternel y apparaisse ? Il faudrait s'humilier, tomber à genoux, renoncer à comprendre. Il l'avait senti, l'un de nos grands poètes, lorsque, dans un moment d'inspiration vraie, il écrivait près du tombeau de sa fille ces vers empreints d'une si touchante acceptation :

Je viens à vous, Seigneur, confessant que vous êtes

Juste, sage, clément et doux, ô Dieu vivant!

Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,

Et que l'homme est un jonc qui tremble au gré du vent.

On parle des bienfaits de l'épreuve. Oui, quand elle est acceptée avec humilité de coeur. Autrement, elle peut endurcir, hélas! et souvent à jamais. Mais quand l'humilité l'accompagne, elle est vraiment une messagère de bénédiction. Elle nous conduit, elle nous ramène à Dieu, elle nous fait dire avec David : « Avant que je fusse affligé, je m'égarais; mais maintenant j'observe ta Parole. » Et quand l'épreuve est ainsi acceptée, elle est presque toujours suivie de la lumière. Plus le chrétien devient humble, plus Dieu l'éclaire. Il finit par comprendre ces dispensations singulières, étranges même par lesquelles Dieu le conduit. Il finit par dire, non plus théoriquement, mais par expérience, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. Plus il avance, plus sa voie s'éclaire du côté du ciel, et il sent se réaliser cette magnifique promesse des Proverbes : « Le sentier des justes (pourquoi ne dirions-nous pas des humbles ?) est comme la lumière resplendissante qui augmente son éclat jusqu'à ce que le jour soit en sa perfection. »

Il est donc vrai que l'Eternel enseigne sa voie aux humbles. C'est à eux qu'il révèle la vérité, c'est à eux qu'il fait trouver la consolation dans l'épreuve; mais cela, mes frères, ne nous suffit pas. Le chrétien ne se contente pas d'être éclairé et consolé par Dieu. Il veut plus encore, il veut travailler avec Dieu, être son témoin, son représentant sur la terre. Eh bien, à celui qui a ce noble désir, à celui qui demande à Dieu les moyens d'avancer son règne, la Parole divine répond encore : « L'Eternel enseigne sa voie aux humbles. »

C'est une chose merveilleuse que le Dieu du christianisme n'ait jamais voulu être servi par les forts, mais toujours par les humbles, afin qu'il parut, comme dit l'Apôtre, que c'était bien sa puissance qui se manifestait dans leur infirmité.

Passez en revue tous ceux qui ont servi à ses desseins, tous ceux par lesquels il a instruit et sauvé les hommes, vous verrez que tous ils ont été formés à l'école de l'humilité. Chez aucun d'eux vous ne trouverez cette grandeur factice qui est le fruit de l'orgueil et de l'enthousiasme, cette pose majestueuse des héros de ce monde qui cherchent à nous éblouir par leur attitude. Non, tous les héros de la Bible nous confessent leurs troubles, leurs défaillances et leurs chutes, tous ils nous racontent que Dieu s'est plu à briser leurs forces. C'est Moïse, que la Bible appelle le plus doux entre les fils des hommes, Moïse, qui tremble devant son ministère; c'est David, qui descend au torrent pour charger sa fronde devant une armée en bataille, David, le plus humble de tous ceux auxquels Dieu a confié le poids d'une couronne; c'est Pierre, qui porte partout avec lui le souvenir humiliant de son triple reniement; c'est Paul qui doit être en butte aux humiliations les plus mesquines et les plus mystérieuses, et qui gémit sentant toujours une écharde dans sa chair. Les voilà, tels que Pieu les a préparés pour la lutte, armés de leur faiblesse; c'est à eux cependant que l'Eternel a enseigné la voie du succès.

Vous donc qui voulez travailler pour le Seigneur, emparez-vous de cette pensée, car seule elle pourra vous tenir en garde contre d'inévitables découragements. Tant que pour réussir vous compterez sur vos forces ou sur vos ressources, Dieu se plaira à briser votre confiance par des insuccès répétés, et vous pourrez croire alors qu'il vous abandonne, tandis qu'il vous discipline et vous prépare à être entre ses mains un instrument docile. Vous aviez confiance pour faire une oeuvre excellente dans les richesses dont vous disposiez. Il vous montrera un pauvre de ce monde accomplissant avec ses faibles ressources de plus grandes oeuvres que les vôtres. Vous aviez confiance dans vos talents, dans votre éloquence, dans la pénétration de votre esprit; il vous semblait qu'à ces dons mis au service de Dieu, rien ne pourrait résister. Il vous montrera des hommes sans grande culture, de capacités et de talents médiocres, éclairant plus d'intelligences, sauvant plus d'âmes, recueillant enfin une plus riche moisson que vous. Vous aviez confiance dans la force, dans l'énergie de votre volonté; il vous montrera des caractères infiniment plus faibles que le vôtre, incapables de former d'aussi grands desseins, aboutir cependant par leur fidélité quotidienne à des résultats qui vous sont refusés, et, par toutes ces épreuves successives, il vous dira, mon frère: « Tu te croyais nécessaire à mes desseins et tu ne savais pas que je n'ai pas besoin de toi. » Mais, quand, par cette éducation mystérieuse, il vous aura brisé, anéanti peut-être, il vous relèvera dans sa miséricorde, et, ces dons qu'il vous avait donnés, il les fera servir à sa gloire, après les avoir tous ornés d'humilité.

Il est temps d'achever, mes frères, mais je ne puis m'empêcher de remarquer en terminant combien les choses que nous avons dites sont opposées à la manière de penser des hommes. Je disais en commençant que la sagesse antique n'a jamais connu l'humilité; c'est un des enseignements du christianisme qui lui a toujours été en scandale. Aujourd'hui, dans l'incrédulité Contemporaine, je rencontre une opinion toute semblable. Le mot d'ordre de notre époque est celui-ci : «Aie confiance en toi-même, crois en toi. » Tandis que l'incrédulité la plus hardie nous dit que le ciel est vide et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que l'homme, la masse des esprits qui ne va pas jusqu'à ces conséquences extrêmes, n'en conclut pas moins dans la pratique que l'homme qui veut réussir ne doit compter que sur soi. Que penseront-ils donc de l'humilité chrétienne, de cette doctrine étrange qui apprend à l'homme à se dépouiller de soi-même, à s'abaisser à ses propres yeux? Pour eux, ce ne peut être qu'une folie, à moins qu'allant plus loin ils n'y voient un instrument d'autorité mauvaise, un moyen de maintenir les hommes dans un état perpétuel de servitude et de minorité.

Une folie ! je le veux bien, mais il est bon qu'on sache que cette folie a été la source de tout ce qu'il y a de plus grand et de plus durable ici-bas. Il est bon que ce siècle orgueilleux qui n'a confiance qu'en l'homme se rappelle que les plus grandes victoires Morales que le monde ait vues, ce sont les humbles qui les ont remportées, et que c'est aux humbles aussi que la victoire suprême a été promise.

Quand, il y a dix-huit siècles, l'humanité était tombée plus bas qu'on ne l'a jamais vue, quand la servitude était le mot d'ordre universel, et que le monde civilisé en était venu à s'incliner en adorant devant l'image d'un monstre couronné, qui est-ce qui a relevé l'humanité, qui est-ce qui l'a sauvée, en lui rendant la dignité de l'âme, l'indépendance morale de laquelle devait sortir la liberté moderne? Sont-ce ces philosophes qui exaltaient l'homme, ces stoïciens superbes qui ne croyaient qu'à la volonté, qu'à l'énergie humaine ? Non, ce furent ces humbles, ces petits de l'Evangile qui, en inclinant devant Dieu leur front humilié, avaient appris à le relever en face de la servitude et de la dégradation universelles. Et au seizième siècle, quand le monde chrétien tout entier pliait sous le joug d'un Jules II ou d'un Alexandre VI, qui est-ce qui a délivré la conscience humaine? Sont-ce ces sceptiques et ces athées qui disaient alors, comme on le dit aujourd'hui, que le ciel est vide, et que l'homme doit compter sur lui seul pour vouloir et pour agir? Non, ceux-là raillaient en secret, mais en public, ils courbaient la tête. Ceux qui ont alors affranchi l'âme humaine, ce furent ces humbles qui, dans leur théologie, donnaient tout à Dieu, tout à sa grâce, et après s'être humiliés devant lui apprenaient à s'affranchir de la servitude des hommes, à rejeter toute autorité qui n'était pas divine.

Et comment ne pas rappeler ici cette scène immortelle de Worms qui a été comme l'aurore de la Réformation? Il y a trois siècles, dans une diète d'Allemagne, un jeune empereur venait s'asseoir, entouré de toutes les splendeurs et de toutes les gloires; il avait pour lui la force et la richesse, les hommages de la terre et les bénédictions du ciel. Il tenait sous son sceptre une grande partie de l'Europe et le Nouveau-Monde presque tout entier. Le soleil ne se couchait pas sur ses Etats, et ses flatteurs lui annonçaient la domination universelle. Quand Charles-Quint, enivré de sa grandeur immense vit entrer à Worms un moine pâle et défait) à la frêle apparence, qui s'appelait Martin Luther, il nous est dit qu'il ne put retenir un mouvement d'étonnement et de dédain. Il ne savait pas qu'en cette solennelle journée, un grand débat allait s'engager, et que ce moine obscur en sortirait victorieux; il ne savait pas qu'après trois siècles, la cause pour laquelle combattait ce moine aurait rallié à elle la moitié des nations chrétiennes, et qu'alors il ne resterait Plus rien de cette grandeur charnelle dont lui-même était ébloui. Or, mes frères, d'où venait à Luther cette force extraordinaire qui lui permit, seul devant cette assemblée, devant l'Europe entière, d'affirmer sa foi sans fléchir, et de remporter cette victoire à laquelle nous devons notre propre affranchissement? Ils ont dit, ceux qui le haïssent, ils ont dit : « C'est l'orgueil du moine. » Ah! s'il fut orgueilleux, ce ne fut pas en ce jour-là. Non, sa force, il l'avait puisée dans cette longue et fervente prière que la veille de ce jour il prononçait en pleurant, lorsqu'il laissait échapper ces naïves et touchantes paroles : « Tu le sais, mon Dieu, moi aussi je voudrais mon repos et ma paix... Qui suis-je, pour résister à de si grands seigneurs? mais c'est ta cause, ce n'est pas la mienne. » Luther à genoux, Luther accablé par sa mission solennelle, Luther brisé devant Dieu, voilà ce qui nous explique et son courage et sa victoire, car l'Eternel enseigne sa voie aux humbles.

Allons, donc, ô mes frères, puiser notre force là où il a trouvé la sienne; allons à l'oeuvre, humbles et défiants de nous-mêmes, et qu'à Celui qui peut seul nous donner la victoire, qu'à Celui duquel tout procède et auquel tout retourne, qu'à lui soit la gloire aux siècles des siècles. Amen!


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